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Notes :
Participation à l'atelier #6 - Enfers

Cathartique

Depuis quelque temps, votre personnage expérimente dans son sommeil des visions incroyablement réalistes de l'enfer. Pour s'en débarrasser, il essaie de les exprimer au moyen de l'art (peinture, écriture, etc.) mais cela ne fait que rendre ses visions encore plus vivaces.

Contrainte : Vous inclurez une description de l'oeuvre d'art produite par votre personnage, ou un extrait du texte qu'il écrit.
Le cri de l’enfant transperça le calme de la nuit, tranchant comme un coup d’épée. Puis on n’entendit plus rien, si ce n’est de légers sanglots à demi étouffés, car l’enfant avait placé sa tête sous l’édredon épais qui couvrait son lit. Le pas incertain d’une grande personne mal réveillée résonna dans le couloir et le père, les yeux poudreux et le pyjama tire-bouchonné, ouvrit la porte doucement.
-Tu as encore fait un cauchemar ?
La voix gémissante et apeurée de la petite fille émergea de l’édredon :
- Oui, toujours le même.
Le père s’approcha, dégageant le petite visage mouillé de larmes de sous la couverture, et s’assit au bord du lit en disant d’une voix apaisante :
- Nous en avons déjà parlé, tu sais que ce n’est qu’un mauvais rêve, alors pourquoi autant t’affoler ?
- C’est un univers si effrayant, et il a l’air tellement réel. Comme si cela devait vraiment se passer.
- Tu es en sécurité, même si ce lieu existait, tu n’auras pas à y aller. Nous veillerons toujours sur toi. Maintenant rendors-toi, tu as école demain.
Posant sa main sur le front moite de l’enfant, il caressa les boucles brunes de son épaisse chevelure et attendit qu’elle se rendorme. Quand sa respiration devint régulière, il se leva, referma la porte et partit se recoucher à son tour. Sa femme murmura d’une voix endormie :
- Toujours le même cauchemar ?
- Oui, je ne sais pas si c’est lié au déménagement, peut-être a-t-elle du mal à s’adapter à son nouveau pays, dit le père l’air légèrement préoccupé. Mais c’est étrange que le même rêve revienne sans cesse.
- Pourtant je crois qu’elle se plait ici, en tout cas, elle aime beaucoup son école. L’institutrice est contente de ses résultats pour ce qui est de la lecture et de l’écriture, dit la mère en rabattant la couverture sur elle pour se rendormir.
Le père, encore pensif, ajouta :
- Peut-être devrais-je lui dire de décrire ses rêves sur papier, ce serait l’occasion de s’exercer et de les rendre moins puissants…
- Peut-être, répondit la voix pâteuse de sa femme qui replongeait dans le sommeil.
Se calant sur son oreiller, il ne dit plus rien et chercha à s’endormir à son tour.
Le lendemain matin, l’enfant s’était réveillée, visiblement oublieuse de son cauchemar de la nuit. Alors qu’elle mordait dans ses tartines, son père l’interrogea :
- Tu as encore rêvé après t’être rendormie cette nuit ?
- Non, je n’ai pas revu cet horrible pays.
Elle le lui avait déjà décrit, lors d’autres nuits où, réveillé en sursaut, il devait l’apaiser et attendre qu’elle se rendorme. Il se souvenait la petite voix chuchotant des descriptions d’un pays de mort d’où l’on ne pouvait s’échapper, car ses frontières étaient gardées par des buissons de fer recouverts de piquants. Elle disait que des hommes l’y faisaient rentrer de force avec d’autres enfants, parfois elle avait évoqué que d’autres membres de la famille, sa sœur ou sa mère étaient également là, mais tout cela était flou à son réveil, et la petite fille ne donnait pas d’autre précision.
Ces quelques phrases avaient suffi au père pour penser à ces descriptions de contrées infernales qu’on rencontrait dans les livres, avec cette idée d’espace sévèrement gardé où l’on entrait contraint et forcé, et dont on ne pouvait sortir. Outre les buissons de fer, la fillette avait parlé de feu, de fumée, de prisonniers transis. Des cauchemars bien étranges pour une gamine de son âge.
Se servant une tasse de café, le père ajouta :
- Tant mieux si tu ne l’as pas revu ensuite. Mais tu sais, s’il ne faut pas prendre au sérieux nos rêves, ils peuvent être intéressants à étudier pour mieux se connaitre.
La fillette ne répondit, indécise, mais elle fixait son père d’un air intéressé. Il poursuivit alors :
- Je voudrais que tu détailles tes rêves par écrit. Je sais que tu aimes l’écriture, alors cet exercice ne pourra que te plaire.
- Je dois écrire… ce que je vois la nuit ?
- Oui. Cela te permettra d’y voir plus clair, et de savoir pourquoi tu fais ces rêves.
La fillette ne paraissait guère convaincue mais elle semblait plutôt contente de cet exercice original, qui changerait des problèmes d’arithmétique. Elle hocha la tête, et ayant terminée sa tartine, alla finir de boucler son cartable pour suivre sa sœur qui nouait déjà ses souliers.
Elles furent vite parties, laissant le père qui finissait son café en feuilletant le De Telegraaf en attendant l’heure de se rendre au bureau. Il travaillait depuis quelques mois pour une nouvelle société, nommée Opekta Works, qui vendait de la pectine de fruits aux industries agro-alimentaires. Il y occupait un poste intéressant qui l’avait, en plus du reste, convaincu de venir s’installer dans un pays où l’atmosphère semblait plus clémente, même si les rumeurs d’une guerre prochaine arrivaient jusqu’ici. Il rejoignit son bureau en empruntant le tramway, et durant le voyage, il pensait encore aux songes étranges de sa fille.
Quand il rentra le soir, les filles étaient revenues depuis un moment de l’école, et tandis que l’ainée repassait une leçon de science, la cadette, penchée sur un cahier neuf et affichant une petite moue absorbée, noircissait des pages d’une écriture ronde, mais quelque peu irrégulière. Levant la tête à son approche, elle dit :
- J’écris mes rêves.
- Je pourrai lire ?
- Oui. Quand j’aurai terminé de me rappeler.
Elle apporta son cahier peu de temps avant le repas, ayant couvert plusieurs pages du cahier. Il regarda la première page, le récit commençait ainsi :
« Souvent au début de mes rêves, j’entre dans une locomotive qui doit me conduire vers un pays lointain, mais quand elle s’arrête, je descends devant un grand portail de fer noir… »
Il tourna la page, déchiffrant l’écriture parfois confuse de l’enfant :
« Des femmes et des hommes portent des pyjamas rayés noirs et blancs, et avancent en ligne… »
« Tout le monde va travailler sous les ordres de diables habillés en vert. »
Ce voyage en locomotive et ces personnages en costumes rayés sentaient bon l’imagination enfantine, le père sourit en lisant certains passages, et tiqua sur quelques fautes d’orthographe, mais il émana aussi de sa lecture une impression de malaise qu’il ne réussit pas à définir. Il était également fier de la prose de sa si jeune fille, elle se montrait déjà douée dans sa manière de décrire et mettait dans son écriture une fougue passionnée témoignant d’un véritable plaisir. Il parcourut les pages, puis rendit le cahier à la fillette en disant :
- Tes rêves sont très détaillés dis donc.
- Ce ne sont pas des rêves comme les autres, c’est comme si c’était un autre monde qui existe vraiment. Un monde où vivraient des méchants.
- L’enfer ?
- Oui !
Il attrapa affectueusement la petite fille pour qu’elle s’asseye à côté de lui, puis ajouta :
- Tu n’iras pas en enfer, il n’y a aucune raison pour cela, et je suis là pour l’empêcher.
- Mais j’ai écrit… Et ça ne me semble pas plus clair.
- Ce n’est pas grave, ça prendra sans doute du temps. En tout cas, cet exercice m’a permis de voir que tu n’écris pas trop mal, peut-être pourras-tu exercer un métier ayant trait à l’écriture plus tard… Journaliste, ou même écrivain !
- Tu crois ? interrogea la fillette, les yeux pleins de stupéfaction.
- Il suffit de continuer à t’entrainer, et tu écriras de mieux en mieux.
La gamine allait poser d’autres questions, toute heureuse de cette découverte, mais l’heure du diner avait sonné et la mère les appela pour le repas.
Quand il fut l’heure du coucher, le père accompagna la fillette à son lit pour la border et la rassurer.
- N’oublie pas, ce n’est qu’un rêve, tu peux l’enfermer sur le papier, et là, il ne pourra pas te faire de mal.
Le père ponctua cette phrase d’un baiser sur le front, mais la petite fille, ses boucles brunes étalées autour de sa tête sur l’oreiller, restait pensive. Alors qu’il s’apprêtait à partir et fermer la porte, elle le retint :
- Tu crois que je pourrais vraiment écrire des livres que les gens liront ?
- Bien sûr ma chérie, je suis sûr que tu auras beaucoup de succès si tu le fais avec ton cœur.
- J’aimerai bien écrire un livre qu’on ferait lire aux autres enfants. Ca me plairait.
Elle restait pensive, mais paraissait joyeuse et pleine d’espoir. Les mauvais rêves étaient loin et ne la réveilleraient pas cette nuit.
- Bonne nuit Annelein.
Son père referma la porte en se disant qu’un jour, sa fille Anne Franck sera une grande écrivaine.
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