Le dieu de la Mort, Narteskaan. De la Mort, de la fin, du néant, de la destruction.
Cassi était allongée dans son lit, tout au bout du couloir du quartier général. Elle avait réussi à dormir, peu de temps, certes. Le réveil avait été brutal, humide, et sa blessure s’était rouverte, de manière superficielle heureusement.
La main serrée sur le nouveau bandage qui s’imbibait peu à peu de sang frais, ses yeux fixaient le plafond de poutres en bois brun noir. Dans le coin gauche, une araignée avait fait sa toile, une œuvre d’art délicate et argentée qui reflétait la lueur de la bougie. Il n’y avait pas de fenêtre, dans sa chambre. Faire ce simple constat la mettait mal à l’aise. Quel genre de chambre n’avait pas de fenêtre ? Elle songea de nouveau à la prophétie. Les mots mystiques d’Alield résonnaient encore dans sa tête : “La haine et la rage, nourrie par l’horreur, fera de métal et d’or la fin des temps.”.
La haine et la rage, nourrie par l’horreur. Comme si son propre passé n’avait pas été assez dramatique, elle devait faire partie d’une prophétie aussi sombre, et qui n’avait pas l’air d’annoncer de belles choses, en plus de ça.
Fera de métal et d’or la fin des temps. Elle forgera quelque chose en métal et en or ? Quel rapport avec le dieu de la Mort ? Pourquoi la fin des temps ? Trop de pensées se bousculaient dans son esprit, incompréhensibles et absurdes.
Mais il y avait une chose, une seule, qui restait là. Elle ne comprenait pas la prophétie. Personne ne pouvait la comprendre, hormis ces Sorciers de Skalar. Comment pouvait-elle forger pour la rébellion d’Anaflor si une prophétie qu’elle ne comprenait pas lui pendait au bout du nez ? Et si elle la réalisait par mégarde ? Elle ne pouvait pas attendre. Il fallait qu’elle sache, avant d’agir.
Cassi contourna le quartier général. A présent que le soleil était haut dans le ciel, les passants commençaient à remplir les rues. Elle ne partirait pas à pied, et sûrement pas sans son meilleur ami. Elle reconnut facilement la haute porte du hangar où elle avait laissé Pako la veille au soir et, avec le plus de discrétion possible, elle fit coulisser le battant heureusement déverrouillé. Le grand lapin noir et blanc était roulé en boule, les yeux clos, et semblait dormir paisiblement. Son nez remua, inspirant les effluves qu’apportaient l’ouverture. Il fut évident qu’il reconnut l’odeur de sa maîtresse quand ses oreilles pivotèrent vers l’avant, tandis qu’un grondement joyeux s’échappait de son ventre. Il se redressa, et Cassi s’approcha de lui. La familiarité du regard jaune lui donnait du baume au coeur ; elle n’était pas seule.
“Hey, Pako, murmura-t-elle en passant sa main dans le poil doux du museau. On part pour une aventure, aujourd’hui.”
L’animal se frotta avec affection, heureux de sentir de nouveau la chaleur de son humain.
Elle retrouva les cordes qu’Anaflor avait utilisées lors de son arrivée sur Iorah, puis se planta devant Pako, les sourcils froncés. Elle n’avait qu’un vague souvenir du nœud autour des oreilles.
Elle était encore en train de réfléchir au sens des boucles quand la porte de la grange coulissa, laissant apparaître Anaflor. La femme aux cheveux blancs s’avança, l’expression indescriptible. Elle ne semblait pas en colère, ou du moins peu étonnée de voir Cassi sur le point de partir. De toute manière, la rousse ne comptait pas cacher quoique ce soit à la cheffe de la rébellion. La grande blonde tendit les mains vers la corde, que Cassi lui remit.
“Alield m’a parlé de la prophétie, déclara Anaflor.
Elle commença à défaire le nœud qu’avait commencé la forgeronne.
“Je pars à Skalar, j’ai besoin de comprendre la prophétie, annonça Cassi sans hésiter.
-J’ai cru comprendre, répondit Anaflor avec un sourire. Mais je ne peux pas te laisser faire ça.”
Cassi haussa les sourcils, sur le point de répliquer une remarque acerbe.
“Tu n’es pas sur Terre, reprit Anaflor. Tu es là depuis deux jours à peine, tu ne peux pas traverser le continent par toi-même, du jour au lendemain. Ce serait inconscient.”
Elle avait terminé le nœud, et le leva devant les yeux de Cassi.
“Je sais ce que tu penses, mais la prophétie ne se réalisera pas tant que tu n’auras pas décidé de l’accepter.
-Mais là est le problème, la coupa Cassi. Je ne sais pas ce que signifie la prophétie, j’ai besoin d’être au courant, avant même de commencer à forger pour la rébellion.
-Mais même si tu partais maintenant, ce serait trop tard, fit remarquer Anaflor.
-Quoi, à cause de la prochaine Catastrophe ? Et vous ne viviez pas avant moi ? Vous pouvez très bien vous passer de mes armes, une fois de plus.”
Anaflor n’apprécia pas le ton de la rousse. Son regard s’embrasa de fureur, et elle poussa Cassi en arrière.
“Tu ne comprends rien, siffla-t-elle. Tu ne sais pas ce qu’est une Catastrophe.”
Cassi lui saisit le bras, et la bouscula à son tour. Le dos de la blonde claqua contre le mur de la grange, accompagné d’un grognement de colère.
“Alors tu vas devoir m’expliquer, Anaflor. Parce que tout ce que je sais, c’est que ton lieutenant Gabryel cherche à s’allier avec un esclavagiste, et que ça n’a pas l’air de déranger qui que ce soit ici.
-Qu’est-ce que tu racontes ?”
Il y avait de la rage, mais aussi un léger doute dans les yeux jaunes de la blonde.
“Gabryel a supplié un dénommé Tobias de vous rejoindre, répéta Cassi, méfiante.
-Tu mens !
-Pourquoi je ferai ça ?”
Cassi ne s’attendait pas au cri de haine de la cheffe. Cette dernière balança son poing en avant, mais au lieu d’atteindre le visage de la rousse, il vint s’écraser dans le mur avec un bruit sourd. Derrière elles, Pako s’agita, mal à l’aise.
Anaflor respirait fort, haletante.
“Tu n’as pas intérêt à me mentir, réitéra-t-elle.
Cassi se campa sur ses pieds, les mains sur les hanches.
“Je ne sais pas ce qu’il se passe, mais je ne fais que te rapporter ce que j’ai vu.”
Elle alla poser le nœud dans un coin de la grange, puis reprit :
“Anaflor. Si je ne peux pas traverser le continent pour aller à la rencontre des Sorciers de Skalar, alors tu dois m’aider.”
Anaflor ne répondit pas immédiatement. Elle se redressa, se tourna vers Cassi. Son expression était indescriptible.
“Forge pour nous jusqu’à la prochaine Catastrophe. Et je promets que je t’aiderai à comprendre la prophétie.”
C’était un compromis que Cassi, malgré sa colère, pourrait accepter. Mais elle n'attendra pas plus.
“Entendu.”
Anaflor acquiesça puis, alors qu’elle était sur le point de s’en aller, Cassi la rappela.
“Et pour Tobias ?
-J’en fais mon affaire, grinça-t-elle d’un air sombre.
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