Paris, le 13 octobre 1961
Anna, ma belle amour,
Je t’accompagnerai Gare de Lyon à l’heure que tu m’as écrite (Madame Arthur m’a porté ton mot ce matin). Pour rien au monde je ne raterais ton train…
Pourquoi faut-il que tu t’en ailles, déjà… ? Rappelle-le-moi, j’oublie à chaque fois ! J’oublie tout ce qui me sépare de toi. Parce que je t’aime, tu sais…
Comment vais-je faire sans ton sourire à même la peau ? Sans les reflets dans tes yeux bleus, pour tapisser mon cœur fiévreux… ? Enfin, Vienne, ce n’est pas la mer à boire. S’il faut, j’irai t’y voir !
Le reste du temps, je garderai la solitude comme on garde le lit. Je suis malade sans toi, je te le dis… Je suis malade de toi, pour la vie.
Paris, le 20 octobre 1961
Anna, ma chérie,
C’est moi encore…
La ville est vide depuis que tu es partie… Elle est stupide, pourrait-on dire, et triste. Figée dans la stupeur de l’automne et les rues désertes qui résonnent. Pleines de gens et pourtant… Tous les passants ressemblent à des fantômes.
Dis, quand reviendras-tu ? Par instants, la colère me prend… Je ne sais pas pourquoi, sans raison, contre toi. Et je pleure ma frustration. Mes amis m’ennuient. Ils ne me comprennent plus. Ils veulent me traîner partout. Lucy voudrait même que je vienne avec elle à Göttingen !
Je repousse toutes les propositions. Je n’arrive pas à m’expliquer. Je ne peux quand même pas leur cracher au visage : Attendez que ma joie revienne !
C’est pourtant ce que moi je fais : attendre que revienne ma joie, toi, ma vie qui s’en est allée…
De celle que je deviens ; cette âme en peine, ce cœur blessé, es-tu encore l’amoureuse ?
Paris, le 24 novembre 1961
Anna, de loin en loin,
Où est le temps où tu me prenais la main ? Même tes lettres à présent se sont évaporées.
Ton absence déjà, et maintenant ta distance et ton silence, auront raison de nos promesses. Si tu ne comprends pas qu’il te faut revenir, ma belle amour, comment puis-je me battre ? L’ennemi est absent, le temps joue contre nous et efface ton visage. J’essaie d’enlacer un mirage. De nos rires, que reste-t-il ? Des soupirs. Le mal de vivre…
Je t’aime pourtant, tu sais…
Ecris-moi fort, écris-moi vite.
Je t’aime encore, à en crever.
Vienne, le 22 mai 1989
Madame,
Elle arrive bien tard, je sais, cette lettre…
Elle vous trouvera, je l’espère, en meilleure santé que lorsque je vous ai quittée.
Les années ont passé…
Oui, je vous ai quittée. Lâchement, je veux bien l’avouer. Salement même, bien que je vous aie aimée… Et
vous le savez. J’ai souvent prié pour que vous ne l’oubliez pas, que vous n’en doutiez jamais.
L’autre jour en me promenant à l’ombre des arbres je me suis souvenue le petit bois de Saint-Amand. Vous voyez bien : je me souviens. De vous, de nous, de tout. Je me suis toujours souvenue, et de vos mains et de votre chant… Ma dame brune, ma femme piano. Et des soleils que vous allumiez sur ma peau.
Je voudrais savoir ; dites-le-moi, que vous avez gardé vos rêves, après mon passage… Que toutes vos illusions ont été réalisées. Je l’ai tant souhaité pour vous. De l’amour, beaucoup. Tous les jours, toutes les nuits, de l’amour à en crever comme vous aimiez dire, lorsque vous en parliez…
Ecrivez-moi, mon doux souvenir, que vous avez été aimée d’un grand Amour… Grand comme votre cœur, à votre hauteur, avec un grand A, toute votre vie. D’un bel Amour, grand comme Paris…
Anna