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Notes :
Participation à l'atelier #7 - Vert

Abstrait



Crédit : Green par Nuriabonser
Les nuits de fête, la mer prenait des reflets nouveaux, les lumières dorées sous la lune bleue donnaient aux eaux de Brest un air visqueux, une teinte doucereuse que leur enviaient les boues alentours. Elles semblaient malades, malades de joies, de bonheur, sans doute.
Parfois, la pluie survenait pour brouiller leur houle, brusquer un instant leur pâle respiration. On aurait dit une valse, une danse de noir et de gris qui se serait exécutée sur une piste improvisée. Sur les quais, les dernières âmes se précipitaient, crispées autour du manche d’un parapluie, vers une taverne, un taudis, une voiture. Certains pressaient le pas, d’autres couraient, et il ne restait bientôt sous la pluie battante que des enfants assis sur des bittes d’amarrage, les pieds dans le vide. Ils avaient vingt ans, peut-être, mais, les cheveux mouillés, les vêtements collés au corps, ils en semblaient douze. Ils étaient trop grands, trop maigres pour être des adultes déjà.
Ils se taisaient sans se regarder, n’observant que la rade se perdre sous les gouttes. Minuit sonna d’une église à une autre, et les cloches, sans vraiment s’harmoniser, enveloppaient les dernières gouttes de la bruine mourante d’un écho unique. L’air sembla se figer dans l’arrêt de leurs tintements. Il y eut un instant, comme un souffle au cœur, avant que le vacarme de l’eau sur l’eau ne reprenne. Il se leva, alla vers elle et serra sa main, très fort. Voilà. Elle se leva à son tour et esquissa un sourire léger. Maintenant que c’est fait, je crois que j’ai un peu peur.

Derrière eux, les fantômes du passé s’estompaient. Brest laissa place à Brest. La pluie cessa, et dans la nuit profonde, les lampions pendaient lamentablement, détrempés. Leurs couleurs se perdaient dans les flaques qui s’étalaient et s’étendaient quelques mètres sous eux.
Tout était terne, tout semblait mort, il n’y avait qu’eux, plus verts que gris dans les ombres de la ville. Ils s’embrassèrent.
Allons, maintenant, il est temps.

Ils quittèrent le port, main dans la main, allant de ruelles en pénombres jusqu’à l’aube. Ses cheveux à lui étaient secs depuis longtemps quand le soleil les réchauffa, ébouriffés par le vent dans l’eau sale. Elle sentait par contre les gouttes couler de ses mèches épaisses le long de son dos, froides d’abord, puis douces à la naissance des fesses. Elle avait si longtemps détesté cette sensation, ce frisson irrépressible, la caresse persistante dont elle ne parvenait à se défaire. Et la chair de poule. La chair de poule, enfin. Depuis si longtemps.

C’était le matin. La ville se réveillait péniblement, s’étirait par soubresauts légers pour sortir de sa torpeur épaisse. Les premières portes claquaient dans les rues sans couleurs tandis que s’allumaient aux fenêtres quelques lampes. Il sourit. Voilà. Un peu de lumière pour mettre la crasse de la ville en évidence. La boue mêlée de crachat au pied des trottoirs, la poussière de vomi sous les arbres et les voitures, les voitures qui roulaient, brusquaient, bruitaient et klaxonnaient en soulevant toutes ces cendres. Brest, enfin.
Ils traversèrent la rue pour rejoindre une ruelle à sens unique pour frapper à un porche. A leur gauche, une gouttière laissait perler de l’eau. Elle porta la main dessous.

Vous voulez ?

Il hésita, tendit la paume, la reprit, esquissa un sourire avant de croiser les bras.

« Heu… Nous sommes.
-M’en fous qui vous êtes. Si vous voulez du boulot, vous entrez, sinon, vous dégagez. »


C’était vite devenu une vie normale. Il fut ouvrier, elle devint boulangère. Ca lui allait bien, tous les matins se lever tôt, se laver le visage et se tresser les cheveux. L’aube dormait encore, et ses joues se tapissaient de rouge. Il se plaisait à y lire des contes, des poèmes épiques. Tes veines dessinent un fuseau.
Elle partait et il se levait. Au début, il avait voulu se raser les yeux fermés, le cou tendu, pour mieux sentir la lame se perdre entre ses pores et ses poils, avait-il expliqué, mais il avait aussitôt arrêté.
Ils étaient heureux, avait-il affirmé. Elle avait souri, de son sourire triste, le sourire des ombres, comme il disait, et avait posé sa tête sur son épaule. Il manque quelque chose.

« Tu le sens aussi ?
-Naturellement. C’est le prix. »


Tuer pour vivre, vivre pour tuer, vivre d’être morts, morts d’avoir vécu.
C’était la litanie. Le chant dans la tête et les cris hystériques. La musique de la passion. Ils s’embrassaient sur les corps et se jouaient sans public. C’est le prix

« Et s’ils demandent, dites-leur, dites-leur que nous nous arrêtons où le vent n’ira plus. »

Brest en toile de fond s’estompait, le sang à leurs pieds s’engluait. Les morts entendaient, mais ils étaient seuls.


Pourtant, les ombres du port de Brest chanteront longtemps le suicide des fantômes du port.
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