On l’appelait Lili, une fleur, un lys, ou un nénuphar. Elle disait qu’elle voyait, que les autres ne voyaient pas, qu’ils ne voyaient rien. Elle disait, viens avec moi, suis-moi, et je te montrerai. Elle disait qu’il serait rouille, qu’il serait sable et pierre nue, et lichen, et elle pleurait.
Elle disait, viens. Viens, petite demoiselle, viens et je te montrerai son âme. N’aie pas peur, demoiselle, tu auras un cœur, un cœur de trèfle, ou un cœur de pique. Non pas noir mais rouge, rouge comme les roses qui font couler leur sang quand ils les prennent à pleine main. Et dans les écorchures tu verras que l’âme des pierres est rêche, et que la mer ne fait que les polir. Dans un sac elle porte des galets de granit, de réelles améthystes, des émeraudes et des lapis lazuli. Le sac est de toile, et là où elle va ses galets carillonnent.
Elle est seule, et s’assied au bord des calvaires. Elle t’attrape du regard. Bleu et cristallin, et noir en pupille comme les abysses. Et elle te susurre, viens, viens, suis-moi, viens à la grève et tu verras. Tu verras l’eau et l’écume, tu verras les bois flottés qui portent en eux la foi des noyés. Parmi eux, peut-être, tu le trouveras.
Ses pas dans la rue, ses pieds nus, pour entrer là où elle entend. Elle entend la rumeur de leurs inconscients. Elle dit qu’elle seule pouvait les entendre, leurs chuchotis dans la nuit. Mais viens, me dit-elle, viens et tu entendras que les hommes et les os partagent leur maison et te tiennent chaud. Et si tu la suis, ne sois pas effrayé par cette cabane de pierres, ce repère de vieux hommes, ce repos des morts.
Suis-moi dans l’antre froid des bois, elle murmure et veut attirer tes pas. Dans la forêt, elle voit l’infini. Elle leur parle et leur chuchote de doux mots, haut perchée dans les arbres. Ce ne sont que des prières aux vers incohérents, qui chantent et riment. Et elle dit qu’ils lui répondent. Que dans le craquement du bois, le murmure des feuilles, ce sont leurs cris, leurs hurlements.
Elle dit qu’ils ont peur. Que chez eux, ce n’était pas ainsi et qu’aujourd’hui leur chair souffre en n’étant plus. Elle dit qu’ils ont chaud, dans son sac de toile. Et que lorsque du haut des branches, ils se balancent, ils retrouvent la liberté que leur ont dénigrée les hommes.
Elle disait qu’elle les voyait. Qu’ils étaient tous plus beaux les uns que les autres. Et parfois, pour mieux converser, expliquait-elle, elle les posait sur le sable fin, celui près des dunes. Elle les disposait en cercle autour d’elle, et elle assise au milieu, elle les admirait. Elle souriait à chacun, certains avaient le droit à une caresse sur leur surface polie et douce, c’était s’ils étaient tristes. Et elle leur fredonnait les ballades des îliennes, celles qui restent devant la mer, le regard vide toute leur vie. Cela durait une matinée, cela durait trois nuitées, mais pour eux, justifiait-elle, ce n’était qu’un fragment d’éternité.
Viens, viens avec moi et tu verras. Viens, viens avec moi et tu comprendras. Tu comprendras les plaintes des âmes qui geignent au bord des chemins. Ces chemins aveugles empruntés par un peuple sourd. Des hommes et des femmes pâles, qu’elle harangue.
Elle disait, viens demoiselle, viens voir la mer. Ce soir il y aura une tempête et tu les verras, au loin ils brilleront dans l’obscurité. Ils sont des étoiles de jais, les vois-tu ? Les vents les porteront à moi. A toi si tu le veux. Nous les veillerons et les protègerons. Il ne faut pas que les autres les abiment, ils ne doivent pas les approcher, les souiller. Habille-toi car la nuit sera froide et humide, mais de notre chaleur nous les réchaufferons. Ils sont des étoiles de jais, des pierres de lune.
Du granit comme du cristal, ses galets carillonnent. Elle s’assoit dans les herbes folles, et les graminées s’envolent lorsque, de son rire joyeux, sa main glisse le long des tiges fines. Elle rit et se console, et prédit le feu et le vent. Le vent qui soufflera, et tout emportera. Elle répète, viens, viens avec moi, viens voir comment volent les lucioles. Elles ne sont qu’insectes mais te dévoileront ce que jamais personne ne croira. Car un jour l’air sera tourbillon, et ne restera que les roches, ses galets scintillants qui brilleront sur le sable rouillé.
Elle s’appelle Lili, une fleur, un arôme, une primevère. Elle murmure, suis-moi, viens à la grève, viens, tu le trouveras. Elle rit et virevolte, et de ses cheveux volent les stellaires, viens, viens… Bientôt le soleil nous rattrapera, et il ne le faut pas. Il brûlera, et les cristaux éclateront, et les âmes disparaitront.
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