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Chapitre 2


Je passe, comme tous les matins, par la rue de la soif. A cette heure si matinale seul le café au début de la rue est ouvert. C'est sûrement dans l'un de ces bars que Capucine va vouloir me traîner ce soir. C'est un peu le QG de la bande et de tous les étudiants et jeunes actifs de la ville. Le soir, c'est la rue la plus animée. Il n'y a pas d'habitations, juste des bars, de la restauration et quelques boîtes de nuit.

J'adore passer par cette rue, chaque mois elle est différente. Bien sûr les bars restent toujours les mêmes, mais la décoration de la rue est assurée par une nuée de nanobots qui prennent des couleurs et des textures différentes permettant de façonner la rue selon les évènements et les envies des commerçants.

Depuis le 1er octobre elle ressemble à s’y méprendre à une rue de petite ville américaine des années 2000 décorée pour Halloween. Même les arbres aux feuilles rousses sont factices, mais si bien faits qu'on les prendrait pour des vrais. Il y a des citrouilles gravées en forme de visages et toutes les devantures ont un effet bois peint dans les couleurs de l'automne. Il y a des lampadaires en fer forgé noir diffusant une douce lumière jaune et du lierre qui grimpe le long des façade. Les nanobots réagissent parfaitement à la météo et bougent avec le vent qui vient de se lever. On sent même l'odeur des feuilles mortes. La pluie est plus fine que tout à l'heure, mais aussi plus dense et avec le vent qui souffle ça me fait comme un millier de petites aiguilles qui percent ma peau.

Arrivé au bout de la rue, ma montre vibre. Je la regarde, c'est un message d'Alex qui contient une pièce jointe. Je sors alors mon téléphone de ma poche. Une bulle de protection s'active autour de ce dernier, lui permettant de rester au sec. J'aime beaucoup cette nouvelle fonction, je la trouve particulièrement utile pour quelqu'un comme moi qui n'a jamais de quoi se protéger des intempéries, alors penser à prendre quelque chose juste pour protéger mon téléphone c'est impensable. J'ouvre le message : JOYEUX ANNIVERSAIRE BRO ! Suivi d'un feu d'artifice miniature qui sort de l'écran de mon téléphone. Je sens mes lèvres s'étirer dans un sourire niais et mon cœur battre plus vite et fort. Il a pensé à moi et c'est le premier à m'envoyer un message, avant même les membres de ma famille.

Alex est quelqu’un qui pense aux autres et c’est l’une des choses qui me fait l’aimer encore plus.

-o0o-


Je laisse derrière moi la rue de la soif et m'engouffre dans une rue plus vaste et beaucoup plus animée. C'est là que se trouve le siège de plusieurs grandes entreprises et on peut voir les cadres sup en costard avec leur café à la main et leurs lunettes à réalité augmentée sur les yeux, se presser vers les entrées des bâtiments à l'architecture impeccable, respirant l'importance et l'organisation.
Je termine mon thé, fourre mon thermos dans ma besace et stoppe ma planche devant le bâtiment le plus imposant du quartier. J'attrape mon longboard et me dirige vers l'entrée principale. Je fais un peu tâche dans le décor avec mon short et mes cheveux roses qui dépassent de mon bonet noir, surtout trempé comme je le suis par la pluie. Tous les gens qui m'entourent ont activé leur repousse pluie pour ne pas mouiller leur costard. Moi j'aime cette sensation et de toute façon quand je passerai les portes, le séchage automatique se déclenchera et je n'aurai plus aucune trace d'humidité sur moi.

L'hôtesse d'accueil me sourit comme tous les matins depuis que je travaille ici comme IT dans l'entreprise la plus grosse de la région. Je passe ma montre encodée sur le pad de l’ascenseur pour me laisser y pénétrer. Plusieurs personnes s'y engouffrent en même temps que moi. Et chacun passe sa montre sur l'écran de contrôle pour programmer et autoriser la montée et l'ouverture des portes au bon département.

Je suis le dernier à sortir dans l'un des étages les plus élevés. Je débarque dans un immense open space peuplé d'un tas d'informaticiens, de programmeurs et autres geeks. C'est l'étage où les costards ne passent jamais. Ici on change de bureau fréquemment, on discute à voix haute, on écoute de la musique et on fait des batailles de sabres laser improvisés avec des tubes de plastique et des lampes torches old school. Et pourtant on est l'une des équipes les plus performantes et rentables de la société. C'est bien pour ça qu'on nous laisse faire comme on veut dans nos journées tant que nos tâches sont terminées en temps et en heure.

Je me dirige vers le mur de vitres, c'est là que se trouve ma place en ce moment, j'aime regarder la ville de haut et sous cette pluie c'est encore plus hypnotisant. Mon bureau est entièrement recouvert de cadeaux au papier tous plus kitsch et criards les uns que les autres. Mes collègues n'ont vraiment pas chômé. Ils sont tous écroulés de rire en voyant ma tronche. Ce qui m'assure que plus des trois quart doivent être vides ou contenir des conneries monumentales. Bref je vais passer ma matinée à déblayer tout ça avant de pouvoir me mettre a travailler.

— Merci les gars...

— 25 ans ça se fête ! Hurle Max depuis l'autre côté de l'open space.

Je m'assoie en rigolant et commence à ouvrir tous les cadeaux. Arrivé à la moitié j'ai déjà pas mal de carton vide et d'emballage dépiauté qui forme une montagne à côté de moi. Si bien que je pourrais me cacher dedans. Mais de temps en temps je tombe sur une boite qui contient quelque chose. J'ai déjà une nouvelle tasse à thé pour le travail, une paire de chaussettes de sport anti frottement garantit, un bracelet aux vertus plus ou moins douteuses et une grenouille en céramique qui hurle dès qu'on passe devant. Celle-là elle va très certainement se glisser malencontreusement sur le bureau de quelqu'un d'autre.

A onze heures trente, avec l'aide de quelques collègues, j'ai fini de tout déballer et de faire mes quatre allers-retours au compacteur pour évacuer la montagne de carton et de papier. Ils ont été plus que généreux avec moi, comme chaque année. Je suis toujours étonné de leur gentillesse avec moi. Tout le monde est de bonne humeur ce matin et l'ambiance est particulièrement agréable. Nous n'avons pas d'urgence à traiter et les tâches habituelles coulent toutes seules.

— Non c'est peut être ton voisin de palier ? me lance-t-il depuis la machine à café avec un petit regard qui veut tout et rien dire quand je lui demande si c’est lui qui m’a déposé l’écharpe sur mon paillasson ce matin.

Il dit ça car aussi bien Capucine que moi n'arrêtons pas de louer son physique avantageux et son tempérament chaleureux envers nous. Mais les relations entre notre voisin et nous s'arrêtent là. Certes il est sexy mais il n’arrive pas à la cheville d’Alex et je doute qu’il soit intéressé par les hommes. En plus, à part se saluer et parler de la météo quand on se croise dans le couloir, on ne peut pas dire qu'il y ait une véritable alchimie entre lui et moi. Pour tout dire je ne connais même pas son prénom.

-o0o-


Quand midi sonne, j'ai juste réussi à déblayer mon poste de travail et allumer mes machines, lu mes mails. Ma productivité sera rattrapée cet après-midi. Là, il est temps d'attraper mes affaires et de quitter l'étage pour rejoindre Nathacha au Rooster. Parfois Alex nous y rejoint, j'espère qu'il sera là aujourd'hui. J'aime bien quand il est là.

Quand j'arrive dehors, la pluie tombe toujours mais très finement un peu comme des embruns. Je parcours le trajet à pied, le pub est au coin de la rue. Cette dernière est beaucoup plus vivante et encombrée de monde que ce matin. Malgré le temps maussade, la horde de travailleurs des tours s'est donnée rendez-vous dans la rue. Tous les lieux de restauration ont été pris d'assaut. J'espère que Nathacha à pu arriver tôt et nous réserver une table, sinon on sera bon pour manger au comptoir coincé entre deux costards de mauvais poil.

Les costards qui finissent au Rooster sont toujours de mauvais poil car ce n'est pas un établissement assez chic pour eux. C'est un pub à l'ancienne avec des serveuses et serveurs derrière le bar pour prendre les commandes et servir les bières. Il y a un temps d'attente pour la nourriture. Pas de sas d'insonorisation entre les tables et les retardataires finissent au bar où il n'y a aucune intimité et où on est régulièrement bousculé par les gens qui viennent prendre leur commandes et payer.

Moi j'adore cet endroit, c'est vivant et ça me plait. On voit des gens avoir des interactions avec les autres. Et même si je ne suis pas la personne la plus sociable du monde j'aime toute cette effervescence qui règne dans ce genre d'établissement. Être seul dans la foule a quelque chose d’enivrant.

Aujourd’hui, c'est blindé de monde quand je passe les portes d'entrée. Je joue un peu des coudes et regarde partout pour essayer de localiser Nathacha. Je repère sa tignasse bleu électrique — elle n'est pas des 5% à la génétique anormal comme moi, elle aime juste changer régulièrement de couleur de cheveux — assise au bar. A sa droite, un tabouret vide, sûrement le mien. Pas de table. Tant pis ça nous permettra de discuter avec la serveuse qu'on aime bien. Julie, elle nous sert tous les vendredis depuis trois ans, ça tisse forcément des liens.

Au moment où je vais pour interpeller Nath je constate qu'elle n'est pas seule. L'homme à côté d'elle, un costard, à sa main posée sur sa cuisse et cela ne semble ni la choquer ni la gêner. Et connaissant le tempérament de mon amie, si ce geste était celui d'un mec lourd essayant de la draguer, cela aurait fait longtemps qu'il se serait pris le contenu de sa chope sur la tête.

Je reste planté là au milieu de la foule à essayer de comprendre ce que je vois. Nathacha sourit et rigole avec cet homme. Elle pose sa main sur l'avant bras de ce dernier, elle a les yeux qui pétillent. Mon cœur rate plusieurs battements, j'ai mal et la nausée me gagne. Mon corps comprend ce qu'il se passe avant mon cerveau. Ce dernier a le déclic quand je vois Natacha dans un mouvement souple se tendre pour embrasser l'homme. Homme qui n'est pas Alex. Mais qui devrait être Alex.

Natacha se détache enfin de lui et son regard erre sur la foule en direction de l'entrée et tombe sur moi. Ses yeux s'arrondissent. Je vois qu'elle a compris que j'avais assisté à toute la scène. Je sens les larmes me monter aux yeux et j'ai envie de hurler. Tout devient silencieux, pas que le brouhaha du bar se soit arrêté, mais plus comme si mon cerveau avait coupé mon sens de l'ouïe et je n'entends plus que mon cœur qui cogne dans ma poitrine et ma respiration saccadée. Nathacha, la bouche bée, secoue la tête de droite à gauche lentement. Je la vois glisser de son tabouret et commencer à jouer des coudes pour venir à ma rencontre.

Je ne lui laisse pas le temps d'arriver jusqu'à moi. Je suis encore proche de la porte et je sors rapidement pour retourner sous la pluie. Je me mets à courir pour mettre le plus d'espace possible entre elle et moi. Je ne suis pas fait pour la confrontation, je ne sais pas faire face, en situation de crise. Je fuis. Je fuis lamentablement.
Note de fin de chapitre:
Merci d'avoir lut ce chapitre ! J'espère que vous avez toujours envi de continuer ce récit...
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