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Notes d'auteur :
A la poursuite de la chose...

Bonne lecture à tous ^^
8.


Je m’écroulai au sommet de la colline. Mes forces me revenaient, mais beaucoup trop lentement. La chose paraissait rapide et Sandra n’avait jamais été très sportive. L’avait-elle déjà attrapée ? Non, il ne fallait pas. Faites qu’elle soit sauve… pitié.

Si seulement il faisait moins sombre.

La colline au dessus de la grotte avait un aspect chaotique. Les arbres avaient laissé la place aux rochers et dans l’obscurité, je ne vis pas la roche qui saillait. Pour la deuxième fois en quelques heures (quelques siècles !!), mon genou morfla. Poussant un juron, je tentai de me relever mais ma jambe refusait de me porter. Pestant contre cette malchance injuste, je me traînai par terre, vers la chose, vers ma sœur. Plus j’avançais, plus le terrain semblait monter.

« David ! David, où es-tu ? David, réponds, bordel !! »

Le faisceau de la lampe m’éclaira et pendant une seconde, l’éblouissement m’empêcha de voir qui tenait la caméra. Puis Elodie se retrouva accroupie à côté de moi.

« Thomas, je l’ai retrouvé, lança-t-elle, viens là. »

L’instant d’après, Thomas était là, la mine furieuse.

« Ne refais jamais ça, compris ?
- Mais qu’est-ce qui t’a pris de partir comme ça ? rajouta Elodie.
- Je… »

J’étais effaré qu’ils ne comprennent pas.

« Mais vous ne pigez rien ou quoi ? Cette saloperie ne nous a pas lâchés pour rien. Elle est en train de pourchasser quelqu’un. Elle est en train de poursuivre Sandra. Sandra, merde. Ma sœur. Je ne peux pas rester à rien faire.
- Ta sœur ?
- Oui merde, m’emportai-je, le cri, vous croyez que c’était quoi ? »

Thomas et Elodie se regardèrent, perplexe.

« Quoi ?
- Quel cri ? demanda Thomas
- Vous ne l’avez pas entendu ?
- Je me rappelle juste le reniflement affreux du monstre, répondit Elodie, puis je suis tombée dans les vaps. Mais pas de cri.
- Moi non plus, continua Thomas, il y a eu le reniflement puis je suis tombé, je crois. J’ai rien entendu du tout, David. »

Je serrai les dents et me retins de les frapper. Combien de temps perdais-je avec cette conversation stupide ? Sandra était peut-être déjà morte…

« Mais je l’ai entendu, je n’ai pas rêvé, merde. C’est Sandra qui a crié, j’en suis sûr. Ca ne peut être que elle.
- David, tu as peut-être rêvé, intervint doucement Elodie, ou alors c’était une ruse de la chose pour nous faire sortir de notre cachette.
- Ah ouais, tu as écouté des bruits, toi aussi ?
- Non, mais…
- Alors, comme je n’ai pas rêvé et que je ne suis pas fou, c’est que ce cri était réel. Sandra est en danger et on perd du temps, !
- Comment tu sais que c’est elle ? »

Thomas me regardait, interrogateur.

« Et qui tu veux que ce soit ? Romain et Jim sont morts. Ca ne peut qu’être elle. Et même si ce n’était pas elle, on…
- Minute, m’interrompit-il, Jim est mort. »

Je mis deux seconde à me demander ce qui l’étonnait tant puis je me rendis compte que je ne leur avais pas parlé de ce qui s’était passé près des tentes. Ils ignoraient le destin tragique de Jim.

Me contenant, je leur fis un récit rapide de la mort de Jim et ajoutai :

« Vu l’état où il était, il y a peu d’espoir pour Aurélie et Stéphanie. Ils sont morts. Tous. Il reste Sandra. Et je ne la laisserai pas. Non…
- David, commença Elodie en me prenant le bras.
- Laisse-moi ! »

Je relevai vivement le bras et une giclée de sang l’aspergea. Elodie ouvrit de grands yeux étonnés et apeurés. Je regardai ma main et ce que je vis me retourna l’estomac.

Le morceau d’étoffe qu’Elodie avait enroulé autour de ma main blessée était écarlate. La chair du poignet commençait à virer au noir. Impossible de la bouger. Et absolument aucune douleur. Je ne sentais pas ma main pourrir mais je voyais le mal me remonter le bras. C’était terrifiant.

Contre toute attente, je sentis un rire hystérique me venir aux lèvres. La farce était vraiment trop forte.

Le rire éclata, incontrôlable. Je m’en roulais par terre, incapable d’aligner deux mots. Thomas et Elodie me regardèrent comme si j’étais devenu fou. Ce qui était probablement vrai. Le rire aurait pu durer longtemps si la chose n’avait pas crié.

Le hurlement rauque était lointain mais il eut le mérite de m’arrêter net. La chose n’était pas loin. Faisait-elle demi-tour ? Avait-elle perdu sa proie ? Possible sinon elle serait trop occupée pour hurler.

Oui, il y avait un espoir.

« Ecoutez, commençai-je parfaitement calme, je vais chercher ma sœur. Vous êtes libres de faire ce que vous voulez. Vous feriez mieux de partir. »

Je me retournai sans attendre leur réaction et entrepris de me relever. Tout en m’appuyant sur la main pourrissante (aucune sensation, je vous dis), je sentis des mains sur mes épaules qui me remirent sur mes pieds.

« Tu crois qu’on va te laisser ? lança Thomas, tu te fourres le doigt dans l’œil jusqu’au coude si c’est le cas.
- Oui, rajouta Elodie, on est avec toi jusqu’au bout. »

Une profonde affection, presque de l’amour, m’envahit pour eux, même si je souhaitais qu’ils partent loin de tout ça. Néanmoins, j’étais content qu’ils soient là.

Ensemble, nous nous lançâmes à la poursuite de la chose.

Nous n’eûmes aucun mal à la trouver.

Nous n’avions pas fait vingt mètres que la forêt laissait la place à une pente herbue parfaitement dégagée. La chose se tenait là, au beau milieu, hurlant à la lune. Elle ne nous avait pas vus sinon on y serait passé depuis longtemps. L’atmosphère glaciale renforçait l’aspect irréel de la scène. Caché sous des buissons à la lisière de la clairière, je tremblais comme je n’avais encore jamais tremblé. Elodie, à côté de moi, avait fermé les yeux mais elle ne pouvait empêcher les larmes de couler. Thomas serrait des poings pour se contenir. Il n’y avait pas que le froid. Il y avait la peur. La chose suintait la peur. Impossible de ne pas la ressentir. Impossible d’y être insensible.

Pourtant je ne la quittais pas des yeux. Je ne pouvais me détacher de la chose. Je devais le faire pour admettre sa réalité. Je devais admettre l’existence de ce corps disproportionné, de ces pattes gigantesques, de ces appendices velus, de cette tête inachevée, de ces deux cocons sous son poitrail, de…

Minute.

Deux cocons. Deux cocons.

Au début, il en avait deux, mais il en a perdu un, il ne devrait en avoir qu’un normalement, un seul.
Mais alors l’autre…


Je sentis mon cœur se glacer.

Elle l’a. Elle l’a attrapée. La chose a attrapé Sandra.

Inconsciemment, j’étais en train de me relever avant que deux mains me plaquent au sol.

« Non, me souffla Elodie, ne bouge pas. »

Mais je ne pouvais pas laisser la chose l’emporter. J’essayai de me relever à nouveau, en vain. Elodie appuyait de tout son poids.

De toute façon, la chose ne resta pas longtemps. Après un ultime grognement, elle se détourna et disparut dans l’obscurité. Elle s’éloignait comme en témoignait la température qui remontait. Elodie me lâcha enfin.

« Bordel, pourquoi t’as fait ça ? J’aurais dû y aller.
- Tu veux mourir ou quoi ? répliqua-t-elle, ce n’est pas en te jetant dans ses bras que tu vas la sauver.
- Mais elle…
- Je sais. J’ai vu. »

Je regardai l’endroit où la chose était partie. Au bout de la clairière se dessinaient les ombres de gros rochers et plus loin, les étoiles étaient occultées par les falaises. Bordel, mais jusqu’où étions-nous montés ?

« Allons-y,» dis-je après que la température soit redevenue normale.

Nous grimpâmes la clairière le plus discrètement possible. Nous ne pensions pas qu’elle puisse être encore là (il faisait chaud après tout) mais on ne savait jamais. La nuit devenait de plus en plus sombre à mesure que nous nous approchions des falaises, à tel point que Thomas dut allumer son briquet pour faire de la lumière (on aurait pu allumer la lampe du caméscope mais, je vous l’ai dit, on ne voulait pas tenter le diable plus que nécessaire). Nous arrivâmes au pied de la falaise et ce que nous vîmes nous rassura encore moins.

Une grotte, une vraie, rien à voir avec le renfoncement ridicule dans lequel nous nous terrions tout à l’heure. Du fond des ténèbres nous parvint des relents infects de chairs en décomposition et des vents plus froids que la mort.

Pas de doute, on l’avait trouvé.

On avait trouvé le repaire de la chose.

Nous restâmes interdits devant l’ouverture pendant deux bonnes minutes. Aucun de nous ne voulait faire le premier pas, sachant que cela entrainerait une chaine d’événements inéluctables. On arrivait dans le domaine de la bête. On était chez elle. On avait l’impression d’être des intrus et ce sentiment d’effraction atténuait quelque peu la trouille qui nous labourait les tripes.

Dans l’obscurité, la chose grogna.

« Bon, qu’est-ce qu’on fait ? »

Je regardai Elodie qui avait posé cette question, puis Thomas qui restait en retrait. Aucun d’entre eux n’avait envie de s’aventurer là-dedans et je les comprenais. Moi-même, si je n’avais pas eu l’image de Sandra prisonnière dans son cocon en continu à l’esprit, je me serais tiré à toutes jambes. Mais je ne pouvais la laisser. Jamais. Ce n’était pas le cas de Thomas et d’Elodie. Ils n’avaient pas à me suivre. Je leur dis :

« J’y vais, mais il voudrait mieux…
- Oublie, m’interrompit Thomas, on te suit jusqu’au bout, c’est clair ? »

Je le regardai, l’air déterminé, puis Elodie qui hochait vigoureusement de la tête. Ils voulaient me suivre malgré tout. C’est à ce genre de situation que l’on reconnait les vrais amis.

« Allons-y alors. »

Et tandis que je m’enfonçais dans les entrailles de la terre, une certitude s’ancra en moi. Une certitude indéracinable, increvable, plus forte que l’intuition, plus mauvaise que la prescience.

Je savais que je ne sortirais jamais de ces grottes.
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