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Bon gré mal gré, mais surtout malgré elle, c’est ainsi que Ayu se retrouva sans qu’elle-même ne l’ait trop compris à l’entrée d’un parc, avec, à moitié appuyé sur elle, un Akida-san complètement bourré qui la faisait deux fois. Sachant qu’elle-même n’était pas excessivement sobre, elle préféra profiter d’un instant d’inattention de son fardeau pour le pousser à terre – sentir la chaleur de son corps et la souplesse de ses muscles tout contre elle représentait un trop grand risque de minimiser sa franche désapprobation d’Akida-san.
Elle ne savait pas ce que cet imbécile avait bu qu’il refusât de vomir aussi catégoriquement, mais elle savait par contre qu’elle ne pouvait pas le laisser tout seul cuver comme un idiot au beau milieu de la ville. Ce n’était pas une question de bon cœur, mais plutôt une question de bon sens : si elle ne s’en prenait pas plein la figure le lendemain matin lorsque leurs deux gueules de bois se feraient face au moment de commencer la journée, ça finirait par lui retomber dessus lorsque des paparazzis étaleraient ça dans les tabloïds, ce qui ne manquait jamais d’arriver avec les gens un peu connus – et ce mec-là l’était visiblement beaucoup.
Akida-san se mit à remuer ; il ne fallut pas longtemps à Ayu pour réaliser qu’il était en train de chercher son portable qui sonnait sans montrer de signe de faiblesse depuis deux bonnes minutes. Serait-ce un coup de fil de son manager, sur le point de rendre son tablier ? Ayu aurait parié que la sonnerie était une chanson de l’acteur lui-même.
Comme elle n’était pas non plus sans pitié, mais surtout parce que le jeune homme semblait clairement bien trop beurré pour réaliser l’existence de la fermeture éclair de sa poche de blouson, elle se pencha vers lui et se saisit du téléphone à sa place. L’appel venait d’un certain Yamada-san, à en croire le répertoire ; c’était vraiment, mais alors vraiment d’une grande aide... La jeune fille n’avait strictement aucune idée de qui cela pouvait être.
Mais enfin, peu de gens téléphonent ainsi à leurs connaissances à cette heure de la nuit – ou plutôt du matin – et il y avait donc de grandes chances pour que « Yamada-san » soit un ami d’Akida-san. Et c’était donc un potentiel moyen de s’en débarrasser. Hésiter une seconde de plus eût été superflu : Ayu décrocha.
— Allô ? Est-ce que par chance vous seriez un ami d’Akida-san ?
Un silence lui répondit, puis une voix masculine (Yamada-san était donc de sexe masculin, ce qui ne coulait pas de source) répondit sur un ton assez hésitant :
— Oui… et vous êtes… ?
— En l’occurrence, bloquée en plein Tokyo avec un Akida-san saoul comme un cochon assis par terre à côté de moi. Si vous êtes très amis tous les deux, c’est le moment pour vous de lui prouver votre amitié de façon concrète, parce que là, je lui tiens compagnie uniquement parce qu’il a menacé de me faire virer si je le laissais en plan, mais vraiment déjà que je n’aime pas mon job, je commence à sérieusement envisager la possibilité de l’abandonner sur place.
Ayu se demanda un instant si elle n’était pas allée un brin trop loin… mais à sa voix, son interlocuteur semblait du même âge qu’elle et Akida-san ; et puis si vraiment elle s’était couverte de honte, elle n’aurait qu’à s’arranger pour ne jamais croiser cet homme. De toute façon, elle avait bien l’intention d’effacer à jamais de sa mémoire cette nuit désastreuse dès qu’elle se réveillerait après quelques heures de sommeil – si elle réussissait à dormir un minimum avant de partir pour le travail.
— Dites-moi où vous êtes et ne bougez pas, décréta Yamada-san. J’arrive dès que possible, et surtout, essayez d’éviter les éventuels paparazzis, sinon on va vraiment avoir des soucis.
Ayu le rassura qu’elle y avait pris garde, puis donna leur position dans la ville avant de raccrocher, et de remettre le portable d’Akida-san bien au chaud dans sa poche de blouson, qu’elle referma pour qu’il évite de perdre ses affaires, vu son état.
Debout, immobile dans la nuit – et plus particulièrement le froid – elle eut largement le temps de se redemander ce qu’elle avait fait pour mériter de se retrouver fourrée dans une galère pareille. Étrangement, le temps avait tendance à s’étirer comme un chewing-gum entre des mains d’écolier lorsqu’on surveille, en talons aiguilles par un froid glacial, un type sévèrement imbibé qui essaie de se faire vomir. Saisie d’une compassion soudaine, elle s’accroupit près de lui et déclara :
— Votre ami Yamada-san va bientôt venir vous chercher. Mais c’est vrai que si vous pouvez vomir dehors plutôt que sur ses sièges de voiture ça vous évitera d’être la cible de beaucoup de rancœur de sa part, je pense.
Elle faillit lui proposer son aide, pour un bon coup de pied dans l’estomac par exemple, mais la politesse autant que le respect l’en empêchèrent. D’autant que le geste eût été presque gratuit, et donc relativement immoral. Or, Ayu aimait être en règle avec sa conscience.
Il fallut vingt bonnes minutes encore à attendre dans le froid avant qu’un taxi ne pile non loin de l’entrée du parc ; elle vit sortir du véhicule un homme de grande taille qui tentait de dissimuler ses traits à l’aide d’une capuche et de lunettes de soleil – à quatre heures moins dix du matin. Lorsqu’il passa sous un lampadaire, Ayu put entrevoir le bas de son visage, et il lui sembla familier ; l’homme devait sans doute être une célébrité du même tonneau qu’Akida-san. Arrivé à la hauteur d’Ayu, il s’inclina brièvement et elle lui rendit la politesse ; puis il se tourna vers son ami qui, ayant remarqué sa présence, tentait de se relever en réussissant plus ou moins mal sa périlleuse entreprise.
— Vous n’avez pas été suivis ? s’enquit Yamada-san.
Ayu haussa un sourcil. Elle savait que les tabloïds étaient coriaces, mais était-ce une raison suffisante pour agir comme dans un film d’agents secrets ?
— Non, je ne pense pas, répondit-elle. J’étais assez occupée à essayer de l’empêcher de tomber, mais j’imagine que si quelqu’un nous avait braqué un flash dans la figure je m’en serais rendu compte.
Akida-san, vacillant, supportait visiblement mal d’avoir retrouvé son statut de bipède ; il s’empressa d’aller vomir dans un buisson.
— Merci de vous être occupée de lui, rajouta Yamada-san. Je vais le ramener.
— Y’a pas de quoi, et bon voyage. J’ai hâte d’aller me coucher.
— Je vous proposerais bien de vous déposer en passant, mais je préfère éviter qu’on nous voie monter dans la même voiture.
Pourquoi, elle sentait le poisson ? Ayu se retint de poser la question, pour ne pas être inutilement impolie envers celui qui la libérait de ce fardeau. Elle se contenta de répondre :
— Pas grave, je connais le chemin pour rentrer chez moi. J’aurais juste une chose à vous demander : vous pourriez essayer de lui faire se laver le visage avant de dormir ? Peut-être même mettre un peu de crème sur les cernes et une poche froide sous les yeux ?
Les lunettes de soleil l’empêchèrent de voir si Yamada-san ouvrait des yeux ronds, mais son décrochage de mâchoire accompagné d’un haussement de sourcil suffit à lui faire comprendre que la requête semblait étrange.
— Je dois le maquiller dans quatre heures pour toute une journée de tournage, se crut-elle obligée d’expliquer.
Yamada-san hocha la tête.
Ils se saluèrent brièvement, et Ayu prit la direction de son appartement sans même vérifier que son boulet préféré soit bien monté dans la voiture ; elle avait quatre heures pour rentrer chez elle, se doucher, dormir et tenter d’avoir figure humaine lorsqu’elle arriverait au travail, d’autant plus qu’elle aurait fort probablement un certain retard, voire un retard certain. Ce n’était pas que celui qu’elle avait à maquiller soit censé arriver exactement à l’heure, évidemment. Mais elle aimait bien ne rien avoir à se reprocher.
Et si Akida-san se montrait désagréable ou lui faisait une réflexion de quelque ordre que ce soit, elle lui ferait avaler son poudrier.
Note de fin de chapitre:
Et voilà, c'est tout pour cette fois ! A votre avis, Akida-san a-t-il un meilleur jour à présenter, ou est-ce qu'il n'y a plus rien à sauver ? Et ce Yamada-san qui n'est pas mal non plus, vous voudriez le revoir ?
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