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Cassi ne put retenir une exclamation d’horreur au spectacle ensanglanté qui s’imposait aux yeux de tous. Sur la plage de Nahika, des dizaines de corps étaient éparpillés çà et là, inertes. En apercevant un visage figé dans une expression d’angoisse pure, elle comprit qu’ils n’avaient pas été que massacrés : on les avait vidé de leur sang.

“Ils viennent d’entrer en ville, nous devons nous dépêcher, indiqua Vikt en les pressant.

Le petit groupe se mit à courir. Anaflor avait lancé les troupes sur place, mais les créatures étaient coriaces : la planète était affamée.
Puis, au détour d’une large rue dévastée, elles les virent. Les hautes silhouettes noires, penchées sur les corps agonisants, leurs longs doigts décharnés plongés dans la cage thoracique jusqu’à que la dernière goutte carmin soit aspirée. Au loin, à quelques centaines de mètres sur la longue avenue, un petit groupe d’une trentaine de guerriers esquivait les ombres, balançait leurs épées, coupait des membres, qui à la plus grande horreur de Cassi, repoussaient immédiatement.

“Comment… Comment les détruisons-nous ?”

Au moment où Anaflor se tournait vers elle, un jeune homme ouvrit la porte de l’entrée de son immeuble.

“Non ! hurla Essln en sprintant aussi vite qu’elle le put.

Mais l’homme ne l’entendit pas, son attention focalisée sur la chose à quelques mètres de lui, qui se relevait de sa dernière victime. Il avait l’air étrangement serein, remarqua Cassi. Ce fut jusqu’à ce qu’Essln se jette sur lui, se plaçant entre lui et le monstre qui s’apprêtait à se lancer sur eux.

“Laisse-moi ! cria le civil, furieux.

La créature allait toucher la lame de la guerrière quand le jeune homme la bouscula brutalement. Ouvrant les bras, un sourire soulagé sur le visage, il tressaillit à peine lorsque la griffe s’enfonça dans son abdomen.

“Que Iorah s’apaise, déclara-t-il en tombant à genoux.

-Tu n’es qu’un imbécile, cracha Essln.

Le dégoût suintait de son regard, alors qu’elle levait sa hache dans les airs.

“Et toi, tu ne mérites pas la vie que la planète t’as donnée, répliqua l’homme d’un ton venimeux.

-Ma vie m’a été donnée par mes parents, fanatique.”

Sur ces mots glacés, l’arme s’abattit, tranchant les deux têtes d’un mouvement circulaire. Les membres roulèrent sur le sol, et les deux corps s’effondrèrent. Cassi gardait ses yeux fixés sur la créature, mais celle-ci ne se redressa pas. Au lieu de ça, son corps noir devint sable, et s’éparpilla sur les pavés blancs de la grande avenue, se mélangeant au sang et à la poussière.

"Ça répond à ta question ? fit Anaflor d’un ton qui se voulait amusé.

Il était évident que l’événement l’avait touchée.
Alors que le petit groupe de femmes avançait, guidé par Essln qui, avec une nonchalance presque effrayante, détruisait les quelques monstres restants, Anaflor s’attarda aux côtés de la forgeronne.

“Elles sont soeurs, commença-t-elle en montrant les silhouettes devant elle, et sont des légendes sur notre planète.”

Cassi lui lança un coup d'œil, mais ne répondit pas.

“Ce sont elles qui ont créé le premier groupe rebelle, bien avant ma naissance. Elles sont les piliers de notre lutte contre Iorah.”

La forgeronne acquiesça.

“Elles sont très âgées, alors.”

Elle ne savait pas quoi dire d’autre, compte tenu qu’elle savait ce que les sœurs voulaient d’elle. Elles n’étaient pas là par hasard. Cassi devait accomplir la prophétie, et ces femmes étaient là pour la convaincre.

“Je pense qu’elles sont immortelles. Elles ont passé plusieurs années à Skalar, et même moi -j’ai été l’élève de Merista, que tu as dû rencontrer-, je ne sais pas tout ce qu’elles savent.

-Pourquoi tu me parles d’elles ? Je n’accomplirai pas la prophétie.”

Il y eut un silence. Cassi scruta le visage d’Anaflor, mais elle resta impassible.
Enjambant un cadavre, elle déclara :

“Je comprends. Mais tu te bats toujours à mes côtés, pourquoi ?”

Ce fut au tour de la brune de laisser un temps.

“Quand nous nous sommes rencontrées…” Cela lui sembla il y a des lustres. “... tu m’as dit que tu avais besoin d’un forgeron, pour ton armée.”

Elle marqua une pause.

“C’est ce que je suis. Si j’avais su qu’il était question d’une prophétie et d’un massacre de masse, je ne serais pas venue.”

L’honnêteté de Cassi fit sourire Anaflor.

“Alors je te remercie pour ce que tu fais pour la cause.”

Cassi serra l’épaule musclée de la commandante, un regard confiant dans ses yeux dorés.



“Lieutenant Gabryel, chantonna une voix. Que me vaut ce plaisir ?”

L’homme était enchaîné : ses poignets étaient tirés dans les airs, maintenus par une puissance invisible, sa silhouette figée dans une position agenouillée. La pièce était grande, sombre, et le moindre souffle résonnait, montait dans les plafonds immenses constellés de vitraux bleus et blancs.
Gabryel avait été dépouillé de son armure et de ses armes, et son regard se fixait, dur, sur l’autre homme, qui s’avançait vers lui d’un pas mesuré, transpirant son dédain, sa haine pour le lieutenant.

“J’ai des questions, reprit l’homme.

Il était dans la lumière, à présent. Gabryel reconnut les mains maigres, le visage creusé et pointu, le nez long et tordu, les yeux verts et glacés aux sourcils levés dans une expression d’éternel mépris.
Le blond cracha sur le sol.

“Je n’ai rien à te dire, lieutenant Nor.”

Nor observa un instant la trace de salive devant ses bottes. Puis ses lèvres se déformèrent en un sourire sinistre.
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