"Ce n'est pas possible."
Ses yeux s'emplirent de larmes. Elle déglutit, ses poings se serraient convulsivement. Au loin, Pako fixait la scène de son regard perçant.
"Je ne peux pas..."
Elle prit une inspiration. Un rire nerveux s'échappa, alors qu'elle titubait en arrière.
"Je ne peux pas faire ça."
Merista se tenait devant elle, et son regard noir ne cillait pas.
"Tu le peux, et tu dois le faire, pour notre survie."
Cassi secoua la tête.
La signification de la prophétie était si noire. Si sombre, si malade. Soudainement, sa vie passée sur Terre lui sembla bénigne par rapport à ce qu'on attendait d'elle.
"Tu dois forger l'épée de la Mort. La Mort doit tous nous frapper, pour mettre fin à ces horreurs.
-Je ne vais pas provoquer la perte et la douleur d'une population...
-C'est une prophétie, elle n'est pas de mon fait. C'est la Mort elle-même qui nous l'a confiée.
-Alors c'est une raison de plus pour ne pas l'écouter, grinça-t-elle.
Cassi était perdue. Elle ne savait qui croire, quoi penser. Elle avait rêvé de gloire, de belles batailles héroïques. Mais jamais elle n'aurait pensé qu'elle serait l'antagoniste de l'histoire. Elle ne pouvait pas prendre la décision d'accomplir la prophétie, de saisir entre ses mains larges aux doigts épais le destin de parfaits inconnus, et ainsi les condamner à une mort irrémédiable.
La côte est de Iorah, sur les plages de Nahika, la capitale.
Le vent soufflait sur l'océan d'eau douce de Lanmè, une brise chaude qui soulevait le sable et plaquait les cheveux des promeneurs.
Un râle, ténu.
Un grattement.
Un enfant pointait du doigt une petite crevasse dans le sable. Le sable y glissait, tandis qu'elle s'élargissait rapidement.
Le grattement devint un grondement sourd sous les pieds des hommes et des femmes. Le râle se muait en un gémissement inhumain.
C'est alors que la première chose émergea. Ses mains noires décharnées, ni de chair ni de fumée, poussaient sa silhouette osseuse hors du sable. Informe, couverte d'une cape brumeuse aussi sombre que les tréfonds d'une grotte, seuls ses yeux blancs et une large bouche qui restait lâche, ouverte en un ovale allongé, se détachaient de la créature.
Le hurlement que poussa l'enfant attira les orbes blanches. Son étrange bouche s'ouvrit plus encore. Puis, portée par ses pieds squelettiques, elle s'élança à une vitesse effroyable.
Anaflor bouscula Essln, son visage déformé par la panique alors qu'elle s'approchait du malheureux messager.
"Comment n'a-t-on pas pu le prévoir ? Ça ne devait arriver que dans une semaine ! S'exclama la blonde.
Son bracelet sonnait depuis maintenant quelques minutes, et ne cessait de clignoter. Elle prit un moment pour se recentrer. Elle devait diriger les opérations. Ses soldats étaient entraînés, et sauraient repousser les créatures de la planète assoiffée de sang. Mais ils étaient sous-armés...
"Nous vous aiderons, déclara la voix de Vikt.
Essln serra l'épaule de la cheffe d'une main chaude, appuyant les propos de sa sœur.
"J'ai quelques généraux à Nahika, annonça Anaflor d'une voix plus ferme. Mais je n'y serai jamais à temps.
-Tu y seras, répliqua Vikt.
-Car nous avons des dragons, ajouta Essln.
Les yeux de Merista s’étaient retournés dans leurs orbites, et laissaient apercevoir le blanc affreux qui les entouraient. La colère et l’angoisse de Cassi restèrent en suspend, alors qu’elle l’interrogeait du regard.
“C’est trop tôt, grinça-t-il.
Ses yeux noirs se figèrent sur elle.
“La planète a soif.”
Elle fronça les sourcils.
“La planète a soif et a envoyé ses créatures la sustenter, déclara-t-il en appuyant chaque mot.
Il continua à la dévisager, l’air impénétrable.
“Je…, commença la rousse.
Malgré son indignation, sa haine, elle n’avait pas l’âme d’une lâche. Quoique cette Catastrophe pouvait être, elle lutterait aux côtés d’Anaflor. Tant que cela ne concernait pas Narteskaan.
“Que puis-je faire pour aider ?”
À ces mots, Merista esquissa un sourire.
Derrière lui, des ombres larges, hautes, et menaçantes, planaient. Le cœur de Cassi se mit à battre.
Comme dans un rêve d’enfant, les créatures semblables à des serpents atterrirent avec grâce, dégageant dans leur sillage un nuage de poussière.
De leurs dos où un large tapis, épais et cousu d’or était scellé par magie, deux femmes descendirent des montures, suivie par la silhouette familière d’Anaflor.
“Prend ta plus belle hache et grimpe, cria une brune à la peau aussi sombre que celle de Cassi.
Une Amp, réalisa-t-elle avec enthousiasme.
“Tu parles comme si elle avait déjà pris sa décision, répliqua l’autre, une grande blonde à la peau claire.
-J’ai pris ma décision ! hurla Cassi à travers le boucan que faisaient les deux dragons. Je vais me battre.”
Saisissant son arme la plus aiguisée, elle enfila quelques protections, et s’approcha des créatures qui effrayaient le pauvre skrir, qui s’était réfugié dans son abri.
Merista s’était éclipsé, remarqua-t-elle, avant de saisir la poigne large et épaisse qu’on lui tendait.
“Je suis Essln, annonça celle qui la hissait, tandis que Cassi dérapait sur les écailles bleutées.
-Cassi, haleta-t-elle une fois qu’elle eut réussi à se jeter à califourchon sur le dos de l’animal.
-Accroche-toi, Cassi.”
Et les ailes se mirent à battre. Les branches des arbres furent repoussées, les hautes herbes aplaties par les puissantes rafales de vent. Puis les dragons se soulevèrent de terre d’une pulsion lourde et puissante, arrachant un halètement de surprise à Cassi.
Essln activa son bracelet, et désigna le plan holographique à sa passagère. Le prénom d’Essln était situé à Ganeper, comme celui de Vikt, qui devait chevaucher le dragon voisin.
“Direction Nahika, annonça-t-elle.
Puis les créatures s’élancèrent haut dans le ciel, laissant la terre apparaître telle une myriade de tâches de couleurs.
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