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Notes :
Je poste un article que j'ai écrit il y a peu, et qui est assez généraliste pour intéresser un public large et pas forcément habitué. ^^ Il y a pas mal d'illustrations dans l'article, la page peut être longue à charger totalement.
Bonne lecture, en espérant que ce sera l'occasion d'apprendre quelques trucs. :)
Pour ne pas alourdir la présentation, je ne présente pas mes sources bibliographiques et documentaires, si cela vous intéresse, utilisez le système des critiques pour demander des précisions.
Notes d'auteur :
Les images reproduites dans cet article (édition du 20/06/2011) restent la propriété de leurs auteurs respectifs, l'auteur de l'article s'engage à ne pas percevoir de droits d'auteurs sur ladite version.

C'est sans doute l'affiche la plus célèbre au monde. Tout Américain a déjà été confronté à au moins une de ses multiples reproductions et elle véhicule à l'étranger par le biais de toutes sortes de supports l'image du célèbre Oncle Sam. Pourtant, peu de personnes savent situer précisément le contexte dans lequel elle fut produite et n'en retiennent que l'aspect « américanisme triomphant », alors que l'affiche fêtera bientôt son premier siècle d'existence.

Cette affiche célèbre naquit dans le contexte troublé de la Première Guerre mondiale, au moment où l'Amérique de Woodrow Wilson renonce à sa neutralité de façade pour se jeter dans la guerre aux côtés du Royaume Uni et de la France. C'est un véritable branlebas de combat pour cette nation d'immigrants, qui ne pensait pas être à nouveau confrontée aux problèmes de la Vieille Europe. De vastes opérations de recrutement sont organisées à travers le pays pour constituer l'armée qui représentera les terres de l'Oncle Sam dans la boue des tranchées de France, avec de nombreuses conférences, des manifestations patriotiques, et bien sûr, à grand renfort d'affiches.
L'affiche de James Montgomery Flagg est donc créée dans un climat d'agitation et de trouble, mais aussi de renforcement du sentiment national, chose qui transparait dans son dessin.
Mais d'abord, arrêtons-nous sur son créateur : J. M. Flagg est né à Pelham Manor, situé dans le district de New York. Précoce, il se passionne pour le dessin dès son plus jeune âge, et réalise des illustrations pour des revues nationales à l'âge de douze ans. A quatorze ans, il devient l'un des contributeurs du magazine Life, et l'année suivante d'un autre magazine, intitulé Judge. A partir de 1894 et durant les quatre années suivantes, il participe à l'Art Students League de New York, puis part étudier à Londres et Paris jusque 1900, date de son retour aux Etats-Unis où il produit d'innombrables illustrations de livres, couvertures de magazines, publicités, cartoons et dessins satiriques. Déjà son style se distingue par la mise en scène de personnages aux archétypes très marqués par leurs vêtements et leurs attitudes.
En 1915, il réalise beaucoup de publicités, notamment pour Edison Photo et les manteaux Adler Rochester. Son attachement à l'affiche publicitaire l'amène à réaliser plusieurs affiches pour le gouvernement dans le cadre des premières campagnes d'affichage guerrières : il en réalisera quarante-six. Il fut également membre du premier Comité de Protection Civile, organisé à New York en 1917. Il apporta son aide comme membre du comité organisé par Charles Dana Gibson, un autre dessinateur célèbre de l'époque, comité qui servait d'organe de gestion dans la production des artistes new-yorkais pour l'illustration des affiches de guerre. Il crée son fameux Oncle Sam, personnage récurrent de sa production, au cours de l'année 1916, utilisant son propre visage pour éviter de payer un modèle. Ce dessin est destiné à l'origine à être utilisé comme couverture pour le numéro du 6 juillet 1916 de l'hebdomadaire Leslie, avec le titre « What Are You Doing for Preparedness? » (soit Que faites-vous pour la préparation [de la guerre]? ).
Après la guerre, Flagg est au faîte de sa carrière, et est décrit comme l'illustrateur le mieux payé en Amérique. Il produit des illustrations pour les magazines les plus prestigieux, et sera l'un des grands maitres du genre de l'entre-deux guerres. Lorsqu'arrive le deuxième conflit mondial, il produit encore des affiches pour le gouvernement, notamment pour la campagne de recrutement des Marines. Il se politise beaucoup à partir de la fin de la guerre et produit plusieurs affiches électorales pour le Parti démocrate. Il meurt à New York en 1960, laissant le souvenir de ces affiches patriotes qu'il aura dessinées jusqu'à la fin.


Sur cette photo de décembre 1941, JM Flagg et sa fille lors de l'exposition d'une des affiches produites durant le second conflit mondial.

Son affiche la plus célèbre fut donc d'abord une illustration destinée à un journal, et fut ensuite remployée l'année suivante pour la campagne de recrutement. Elle sera imprimée à plus de quatre millions d'exemplaires entre 1917 et 1918, quand les Etats-Unis ont pris une part plus active à la guerre et ont commencé à envoyer des troupes et du matériel dans les zones de combat. Le dessin est repris pour les affiches et on lui ajoute « I want you for U.S. Army in nearest recruting station » (je te veux pour l'armée des Etats-Unis à la prochaine station de recrutement), s'inspirant ici d'une affiche anglaise de Alfreed Leete, représentant Horatio Kitchener, comte de Kitchener et populaire ministre de la guerre britannique dans une pose semblable, avec la légende « Britons Wants You Join your country's army ».


L'affiche anglaise qui a inspiré Flagg.

La pose du personnage, elle-même inspirée de cette première affiche, fut souvent reprise avec plus ou moins de réussite, le doigt pointé vers le spectateur, outre son aspect accusateur, renforçant le sentiment d'implication. Ce doigt pointé est sans doute l'ingrédient principal du succès de l'affiche par l'accroche puissante qu'il représente, et par la détermination inébranlable que semble afficher l'Oncle Sam. C'est aussi un habile moyen de créer une profondeur sur une affiche relativement dépouillée et d'abolir ainsi la distance entre l'affiche et celui qui la regarde : jouant à la fois sur la sensation de proximité créée et la froide autorité du personnage au regard inquisiteur, l'affiche par un procédé purement psychologique se résumant à des idées simples est un excellent élément de persuasion. Les autorités militaires de recrutement eurent conscience de l'efficacité de cette affiche et s'en servirent sans modération, la faisant reproduire sous plusieurs formats, du très grand panneau à la simple feuille de papier, même si le format le plus courant reste 100x75cm.
Le dessin fut également remployé pour d'autres affiches de recrutement, à l'exemple de celle de la campagne de la Navy, intitulée « First call, I need you in the Navy this Minute ! » (soit Premier appel, j'ai besoin de toi pour la Navy tout de suite ! ).


Cette affiche qui reprend le dessin de Flagg est produite quelques semaines seulement après la première affiche, en 1917.
L'affiche est restée après la guerre un modèle dans son genre, et fut dès lors très prisée des collectionneurs, tant pour son rôle évocateur que pour la performance artistique qu'était l'excellent rendu de la peinture sérigraphiée. Elle resta dans les esprits et fut même remployée durant le second conflit mondial et cette nouvelle édition fut encore une fois une réussite, le message d'appel au devoir qui avait frappé la génération de soldats de 1917 trouva le même écho auprès de celle de 1941. Son image, qui s'était diffusée à l'étranger dès 1917 dans les journaux, continua de faire auprès des populations d'Europe et d'ailleurs la promotion de cette idée d'une Amérique à la fois sympathique et déterminée, que véhiculait l'Oncle Sam.
Le choix du personnage de l'Oncle Sam comme sujet de l'affiche n'est d'ailleurs pas anodin. Celui qui nous apparaît comme la personnification nationale des Etats-Unis, au même titre que la Marianne pour la France, est à l'origine utilisé pendant la guerre de 1812 par les pacifistes pour critiquer le gouvernement. Il est dépeint comme un homme âgé avec des cheveux blancs et une barbiche.
En règle générale, il est coiffé d'un haut-de-forme étoilé, porte un nœud papillon rouge, une queue-de-pie bleue, souvent étoilée de blanc et un pantalon rayé rouge et blanc, le tout rappelant le drapeau des Etats-Unis. L'origine de ce personnage est assez confuse même si on trouve l'utilisation de son image dès 1816 dans le livre The Adventures of Uncle Sam in Search After His Lost Honor par Frederick Augustus Fidfaddy. Le nom du personnage viendrait d'une plaisanterie des militaires de la base de Troy (État de New York), recevant des barils de viande salée marqués « U.S. », ils interprétaient avec humour ces initiales en « Uncle Sam » en l'honneur de leur fournisseur Samuel Wilson. Cette version de la petite histoire fut officialisée dès 1961 par le Congrès, qui identifia Samuel Wilson comme homonyme de l'oncle Sam, en s'appuyant sur le fait que cet homme était décrit comme juste, fiable, honnête, et dévoué à son pays.
Vers 1830, l'aura du personnage grandit et il acquiert ses derniers signes distinctifs sous le crayon de Thomas Nast, dessinateur de cartoons et caricaturiste qui lui donne son allure dégingandée pour le faire ressembler à Andrew Jackson, septième président des Etats-Unis, et ajoute la petite barbiche pour lui donner un air plus âgé dans une bande-dessinée politique. Il devient peu à peu un symbole universel, et relativement neutre, employé par plusieurs dessinateurs, sans qu'on n'y voie plus désormais les velléités pacifistes et subversives des premiers à l'avoir employé.


L'Oncle Sam dessiné par Nast fixe définitivement la silhouette du légendaire patriarche américain.

Devenu véritable symbole national à la fin du XIXe siècle, il acquiert également une réputation de support publicitaire important, utile pour les producteurs américains qui stimulent leurs ventes en vantant l'américanité de leurs produits estampillés « Oncle Sam ».
Les guerres américaines sont aussi l'occasion de voir s'étendre la popularité du personnage qui est employé relativement timidement durant la guerre de Sécession (1861-1865) par la difficulté de faire usage d'une figure visant à l'universalisme alors que s'affrontent la Confédération et l'Union, puis plus activement durant les Guerres Indiennes qui accompagnent la conquête de l'Ouest. La figure de l'Oncle Sam apparaitra ensuite de façon répétée sur les affiches de recrutement militaires, spécialement durant la Guerre hispano-américaine (1898) où l'on assiste à la prise de contrôle d'anciennes colonies espagnoles dans les Caraïbes et le Pacifique par l'armée américaine.
A l'entrée en guerre américaine de 1917, l'utilisation de l'oncle Sam est extrêmement courante et souvent préférée à son pendant féminin, Colombia, censée elle aussi personnifier les Etats-Unis, mais à qui il est parfois plus difficile d'attribuer des vertus guerrières. Oncle Sam est donc employé un nombre très important de fois, et s'il conserve ses traits les plus caractéristiques que sont ses vêtements, on voit également se modifier sa représentation d'une affiche à l'autre en fonction des qualités que veut lui faire endosser le dessinateur. On trouve ainsi l'Oncle Sam des origines, vénérable vieillard souriant et souvent rattaché à l'agriculture, mais également une version légèrement rajeunie et nettement plus belliqueuse d'un Oncle Sam soldat, qui harangue ses hommes ou fait office de meneur d'armée.
Mais le personnage, par son costume un peu clinquant et la bonhomie qui lui est associée reste dans ses différents avatars une figure sympathique et optimiste, que l'on pourrait presque comparer à un saint protecteur. Par l'incarnation qu'il fait à la fois de la nation et de son gouvernement, il aide à créer un climat comparable à celui de l'Union Sacrée qu'ont connu les pays européens, mais qui fut nettement plus difficile à obtenir en Amérique, le président Woodrow Wilson se présentant d'abord comme le garant de la paix avant de manœuvrer pour rallier les neutralistes à la guerre. L'affiche de Flagg aurait donc pu être un Oncle Sam parmi les autres s'il n'avait remporté un tel succès auprès du public et des autorités de recrutement. Dans son affiche, Flagg a choisi de représenter un Oncle Sam déterminé, à l'œil sévère, qui fixe avec dureté le spectateur. Nulle gentillesse sur son visage, juste la froideur de la décision que le citoyen doit se sentir dès lors obligé de prendre, comme une évidence et sans réflexion, car l'Oncle Sam, personnification de l'État, le « choisit ». La subtilité rhétorique du geste accompagné de la mention « I want you » se suffit dès lors à elle-même et autorise une austérité totale de l'affiche, le fond blanc ne suggérant rien d'autre que ce qui est déjà exposé par l'autorité grand-paternelle et incontestable du personnage.
L'affiche développe par ce choix d'une sorte d'ascendance spirituelle des thèmes proches du domaine religieux, le visage grave et barbu de l'Oncle Sam pouvant renvoyer à quelque prophète de l'Ancien Testament, et le choix de l'homme parmi les autres renvoyant au destin des héros désignés par Dieu qu'il s'agisse de saints ou de chevaliers.
Les qualités persuasives de l'affiche ne tiennent pas bien sûr à sa seule représentation mais s'insèrent dans le climat général d'effervescence et de patriotisme exacerbé qu'a provoqué l'entrée en guerre. L'œuvre de Flagg par sa composition et son approche picturale apporte déjà des éléments non-négligeables pour saisir la manière dont s'est organisé le recrutement de soldats aux Etats-Unis. Les mêmes techniques de recrutement seront appliquées en 1941, avec pour conséquence logique le remploi de l'affiche qui avait tant marqué les esprits. L'affiche est donc réutilisée telle quelle, sans y apporter de modification majeure autre que l'ajout d'un fond bleu très clair à la place du fond blanc d'origine. Déjà très populaire, elle se révèle pourtant moins efficace durant cette campagne car l'affiche de guerre est banalisée, et ses thèmes vont sembler galvaudés à la population même si celle-ci continue d'adhérer à la politique de ses dirigeants.
Elle sera moins reproduite que durant la première guerre mondiale car de nombreuses autres affiches seront en concurrence, mais elle continue de marquer les esprits et va incarner à la fois la première et la deuxième guerre mondiale de façon globale. D'ailleurs de manière contemporaine, nous la retrouvons en couverture du livre édité en 2008 de Sean Price, The Art of War, pourtant consacré à la seconde guerre, montrant que la chronologie de sa création est confuse dans bien des esprits.
En 1944, profitant des amitiés politiques de son auteur, l'affiche est à nouveau employée dans un but, cette fois, électoral. En effet, l'Oncle Sam de Flagg apparaît sur une des affiches de la campagne électorale de Roosevelt (1882-1945) au côté d'un portait de celui-ci avec la mention « I want you FDR » (FDR pour Franklin Delano Roosevelt). Cette utilisation de l'affiche à d'autres fins que militaires va ouvrir une nouvelle ère d'emploi du portrait qui va être énormément repris et parodié dans les années qui suivront la seconde guerre, particulièrement après 1960 où la mort de son auteur va donner aux parodistes et caricaturistes une nouvelle liberté.

Réemploi durant la deuxième campagne de Roosevelt. Cette utilisation inédite, de nature politique, s'associe à une nouvelle mise en page.

Mais l'armée n'a pas encore abandonné son utilisation de l'affiche, et la fera encore réimprimer plusieurs fois, notamment en 1976, quand le U.S. Government Printing Office fait réaliser de grosses commandes de réimpressions sur des supports cartonnés et des prospectus. Pourtant l'affiche a dès lors quitté la sphère de la simple affiche de guerre pour devenir un objet mythique que les créateurs de tout horizon vont sans cesse réinventer. L'affiche papier de 1917 voit elle aussi s'attiser les convoitises et son prix augmenter lors des négociations entre collectionneurs, jusqu'à atteindre des sommes tout à fait impressionnantes pour une affiche au tirage si important : le prix étant proportionnel à la rareté de l'affiche, les quatre millions d'exemplaires de l'Oncle Sam n'en font pas une affiche rare, et pourtant, elle se négocie aujourd'hui entre 3000 et 12 000 dollars en fonction de son état. Il en existe également une réimpression officielle annuelle avec différentes qualités de papier, vendue entre 9 et 130 dollars, et une multitude de produits divers voient la reproduction de l'affiche sur tous les matériaux, allant du badge au set de table en passant par d'improbables chaussettes brodées. La popularité de l'affiche aujourd'hui est avant tout liée au nombre important de détournements, satiriques ou non, dont elle fut l'objet depuis les années soixante. En effet, l'affiche est aussi produite pour les campagnes de recrutement de la guerre du Vietnam et va être beaucoup employée par ses opposants pour dénoncer cette guerre controversée au sein-même de la société américaine.
Deux célèbres pastiches de l'affiche font alors leur apparition : la première présente la même composition exception faite d'une grande déchirure dessiné par dessus l'Oncle Sam comme pour dévoiler sous le papier son squelette. L'apparition de ce squelette caché sous l'affiche illustre l'idée répandue alors de mensonges de la part du gouvernement envers les citoyens et symbolise la mort qui se profile derrière le geste patriotique de l'engagement. La deuxième si elle reprend le même plan présente un Oncle Sam dans une posture différente et arborant les blessures d'un vétéran de guerre : il ne pointe plus le doigt de manière déterminée mais tend la main dans une posture suppliante. Cette image est accompagnée de la mention « I want out » (expression que l'on pourrait traduire par « Je veux en sortir » ou « J'abandonne » ), marquant la façon dont est perçu le rôle à présent vécu comme oppressif et nocif de la charge militaire, pour ceux qui en reviennent, ou qui y sont appelés. Le très vif débat qu'a entrainé le conflit au Vietnam va marquer toute la société américaine et place pour la première fois les partis d'opposition à la guerre au premier rang en tant que force politique et morale, qui compte dans le débat national.


Ces deux affiches des années 60-70 présentant un Oncle Sam bien différent de l'affiche originale témoignent de la désillusion d'une partie de la population face au conflit au Vietnam.

Ces deux affiches présentant respectivement la personnification du gouvernement qui avance masqué et du patriote enthousiaste et naïf que la guerre abimera, montrent bien la puissance de l'opposition dans un pays où la censure d'état est encore en place. Le personnage du vétéran, de 1945 puis du Vietnam, devient une figure populaire importante, mêlant le héros magnifié à l'estropié, rejeté à la marginalité. L'oncle Sam de l'affiche originale ne paraît plus dès lors désigner un citoyen ou une recrue de choix, mais sa prochaine victime sacrifiée au jeu des conflits internationaux et idéologiques.
L'affiche devient dès lors non plus seulement le symbole d'un élan patriote, mais le symbole de mort annoncée, elle sera détournée dans ce sens, en transformant le « I want you for U.S. Army » en un « I want you dead » ( je te veux mort ) accompagné de représentations macabres de l'Oncle Sam, en squelette, en cadavre à demi-décomposé, ou encore en mort-vivant, tout spécialement dans les années 70 où le film de George A. Romero « La Nuit des morts-vivants » (1968) rencontre le succès et lance le genre du film de zombies.


Affiche du film « Oncle Sam », réalisé par William Lustig en 1997 dans la plus pure tradition des films de zombies américains...

Bien après les années 60-70, l'affiche continue à symboliser pour beaucoup la vision américaine de la guerre, et beaucoup reprocheront au passage l'impérialisme américain ou les prises de position guerrière visant à protéger avant tout les intérêts économiques. Les initiatives américaines sont raillées par le détournement de l'affiche, mettant à la place de la figure de l'Oncle Sam toute personne qui provoque le débat dans la diplomatie américaine, parmi eux nous pouvons citer Nikita Khrouchtchev, Fidel Castro, Saddam Hussein et Oussama ben Laden, dont les représentations, le doigt pointé vers le spectateur, sont souvent accompagnées de propos parodiant l'armée américaine ou appelant à la guerre.
Le portrait d'Oussama ben Laden fut très utilisé après le 11 septembre 2001 pour mettre en exergue à la fois le patriotisme exacerbé qui se développe aux Etats-Unis en contrecoup des attentats, mais aussi pour caricaturer le climat de peur et la psychose qu'instaurent les faits d'armes, réels et supposés, d'Oussama ben Laden. Nous trouvons par exemple une affiche noir et blanc reprenant la pose bien connue de l'Oncle Sam remplacé ben Laden annonçant « I want you to invade Irak » (je te veux pour envahir l'Irak). Cette caricature a pour but de dénoncer la manière dont fut exploité la psychose autour de ce personnage pour rallier l'opinion américaine à l'idée de guerre, à la fois préventive et vengeresse. La mort récente de Ben Laden début mai a bien sûr relancé la production d'affiches parodiques le mettant en scène, surtout sur le net, dans les journaux en ligne et les blogs.


L'affiche de Flagg présente un format parfait pour mettre en scène l'ancien ennemi public numéro un.

L'aspect guerrier de l'affiche perdure donc, même quand son emploi est purement civil. C'est une donnée importante car elle garde sa dynamique première qui est la volonté d'inciter à rejoindre un groupe et d'identifier une communauté dont il serait enviable de faire partie, à la fois pour la valeur symbolique du geste et pour le prestige, réel ou relatif, qui en découle. Cet aspect va être très employé à l'ère du numérique, où le développement exponentiel d'internet et la nouvelle facilité de manipulation des images vont permettre un brassage accéléré des supports représentatifs, et vont les mêler à l'essor des subcultures du web.
La force médiatique d'internet s'est beaucoup développée par le biais des communautés d'internautes, qui ont souvent recours à l'affiche de Flagg qu'ils détournent et réinventent en y ajoutant des éléments empruntés à d'autres œuvres, notamment filmographiques, ou appartenant au domaine en plein essor du jeu-vidéo, assimilés à ce qui est aujourd'hui appelé la « culture geek » (terme désignant au départ les passionnés d'informatique, mais qui s'étend plus largement à présent aux internautes de loisir et aux amateurs de haute technologie), car ce sont des références qui sont communes à la plupart des grandes communautés actives sur internet. Nous trouvons notamment des détournements de l'affiche de Flagg, où l'Oncle Sam se trouve remplacé par l'acteur jouant un soldat spartiate dans le film « 300 », réalisé par Zack Snyder et sorti en 2007, ou par Dark Vador, célèbre personnage issue de la saga Star Wars, produite par Georges Lucas entre 1978 et 2005. Il faut encore une fois remarquer l'importance de l'idéologie guerrière qui accompagne ces deux personnages, figurant dans leurs films respectifs de puissants combattants, et des chefs d'armées.


Au temps de l'Internet, les films blockbuster sont des sujets de choix pour relooker l'affiche de Flagg : ici Dark Vador de la saga Star Wars, et Léonidas du film « 300 ».
Nous trouvons aussi ce principe repris avec de nombreux personnages jeux vidéo, parfois réalisés par les joueurs eux-mêmes, parfois réalisés par les graphistes du jeu dans un but de promotion. Le jeu « Conker » sorti sur console en 2005 avait par exemple pour but de réunir des joueurs par équipe via des réseaux virtuels pour organiser des batailles entre les participants : le personnage du jeu est un écureuil habillé en militaire, casqué et armé, que les graphistes ont représenté sur la boite contenant le jeu-vidéo dans la même posture que l'Oncle Sam de Flagg, accompagné de la mention « I want you to join the squirrels » ( je compte sur toi pour rejoindre les écureuils ). C'est encore une fois un personnage d'essence militaire qui est représenté, mais cette fois, ses dessinateurs ont tenu à affirmer le côté amusant et décalé de l'écureuil armé en empruntant une posture devenue classique.
D'autres personnages de la « culture geek » auront droit à leur propre détournement de l'affiche : on peut citer le personnage de Super Mario, plombier moustachu vêtu en rouge à qui les jeux vidéos Nintendo doivent leur succès depuis 1985 ; ou encore Tux, le manchot symbolisant la société de logiciels libres Linux depuis 1991. Les exemples de l'utilisation de l'affiche de Flagg sur internet peuvent se décliner à l'infini, de nombreux logiciels de traitement de l'image permettant à présent de modifier avec une grande facilité une image pour réaliser un pastiche : il existe même des sites offrant la possibilité de réaliser de manière facilitée sa propre affiche en quelques minutes.
L'affiche n'est plus un objet en soi, c'est un support prêt à recevoir la version propre à chaque utilisateur selon le principe de plus en plus répandu du copyleft (la possibilité donnée par l'auteur d'un travail soumis au droit d'auteur de copier, d'utiliser, d'étudier, de modifier et/ou de distribuer son œuvre dans la mesure où ces possibilités restent préservées).


L'utilisation virtuelle de l'affiche prend de multiples formes, comme ici avec la mascotte des logiciels libres Linux qui encourage à la diffusion libre des contenus sur internet.

Le fait que ce dessin soit sans cesse décliné, réinventé et reproduit sur toutes sortes de supports a également contribué à en faire un symbole de la consommation à l'excès par l'infinité d'exemplaires qui furent publiés et placardés. Le personnage présenté par Flagg sur son affiche est aujourd'hui si connu qu'il est assimilé à un symbole officiel pour une grande partie de l'opinion, et il incarne à présent la représentation canonique et reconnue de l'Oncle Sam. Cette figure peu à peu définie comme une incarnation des Etats-Unis est dès lors une base commode pour les détracteurs de ce pays, auquel on reproche sa société consumériste ou ses prises de positions impérialistes. On détourne alors le slogan de l'affiche, tel « I want that you spend » ( je veux que tu dépenses ) ou l'on remplace l'Oncle Sam par une autre figure que la publicité américaine a contribué à rendre célèbre : le père Noël (ou Santa). Nous trouvons par exemple une affiche présentant un père-noël à l'air menaçant qui semble hurler au spectateur « I want you to spend a lot to prove you love your family », dans le but évident de dénoncer une hyper-consommation publicisée et encouragée par l'État pour assurer la santé économique du pays.


La forme de l'affiche est reprise mais on y intègre un autre symbole perçu comme négatif.

D'autres représentations n'ont pour but que de ridiculiser la figure de l'Oncle Sam, jugée désuète ou incitant à un nationalisme aveugle. Beaucoup d'artistes et graphistes, engagés ou non, ont cherché à revisiter l'affiche pour lui donner un autre sens ou tourner en ridicule son déterminé personnage : l'affiche a ainsi été retouchée pour donner des traits féminins à l'Oncle Sam, ou encore lui donner un air de drag queen, en modifiant les couleurs de ses vêtements et en donnant l'illusion d'un maquillage criard. On trouve également l'utilisation d'effets pour assombrir ou changer de couleur la peau de l'oncle Sam pour donner la sensation qu'il appartient aux communautés latino ou noir-américaine, voire à la communauté amérindienne. En effet, ce personnage incarnant l'image d'une Amérique plutôt conservatrice se retrouve souvent parodié pour lui donner une image différente par des populations et des communautés se plaçant en porte-à-faux (minorités ethniques, population LGBT, « mouvance queer »...) avec les valeurs traditionalistes portées par un personnage revêtu des couleurs du drapeau national.
Les représentations d'artistes peuvent à leur tour se décliner à l'infini et sur tous les supports. Nous trouvons par exemple un tableau intitulé « I want you » de l'artiste américain Chet Zar (né en 1967, il évolue dans une mouvance post-punk) qui reprend la posture de l'Oncle Sam pour une représentation d'une créature humanoïde portant un masque à gaz, vêtu d'un haut de forme et pointant un pistolet vers le spectateur. Nous pouvons également citer la production de Thomas Leclerc, graphiste-designer français qui reprend dans l'un de ses travaux l'affiche de Flagg pour la mélanger avec une image du personnage de science-fiction Robocop, issu d'un film de Paul Verhoeven sorti en 1987.
L'affiche intéresse plus souvent les artistes pour sa charge évocatrice et son symbolisme que pour la performance artistique qu'elle représente, c'est un objet qui provoque la réaction du public et qu'il est alors intéressant de détourner pour le charger d'un nouveau message. Cette réutilisation d'une affiche au fort potentiel émotionnel n'a pas échappé bien sûr à l'utilisation commerciale, et l'œuvre de Flagg a servi de base à de nombreuses campagnes publicitaires, telle celle réalisée par le photographe irlandais Vincent Dixon pour la marque d'eau gazeuse Perrier, où le slogan I want you se transforme sans surprise en « I want Perrier ». Les campagnes publicitaires réemployant l'affiche ne font souvent preuve que d'un minimum d'originalité, se contentant la plupart du temps de remplacer le you par le produit que la publicité doit vanter. Certaines publicités sont à des échelles plus réduites, ainsi on peut retrouver l'affiche de Flagg sur des flyers, ou prospectus, pour des fêtes et des concerts, car c'est un modèle connu des imprimeurs et dont il est facile de reconstituer la composition.


La publicité a très vite utilisé cette affiche, exploitant son excellente accroche pour attirer l'œil et profitant de sa popularité.

Une autre réutilisation spécifique faite de l'affiche est la reprise de la célèbre pose de l'oncle Sam avec le doigt pointé vers le spectateur. Il est énormément réemployé en photographie, notamment dans le milieu de la mode, où l'on fait volontiers poser les top models dans cette position pour les numéros de juillet des magazines américains, mois de la fête nationale où il est coutumier de rappeler la figure de l'Oncle Sam. La très médiatique mannequin Heidi Klum a ainsi posé, costumée, reprenant la célèbre pose, tout en accentuant son coté glamour. Encore une fois, les exemples sont nombreux et les déclinaisons présentent un paysage si vaste qu'il ne peut être délimité clairement, car les allusions à l'affiche sont comprises de chacun même par des détails pouvant paraître infimes, et contribuent à agrandir encore le champ des possibilités de ré-interprétation de l'affiche de Flagg.
Nous trouvons aussi de manière récente des réutilisations plus officielles, l'affiche a été ré-employée par plusieurs administrations américaines telles que le fond artistique national américain, ou des réutilisations « traditionnelles », à l'exemple de Barack Obama qui fait réaliser une affiche de campagne présidentielle en 2008 à la manière de Roosevelt. On y voit Obama souriant devant un arrière-plan étoilé, qui pointe son doigt vers le spectateur. Cette utilisation politique montre la volonté de s'inscrire dans la continuité par la référence implicite au passé, mais se sert également de la forte essence parodique que possède l'affiche dans les esprits à présent, en présentant les choses d'une manière décontractée, qui se veut proche de l'opinion en échappant au rigorisme de l'affiche traditionnelle.


Simple intérêt illustratif ou véritable message politique : les publicitaires et chargés de communications continuent d'exploiter le filon Flagg.

C'est sans doute ce qui contribue aujourd'hui à son succès et sa popularité, car c'est une affiche au départ totalement auto-référencée, mais qui par sa forme, a pu absorber au cours du temps les nouvelles références des sociétés sans cesse en évolution.
A l'ère des cyber-médias, l'affiche de Flagg devient une nouvelle Joconde.
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