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Tristan regarde le fond de son verre de whisky. Heureusement qu'Adèle n'est pas là, elle se demanderait bien ce qu'il peut foutre en bas tout seul, à quatre heures du matin, dans le noir, avec pour seule compagnie son verre et ses pensées qui se brisent contre l'alcool. Et l'errance de la nuit.


Il a un peu mal aux bras, il a poncé toute la journée les volets de la façade avant, c'étaient les plus durs. Mais bon, Elise est contente, et puis c'est vrai que la peinture bleue qu'elle a choisie fait mieux que les éclats grisâtres d'avant. Il aime bien sa maison, il aime bien la vigne vierge qui grimpe sur le mur dans le jardin, et il aime bien être assis au calme dehors avec un verre de blanc ou juste un café. À dire vrai, le verre de blanc d'aujourd'hui était une grande première, elle prend souvent l'apéro, Elise, mais pas avec lui, ou pas avec lui sans sa femme. Il est là pour l'aider, ça fait peut-être douze ans qu'ils se connaissent, mais cet été, il n'est jamais resté si tard chez elle, c'est une de leurs limites tacites. Cette fois, c'est bien parce que son mari à elle, Marc, est en déplacement et parce qu'Adèle a son congrès annuel à Aix.


Tristan se lève du fauteuil et va à la fenêtre. Il fait une chaleur à mourir, alors il ouvre les rideaux et les carreaux. L'air de la nuit lui gifle le visage, et il lève le regard vers les champs qui s'étendent à perte de vue devant lui. Il sortirait bien, là en fait. Il irait bien profiter de la mort du jour pour essayer d'oublier un peu qu'il ne vit plus, cet été, que pour le soleil sur la terrasse d'Elise et ses multiples cafés. Il se replonge dans la contemplation de son verre. Le descend très rapidement, et s'en sert un nouveau. Le bouchon dévissé crisse contre le silence et remplit le salon d'un drôle de murmure. Tristan serre un peu les doigts, et une fois servi, s'empresse de se perdre à nouveau dans les volutes ambrés du whisky qu'il a du mal à distinguer. À fixer son regard sur l'alcool, il ne pense plus à Elise, à son sourire, à son parfum, à ses mains toujours en mouvement et aux fossettes qui creusent ses joues. À ne voir que son verre qui fait partie de la vaisselle de mariage dans la maison qu'il a achetée avec sa femme, il réussit à ne plus penser à cette femme qui grandit un peu trop dans son esprit et dans ses envies.


Il inspire profondément, et écoute les murmures de la plaine endormie. Ça a quelque chose d'étrange, d'être debout si tard, tout est reposé, et c'est d'étranges sons qui prennent le pas sur les autres et peuplent la campagne. Tout semble figé, comme dans un carcan différent, l'habituel est immobile, et se meuvent d'autres frontières, d'autres êtres insoupçonnés de jour. Tristan boit, et refuse le visage d'Elise dans ses pensées. Il boit, et il calme son pouls, ses désirs, ses attentes, les noie dans une rafale d'alcool fort. Adèle est loin, et sa sœur Elise n'est rien de moins pour lui qu'une autre belle-sœur. Rien. Surtout pas une envie dévorante de connaître sa peau ou de découvrir ses soupirs. Elle n'est que la sœur de sa femme, et il l'adore, elle est marrante, Elise, elle est sympa, et c'est plutôt cool de se marrer avec sa belle famille. Et d'ailleurs, Elise a un mari génial avec qui Tristan s'entend très bien aussi, et toutes les limites sont claires, et toutes les frontières sont évidentes. Il l'apprécie, et c'est tout.


Ses yeux quittent le verre et la plaine en second plan, et finissent par s'embuer face au ciel étoilé. Il ne voit plus que brouillé, et il a l'impression d'avoir la repro qu'Adèle a accrochée dans le salon... Van Gogh, oui c'est ça. Les étoiles grandissent, illuminent toute sa vision, et son ivresse se mêle aux lumières de la nuit. Tout son être tend vers le ciel, et s'il n'était pas si saoul, s'il n'était pas si désespéré, s'il n'était pas si tard, il aurait honte de lui. Mais dans les bruits de la nuit, face à la voie lactée et le poing presque levé, il promet au ciel étoilé. Il lui jure, il lui jure de pensées enrouées qu'il ne faillira pas, ne cédera pas. Et demain, qu'il promet de nouveau à la nuit, il n'ira même pas. Elise n'est rien que la sœur de sa femme, une gamine dont il n'a pas du tout envie.
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