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Notes d'auteur :

Make up your mind reprend ! À longue absence, long chapitre.

— Bon alors, où est-ce que vous pensez l’avoir laissée ?
Akida-san fit quelques pas hésitants dans l’appartement.
— Dites donc, c’est encore plus en désordre qu’hier.
— Je vous ai pas demandé votre avis, juste de récupérer vos affaires et repartir où ça vous chante.
— Pourquoi, vous attendez du monde ?
— Justement non, c’est le principe.
— Alors vous devriez être ravie de nous avoir ici, il y en a qui tueraient pour ça.
— On vous a déjà dit que vous étiez d’un orgueil honteux ?
— On vous a déjà dit que vous étiez socialement handicapée ?
Ayu pinça les lèvres.
— Tant pis, j’assume. Vous étiez venu chercher une sacoche.
— Je peux manger quelque chose ?
Ayu et Akida-san se tournèrent vers Yamada-san avec une certaine surprise.
— Ben, vous avez l’air d’en avoir pour longtemps, et moi j’ai faim, statua-t-il. Donc autant fermer la porte et se poser un peu.
Il déposa ses chaussures à l’entrée et alla soigneusement tirer tous les rideaux de la pièce, puis laissa son sac rempli de bouteilles sur le comptoir de la kitchenette, avec un bruit qui fit craindre à Ayu la catastrophe et l’obligea à réfléchir à l’endroit où elle avait bien pu ranger sa serpillère. Elle faillit également demander aux deux invités forcés de faire preuve d’un minimum de politesse et retirer leur capuche, mais se ravisa, décidant que c’était peut-être aller trop loin.
Akida-san se mit en devoir de retourner le tas d’affaires laissées par Ayu sur la table, puisque c’était là qu’elle l’avait maquillé la veille ; pour autant qu’elle puisse le voir, il n’y avait aucune sacoche en vue. Le laissant farfouiller – de toute façon, il ne risquait pas d’aggraver le désordre qu’il y avait déjà – la jeune femme entreprit de ranger ses courses dans le placard et le frigo, évitant soigneusement Yamada-san qui était en travers de son chemin. Elle lui tendit un petit pain vapeur tout droit sorti du sachet de courses histoire de le faire tenir en place ; un homme de plus d’un mètre quatre-vingt retournant complètement son appartement suffisait, pas besoin d’un deuxième. Elle finit par s’asseoir sur une chaise proche de celle de Yamada-san et mordre distraitement dans son propre petit pain à la viande tandis que Yamada-san pianotait sur son téléphone portable. Akida-san leva la tête de sa fouille consciencieuse ; peut-être s’était-il résigné et avait-il décidé de rentrer chez lui et laisser définitivement Ayu tranquille ?
— Ils t’ont dit si la Meute a prévu de venir ?
Ayu leva un discrètement un sourcil. Yamada-san, lui, secoua la tête, et répondit vaguement qu’il était en train de poser la question. Après avoir rangé son portable dans sa poche, il se tourna vers Ayu pour savoir où étaient rangés les verres ; la jeune femme faillit lui rappeler que sitôt que son collègue aurait admis sa bêtise, ils allaient sortir tous les deux à la vitesse de la lumière et que ce n’était donc pas vraiment la peine de s’installer… mais Yamada-san ayant été relativement correct avec elle, elle n’allait tout de même pas se montrer désagréable. Surtout envers un invité. Et ainsi, inévitablement, elle lui indiqua le placard, avant d’aller ranger un paquet de cotons dans la salle de bain afin d’échapper au duo infernal.
Après quelques minutes dans la salle de bains, elle entendit vaguement Akida-san hurler qu’il n’arrivait pas à mettre la main sur « cette foutue sacoche de [ses] deux » et décida que le moment était venu de retourner dans la pièce principale pour rappeler aux deux idoles qu’ils n’habitaient pas là. Lorsqu’elle arriva effectivement dans la pièce à vivre, elle se surprit à regretter de l’avoir quittée.
— Et voilà ! s’écria avec enthousiasme Yamada-san lorsqu’il la vit.
Sur la table de la kitchenette trônaient trois verres largement remplis, et pas avec du jus d’orange.
— Mais qu’est-ce que c’est que ça ?
— Des cocktails. On ne va quand même pas déranger comme ça sans une petite contrepartie, et puis de toute façon, après on sort, on a besoin de commencer à boire un peu avant.
Ayu décocha un regard las à Akida-san. Une semaine entière à sortir tous les soirs. Elle allait devoir commander le fond de teint au kilo à la production dès lundi matin… à ce rythme, ils allaient finir par penser qu’elle le mangeait. Il ne tombait donc jamais malade, ce type ? Pour peu, elle aurait jeté les deux acolytes dehors sans autre forme de procès, mais après tout, Yamada-san était plutôt sympathique par rapport à Akida-san – et clairement beau gosse une fois débarrassé de ses lunettes de mouche et sa capuche format parachute. C’eut été criminel de se montrer désagréable avec quelqu’un d’aussi agréable à regarder, d’autant que ce n’était pas tous les jours qu’Ayu recevait ce genre de personne dans sa cuisine. Akida-san n’était pas près de compter là-dedans, puisqu’elle était bien déterminée à ne plus jamais le laisser franchir le seuil de sa maison. Soudain, un cri retentit au niveau de la porte d’entrée :
— Je l’ai… !
Miracle. Akida-san avait récupéré sa sacoche, Ayu allait enfin pouvoir terminer sa soirée déprime dans la paix et la tranquillité.
— Trop tard, répliqua Yamada-san qui fixait l’écran de son portable. Ils sont déjà arrivés.
Akida-san laissa échapper un juron.
— …Qui est arrivé, si c’est pas indiscret ? risqua Ayu.
— La Meute, répondit tout naturellement Yamada-san.
Devant son air dubitatif, il s’enquit :
— Tu lis jamais les journaux ?
— Non. Enfin si, parfois, mais jamais Tokyo Sports ni Friday, alors je suis rarement au courant des potins de stars, répondit-elle.
— Bon, on va expliquer ça simplement, alors. La Meute, c’est une bande de gars du même milieu que nous, qu’on ne peut pas supporter.
— Une bande de crétins imbus d’eux-mêmes et absolument pas professionnels, tu veux dire ! s’écria Akida-san qui semblait déjà bouillir d’une rage contenue.
Ayu se retint de justesse de faire remarquer à voix haute qu’il avait du mal à voir la poutre pharaonique qu’il avait dans l’œil, mais Yamada-san lui passa le bras sur les épaules et s’approcha d’elle pour chuchoter :
— Tu crois que Kei-chan est un des plus imbuvables mecs du milieu et que question ego et caractère de chiottes personne ne peut faire plus fort, pas vrai ?
Ayu garda le silence, pour deux raisons ; la première étant la politesse de ne pas confirmer ces affirmations sous le nez d’Akida-san avec qui elle allait devoir travailler les deux prochains mois encore ; la seconde étant l’état de choc dans lequel la plongeait le corps d’un homme si parfaitement splendide juste contre elle. Ah, il était fort, Yamada-san. Elle, en revanche, manquait d’entraînement quand il s’agissait de côtoyer des hommes à la plastique irréprochable ; s’il pouvait s’écarter un tout petit peu, le geste serait apprécié…
— Eh bien Kei-chan, aussi fou que ça puisse te paraître, c’est rien à côté de ces types-là. Enfin, entre nos deux groupes d’amis, c’est la guerre depuis quelque chose comme dix ans. Et comme quand on se croise c’est dangereux pour le décor, en général quand les uns arrivent quelque part, les autres évitent de les rejoindre, parce que les bagarres sont relativement mal vues des tabloïds et des agences.
La jeune femme acquiesça, et préféra siroter quelques gorgées de son cocktail histoire de ne pas paraître trop tendue, car Yamada-san ne semblait pas avoir prévu de la lâcher, et il était hors de question qu’elle paraisse affectée par cette proximité excessive. En plus, son eau de toilette sentait extrêmement bon. Si elle avait eu vingt centimètres de plus en taille et en longueur de cheveux, et un joli visage, elle n’aurait plus eu à hésiter longtemps avant de se jeter sur lui, Akida-san ou pas. Pas qu’il ait particulièrement une tête de prince charmant – ça faisait longtemps qu’Ayu ne pensait plus à ces sornettes – mais il fallait l’avouer, n’importe quelle fille était susceptible de craquer dans une telle situation et avec un tel homme, et Ayu était une n’importe quelle fille qui n’avait pas partagé son lit avec quelqu’un depuis de longs mois. Autant dire que dans l’hypothèse où elle se serait sentie assez jolie, elle n’aurait pas craché sur un Yamada-san pour son quatre heures. Enfin, vu l’heure, son dîner.
L’arrivée d’Akida-san sur la chaise d’à côté interrompit le fil de ses pensées, ce qui n’était d’ailleurs pas spécialement une mauvaise chose. Il pestait énergiquement, et ne se tut que pour boire la moitié de son cocktail d’une traite. Yamada-san le regarda en souriant.
— De toute façon, Kotaro était déjà là depuis une heure, et maintenant il a commencé à rameuter des gars d’autres agences. Ce serait complètement inutile d’aller voir si on peut les faire dégager, même avec du monde on n’y arriverait pas.
Ayu fixa le plafond le plus innocemment du monde, espérant qu’ils décident donc logiquement de prendre congé.
— Bon, préparez-vous pour la seconde tournée ! s’écria Yamada-san.
Sous l’effet de la surprise, elle écarquilla les yeux et son verre tout juste vide lui fut immédiatement arraché des mains et rendu une fois rempli d’alcool de riz. Ayu se tourna vivement vers Akida-san qui, lui, la connaissait assez pour savoir qu’elle n’avait qu’une envie – les mettre dehors – mais il ne réagit même pas et se contenta de vider son verre. On aurait presque cru qu’il la mettait au défi de résister au charme de son ami. Ou que justement, il testait sa résistance pour savoir si elle était imperméable au charme de tout le monde, ou seulement au sien – mais elle ne savait pas si elle pouvait le croire capable d’une réflexion aussi complexe.
— Autant ne pas se gâcher la soirée, déclara Yamada-san. Ah, je peux fumer ?
Suite au lent hochement de tête d’Ayu, il sortit un paquet de cigarettes de sa poche et entreprit d’en allumer trois en même temps pour les distribuer ensuite aux deux autres. Face à l’enthousiasme flagrant de ses compagnons d’infortune, il commença ainsi presque tout seul la conversation, riant de ses propres blagues, et remplissant les verres rapidement vidés.
À force de boire d’une traite leurs verres, Akida-san et Ayu finirent par réagir avec de plus en plus d’enthousiasme aux sollicitations de Yamada-san ; bientôt, ils entreprirent de plier la table et pousser les chaises pour mieux s’asseoir par terre, là où ils risquaient moins de tomber. Ayu réalisa très vite que malgré leur apparente joie subite, les deux comparses tenaient étonnamment bien l’alcool, comme on pouvait s’y attendre de la part de gens qui sortent boire en boîte un soir sur deux. Elle trouva vite plus sage de ne pas suivre leur rythme, et ne put que s’en féliciter lorsqu’elle put les voir se battre devant les enceintes de son ordinateur pour savoir lequel des deux allait mettre la musique. Ce fut Akida-san qui remporta le combat et il s’empressa de se déhancher dans les règles de l’art face aux enceintes comme s’il avait voulu les mettre dans son lit. Battu à plate couture, Yamada-san revint vers Ayu et la fit lever pour danser ; tout défilait devant ses yeux comme si elle n’était que spectatrice de la scène. Réfléchir, de difficile, était devenu quelque chose de quasiment impossible. Elle ne réfléchit pas aux voisins qui allaient fort probablement lui faire sa fête le lendemain matin, elle ne réfléchit pas à la gueule de bois qui n’allait pas manquer de suivre la matin suivant, elle ne réfléchit pas au fait qu’elle était en train de s’amuser avec Akida-san et son ami, entre tous, et ne réfléchit pas non plus lorsqu’elle commença à danser tout contre Yamada-san, ni lorsqu’ils décidèrent, dans leur euphorie alcoolisée, de terminer la bouteille de vodka en buvant au goulot tour à tour, pendant qu’Akida-san se déhanchait toujours comme un malade face au mur.
Lentement, les choses se brouillaient ; elle avait chaud, elle avait soif, elle avait envie de danser et trébuchait sur ses affaires qui traînaient au milieu du minuscule appartement, tombait, entraînait parfois Yamada-san à sa suite… petit à petit, tout se fondit dans un brouillard coloré, à la fois énergisant et apaisant.

Note de fin de chapitre:

Ma parole, mais... Ayu se détendrait-elle ? Tant mieux pour elle, surtout si elle n'irait pas faire dormir Yamada-san dans la baignoire. Mais au fait, est-ce qu'elle a une baignoire pour l'y ranger pour la nuit, ou...?

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