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“Où est Gabryel ? demanda sèchement Anaflor.

Cela faisait plusieurs jours à présent qu’elle tournait dans le quartier général et ses environs sans réussir à trouver son lieutenant. Une absence qui, bien qu’inexpliquée, confirmait peu à peu ses doutes suite à la révélation de Cassi.

“Il est sûrement en repérage, hésita le pauvre barman, un torchon entre les mains.

Elle secoua la tête, incrédule.

“En repérage, bien sûr…, grommela-t-elle dans sa barbe.

Tapotant son poignet, elle fit sortir l’écran holographique une énième fois devant ses yeux plissés de frustration. La carte du continent montrait ses généraux au quatre coins du globe, mais aucune trace de Gabryel. Il s’était sûrement camouflé. Suspicieuse, elle agrandit la ville de Ganeper, là où brillait son propre point. Son regard parcourut les rues en relief, passant au crible chaque bâtiment. Jusqu’à ce qu’elle tombe sur deux noms. Essln et Vikt Vinsheysta.


Le claquement assourdissant des morceaux de métaux, frappés l’un contre l’autre d’une force colossale, résonnait dans la forge.
A chaque coup, une onde de choc s’échappait, et la matière se tordait, rougeoyante.
Cela faisait quelques jours que Cassi avait appris l’existence de la prophétie. Quelques jours aussi qu’elle servait enfin à quelque chose.
Anaflor avait pris les choses en main, depuis leur altercation ; elle lui avait fourni un atelier, du matériel, et un endroit où vivre. Pako avait même son propre enclos.
L’habitation était étrangement construite : aménagée tout autour de l’épais tronc d’un arbre, une petite cabane en bois nichait dans les immense branches, assez grande et solide pour contenir une chambre, un salon cuisine et même une petite terrasse agrémentée de tapis et de poufs colorés. Au pied de l’arbre avait été édifié un grand enclos avec un bel abri, probablement fait pour plusieurs skrirs. Ce-dit abri couvrait une autre partie de l’enclos qui avait été aménagée en forge ; la pièce ouverte donnait sur les champs, des petites lampes rondes semblables à de grosses lucioles illuminaient les murs de bois, tandis que tout le nécessaire pour forger trônait sur de multiples étagères grossièrement taillées.
Cassi retira ses gants, et essuya la sueur qui coulait sur son front, satisfaite. La lame de la hache qu’elle forgeait était d’une finesse époustouflante, et elle n’avait mis qu’une heure à la forger. Il était dit que les Amp, la race dont elle avait pris la forme, étaient dotés d’une grande force, et Cassi venait de l’expérimenter. Anaflor lui avait aussi confié un bracelet épais en métal couleur cuivre, qu’elle devait porter au bras ; ce dernier lui conférait une force décuplée par magie.
Ainsi, si elle le souhaitait, elle était capable de déraciner un jeune arbre à mains nues.
Tandis qu’elle observait son arme, à la recherche d’imperfections, elle entendit un chtomp sonore. Les pattes arrières de Pako frappèrent de nouveau le sol, ses yeux exorbités de méfiance. Au loin, près de la haute barrière, une silhouette haute et mince s’approchait d’un pas souple.


Anaflor se tendit. Son cœur se mit à battre. Que faisaient les sœurs Vinsheysta à Ganeper ? Pourquoi pouvait-elle les voir sur sa propre carte personnelle ? Ces femmes mythiques, les fondatrices du clan des Galawan, elles étaient légendaires. Si elles se rendaient visibles sur le plan de la rébellion, c’est qu’une entrevue était nécessaire.
Et Gabryel était aux abonnés absents.
Anaflor serra les dents. La responsabilité d’une telle rencontre pesait lourd sur ses épaules, mais elle ne pouvait pas attendre. Elle saisit sa cape, rabattit sa capuche, avant de siffler au barman :

“Ne laisse entrer personne.”



Cassi observa s’approcher le visiteur inconnu. Il était grand, plus grand qu’Anaflor et Gabryel. Son corps était fin, musclé, et sa peau aussi blanche et lisse que la neige. Ses cheveux, d’un doux gris, étaient ramenés en arrière dans une longue tresse. Il semblait sans âge : ses traits étaient délicats, son nez long et droit, ses yeux noirs en amande aux longs cils blancs, des pommettes hautes et brillantes d’une légère teinte rosée donnée par le sang, une bouche fine qui s’étira en un sourire quand il salua Cassi.

“Je suis Merista, se présenta-t-il.

L’apercevant maintenant de plus près, elle put suivre du regard les multiples lignes qui maquillaient son visage, son crâne, son cou et ses bras dénudés jusqu’au coude. Les rides qu’elle vit sur les mains osseuses lui indiquèrent qu’il était sûrement plus âgé qu’il n’en avait l’air.

“Cassi, répondit-elle avec un signe de tête.

Merista esquissa de nouveau un sourire. Son regard sombre l’analysait de toute part.
Cassi pencha la tête sur le côté, mal à l’aise.

“Nous connaissons-nous ?

-Non. Mais je pense que vous pourriez avoir besoin de mon aide.

-À moins que vous ne soyez un Sorcier, je ne crois pas, plaisanta Cassi avec un soupir.

Le regard inquisiteur de Merista se fit plus appuyé, alors qu’il plongeait ses prunelles onyx dans celles de la jeune femme.

“Skalar est toujours à l’écoute, déclara-t-il.



“Narteskaan nous guide, Anaflor. Il faut qu’elle forge cette épée.

-Je respecte le Dieu de la Mort, mais… J’ai des réserves.

-Si nous voulons sauver le peuple, c’est la seule solution.

-Mais pourquoi aurait-Il raison ? Je ne fais plus confiance aux divinités depuis longtemps.”

Il y eut un silence écrasant.
Vikt était une grande femme aux cheveux blonds dorés, lisses, la peau d’une teinte mauve pastelle. Son visage était mince et pointu, et son regard perçant trahissait le savoir et la sagesse qu’elle dégageait. Sa stature était droite et élégante, malgré les muscles saillants de ses bras et ses multiples cicatrices qui faisaient montre de son passé mouvementé. À côté d’elle, Essln était son exacte opposée : affalée dans le fauteuil, ses jambes couvertes de cuir largement écartées, elle sirotait un verre d’alcool fort. Ses cheveux cuivrés et sa peau brune rappelaient celle de Cassi ; il se disait qu’Essln et Vikt étaient les enfants d’un Amp et d’une Vos, la race la plus répandue sur le continent, celle d’Anaflor, Gabryel, Neramast et d’autres encore. Il existait trois races sur Iorah : les Amp, sur l’île de Shahr, les Vos, reconnaissables par leur peau colorée aux teintes claires, et les Starl, comme Alield. Les Starl avaient la peau grise, voire entièrement noire, et leurs yeux étaient souvent très pâles, presque blancs. Les Sorciers de Skalar, quant à eux, étaient une race à part : leur peau était diaphane, leurs cheveux d’un blanc neigeux, et leurs yeux pouvaient prendre n’importe quelle teinte.
Il était rare que deux races différentes se reproduisent, ainsi, Vikt et Essln, en plus de leur combat contre la planète, étaient des femmes déjà bien à part de la société.
Essln repoussa sa lourde tresse par-dessus son épaule couturée de cicatrices. Ses yeux jaunes, plus clairs et plus durs que ceux de la forgeronne terrienne, se fixèrent sur Anaflor, alors qu’elle s’accoudait sur ses genoux.

“Je ne crois pas que ton avis compte.”

Sa voix était rocailleuse, grave. Anaflor, qui n’était pas du genre impressionnable, sentit néanmoins ses entrailles se serrer sous le regard brûlant de cette légende vivante. Elle s’apprêtait à répliquer, quand Vikt l’interrompit.

“Son avis compte, affirma-t-elle. Comme celui de tous ceux qui se rebellent contre le système en place.”

Vikt ne détourna pas le regard tant que sa sœur n’approuva pas d’un grognement résigné.

“Je ne crois peut-être pas en nos dieux, reprit-elle, mais ce n’est pas à moi de prendre cette décision, vous devez en parler à Cassi.

-Merista est en route, lança Essln.

Elle avala le reste de sa boisson, tandis que le visage d’Anaflor se fermait. Elle connaissait Merista, il avait été son mentor lorsqu’elle faisait partie des Galawan. C’était le seul Sorcier de Skalar à être descendu de sa montagne pour aider le reste de la population à se battre contre Iorah. Il lui avait appris à voyager entre les mondes, elle pratiquait la magie grâce à lui. Néanmoins, Merista était très âgé, et vivait comme bon lui semblait : il n’était pas rare qu’il disparaisse quelques années de temps à autre. Cependant, le fait qu’il n’ait même pas pris la peine de venir la saluer lui restait légèrement en travers de la gorge.

“Vous auriez dû me prévenir.

-Et risquer que tu l’influences ? Comme tu l’as dit, c’est sa décision. C’est déjà beaucoup que la prêtresse de ton camp lui en ait parlé.

-Alield m’a raconté avoir reçu le message du Dieu de la Mort lui-même, répliqua Anaflor.

-Mais elle est incapable de le déchiffrer. C’est une prêtresse, pas une Sorcière.

-L’élue doit l’apprendre de la bouche d’un Sorcier, nous ne pouvons pas prendre le risque qu’elle refuse de forger l’épée qui nous sauvera tous.

-Et si elle refuse ?

-Alors nous sommes perdus.”
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