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Notes d'auteur :
Que s'est-il passé? Les trois amis ne vont pas tarder à l'apprendre. Au péril de leur vie.
Bonne lecture à tous ^^.
3.


L’obscurité nous entourait. La caravane avait l’air d’un îlot de lumière dans un océan de ténèbres. Les faisceaux de nos lampes balayaient cet océan comme des phares.

Lorsque je mis le pied dehors, je fus frappé par deux choses. Premièrement, la température qui avait brusquement chuté. On était en pleine canicule et la nuit la température descendait rarement en dessous de vingt degrés. Mais là, on devait avoisiner les dix degrés, et encore. Je frissonnai sous cette fraîcheur soudaine (je ne portais qu’un tee-shirt) et fus abasourdi par la deuxième chose.

Le silence.

Vous vous êtes déjà promené en forêt, non ? Vous avez déjà entendu tous ces petits bruits qui semblent venir de partout et de nulle part. Les branches qui craquent, les cris d’animaux, le bruit du vent dans les feuilles. C’est l’essence même de la forêt, tellement banal que personne n’y fait attention. Et pourtant… En ce moment, j’avais l’impression qu’il manquait quelque chose d’essentiel. C’est un peu comme un été sans soleil ou un noël sans neige. Une forêt sans bruit, ce n’est pas une vraie forêt. Ce n’était pas normal. Pas un bruit, rien.

Un silence total, assourdissant.

Comme si la vie avait déserté cette partie de la forêt.

Un frisson me parcourut l’échine et je sentis mes poils se dresser. Elodie avait raison, il se passait des choses bizarres ici.

« Hé, David »

Thomas n’avait pas parlé très fort mais j’eus l’impression qu’il avait hurlé dans ce silence irréel. Il se tenait près de la Renault de Jim. Je me dirigeai vers lui à grand pas. J’avais soudain peur d’être seul.

« Quoi, qu’est-ce qu’il y a ?
- Regarde ça. »

La lampe de Thomas était pointée sur la portière côté conducteur. J’avais raison : la vitre était défoncée. De minuscules éclats parsemaient le siège et le tableau de bord. Je pus regarder de plus près le liquide sombre et je sentis ma gorge se nouer. C’était ce que j’avais craint. Le liquide était plus clair sur les fragments de la vitre (une belle couleur rouge vif) et je n’avais plus aucun doute sur ce que c’était.

« … Du sang. »

Thomas acquiesça d’un air sombre.

« Regarde, il y en a d’autres par terre. Des traces de pas et une large traînée sanglante. Elle disparaît dans les fourrés. »

Il balaya le sol avec sa lampe tandis qu’il parlait et je pus voir le sol maculé. J’observais surtout les traces de pas : énormes, difformes. Aucun être humain ne pouvait laisser des traces pareilles.

« T’en penses quoi ? lui demandai-je.
- De mauvaises choses si tu veux savoir, répondit-il, David, ils ont tenté de partir… Mais quelque chose les en a empêché. » Il éclaira la portière arrière grande ouverte. « Ils n’ont pas eu le temps de monter, quelque chose les a fauché avant. Regarde les sièges, il y a des marques. On dirait… Des traces de sang et d’ongles. Ils ont dû essayer de s’agripper. »

Je regardais avec horreur les marques qui appuyaient ses hypothèses. Je me tournai ensuite vers la vitre maculée.

« Et là ?
- Là, je pense que l’un d’eux a réussit à se mettre au volant. Jim, peut-être. Mais apparemment, ce n’était pas suffisant pour arrêter la chose.
- La chose ? Quelle chose ?
- J’en sais rien. Et pour tout te dire, je ne veux pas le savoir. »

Moi non plus, je n’avais pas envie de le savoir. J’étais de plus en plus de l’avis de John et pressé de me tirer.

Crac.

Cela avait résonné comme un coup de tonnerre. Une brusque bouffée de terreur me fit dresser les cheveux.

« C’était quoi ? »

Thomas semblait aussi effrayé que moi.

« J’en sais rien et je tiens pas à rester là pour le découvrir. On se tire. Retourne dans la caravane.
- On se tire ? Mais…
- On n’aurait même pas dû s’arrêter. Ils sont morts, Thomas. T’as vu tout ce sang ? C’est triste à dire mais John a raison. Il faut se tirer et en vitesse. »

Thomas me regarda comme si j’étais devenu fou. Dans son regard se mêlaient la peur et l’indignation. La peur de la chose qui approchait, l’indignation d’abandonner nos amis à leur sort.

« Me regarde pas comme ça, répliquai-je, tu sais que j’ai raison. »

En baissant les yeux, Thomas murmura :

« Ouais, sûrement... »

Essayant de prendre un ton plus conciliant, je repris :

« Remonte dans la caravane. Avertis les autres. Je te suis avec… Bordel, où est Romain ? »

Son absence devint soudain flagrante. Un sombre pressentiment s’installa en moi.

« Près des tentes, je crois. Il a dit qu’il allait voir plus loin.
- Bien, va avec les autres, je vais le chercher.
- T’es sûr…
- La ferme. Grouille. »

Je commençai à m’éloigner en lui répétant « remonte ». Je n’eus pas besoin de me retourner pour vérifier s’il m’avait obéi. Le bruit de ses pas précipités fut la plus probante des réponses.

Je regrettai très vite de l’avoir renvoyé. Les ténèbres environnant étaient terrifiantes et je n’arrivais pas à me débarrasser de l’impression que l’on m’observait. C’était terrible. Je me serais donné des baffes.

C’est moi qui avais insisté pour rester alors que John clamait haut et fort ce qu’il fallait vraiment faire. C’est moi qui l’avait traité de merde et qui lui avait ordonné de la fermer. Il aurait mieux valu que ce soit moi qui la ferme, surtout que les raisons qui m’avaient poussé à faire ça étaient risibles, pour ne pas dire grotesques. Si jamais il arrivait quelque chose à l’un d’entre nous, ce serait de ma faute et je ne me le pardonnerais pas.

Heureusement, j’eus tôt fait de repérer Romain. Le faisceau de sa lampe pointait vers le ciel et éclairait vaguement les restes d’une tente. Romain était accroupi à côté et semblait fouiller les restes.

« Romain ! »

Ce dernier leva les yeux vers moi, la peur luisait au fond de ses rétines.

« David, regarde ça, bordel, c’est…
- Relève-toi, vieux. Il faut partir.
- Regarde ça, répéta-t-il.
- Romain… »

Je me baissai pour le relever de force lorsque mon pied dérapa sur quelque chose de visqueux. J’atterris à quatre pattes dans les décombres de la tente. Aussitôt, je retirai ma main et m’aperçus avec horreur qu’elle était recouverte d’une matière gluante. Comme de la bave gélifiée.

« Putain, c’est quoi, ça ?
- J’en sais rien, la tente en est recouverte. Et ce n’est pas tout. Regarde la toile… »

Je regardais la toile en question et y vis de profondes déchirures.

« Il faut s’en aller maintenant. »

Je jetai un regard en arrière. La lumière de la grande vitre de la caravane était en partie occultée par Thomas et les autres. Il avait dû leur raconter ce qui s’était passé et ils devaient attendre notre retour. Je commençais à sentir une pointe de panique me titiller la nuque.

« Romain, lève-toi.
- Tout cassé… Tout ce sang…
- Mais qu’est-ce que tu racontes ?
- A plus rien… Plus personne…
- Romain…
- Ca devait être celle d’Aurélie… On dirait son sac… »

Il avait le regard vide et son ton était monocorde. J’étais déconcerté. Il semblait déconnecté, comme si quelqu’un avait trouvé la prise et l’avait arrachée d’un coup sec. Je ne l’avais encore jamais vu comme ça.

« Romain, debout, allez, dis-je en me relevant à moitié (la substance gluante était en plus glissante).
- J’ai trouvé ça. Tu devrais le visionner. »

Romain me tendit un petit boîtier métallique de la taille d’un téléphone portable. La mini-caméra d’Aurélie. J’avais oublié sa passion pour le cinéma. Elle ne partait jamais nulle part sans sa caméra. Avait-elle filmé ses derniers instants ? Sur le moment, c’était le cadet de mes soucis.

Avec un grognement, j’empoignai Romain, le remis debout et lui mis une bonne claque qui faillit le refoutre par terre. J’avais auparavant récupéré la caméra que j’avais glissée dans ma poche.

Romain resta pétrifié sur place. Après de multiples battements de paupières, il me regarda avec colère.

« Putain, David, pourquoi tu me frappes ? »

Il m’engueulait, en plus.

« C’est pas le moment de péter une durite. Si t’as envie de déprimer, fais-le dans la caravane mais pas ici, pigé ? »

Il baissa les yeux et j’eus l’impression de me retrouver devant un gamin pris sur le fait. J’avais entendu dire que certaines personnes réagissaient comme ça en situation de crise. Ils préféraient renier la réalité plutôt que de l’affronter, ce qui les rendait aussi amorphe qu’un lézard en plein mois d’aout. Je n’aurais jamais cru que Romain était dans ce cas. Je m’apprêtais à lui foutre une autre claque lorsque je me rendis compte qu’il regardait la poche où était planquée la caméra.

« David, la caméra… J’ai vu…
- On s’en fout. Ramène-toi.
- Jim… Aurélie… Stéphanie… C’est affreux… Il les a tous eus…
- Putain, Romain, bouge ! »

Mais Romain ne bougeait pas, de nouveau déconnecté. Je me mordis les lèvres pour ne pas l’insulter.

Sur le coup de la colère, je m’apprêtais à le frapper de nouveau lorsque le silence ambiant fut rompu.

Je reconnu aussitôt le bruit : c’était le même son que celui que j’avais entendu au volant de la caravane. Sauf que cette fois-ci, le bruit était beaucoup plus fort, beaucoup plus proche.

La panique s’empara de moi.

« On bouge », criai-je à Romain, lorsqu’un autre bruit nous cloua sur place.

C’était une sorte de gémissement, un râle rauque de douleur, qui provenait des fourrés sur notre droite. Soudain, le rideau de broussailles se déchira et une silhouette sombre s’écroula.

Reconnecté, Romain se précipita vers la silhouette.

« Mais qu’est-ce que tu fous ?
- David…, commença-t-il, putain, c’est Jim. »

Jim ?

La silhouette remua un peu et émit un nouveau râle. En m’approchant, je reconnus effectivement mon pote.

« Argh… Au secours… Pitié… »

Sachant pertinemment que ce n’était pas une bonne idée, je pointais ma lampe sur Jim et découvris un terrible spectacle.

Jim était encore vivant et rien que ça, c’était un miracle. Il présentait de multiples écorchures sur les bras, les jambes, le torse et la tête. Une vilaine plaie lui cachait à moitié le visage et le sang séché lui fermait à demi les yeux.

Mais le pire, c’était sa jambe.

Blanchâtre, maigre, on aurait dit qu’elle était vidée de son contenu, comme si quelqu’un y avait planté une paille et avait aspiré toute la chair qui se trouvait sous la peau. Le résultat était horrible à voir. Jim devait affreusement souffrir.

« Jim, ça va ? »

Cette question stupide fut la seule qui franchit mes lèvres. Je m’agenouillai près de mon ami et fus encore plus choqué par ce que je voyais. L’unique œil encore ouvert (l’autre était trop englué de sang) était fébrile et brillant. On y lisait la folie et le désespoir.

« David, viens m’aider. »

Romain avait passé son bras sous la nuque de Jim et l’avait redressé en position assise. Dans un premier temps, je ne bougeais pas, totalement paralysé. Décidemment, je ne valais pas mieux que Romain par moments.

Ce qui me fit réagir n’était pas Romain qui m’appelait de nouveau (comme on aurait pu s’y attendre) mais la réaction de panique de Jim lorsqu’il sentit le bras de Romain sous sa nuque. Il haletait comme un porc et le sang qui s’échappait de sa bouche formait une fine bruine rougeâtre.

« Non… Faut pas… Aime pas… Toucher…
- Du calme, vieux, tenta Romain, en vain.
- Non…, reprit-il, faut pas… Partir…
- Oui, c’est ça, on va s’en aller, lui dis-je en espérant le calmer. On va partir, maintenant.
- Partir ? … Peux pas… Peux pas… Elle est là… Elle est là… Elle est là ! »

Je fouillai les alentours à la hâte, de plus en plus terrifié. Rien que les arbres et les buissons. Le silence était écrasant. Et cette sensation, cette impression atroce d’être observé. Je dus prendre sur moi pour ne pas faire dans mon froc.

« On se casse d’ici. Chope-le, Romain, on va le porter à la caravane. Maintenant, t’entends ?
- Mais…
-MAINTENANT !!! »

On s’apprêtait à le prendre sous les aisselles lorsque dans un brusque sursaut, il s’écarta de nous, rampant comme un pitoyable insecte. Son œil fou était écarquillé.

« Le souffle… Le souffle…
- Quoi ?
- Elle est là… Elle est là…
- Que…
- ELLE EST LA !!! »

Jim hurla. Presque aussitôt, une odeur infecte nous parvint aux narines, un mélange de pourriture et de désinfectant, puis la chose nous tomba dessus. Je regrettai à ce moment-là de ne pas être devenu fou.
Note de fin de chapitre:
La suite samedi prochain.

Et n'hésitez pas à me dire ce que vous en avez pensé.
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