- C'est à cette heure-ci que tu rentres ?
- Pourquoi ? Tu n'as pas réussi à utiliser le micro-onde ?
Sylvia n'avait pas posé les deux pieds dans le hall de son appartement que la remarque acerbe de son frère mettait déjà ses nerfs à rude épreuve. Cependant son répondant plutôt inhabituel, autant que le ton sec qu'elle employa, la surprirent elle-même mais elle parvint à conserver son masque d'impassibilité.
Dans ce mini, mini, mini World
Mini.
Gérer la contrariété, elle y était habituée de longue date et prit le temps de poser son manteau ainsi que d'ôter ses bottines.
Quelques secondes plus tard, elle faisait face à Cesare Camaretta qui lui renvoyait un regard passablement mécontent. Nul doute que sa répartie l'avait vexé, tant pis. Les pommettes de son aînés étaient rosies par l'indignation comme s'il s'était passé du fard à joues sur le visage.
Laissez moi rêver
Laissez moi y croire
A présent tout en lui dégoûtait Sylvia, de sa nonchalance suffisante à ses tentatives de domination... Jusqu'à sa profonde immaturité bien mal dissimulée par ses airs bravaches. Elle se rendait compte à quel point il l'insupportait depuis son arrivée chez elle.
Il avait fallu cette nuit pour qu'elle en prenne enfin la mesure, et surtout pour qu'elle passe au dessus de la crainte qu'il lui inspirait encore.
Laissez moi dire
Qu'on peut changer l'histoire
« Que fait-il chez moi ? » Se demanda t-elle sombrement. « Pourquoi ai-je accepté d'héberger ce parasite ? »
Cesare était assis dans le fauteuil, un journal en main et le café-croissant acheté à l'échoppe d'en bas bien en évidence, posés sur le guéridon qu'il s'était approprié. Il était habillé de pieds-en-cap, avait coiffé en arrière son dégradé mi-long, s'était rasé et même plutôt apprêté avec son costume de ville noir, sa chemise blanche, sa cravate rouge et la plume vert foncée passée dans le chapeau qu'il avait posé au coin du fauteuil.
« D'accord, ce dandy immature a tâché de faire bonne figure avant de s'inquiéter pour moi... J'avais tort de culpabiliser. » Songea Sylvia en jetant à son frère aîné un regard peu amène :
- Ne me parle pas ainsi, gronda Cesare au moment où leurs regards se fixaient l'un l'autre. Je te demande simplement où tu étais.
- Est-ce que je te demande où tu étais, toi ? Répondit Sylvia agacée. Apprêté comme tu l'es, tu n'es certainement pas resté ici à te morfondre sur mon sort.
L'homme fit mine de se radoucir :
- Est-ce une raison pour me manquer de respect ?
- Et toi, répliqua t-elle avec rudesse. C'est comme cela que tu m'accueilles ? Si tu n'as pas pris soin de vérifier que j'allais bien, il ne te viens pas à l'esprit que je travaillais, tout simplement ?
- Tu es de bien mauvaise humeur.
- Cela saute aux yeux, non ?
Son récit n'était pas tout à fait vrai, le ton employé sans doute peu approprié, mais tant-pis. Il l'insupportait trop pour qu'elle ait la volonté de fournir le moindre effort. Fini le temps où elle se recroquevillait à chacun des sautes d'humeur de Cesare et lui pardonnait toutes ses attitudes passives-agressives, elle n'était plus une enfant que l'on pouvait rabrouer à l'envie.
Lui cependant ne semblait pas décidé à s'en tenir là et, soudain, il se leva d'une démarche souple pour se porter à sa hauteur et murmura d'un ton faussement mielleux :
- Tu n'es pas sensée travailler de nuit, ma chère sœur.
Sylvia répliqua aussi sec :
- Je ne suis pas non plus sensée accueillir sous mon toit un fuyard recherché par la famille Schwarzenberg toute entière. Pourtant je le fais et cela devrait peut-être davantage te choquer que mes horaires de sorties.
Cesare lui concéda ce point d'un signe de tête :
- Je sais que je t'impose une charge, dit-il d'une voix plus calme. Comprends donc mon inquiétude lorsque je ne sais pas où tu es...
- L'inquiétude n'est pas la tyrannie, mon cher. Si je ne suis pas rentrée cette nuit, c'est que j'ai de bonnes raisons, crois-moi. Et pour le reste, cela ne te concerne pas.
Cesare semblant hésiter à répliquer, Sylvia posa son sac et gagna la cuisine pour se faire un thé. Il lui restait un peu plus d'une heure avant de devoir repartir. Elle avait les nerfs à vif, mais ce n'était pas l'effet de l'anxiété due à sa mission.
Plutôt celui d'un genre de colère sourde qu'elle peinait à présent à contenir :
- Tu devrais sortir un peu, dit-elle à son frère sans se retourner et tout en allumant la bouilloire. Je ne serai pas là de la journée, je rentrerai encore probablement très tard à cause du Coven. Il va bien falloir que tu te débrouilles.
Si c'est vrai qu'on est libre
Qu'on peut s'envoler
Qu'on me délivre
Je sens que je vais étouffer
- Je te dérange ? Lui demanda Cesare entre l'humour et l'aigreur.
- Pour tout dire, oui, répondit Sylvia qui cherchait à présent sa tasse préférée dans le placard. Outre le fait que je me mets en faute à t'héberger.
- Quel parasite je dois faire...
Elle la trouva enfin, juste à côté du thé noir et entreprit de remplir la boule à thé :
- J'ai tout fait pour que ma présence reste discrète, voulut lui faire observer Cesare.
- Tu es chez moi, lui asséna sèchement Sylvia. Tu es assis dans mon fauteuil, tu déplaces mes meubles et tu te montres intrusif quant-à mes faits et gestes, à la limite de la tyrannie... En vérité, non seulement tu me déranges, mais en plus tu m'agaces profondément.
- C'est bon... Pas la peine de t'énerver... Tu devrais un peu lever le pied ma ch...
C'était les mots de trop, Sylvia se retourna vers lui, furieuse :
- Toi tu devrais lever une bonne fois pour toutes tes grosses fesses de ce fauteuil, prendre tes cliques et quelques claques et partir te faire oublier ailleurs que chez moi... Où, il va sans dire, on finira sans aucun doute par venir te chercher !
Cesare fronça les sourcils, Sylvia ne le quittait pas des yeux, attentive au moindre signe avant-coureur de déchaînement de violence. Elle prenait un risque en le provoquant ainsi et elle ne l'ignorait pas.
- On viendrait me chercher chez toi ? Demanda Cesare sur un ton à la fois doucereux et sceptique.
Comprenant qu'il s'apprêtait à reprendre le contrôle ou à monter dans les tours (chose plutôt dangereuse), Sylvia acheva soudainement de perdre ses derniers scrupules. Elle planta son regard dans le sien et répondit d'une voix froide et posée :
- J'ai travaillé toute la nuit Cesare, pour le Coven... Apprends que l'on m'a donné des missions que l'on n'aurait jamais du me donner, en toute logique.
Ce n'était pas tout à fait vrai, même sacrément faux. Mais il fallait ce qu'il fallait, le visage de Cesare se troubla, preuve qu'il faisait le lien qu'elle espérait :
- Des missions supplémentaires ? Murmura t-il inquiet.
- Des missions impliquant des bêtes fauves et du feu... Autant dire que dans notre contexte actuel, il y a sans doute des loups que l'on cherche à faire sortir du bois.
- des l...
Dans ce mini, mini, mini world
Leur monde était trop petit pour qu'il ignore cette menace déguisée en avertissement et Cesare avait perdu toutes ses couleurs pendant qu'elle parlait, Sylvia paracheva l'effet d'une dernière pique :
- Tu comprends ce que j'essaie de te dire ?
- L'Oberhexe Kleine t'as mise dans la confidence de ces attaques ?
Cesare avait lâché la confirmation qu'elle attendait après les suppositions de Théobald sur son implication. Sûrement parce qu'il tentait de se rassurer, de se maintenir dans l'illusion qu'il savait mieux et plus qu'elle.
En tout cas cette phrase sonnait aux oreilles de Sylvia comme un aveu : oui, l'Oberhexe Klein lui conservait sa confiance et l'avait déjà tenu au courant. Cesare savait même sans doute pourquoi elle n'était pas rentrée la veille. Autant dire qu'il pouvait même, en poussant son imagination un peu plus loin, déduire l'essentiel sur sa vie privée.
Dans ce mini, mini, mini world, mini, mini
Ce mini, mini world, mini
Ce mini, mini world, mini, mini
Une phrase, prononcée la veille par Boniface Dentdacier, résonna soudain dans son esprit :
« Vous savez que je n'accepterai pas de voir ce dangereux idiot de Cesare Camaretta. Et je suis persuadé que, au delà de toute histoire de devoir, vous comprenez et approuvez ma décision. »
Le rebelle avait raison, à la fois sur le devoir et sur la question du dangereux idiot. Le loup était un homme pour le loup. Et pour se garder en sécurité face à ce loup-ci, il fallait qu'elle l'égare :
- Pas l'Oberhexe, mentit Sylvia. Pas seulement elle, du moins.
Cesare pâlit un peu plus, elle en profita pour mettre cartes sur table :
- Je pense que tu es au courant des tenants et des aboutissants de l'affaire aux vampires, davantage que moi en tout cas... Mais pour ce qui est des négociations, j'ai l'impression que tu n'as pas conscience de qui tire réellement les ficelles. L'Oberhexe t'as conservé sa confiance, sans doute espère t-elle même que tu tires de cette affaire ton épingle du jeu et que tu nous reviennes réhabilité, tu es son meilleur soutien après-tout... Cependant il n'en va pas de même pour les grandes familles du Coven qui ont soit de la jalousie, soit de la rancune envers toi.
- Je suis coincé Sylvia, murmura Cesare. Soit je viens à bout de ces tueurs et je retrouve ma place, soit...
- Les Schwarzenberg, notamment Rumpel, seront à mon avis ravis de te voir disparaître, compléta Sylvia. Oui, le deal peut sembler parfait, binaire à souhait. L'Oberhexe Klein semble s'être résolue à faire ce pari.
Dans ce mini, mini, mini world, mini, mini
Ce mini, mini world, mini
Vu la couleur de son visage, Cesare comprenait. Il murmura d'une voix sourde et presque suppliante :
- Je n'ai nulle-part ailleurs où aller.
- En es-tu sûr ? Vu ton allure plutôt soignée, je suis prête à parier que tu n'es pas resté sagement ici durant toute mon absence.
- Je suis allé à la boulangerie ! Se défendit-il.
- Autant dire que si qui que ce soit épie mon domicile, il sait que tu t'y trouves, répliqua Sylvia.
Ce mini, mini world, mini, mini
J'ai l'impression de courir au ralenti
Elle se rapprocha de son frère qui reculait instinctivement vers le fauteuil. Sentant le moment venu, elle décida de jouer sa carte maîtresse :
- Tu n'es pas si perdu que tu sembles le croire. Tu peux retourner auprès des Quirinii qui ne diraient pas non à te reprendre dans leurs rangs et qui ne céderont jamais aux Schwarzenberg ni au Coven. Si on ajoute le fait qu'ils sont aussi inquiets que nous de ces histoires d'assassinats, tu pourrait être carrément le bienvenu parmi eux.
- Mais ce n'es pas chez eux que j'ai fait ma vie ! Ma famille est ici, en Lorraine.
Dans ce mini, mini, mini world, mini, mini
Ce mini, mini world, mini
Ce mini, mini world, mini, mini
Je rêve encore qu'on chante la même mélodie
Sylvia truandait, elle en avait parfaitement conscience mais impossible d'envisager faire autrement. Cependant la réponse de Cesare acheva de consommer sa colère et elle oublia soudain toute prudence :
- Ta famille est ici ? Lui chuchota t-elle froidement. Mon cher frère, pouvons-nous parler franchement un bref instant ?
A sa grande surprise, Cesare acquiesça, visiblement perdu. Sylvia se jeta dans la brèche :
- Ta famille, les Camaretta, peuvent vivre dans toute l'Europe de l'Ouest. La Lorraine, c'est le territoire de ta belle-famille qui, je te le rappelle, a mis ta tête à prix il y a environs trois semaines...
Il voulut répondre mais elle ne lui en laissa pas le temps :
- Tu as levé la main sur ta femme, et n'essaie surtout pas de me dire que c'était un accident car je suis convaincue tout comme les Schwarzenberg que ce n'est pas arrivé qu'une fois !
- Tu ne sais rien de ...
- Par chance pour elle, Wilhelmina a pu se réfugier avec Luisie chez une amie qui vit à 300 kilomètres, en pleine Allemagne, et qui a eu l'heureux réflexe de venir la chercher ! Malchance pour toi, cette amie l'a convaincue de tout raconter... à ses parents, les Schwarzenberg. Oui, ils n'ont pas apprécié et n'ont même pas cherché à comprendre, oui ils réagissent maintenant pour compenser des années d'indifférence et oui c'est peut-être un prétexte un peu facile pour te destituer de tes fonctions et assouvir leur jalousie. Il n'empêche que ta tête est mise à prix et que même si tu t'illustres en luttant contre l'armée de macchabées qui va peut-être nous tomber sur le râble, tu ne seras plus jamais en sécurité ici. Ces gens-là vont te massacrer si tu restes seul... Et sans doute me massacrer aussi si je reste avec toi.
- Quelqu'un t'a menacée, c'est cela ? Crut deviner Cesare. Qui ?
Je ne les comprends pas
Mais qu'est-ce qu'ils veulent dire?
Pourquoi j'ai froid?
Est-ce que c'est ça mourir?
- Menacer est malheureusement un trop grand mot, mentit à nouveau Sylvia. Disons que Rumpel Schwarzenberg a, semble t-il, eu le souci de me faire savoir qu'elle aussi était dans la confidence pour ce qui est de la résolution de cette affaire.
- Rumpel ?
Cesare semblait interloqué :
- Rumpel traite avec...
- Ce n'est pas illogique en soit, lui fit remarquer Sylvia. C'est une titanide dont je n'ignore pas qu'elle a de bonnes facilités avec le feu. D'ailleurs, si elle n'était pas une adversaire politique de l'Oberhexe Klein, je la soupçonnerais d'être la draconne que nous recherchons...
Cesare parut approuver ses soupçons, Sylvia rajouta :
- Quoi qu'il en soit, je la pense assez intelligente pour te donner une chance de disparaître. Elle ne veut pas d'un meurtre sanglant qui entacherait la réputation des conservateurs. Elle et les siens briguent la tête du Coven après-tout, assassiner en pleine lumière ne serait pas très intelligent de leur part... Mais si tu meurs en combattant ou si tu disparaît...
- Oui, j'imagine que c'est plus arrangeant pour tout le monde.
Mais si je veux survivre
Dois-je vraiment accepter
De tous les suivre
Hors de ma réalité ?
Cesare était vaincu, et convaincu (ou plutôt persuadé) par ses arguments pour une fois. Il ne tarda pas à quitter la pièce. Sylvia l'entendit s'affairer dans sa chambre tandis qu'elle fouillait son coffre-fort et, quelques instants plus tard, il était revenu avec sa petite valise déjà prête :
- Prends ça, lui ordonna Sylvia en fourrant dans sa main une liasse de billets raisonnablement généreuse. Je mets mon manteau et je t'accompagne.
Il refusa net, le visage fermé, et quitta l'appartement en disant à peine au-revoir. Sylvia attendit qu'il ait disparu avec l'ascenseur pour marmonner :
- Je suis sûre qu'il n'a même pas mis son linge au sale en plus... Bref, Cesare...
Au moins, elle était débarrassée de lui pour un temps. Sur la commode du salon, elle remarqua soudain un détail qui l'agaça encore : la photo de la Mama avait, une fois de plus, été remise sur le devant, telle une madone vintage d'assez mauvais goût.
Cesare l'affectionnait plus que tout mais Sylvia détestait cette image, celle de leur grand-mère qu'elle n'avait pas connue au contraire de ses aînés : une Quirinii et sans doute le membre le plus prestigieux de leur lignée. Vêtue de blanc, de noir et un nœud rouge vif à la taille, Lividia Quirinia Faustina, dite Livia, fixait sur l'objectif ses yeux si semblables à ceux de la benjamine de ses petits enfants. A l'époque où le cliché avait été pris, elle pouvait avoir l'âge de Sylvia ou sans doute même un peu moins. Quoiqu'il en soit leur ressemblante était frappante : mêmes iris très clairs entre bleu et gris, même forme délicate dans le visage, même impassibilité dans la posture alors qu'elle prenait la pose.
Même gabarit aussi. Petite, Sylvia n'appréciait déjà pas qu'on la compare à ce modèle dont elle ne conservait aucun souvenir et, avec le temps et surtout après la mort de sa mère, cette aversion s'était encore renforcée. À ses yeux, elles ne partageaient guère qu'un patronyme dans leur tria nomina « Lividia », en référence à la couleur de leurs yeux.
Cette grand-mère inconnue sur laquelle on racontait tout un tas d'histoires au minimum inquiétantes (assassinats, vendettas et conspirations) ne lui inspirait que de la répulsion mêlée à une angoisse qu'elle ne combattait que difficilement, un peu comme lorsque, très jeune, elle craignait encore son frère.
La Mama avait hanté nombre de ses nuits d'enfant, trop longtemps cependant et elle en avait conscience. Aussi elle s'était obligée à garder sa photo non loin d'elle, déterminée à s'y habituer.
Dans ce mini, mini, mini world
Chassant ses pensées désagréables, Sylvia alla se préparer après avoir jeté sa tasse de thé froide et trop infusée dans l'évier. Cesare parti, sortir lui ferait sans doute le plus grand bien avant d'aller rendre des comptes à l'Oberhexe Klein.
C'est presque sans y penser qu'elle avait mis en place les différentes pièces du puzzle et elle pouvait presque s'en féliciter. Dentdacier était dans la boucle, Théobald également... Quant-à Cesare, à présent qu'elle y réfléchissait, le seul moyen d'assurer son retour à la table des négociations était sans doute de lui offrir le soutien de ses anciens mentors. Elle ne doutait pas qu'il réussisse à convaincre les Quirinii de se mêler des événements, même si ceux-ci se déroulaient principalement au nord des Alpes.
Dans ce mini, mini, mini-world
Finalement, n'avait-elle pas fait d'une pierre deux coups et avancé dans sa mission ? Songea t-elle pas mécontente.
Ce mini, mini world, mini
Ce mini, mini world, mini, mini
J'ai l'impression de courir au ralenti
Seule dans la salle de bain, Sylvia prit le temps de souffler un bon coup avant de s'occuper de sa tenue : Une robe-chemise en toile fine agrémentée de dentelle noire et serrée par une ceinture écarlate à nœud cerise.
Elle coiffa son dégradé mi-long et ajouta à l'ensemble un collier et des boucles d'oreille en or, ornés de perles transparentes.
Il était temps de sortir, elle enfila sa mante noire et remit ses bottes. Devant la glace du couloir, elle se pinça un peu en découvrant son reflet.
Elle ressemblait bel et bien, physiquement, à son aïeule, jusque dans ses goûts vestimentaires.
Jusque dans ses goûts tout court ?
Dans ce mini, mini, mini world, mini, mini
Ce mini, mini world, mini
Ce mini, mini world, mini, mini
J'ai l'impression de courir au ralenti
Il fallait qu'elle chasse ces idées noires avant de se mettre à étouffer. Elle n'allait tout de même pas laisser un personnage de cauchemar lui pourrir la vie !
Alors je vais chaque jour
Je meurs à chaque instant
Je le sens
La vie ne dure qu'un temps
En sortant de chez elle, Sylvia se dirigea d'un pas assuré vers le salon de thé où elle avait ses habitudes et commanda son Earl Grey accompagné d'u sandwich aux œufs brouillés tout chaud. Déjeuner lui fit du bien, même s'il était près de onze heure. Cependant elle n'arrivait pas à s'arracher à la vision de Livia Quirinia sur la vieille photo. Cesare s'était bien vengé de se départ forcé. En tout cas elle n'avait pas envie de se rendre tout de suite à son travail, sachant que de toute manière l'Oberhexe ne la recevrait pas avant l'après-midi.
Emportée par l'horizon
Par quelques notes de musique
Je chante l'espoir
Pour rendre ma vie magique
Sortie du salon, Sylvia prit le bus jusqu'au jardin botanique qui se trouvait en périphérie, dans le quartier universitaire de Nancy. L'hiver n'était pas ce qui se prêtait le mieux à une visite des lieux mais elle appréciait tout de même son atmosphère calme, raffinée et familiale.
Tout en marchant, elle resserrait sa mante sur ses épaules et ne put s'empêcher de frissonner. Le froid ne la dérangeait pas en temps normal, mais aujourd'hui il lui semblait que tout son corps refusait la moindre contrariété.
Dans ce mini, mini, mini world, mini, mini
Ce mini, mini world, mini
Ce mini, mini world, mini, mini
J'ai l'impression de courir au ralenti
Une fois qu'elle eut dépassé la chapelle du parc, Sylvia s'assit sur un banc attenant à la pelouse pour contempler pensivement le paysage. La tension dissipée par sa marche, elle se sentait vidée de son énergie et aurait tout donné pour pouvoir maintenant s'endormir.
Au moins pouvait-elle se reposer un peu.
Elle aimait le jardin botanique pour son originalité, son esthétique et le calme qui s'en dégageait. Il était changeant, bourdonnant d'activité jusqu'au début de la saison froide et toujours fourmillant de projets. Sous les arbres, les étudiants avaient recréé un site rituel d'inspiration asiatique, garni de deux colonnes de pierres gravées de caractères japonais. Pour un peu, elle les aurait jugés authentiques. En tout cas, le décors s'intégrait parfaitement au paysage et, dans l'atmosphère hivernale, la brise faisait onduler les branches.
Les marques de sabots dans la neige indiquaient même qu'une famille de chevreuils ou de daims était sûrement passée par là avant l'aube et Sylvia se plut à les imaginer, déambulant paisiblement dans le jardin.
Dans ce mini, mini, mini world, mini, mini
Ce mini, mini world, mini
Ce mini, mini world, mini, mini
Je rêve encore qu'on chante la même mélodie
Oserait-elle s'assoupir ? Peut-être. La femme au nœud rouge la fixerait longtemps dans ses rêves, mais tant-pis.