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Notes :

Participation à l'atelier #11 - Nocturne

Urbain

Contraintes :
Votre personnage ne voit pas le jour.

Les gens écrivent parfois des choses assez insensées dans la case réservée aux commentaires destinés à faciliter la livraison.
Enfin là c'est quand même collector.
Une procédure complète digne d'un grand malade atteint de paranoïa...
Un : sonnez à l'interphone.
Deux : quand et seulement quand on vous le demande, ouvrez la porte et déposez le colis dans le sas avec le bon à signer.

Un sas ? Dans un appartement ?
Trois : sortez et refermez la porte.
Quatre : quand et seulement quand on vous l'indique, ouvrez la porte et récupérez le bon signé.


J'ai trop envie de voir la tête de la personne qui est assez cinglée pour exiger un truc pareil...


* * *



Lui, c'est Tom.
Il est livreur.
Enfin ce n'est pas son métier à la base mais c'est juste temporaire.
Son métier c'est ingénieur du son perpétuellement en galère, mais ce n'est pas important pour l'histoire, c'est juste histoire de dire que le métier de livreur, il l'exerce un peu comme ça, parce que ça nous arrange. S'il n'était pas livreur il ne mettrait jamais les pieds dans l'appartement de Lydia.
Donc il ne rencontrerait pas Lydia.
Parce que Lydia, elle ne sort pas de cet appartement.
Du moins pas aux horaires de tout le monde.

Lydia fait du télétravail le jour, ou la nuit, quand elle a envie. Elle n'a pas d'horaires pour travailler. Elle en a pour sortir...
Elle ne sort que la nuit.
Lydia n'est pas un vampire mais Tom a pensé qu'elle en était un, la première fois qu'il l'a vue.


* * *



L'adresse était celle d'un immeuble haussmannien dans un quartier plutôt bien, enfin pas du tout comme le mien. Cela dit ça circule pas mal sur cette avenue et c'est bruyant la nuit, on peut pas tout avoir.
Il y a un nom sur le colis.
Et un prénom.
Lydia.
Alors notre paranoïaque est une femme. Peut-être une vieille folle qui vit avec des chats. Ou mieux : une star qui vit sous un faux nom. Ou encore une personne sous protection judiciaire ? Si c'est le cas je vais peut-être perdre mon job en faisant ça, mais c'est pas trop grave. Enfin, la curiosité c'est... mon plus grand défaut.
Vous savez, les gosses quand vous leur dites que ça brûle et qu'ils mettent le doigts dessus quand même pour voir ? Et bien moi, ça m'a jamais passé.

J'ai sonné à l'interphone. Après quelques instants, j'ai entendu la serrure cliqueter. Puis une voix féminine m'a annoncé que la porte était ouverte et que je pouvais entrer.
J'ai ouvert, je suis entré.
Il y a effectivement un sas, enfin quelque chose qui y ressemble : trois mètres après la porte d'entrée le couloir est barré par un épais rideau de velours noir. Je pose mon colis sur le sol. Puis je referme la porte derrière moi.
Le rideau s'écarte presque immédiatement. Et je me retrouve face à une fille d'une vingtaine d'années, à la peau blanche.
Pas juste pâlotte, qui manque un peu de soleil, non.
Blanche.
Un peu irisée, même.
Elle me regarde d'un air mécontent, puis hausse les épaules.

— Bonjour. Je signe où ?

Je suis resté là comme un idiot, j'ai regardé sa coupe de cheveux bizarre, les mèches violettes et le côté du crâne rasé, les piercings partout, le débardeur blanc ton sur ton sur cette peau absolument incolore. Mais elle a des yeux noirs, elle n'est pas albinos...
Un vampire, ça doit être ça.

— Euh, bonjour, ici, s'il vous plaît.

Elle signe. Me rend mon stylo. Prend son colis. Un peu perturbé, je mets la main sur la poignée et je commence à ouvrir la porte pour partir.

— Non !

Elle a presque hurlé, me figeant net dans mon mouvement.

— Pardon ? bredouillé-je.
— Je vais de l'autre côté du rideau. Puis vous ouvrez.
— Ah...
— A cause des UV. Merci. Au revoir.

Elle disparaît derrière le rideau avant que j'aie eu le temps de répondre. Et je reste là comme un idiot. C'est comme s'il n'y avait plus personne. Evaporée. Puis elle lance sèchement.

— Je t'ai pas invité pour le thé, alors tu y vas, d'accord ? J'ai pas que ça à faire.
— Euh, pardon, Mademoiselle... Au revoir.

J'ai filé.


* * *



Tom a repensé à cette apparition toute la semaine. Il n'appelle pas ça une rencontre, pas encore. Une rencontre ce serait quelque chose de plus réciproque, pas cette impression d'avoir mis un pied chaussé d'un gros sabot dans quelque chose qui ne le regarde pas.
Quelque chose de bizarre...
Et de toute façon il s'est fait sortir comme un malpropre.
Alors il s'est efforcé de ne plus y penser, et ça a plutôt bien marché. Mais fatalement, quand on ne veut pas penser à quelque chose, ce quelque chose se charge de se rappeler à vous. Et Lydia la vampire semble commander toute sa vie par correspondance, vu la fréquence avec laquelle son nom apparaît sur les bordereaux de livraison, donc une semaine plus tard, Tom s'est retrouvé devant sa porte à nouveau.
Elle était à peine plus aimable, mais Tom racontait des bêtises pour briser la glace quand même. Même s'il se sentait vraiment stupide.
Juste avant de disparaître derrière le rideau, elle a eu une expression un peu différente.
Tom s'est demandé si elle réprimait un sourire.

Il a fallu cinq livraisons avant qu'il en soit sûr.
C'était bel et bien un sourire.


* * *



Lydia ne fume pas, mais elle picole. C'est l'été, on sort tard, et sous les néons de ce bar-boîte qui passe un rock décent, sa peau couverte d'oxyde de zinc scintille comme de la nacre. Elle m'a expliqué que certains éclairages émettent des UV. Et que l'appellation « écran total » est totalement usurpée. Elle met cette crème solaire pour bébés en permanence, c'est un peu collant mais on s'y fait.

— J'ai eu mon premier mélanome à quatorze ans. C'était un bon score, mes parents faisaient très attention.
— Mais pas assez ?
— C'est inévitable...

Elle ne me cache rien des implications de sa maladie. Elle me dit tout ça avec un petit regard de défi, comme si elle s'attendait à ce que je prenne peur et à ce que je m'enfuie, mais je trouve ça marrant, enfin, façon de parler. On se voit, on sort ensemble, on passe des nuits très remplies et je suis claqué pour aller bosser le lendemain parce qu'il faut se faire à son rythme, mais sinon, ça va.

Même si c'est violent de se prendre le soleil dans la figure quand je sors chercher les croissants le dimanche matin, et que je retourne dans cet appartement où les volets ne sont ouverts que la nuit.

Et en été, les nuits sont courtes.

Lydia sourit, on parle d'autre chose. Elle aspire bruyamment le fond de sa pina colada avec sa paille.
La paille qu'elle tient entre ses doigts gantés.


* * *



Tom est un peu triste.
Parce que c'est suffoquant de rester enfermé tout le temps. Mais quand il sort la journée Lydia lui manque.
Alors il faut choisir.
Le soleil ou Lydia.

Il sort de cet entretien d'embauche où il a expliqué qu'il veut ce poste parce que sa copine est atteinte de xeroderma pigmentosum et qu'ils ont besoin de vivre au même rythme, c'est à dire la nuit.
Ca fait un peu « pitié, j'ai besoin de ce job », mais Tom n'a pas trouvé grand chose à dire pour faire croire qu'il frémit devant les perspectives mirobolantes offertes par le métier de veilleur de nuit.
Il ne sait pas, finalement, s'il a envie d'avoir ce poste ou pas, d'un côté il est fatigué d'être toujours en décalage par rapport à elle, d'un autre côté il ne sait pas si tous ces sacrifices en valent la peine. Il aimerait qu'elle soit optimiste, mais dans le fond il sent qu'elle n'y croit pas vraiment et qu'elle pense qu'il va partir.
Elle lui a dit, une nuit qu'ils étaient assez ivres, il était six heures du matin peut-être, et elle fermait les volets. Un peu maladroite parce qu'elle était vraiment bourrée. Alors il l'a aidée, et il a respiré au passage sa peau qui sentait la crème solaire pour bébé.
Il l'a soulevée et portée sur le lit et il l'a embrassée, en caressant sa peau blême, et c'est là qu'elle lui a dit qu'il allait la quitter.
Il partirait un jour où il ferait beau. Peut-être qu'ils se disputeraient et leurs mots resteraient suspendus entre eux, et peut-être qu'elle voudrait le rattraper mais elle ne pourrait pas, ou alors elle lui courrait après dans la rue quand même et elle aurait des brûlures.
Alors il a dit qu'elle était trop ivre et racontait vraiment n'importe quoi. Complètement paranoïaque.
Et il a promis qu'ils iraient faire les magasins, alors la nuit suivante ils ont fait du « shopping » en regardant les vitrines des magasins fermés.
Lydia avait emmené une bouteille de tequila. Tom portait des sacs en papier qu'il avait récupérés chez sa sœur avec plein de fringues commandées sur internet. Ils se sont assis à la terrasse d'un café en tirant comme ils pouvaient les chaises et les tables attachées avec des chaînes, Tom a joué le rôle du garçon et prit la commande de Lydia. Et elle a voulu du rhum même si c'était de la tequila. Un flic a demandé ce qu'ils foutaient là, et ils ont failli prendre un PV pour ivresse sur la voie publique.
C'était très drôle...

Tom s'est assis sur un banc. Le ciel est lourd et gris, et il essaye de se souvenir de la douce morsure du soleil sur sa peau. En six mois il a presque oublié comment c'est.
Une goutte s'écrase sur son front, coule le long de son nez, et il sourit.

— De toute façon il pleut toujours par ici...
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