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Notes d'auteur :
L'antre de la chose...
10.


Au bout de dix mètres, la caverne faisait un coude vers la droite. C’est de là que provenait la lueur rouge. Arrivés à ce tournant, nous fûmes aveuglés par une lumière puissante et, lorsque nos yeux furent habitués à cette clarté soudaine, nous nous trouvâmes devant une scène qui dépassait l’entendement.

Tout était rouge. Tout. Les filaments s’étaient soudés les uns les autres pour former un tapis uni et palpitant qui recouvrait le sol et les parois de la caverne. On avait l’impression d’être à l’intérieur d’un organe. Les filaments semblaient provenir d’un vaste trou situé à vingt mètre et qui faisait bien dix mètres de diamètre. La lumière rouge provenait de la colonne de flammes qui s’en élevait, un long brasier rougeoyant qui donnait simplement l’impression d’un feu. Car cela ne pouvait en être, sinon toute la caverne aurait sauté à cause du gaz qui sortait d’une multitude de petits puits, percés dans la paroi. L’odeur était suffocante. Au fond du trou provenait un battement. Comme si un énorme cœur se trouvait là dessous.

Ca y est, nous y étions. L’antre de la chose.

Sauf que la chose n’était pas là.

« Où elle est, à ton avis ? » me souffla Elodie

Je ne lui répondis pas. Je venais de voir ce que je cherchais. Contre les parois se trouvaient des grosseurs renflées, un peu comme de gigantesques pustules. Je mis une bonne minute avant de me rendre compte qu’il s’agissait des cocons.

Je me précipitais vers eux. Le bruit de mes pas sur le tapis rouge était répugnant (plash, plash). Arrivé près des cocons, je me demandai lequel contenait ma sœur. Il n’y en avait que deux intacts. Trois autres étaient éventrés et leur contenu gisait, collé à la soie meurtrière de la chose, comme vidé de l’intérieur. Essayant de ne pas penser aux malheureux réduits à l’état de cadavres tordus, je sortis mon canif et entrepris d’ouvrir le premier cocon.

La matière s’était durcie et je dus forcer pour l’entamer. Les filaments rouges n’arrangeaient rien, ils avaient commencé à s’enrouler autour du cocon, le rendant encore plus résistant. Thomas et Elodie m’aidaient le plus possible en prenant soin de ne pas toucher la soie corrosive. Nous ne parlions pas, nous respirions à peine, de peur d’attirer la chose.

Allez, bordel, faites qu’elle soit là. Faites qu’elle soit vivante.

Brusquement, le cocon s’ouvrit. Accroché à la paroi, un corps nous regardait de ses yeux morts. Mais ce n’était pas ma sœur. C’était…

« Putain, murmura Thomas, Stéphanie… »

Stéphanie, notre amie disparue, était réduite à l’état de cadavre noirâtre. La soie devait la ronger lentement, ce qui expliquait la couleur sombre et la peau craquelée par endroit. Ses tripes avaient disparu, il n’y avait à la place qu’un trou béant à travers lequel on parvenait à voir le blanc de sa colonne vertébrale. Je demeurais pétrifié devant cette abomination et je me pris à espérer qu’elle fut morte bien avant que son corps ne commence à se diluer. Mais ses yeux écarquillés ne laissaient que peu d’espoir quant à cette prière.

Je me tournai vers le dernier cocon intact et repris mon manège, plus nerveusement ce coup-ci. Après avoir vu ce que la soie pouvait faire à un corps, il ne fallait pas traîner.

Le cocon s’ouvrit et cette fois-ci, c’était bien ma sœur. Sandra était fixée à la paroi par la soie meurtrière. Elle avait déjà commencé son travail de décomposition (les vêtements étaient noircis et la peau de Sandra prenait une vilaine teinte rouge au niveau des bras et des jambes nues) mais elle était encore en vie. Sa poitrine se soulevait faiblement et une respiration sifflante sortait de sa bouche entrouverte. Autrement, elle était inconsciente. J’aurais presque pu pleurer de joie. Etreignant le canif, je lançai à Thomas et Elodie :

« Aidez moi, on va couper la toile qui la scotche à la paroi. »

Je fis doucement glisser la lame du canif dans le dos de ma sœur. Je m’attendais à de la soie au moins aussi résistante que celle qui avait enveloppé Sandra mais curieusement, elle était très fragile et le couteau y entra comme dans du beurre. Thomas avait trouvé un morceau de roche pointu et entreprit de dégager le gauche tandis que je m’occupais du droit. Elodie retenait Sandra par les épaules afin de lui éviter un atterrissage trop dur.

Nous lui avions dégagé les épaules et une bonne partie du dos lorsqu’elle reprit brusquement connaissance… et se mit à hurler. C’était un cri déchirant, chargé d’un désespoir et d’une terreur profonde, mais surtout c’était un cri très sonore, trop sonore.

« Sandra, arrête, bordel, criai-je, c’est nous. »

Mais Sandra ne m’écouta pas et continua à crier en se débattant dans sa prison de soie.

C’est alors que le rugissement retentit.

Je n’avais jamais rien entendu de pareil. Le son défiait toute imagination ; cela n’avait rien à voir avec les grognements que la chose avait poussé dehors, c’était comparable au miaulement d’un chaton à coté du rugissement d’un lion. Puissant, grave, il semblait sortir tout droit du centre de la terre. Aucun doute, cela ne pouvait être que la chose. Affolés, nous nous acharnâmes, Thomas et moi, sur la toile restante. Sandra s’était tue et regardait autour d’elle, une expression de pure panique sur le visage.

C’est alors que tout s’emballa.

Le brasier au-dessus du trou devint soudain intense, aveuglant. La caverne était illuminée comme en plein jour. La terre se mit à trembler rythmiquement, comme si l’énorme cœur au fond du trou battait si fort qu’il ébranlait la caverne entière. Et aussi brusquement qu’il était devenu intense, le brasier disparut.

L’obscurité engloutit brièvement la caverne puis une puissante lumière rouge fusa du trou. Le sol trembla furieusement et nous fûmes projetés à terre. Je me trouvais la tête dans les filaments rouges et mon bras pourrissant, sur lequel je m’étais appuyé comme un gros débile, me faisait souffrir le martyre. Les larmes aux yeux, je relevai la tête pour voir ce que j’avais craint depuis notre arrivé.

Les appendices monstrueux hérissés de poils blancs, semblables à ceux qui avaient emporté Matt, se dressaient au-dessus du trou. J’en dénombrais six. Ils battaient l’air, comme s’ils cherchaient de la nourriture. Puis une gigantesque patte sortit du trou, suivie par une autre tout aussi grande. Un immense thorax apparut à la suite des deux pattes, aussi large que le trou. Le thorax était surmonté d’une tête difforme dotée de deux yeux rouges flamboyants. La chose força pour sortir le reste de son corps, plus effilé, du trou qui lui servait de tanière. Sandra reprit son hurlement, accompagnée cette fois par Elodie. Thomas regardait la chose en état de choc, les yeux écarquillés. Quant à moi, je forçais sur mon bras valide pour me relever et retins à grand peine le fou rire hystérique qui essayait de sortir.

La chose hurla. Un cri nettement moins puissant que le précédent mais tout aussi terrifiant. Ce fut le déclic, le coup de feu marquant le départ d’une course si vous préférez. Je me relevai et pris Sandra au niveau de la taille. La soie se détacha et je pus la prendre sur mon épaule. La frangine, en état de choc, ne fit rien pour m’aider, ni pour m’arrêter, ce qui était tout aussi bien. J’ignorai la brulure de l’acide de la toile et me mis à courir. Je hurlai à Thomas et Elodie :

« IL FAUT SE TIRER, VITE !!! »

Ils n’hésitèrent pas deux secondes. La chose avait réitéré son cri, ce qui avait suffit pour faire fuir les deux ados. Nous nous enfonçâmes de nouveau dans les ténèbres des galeries.
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