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Après quelques houleuses minutes qu’Ayu passa à tenter d’empêcher Kei de casser la figure à Yamada-san, ils décidèrent de monter une fois pour toutes dans la voiture de ce dernier, qui heureusement pour leur trio, n’était pas porté sur les voitures de sport à l’habitacle minuscule.

— Je préfère me concentrer sur ma conduite plutôt que pour éviter les coups de celui que je suis venu secourir, déclara Yamada-san avec une évidente mauvaise foi au moment de s’installer. Ayu vient à l’avant avec moi.

— Si ça te pose problème, y’a pas de problème, rétorqua Kei avec son habituel sens du mot juste. On peut régler ça tout de suite, et c’est le moins amoché qui conduit. Et Ayu ne va pas avec toi.

Sans pour autant risquer de s’interposer entre les deux belligérants, celle-ci haussa le ton pour se faire entendre :

— Ayu, elle va où elle veut, mes galants messieurs. Ce n’est certainement pas vous qui allez m’ordonner où m’asseoir.

Kei se tourna vers elle, passablement furieux. Bien entendu, plutôt que de faire fi de l’interruption de son ami, il avait fallu qu’il bondisse hors de la voiture pour lui sauter à la gorge, et Ayu s’était même cogné la tête au rétroviseur central dans la manœuvre. Elle non plus n’avait pas l’intention de laisser passer ça, mais elle ne parviendrait pas à gérer à la fois un concours de testostérone et la grande nouvelle de ses sentiments – partagés ! – pour Kei. Kei ! Si elle avait été seule, elle aurait répété son prénom en boucle pour se familiariser avec la façon dont il claquait sur sa langue, à défaut d’avoir les vraies lèvres du jeune homme pour combler ce vide.

— Elle a plutôt raison, tu sais, Kei. Tu peux choisir de venir à côté de moi, Ayu, si tu veux.

— Si Kei n’est pas assez grand pour se retenir de te frapper, et que tu n’es pas assez mature pour arrêter de le provoquer, je vais aller à l’arrière avec lui.

Yamada-san eut l’air de vouloir répondre, mais elle le coupa :

— Je suis épuisée, j’ai passé une journée atroce sur la route à cause de toi, je pense que la moindre des choses ce serait de nous ramener pour qu’on puisse dormir et se préparer à retourner au travail demain.

Kei ne fit même pas semblant de vouloir réprimer un petit sourire triomphant. Yamada pensa probablement que c’était de bonne guerre, et alla mettre le contact. À l’arrière, Ayu s’assit aussi confortablement qu’elle le put derrière le siège conducteur, et roula en boule la perruque blonde pour la caler contre la vitre et s’en servir comme d’un oreiller tandis que Yamada-san démarrait. De l’autre côté de la banquette, Kei la regardait avec un air à la fois trahi et blessé, comme si elle s’était installée de l’autre côté du Grand Canyon dans le but de le faire souffrir. En voilà un qui était trop habitué à obtenir immédiatement ce qu’il voulait. Elle sentit ses joues s’empourprer en réalisant une fois de plus la nouvelle nature de leurs rapports. Jamais elle n’aurait pu imaginer se retrouver dans cette situation. Pour un choc, c’en était un.

Mais elle avait passé trop de temps à se concentrer sur la chaleur qui l’envahissait, sur ce sentiment crispant et si relaxant à la fois. De son côté, Kei semblait avoir pris la mouche, et voilà qu’il regardait par la fenêtre d’un air boudeur. À la fois attendrie et étrangement inquiète à l’idée de le décevoir, Ayu tendit le bras pour laisser sa main sur le siège qui les séparait, juste au milieu. Le chauffage était réglé juste assez fort pour réchauffer le conducteur sans générer de la buée qui obscurcirait les vitres, et Ayu sentait déjà ses doigts refroidir sur le tissu synthétique. Elle n’osait pas regarder du côté de Kei, de peur de constater qu’il n’avait pas remarqué son petit geste. Après tout, il s’était sûrement fait une raison, ravi de bouder dans son coin, et elle était en train de se geler les doigts pour rien, sans oser lui faire remarquer qu’elle lui tendait la main, de peur de se faire voir par Yamada-san. C’était complètement stupide. Elle amorça un geste pour ramener sa main près d’elle et tenter de la réchauffer, quand elle sentit une paume brûlante la plaquer sur la banquette, et de longs doigts fins s’en saisir. Son cœur manqua un battement comme lorsqu’on rate une marche d’escalier. Discrètement, elle jeta un coup d’œil par en-dessous pour voir la réaction de Kei : il n’avait pas quitté du regard le paysage qui défilait, et affichait volontairement une expression indéchiffrable. Ayu ne put s’empêcher de souligner cet effort qui devait lui coûter. Heureuse comme une collégienne, elle reporta elle aussi son regard vers la route au-dehors, mais pas son attention, qui resta fixée tout le trajet du retour sur la main si chaude qui serrait la sienne, et en caressait doucement le dos avec son pouce.

 

Quand la voiture la réveilla en s’arrêtant devant son immeuble, Ayu eut un instant l’impression d’être à l’arrière de la voiture de ses parents, un soir de retour de vacances. Il lui fallut quelques secondes pour réaliser que Yamada-san s’était discrètement extrait de son siège pour venir lui ouvrir la portière. Il ramassa la perruque tombée au sol dans la neige grisâtre et posa la main sur l’épaule d’Ayu.

— Allez, debout… Je te dépose ici, puis je ramènerai Kei. Il fera bientôt jour, je ne sais pas si vous allez devoir travailler aujourd’hui alors tu ferais mieux d’essayer de dormir un peu.

Elle hocha la tête, et murmura pour ne pas réveiller Kei :

— Merci de nous avoir ramenés. Et, euh… Bon courage pour… Pour tout ça, quoi.

Ce fut à son tour de hocher la tête, un hochement bien plus grave que celui d’Ayu. Elle commença à descendre doucement de la voiture, quand soudain, la main de Kei se resserra brusquement sur la sienne.

— Pour qui vous me prenez, tous les deux ?

Ayu leva les yeux au ciel.

— On est chez moi, Yamada-san nous ramène, et j’ai besoin de sommeil au cas où les routes seraient assez dégagées pour qu’on retourne filmer dans quelques heures. Si tu veux mon avis, même si je sais que tu ne m’as pas demandé, je pense que ça nous ferait du bien à tous les deux que toi aussi tu fermes les yeux un moment avant d’attaquer ta journée. Ça m’étonnerait que tu apprécies le voyage en train.

Kei balaya ses explications d’un geste de la main, et ouvrit sa portière.

— Je descends ici.

— Ah vous en êtes déjà là ? s’enquit Yamada-san. Tu dors chez elle maintenant ?

Le regard meurtrier que lui lança Akida-san aurait pu éteindre une chandelle à cent mètres.

— Je dors tout le temps ici, figure-toi.

Allons donc. Ayu avait déjà levé les yeux au ciel quelques secondes plus tôt, ainsi se contenta-t-elle de soupirer pour ne pas trop se répéter. Visiblement, pour certains, le parking de son immeuble sous la neige, par moins dix degrés à six heures du matin, c’était l’endroit parfait pour une petite démonstration de dominance mâle.

— Messieurs, amusez-vous bien, je monte me coucher, déclara-t-elle avec un bâillement.

— Attends, Ayu, s’écria Yamada-san. C’est vrai ?

— Ça ne regarde personne, rétorqua Ayu avant de remarquer Kei se rengorger du coin de l’œil. Ceci dit, c’est vrai qu’il est venu dormir sur le futon des invités une ou deux fois. Je crois.

— Comment ça, tu crois ? Parce que tu oublies ce genre de choses ? s’offusqua le principal intéressé.

Elle le regarda droit dans les yeux, et tant pis si elle avait l’air ridicule en se tordant le cou vers lui.

— Si personne ne me laisse dormir très bientôt, je vais oublier que je vous connais tous les deux. Maintenant, je vais monter dans mon appartement et essayer de finir ma misérable nuit avortée. Kei, tu es libre de venir sur le futon. Daisuke, ajouta-t-elle à son égard, tu es libre de rentrer chez toi et d’éviter les questions et remarques indélicates pour ce soir, ou sinon, c’est moi qui vais faire fuser les dossiers, monsieur pas-fichu-d’apporter-ses-propres-capotes.

Elle claqua la portière, et prit la direction de son appartement, non sans avoir souhaité bonne nuit aux deux amis. Ce n’était pas par plaisir qu’elle s’était montrée désagréable. Elle se sentait réellement au bout du rouleau. La moindre minute de sommeil lui apparaissait comme une douce bénédiction, dont elle n’avait pas assez profité à l’arrière de la voiture.

Un bruit curieux attira son attention, et elle finit par comprendre qu’il s’agissait de Kei, foulant la neige sur son sillage. Son cœur s’emballa. Elle n’était pas en état de se retrouver en tête à tête avec lui ! Elle était à bout, son visage devait sans doute avoir l’air tout chiffonné, ses cheveux partaient dans tous les sens et elle avait certainement une haleine atroce. Qui plus est, elle ne se sentait pas du tout l’énergie de parler avec lui, ni même d’échanger de façon non verbale… Leur rapprochement soudain, un peu plus tôt, avait eu lieu dans des circonstances particulières. Et si jamais, à présent qu’ils étaient revenus dans un endroit normal, Kei revenait sur ce qu’il lui avait dit ?

Ces pensées se bousculèrent dans sa tête jusqu’à sa porte d’entrée, où elle tritura nerveusement ses clefs avant de parvenir, enfin, à déverrouiller sa porte en priant intérieurement pour qu’aucun de ses voisins n’ait l’idée de montrer le bout de son nez. Elle laissa Kei entrer derrière elle, et ferma la porte en évitant de le regarder puis se dirigea vers son évier.

— Tu veux un verre d’eau ?

Devant son absence de réponse, elle continua :

— On va te sortir le futon, comme la dernière fois, pour que tu puisses dormir un peu. Je vais vérifier mes e-mails pour savoir si la journée de travail de demain est maintenue, et…

Elle essayait de combler ce silence qui la gênait. Dans la voiture, elle pouvait mettre les CD de Kei, mais ici, dans sa cuisine, quelques heures après sa grande déclaration maladroite, elle sentait le silence sur ses épaules, et son regard qui lui brûlait la nuque. Avait-elle été stupide de le laisser entrer chez elle dans ces circonstances ? À présent, elle pensait le connaître suffisamment bien pour être certaine qu’il n’était pas assez subtil pour cacher une personnalité de grand détraqué, mais on n’était jamais à l’abri d’une surprise…

— Si tu tiens absolument à me faire dormir dessus, d’accord.

— Pardon ?

— Le futon, expliqua Akida-san en se rapprochant d’elle. Si tu préfères que je dorme là, je suis prêt à y rester.

Tout en parlant, il avait attrapé la main d’Ayu, et jouait délicatement avec. Elle frissonna, et ne put s’empêcher de remarquer pour la millième fois à quel point il avait des mains élégantes, mais surtout, combien il était beau, vu d’aussi près. Car il était indéniablement près.

— Merci, répondit-elle gauchement. Je suis vraiment épuisée, alors je préférerais que…

— Par contre, la coupa-t-il, j’aimerais terminer notre conversation de tout à l’heure.

— Notre conversation ? Pourquoi pas, mais rapidement. Je ne sais même plus ce qu’on disait exactement.

— Moi, si.

Il la saisit, une main sur sa taille et l’autre sur sa nuque, étrangement courbé pour se ramener à sa hauteur, et l’embrassa.

Un grand silence envahit l’appartement.

Ayu pouvait sentir les lèvres douces et pleines de Kei s’emparer des siennes, un peu gercées par le froid. Son baiser avait un goût de cigarette et de chaleur. Il sentait bon. Voilà, se dit Ayu, elle était en train d’embrasser une célébrité, excellent chanteur bien qu’acteur discutable, elle n’aurait jamais pu fantasmer de se trouver un jour dans cette situation, et pourtant c’était bien elle qu’il embrassait avec fièvre. Impossible de se souvenir ce qui lui avait traversé l’esprit quand elle avait passé la nuit avec Yamada-san – elle s’en voulut d’y songer en un moment pareil – mais ce qui était en train de se produire n’était en rien comparable. Son dos était parcouru de frissons, ses mains cherchaient une prise dans le dos bien trop large pour elle de Kei, elle lui rendait son baiser à bout de souffle, ignorant sa nuque qui la lançait et la crispation désagréable derrière ses jambes, tendues dans un effort permanent pour se coller contre lui.

Partis comme ils l’étaient, Ayu redoutait de ne plus jamais pouvoir goûter au moindre sommeil réparateur. Elle s’était toujours doutée qu’Akida-san devait avoir de la pratique, mais elle n’aurait jamais imaginé qu’il était humainement possible d’embrasser aussi bien. Sa fatigue s’envolait au fur et à mesure que les mains de Kei progressaient sur ses hanches, caressaient son visage, et elle finit par se demander si elle n’était pas victime de la première ruse réellement efficace imputable à Akida-san depuis qu’elle l’avait rencontré. À ce rythme-là, il n’allait certainement pas passer les dernières heures de la nuit sur le futon du salon, et qu’importe les bonnes résolutions d’Ayu, parmi lesquelles “dormir” et “éviter de finir au lit avec quelqu’un le premier soir” étaient presque en tête de liste.

Au prix d’un effort surhumain, elle se dégagea.

— Attends…

Kei leva un sourcil.

— N’essaie pas de me faire croire que ça ne te plaît pas.

Elle leva les yeux au ciel. Aucun doute, il était bel et bien fidèle à lui-même.

— Je sais qu’on ne peut pas mentir à ton égo. Non, avant quoi que ce soit, je voudrais juste savoir où on va comme ça.

Il afficha un air légèrement perplexe.

— Je croyais qu’on allait dans ta chambre, mais c’est pas obligatoire, après tout, le comptoir de ta cuisine n’est pas si bas que ça. Il faudra juste pousser tes cactus.

Ayu fut brièvement en proie à un violent conflit intérieur qui la faisait hésiter entre le traiter d’imbécile, et lui sauter dessus, là, maintenant, puis voir plus tard pour le reste. Elle s’expliqua lentement :

— Moins concrètement, je veux dire. On sait tous les deux ce qui va se passer…

— Non, moi je crois que tu n’as pas la moindre idée de ce qui va te tomber dessus, déclara-t-il en la pressant un peu plus contre le comptoir de cuisine susnommé.

Elle se mordit la lèvre et tenta de détourner son visage pour ne plus frôler l’ombre de barbe électrisante de ses joues.

— Tu permets ? Je voudrais qu’on ait tous les deux la même idée sur la suite. Si tu veux juste passer le temps… Bref, histoire qu’on soit tous les deux sur la même longueur d’ondes et qu’il n’y ait pas de drames ensuite, je veux savoir jusqu’où tu veux aller, termina-t-elle en faisant de son mieux pour ne pas se laisser distraire par Kei qui jouait avec une mèche de cheveux derrière son oreille.

— Loin, répondit-il simplement.

Elle resta sans voix quelques secondes. Il cessa ses distractions et se courba à nouveau pour la regarder droit dans les yeux. Son regard était doux, et ses traits toujours aussi furieusement beaux. Ayu dut faire un effort conscient pour se souvenir comment respirer.

— Bien sûr, ça dépend aussi de toi, ajouta-t-il. Mais pourquoi tu crois que j’ai attendu aussi longtemps que tu réalises que je t’avais séduite ? Je veux dire, réfléchis deux secondes, j’ai juste l’embarras du choix.

— Dans le genre qui ne doute de rien, tu te poses là, monsieur le modeste.

— Je vois pas pourquoi je ferais semblant, déclara-t-il en haussant les épaules.

Il la dévisagea quelques secondes, puis demanda calmement :

— Rassurée ?

Elle hocha la tête, sans vraiment montrer l’étendue de son infini soulagement. Jusqu’à cet instant, elle n’avait pas réalisé à quel point elle était tendue.

— Oui, c’est bon. Pour répondre à ta question, on peut reprendre nos activités licencieuses.

— Nos quoi ?

Ayu réalisa alors qu’elle pouvait désormais dire à haute voix ce qui lui brûlait les lèvres depuis qu’ils se connaissaient :

— Tais-toi, et embrasse-moi.

Note de fin de chapitre:

Vous l'attendiez, c'est arrivé !!! N'hésitez pas à me laisser vos impressions au sujet de ce grand pas en avant entre nos deux râleurs préférés, et pas d'inquiétude, les prolongations arrivent pour encore une petite poignée de chapitres... À bientôt !

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