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Longue et difficile journée. Comme l’avait annoncé le journal et comme l’avait répété Juliette dans la cage d'escalier, la neige était tombée. Il avait fallu que ça arrive au moment même ou Nick montait la côte de Mapple Street. Il avait glissé une première fois, sans conséquences. La seconde fois, à l’approche d’une boite aux lettres, son pied droit avait ripé sur la pédale de son vélo, ce qui l'avait déséquilibré au point de freiner. Mauvais réflexe par un temps pareil. La roue avant, bloquée par le freinage d’urgence, avait fichu le camp, entraînant son corps impuissant sur le sol blanc. La chute lui avait valu quelques saignements. Ses plaies, l’une au-dessus du coude droit et l’autre sous le genou gauche, avaient tâché ses vêtements d’un rouge dégorgé et sombre.



A peine rentré chez lui, aux alentours de 17 H 00, Nick retira ses habits pour désinfecter les petites brûlures qu’avait provoqué la friction de la peau sur le bitume froid. La piqûre de l’alcool déposée sur la chaire découverte lui remémora un souvenir d’enfance.

Au collège, il essuyait les moqueries de ses camarades jusque dans la cour de récréation. Il s’était toujours montré discret à ce sujet, ne se plaignant ni à ses parents, ni à son oncle Reuben. Pour autant, il n’avait jamais cherché à se débarrasser de ces parasites. La seule méthode qu’il avait essayé, sans aucun succès, était l’ignorance dans sa plus pure substance. Faire semblant de ne rien ressentir, cacher ses émotions au reste du monde pour paraître insensible. Il avait appris à se fermer sur lui-même tout en la fermant. Jusqu’à ce que des mots durs, trop durs pour un adolescent pubère, sortent de la bouche de Steven.

Le bras droit de Terry, et pas des moindres. Ce petit insolent de première, aussi malveillant que con. Le professeur de math dû quitter la salle en urgence pour conduire Jenny à l'infirmerie dont le nez crachait du sang comme un robinet cassé. Forcément, les élèves s'agitaient un peu. Le silence fut vite brisé par les conversations en tout sens. Et la voix de Steven s'éleva au delà du brouahaha.

— Ce soir, devant la grille de l'école, je vais goûter la bouche lisse de Diana Frane, annonça-t-il avec ce sourire digne d'un pervers récidiviste.

Une rage incontrôllable submergea Nick. Son esprit n'eut pas le temps d'assimiler et de relativiser l'information qu'il s'était déjà enflammé à l'idée de mettre en lien cet abruti de Steven Lagen avec les lèvres tant convoitées de Diana Frane. Contrairement à Terry, Steven n'avait rien d'un athlète à qui on enviait la forme des muscles ou la couleur de la peau. Il n'avait rien de l'excellent sportif, celui dont parlent les filles entre elles dans les vestiaires et aux toilettes. Et il n'avait pas non plus l'intelligence des gars comme Jason et Théodore. Mais il inspirait la peur chez les autres et faisait partie de la bande de Terry. C'était suffisant pour le rendre intouchable. Pris de colère plus que de courage, Nick se leva de sa chaise en bois et lui colla son point fragile dans sa salle petite gueule. Ca cloua le bec à tout les autres. Mais c'était sans compter sur la réplique du gaillard au physique proéminent. Les yeux emplis de fureur, il attrapa l'épaule de Nick et le balança comme une brindille d'arbre. Après un règlement de compte d'une minute environ, Nick ressemblait à un boxeur à la retraite. Monsieur Robin revint dans la salle de classe et constata les dégâts avec une main sur la bouche. Nick était par terre, les genoux en sang, la joue bleutée, et les larmes aux yeux. C'était le clou du spectacle devant lequel quelques adolescents attardés et avides de violence riaient en cacophonie. Les autres redoutaient simplement les représailles. Même Diana, au premier rang, ne bougea pas d'un cil.

Le soir, quand il était rentré à la maison, Tiffany avait pleuré à la vue des blessures. Tu veux te battre toi aussi ? Tu veux m'abandonner et aller à la guerre, comme ton père, c'est ça que tu veux ? La nuit suivante avait été insupportable, douloureuse, et blanche. La faute aux plaies qui réagissaient encore à l'alcool et à la croute qui se formait sur la peau irritée.



Seul dans son vingt mètres carrés qui en paraissait deux fois moins, sous le filet d'eau tiède de la douche, Nick ressassait les dernières quarante-huit heures. Il passait outre la sensation de brûlure sur sa peau âbimée. Ses trente-trois ans était de loin la journée d’anniversaire la plus désastreuse qu’il eut vécue à ce jour. Enfin, seulement si l'on passait sous silence la fête de ses treize ans, gâchée par une mauvaise blague de Terry la terreur. L'enfant turbulent n'avait rien trouvé de plus amusant que mettre en boite des excréments de son propre clebs et d'enrubanner cette boite pour en faire un joli cadeau nauséabond rien que pour lui. En plus de sa dignité, Nick avait perdu toute crédibilité auprès des deux seules filles qui avaient accepté l'invitation. La grosse poilade des uns et les "Boeurk" dégoûtés des autres l'avaient obligé à fuir pour finir l'après-midi enfermé dans la seule pièce capable de respecter son intimité : les toilettes. Au moins, cette fois s'en était-il sorti sans pleurer. Pour ce qui était de sa dignité, s'il ne l'avait pas perdue devant son banquier, il l'avait sans doute abandonné dans le bureau de Ryan en se mettant à genou pour réclamer de l'argent. En plus d'admettre que sa mère l'avait tout simplement oublié, il avait dû accepter, non sans surprise, que Juliette se souvienne de lui. Il allait d'ailleurs pouvoir découvrir sa voisine dans un tout autre contexte que celui de la cage d'escalier de l'immeuble. Peut-être serait-ce comme voir sa maîtresse d’école faire les cent mètres à la piscine municipale, dans son maillot de bain une pièce.

Tomber sur Miss Krigle, l'enseignante d'anglais, un samedi après-midi dans un bassin d'un mètre soixante-dix de profondeur lui avait plutôt fait l'effet d'une révolution. Ce jour-là, il était encore adolescent, et l'événement avait révélé son appétit sexuel à sa propre conscience. A l'époque, quand Tiffany acceptait de l'emmener ailleurs qu'au bar tabac avant la fermeture, comme le bon toutou qu'on sort quotidiennement en rentrant du travail, c'était pour aller faire du sport et ...muscler ces biceps de nouveau né. Tu crois que c'est comme ça que tu vas faire craquer la petite gamine des Frane ? La natation, ce n'était pas pour mater les minettes qui barbottaient dans l'eau, c'était pour espérer faire tomber Diana dans ses bras. Et s'il n'avait jamais été bon pour taper du pied dans un ballon ou frapper une balle avec une raquette, il était plutôt doué pour flotter sur l'eau douce aux effluves chlorées.

A la piscine du quartier nord, il avait l'habitude de croiser les mêmes badauds qui n'avaient pas de quoi se payer un ticket pour les grands bassins de compétitions et les tobogans aquatiques. Parmi eux, Jake Lopez, un an de plus que lui. S'il n'avait aucune sympathie pour lui, bien qu'il n'ait jamais tenté de lui offrir une crotte de chien pour son anniversaire, c'était parce qu'il était beau. Ce que les filles aimaient chez lui c'était son tein mat et ses cheveux d'un noir bleuté combiné à ses yeux verts. Un ravage quand il entrait dans une pièce. De quoi réveiller un fond de jalousie latent chez Nick. Blanc bec tout plat. Mais ce samedi-là, Lopez devait probablement aider son père au garage automobile. Parce que s'il était le visage qu'elles rêvaient d'embrasser, il n'avait pas le portefeuille qu'elles espéraient épouser. Être fils d'immigré, ça avait ces désavantages.

Pendant que sa mère troquait ses pièces de monnaie contre des barres de céréales pleines de sucres, Nick s'évertuait à traverser le bassin de bout en bout. Vingt mètres, puis vingt autres mètres, de gauche à droite, encore et encore, jusqu'à sentir la tension dans les faibles muscles qui armaient ses épaules et ses frêles jambes. Quand il s'élança dans son vingt-septième aller-retour, les yeux rouges d'avoir trop rencontré l'eau traitée, une crampe sévère s'empara de sa cuisse gauche. Elle fut si soudaine et si rude qu'il dévia de son couloir et s'encastra littéralement dans le flanc d'une nageuse à contre-sens. Après l'avalanche de légitimes protestations, il s'excusa, le souffle court, tout en se débattant pour éviter de couler (étant donné l'inclinaison du fond du bassin, seul son front aurait probablement dépassé de la surface à cet endroit précis, à condition de regarder vers le ciel). Prise de compassion, la victime de la collision attrappa son bras pour le tirer un peu plus loin, là où il aurait pieds sans sautiller toutes les demi-secondes.

— Fais donc attention à ne pas te claquer un muscle, Nick. Si tu veux rester allité pendant deux semaines alors continue, mais je doute que ce soit très plaisant de rester seul dans sa chambre aussi longtemps.

Alors il l'avait reconnue, la voix tranquille de Miss Krigle. Détâchée du brouhaha et des clapotis. La douleur de la contraction musculaire parut disparaître comme par magie, et il songea que sa professeure avait dû appaiser la crampe du seul son de sa voix. Elle portait ses cheveux blonds en un chignon serré à l'arrière de sa tête, dévoilant ainsi un papillon d'encre dans sa nuque habituellement dissimulée par ses larges boucles. Le froid s'emparra aussitôt de Nick, parsemant sa peau de frissons, à moins que cette chaire de poule ne soit due à la chaleur qui remontait de son entre-jambes comme un incendie en pleine expansion. Le contact de la peau mouillée de Miss Krigle sur la sienne empourpra ses joues à une vitesse incontrôlable. Dans l'incapacité d'éteindre le feu allumé dans son cerveau déconnecté, il resta béa devant elle à n'espérer qu'une seule chose. Mon Dieu, faites que Diana lui ressemble en tout point à l'avenir. Et faites qu'elle soit à moi.



Ah, Diana. Malgré toutes les jolies filles et les belles femmes qu'il avait croisé depuis, elle n’avait jamais quitté ses pensées. Et elle hantait ses jours sans arrêt. Comme si passer trente-trois ans c'était franchir un cap qui ramenait à la surface les regrets. Et puisque sa misérable vie n’était pas suffisamment pesante, il fallait que le passé en rajoute une couche. Diana lui avait échappé tout comme chacune des opportunités qui l'avait frôlé et manqué de peu. Pendant que les emmerdes se vautraient sur lui avec délectation. Triste destin. L’état de la pièce que Nick osait appeler appartement et dans laquelle il vivait pouvait en témoigner. Elle était sinistre. Du sol au plafond en passant par les murs, tout avait l’air de vieilles fringues malmenées dans un lave-linge pendant des heures pour en ressortir délavées. Pire que des vêtements de seconde main.

Mais Diana ! Que pouvait-elle bien devenir ? Elle avait probablement réussi ses études avec brio. Déjà au collège elle avait confié son envie de franchir la sphère sociale dans laquelle ils étaient enfermés. Elle s'imaginait frapper avec le marteau du procureur, annoncer le verdict. Nick ne lui avait jamais avoué qu'il avait peine à la voir aux commandes d’un procès. Sa réserve, sa sensibilité d’antan, ses joues rosies par la gêne et sa légèreté… C'était à travers ses qualités là qu'il l'avait toujours perçue. Des détails qui avaient amadoué le cœur généreux de l'adolescent qu'il était. Mais certainement pas les caractéristiques d'un procureur de justice. Il n'y avait qu'à les regarder prononcer le jugement, celui qui séquestrait des accusés. Ils dégageaient une telle prestance, un si grand charisme, que la blondinette souriante et effacée qu’il avait connue n'aurait jamais pu y trouver sa place.



L'esprit ailleurs, il tendit sa main à la peau flétrie pour attraper la télécommande. Dans son peignoir rugueux, son coxis s'enfonçait dans le fauteuil défoncé. Sa fine peau se creusait davantage avec le froid, jusqu'à créer quelques crevaces rougies sur ses lèvres. Il resserra ses doigts sur le vide, au dessus de la table de nuit. La télécommande n'était pas à sa place, encore. Il se redressa, soupirant à en décoller le papier-peint, puis posa ses yeux sur le téléphone fixe. Une idée éclaire lui traversa subitement l’esprit. Et puisque répondre à une pulsion ne demandait nulle réflexion, d’une propulsion de jambe, il se leva et saisit le combiné sans fil. Il fit un tour sur lui-même. C'est sur ce semblant de meuble, parfois transformé en bureau de fortune, qu'il laissait trainer tout un tas de bazard, entre courrier, factures et flyers publicitaires. Il fouilla dans la paperasse pliée et en sortit un vieux calepin corné. Les pages se froissèrent dans un bruit de feuilles humides. Sur les quatre dernières, il y avait une nuée de numéros de téléphone. L'encre légèrement effacée n'empêchait pas de les lire. Et pour chaque numéro, il y avait un nom. De son doigt sec, il parcourut les lignes inégales. Le nom de Ryan Corner lui sauta au yeux, tout comme l'idée de l'appeler pour excuser son agressivité s'empara momentanément de son esprit. Non, ce serait passer pour un abruti, et cet argent j'en ai besoin. Son doigt reprit sa course jusqu’à ce qu’il glisse sur "Marie Frane". La lecture du nom agit comme un coup de frein brutal. Il n'avait pourtant pas inventé sa terrible envie de passer un coup de fil à la mère de Diana. Mais le poids du trac le rattrapa comme pour lui rappeler le peu de courage dont il était capable. Et pour cause, il n'avait pas adressé la parole aux Frane depuis que quelques poils avaient poussé sur son menton. Qu’allait-il lui dire ? Etait-elle seulement encore en vie ? En admettant que la maladie ne s'était pas invitée dans leur foyer, elle devait approcher les soixante dix ans. Si tant était qu'elle avait eu plus de chance que Roly Johnson dont la vie s'était arrêtée à cinquante deux ans.

Il secoua la tête et reposa le téléphone à sa place. Comment justifier ce regain d'intérêt pour Diana après des années à faire le mort ? Se connaissant, il allait balbutier et on lui raccrocherait au nez.

Pourtant, l'idée d'entendre la voix de Diana, ou de simplement savoir ce qu'elle était devenue, persistait à occuper ses pensées. Et ce numéro de téléphone était son unique et dernier moyen de reprendre contact avec elle, peut-être. Il reprit le combiné dans sa main avec hésitation. Ses phalanges se pliaient sous l'agitation de ses doigts. Il était prêt à taper le numéro. Chaque chiffre enfoncé résonna dans sa tête. Les tonalités d’appels bourdonnèrent une fois, deux fois, puis trois…

De toute façon, il y avait des chances que ce numéro ne soit plus attribué à qui que ce soit maintenant.

— Allô ?

Nick resta muet.

— Qui est-ce à l’appareil ? Allô ?

— Bonjour, c’est Nick Johnson, madame.

— Nick Johnson… ?

— J’étais à l’école avec Diana, quand nous étions enfants.

Comment avait-il pu oublier de considérer qu'il n'avait été qu'un enfant de passage dans la vie de cette famille soudée. Les deux ou trois allers-et-venues du petit Nick dans leur maison n'avaient sans doute pas marqué l'esprit d'une femme âgée.

— Nick... Oh ! Nick ! Le petit maigrelet timide, oui bien sûr ! Dit-elle, enjouée d'avoir une mémoire solide. Que voulez-vous ?

Le cerveau de Nick fit un bond dans le passé, ignorant le changement de ton de Marie Frane devenue méfiante. Le maigrelet était un des surnoms dont ses camarades de classes l’affublaient à l’époque. Le fil de fer, l’asperge, et autres joyeusetés. Il renifla.

— Eh bien, je... je me...

— Comment ? Je vous entends très mal.

Pourquoi appelait-il déjà ? Sûrement pas pour se replonger dans l’ardeur des moqueries d’antan.

— Voilà. Je me demandais si Diana était dans les parages. Il y a bien longtemps que je n’ai pas de nouvelles d’elle, et vous savez… Il m’arrive de ressasser le passé.

— Oh, mais Diana n’habite plus ici, vous devriez le savoir ! Elle est partie en 2003 pour poursuivre son rêve…

Le dédain dans la voix vieillie de Marie Frane lui remémora les accrochages entre mère et fille auxquels il avait pu assister. Tout bien considéré, elles n'avaient pas toujours été sur la même longueur d’onde. Et à l'époque, Nick s'était toujours rangé du côté de l'argumentaire de sa mère. Tu ne peux pas partir comme ça, plaquer tes études de lettres pour une envie passagère ! T'es douée pour l’écriture, et tu ferais une très bonne enseignante. Imagine le nombre de gosses de Toredit à qui tu pourrais donner de l’espoir. Au fond, il avait espéré que Diana ne quitterait pas Toredit pour une mauvaise raison, une raison égoïste. Il ne voulait pas la voir s'éloigner de lui. Peut-être même que sa possessivité n'était pas seule à motiver cette volonté. Il enviait la situation de Diana. Il aurait fait n'importe quoi pour accéder lui aussi à l'université, n'importe quoi. Mais Diana, elle, c'était une tête de mule, et son père la soutenait dans cette voie depuis le début. Il ne lui en avait pas fallu plus. Elle avait fait ses bagages avec la détermination d'un émigré. Rien à perdre, tout à gagner.

— Elle vit toujours à Cleveland ?

— Et pas dans les bas quartiers ! Elle a réussi son parcours vous savez. Son père en est très fier d’ailleurs.

Une pique à son échec cuisant.

— Vous voulez-dire qu’elle est procureur ?

— Avocate ! Depuis cinq ans. Elle s’est faite une place, chère, mais bien méritée.

Il déglutit. La honte de n’avoir pas cru en elle treize ans auparavant venait de descendre dans son œsophage en raccrochant les paroies avec ses griffes. C'était à peine plus fort que la rage. Elle au moins elle a décroché son droit à la reconnaissance.

— Ouah, eh bien je suis très heureux pour elle.

— Elle a saisie une bonne opportunité. Sans cet homme, elle n’aurait peut-être pas percé aussi vite.

Les sourcils de Nick s’arquèrent sévèrement.

— Ah oui ?

— Un enseignant en droit qui l’a poussée sur le devant de la scène. Un brave homme.

Il haussa les épaules et s’assit sur la chaise qui traînait et posa son dos arqué contre le dossier. Un homme.

— Et vous Nick, que faitez-vous de votre vie ?

— Moi ? Rien qui ne vaille le coup d’être raconté, dit-il en se forçant à sourire.

Il ne s’aventurait que rarement dans le tissage de mensonges. Il avait accepté son manque de crédibilité au contage de fausses informations. Tiffany ne s’étant jamais laissée berner par ses moindres racontars, il avait fini par ne plus s’y essayer. Il lui préférait l’omission.

— Ah bon. Bien…, répondit-elle, perplexe.

— Je vais vous laissez profiter de votre soirée madame Frane. Merci de m’avoir répondu, c’est très gentil.

— Vous voulez peut-être que je passe un message à Diana ? Je ne la vois pas tous les quatre matins, m’enfin.

— Non ! Non merci…

Son pouls avait explosé dans une accélération de battements. La peur de devoir affronter Diana, un rêve un peu trop réel.

— Je peux vous donner son numéro si vous voulez.

Il ne refusa pas une deuxième fois. Ca ne l'engageait à rien. Il s'appliqua à noter le numéro de téléphone de Diana. La différence entre son écriture actuelle et l’ancienne sautait aux yeux. Un bel arrondi pour le « d », et le reste tout attaché. Pas de quoi devenir calligraphe, mais Miss Krigle en serait satisfaite.

— Oh, et notez bien Diana Trevis. Elle a eu le droit à son beau mariage.

Le coeur de Nick s’enferma doucement dans une cage sombre, en silence. Dans une cage douloureuse. Son petit monde égocentré avait ignoré cette éventualité. S’il lui restait un petit espoir de revoir la belle Diana, Marie Frane venait de l'anéantir en deux phrases éguisées commes des poignards. Sans s’en apercevoir, sa main droite s’était resserrée sur le combiné au point de grincer.

— Monsieur Johnson ? Vous êtes là ?

Il ne voulut pas s’éterniser. Il la remercia encore une fois et raccrocha en mettant fin à l'étonnement de la vieille femme dans ses derniers mots d’adieu. Il n’avait aucun moyen de s’assurer qu’elle n’allait pas mentionner cette conversation à Diana la prochaine fois qu’elle serait en contact avec elle. Tant pis, le risque était pris. Il contempla encore un peu le nouveau numéro de téléphone ajouté à son carnet, puis il le ferma dans un claquement de papier sec. Le carnet finirait à nouveau sous un tas de bazard oublié et ne réapparaîtrait peut-être jamais.
Note de fin de chapitre:
Nick approche son rêve de plus près et il se brise... Ca vous fait quoi à vous ?
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