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Notes :

Ce texte participe au concours Le Parchemin Hanté de Roxane. Voici les conditions que je devrais remplir tout au long de cette nouvelle :

Sous-genre choisi : Horreur psychologique

Trope(s) choisi(s) dans la catégorie I (Personnages) : Le meilleur ami/sidekick, le méchant petit copain, le love interest

Trope(s) choisi(s) dans la catégorie II (Décors) : Une piscine

Trope(s) choisi(s) dans la catégorie III (thèmes/artefacts) : Un miroir, une peinture/portrait, un rouge à lèvres, un double maléfique

Citation choisie : "i'm the monster" (Stranger Things), “Monsters are real. Ghosts are too. They live inside of us, and sometimes, they win.” (The Shining)

 

J'espère que j'aurais le temps de mettre à profit les idées que j'ai eu pour ce concours parce qu'elles me donnent terriblement envie de les exploiter ! :mrgreen:

Lorsqu’elle entre dans la chambre, un regard vitreux la traverse et Camille sent son coeur se serrer dans sa poitrine. C’est de plus en plus récurrent ces derniers temps pour le pensionnaire de la 103. Il rejoint un monde invisible. Un monde de chimères où le rêve se confond avec la réalité, et où les ombres voilent la vérité. Il n’est pas le seul au sein de l’EHPAD du Mont Joli, une résidence perdue aux abords de la ville de Toulouse. Au contraire.

Et Camille, jeune aide-soignante, est habituée – bien qu’elle n’admette pas ce terme – aux dérives du temps qui passe. Les rares moments de lucidité, de réminiscence, sont comme des lueurs fragiles qu’il faut à tout prix faire perdurer le plus longtemps possible. Comme un feu de cheminée qu’il faut raviver, soufflant avec l’énergie du désespoir sur des braises presque éteintes. Alors, la jeune femme lutte avec la seule arme qu’elle possède : sa bonté inégalable.

— Bonjour, Mr Thibault. Comment allez-vous aujourd’hui ?

Celui-ci semble s’éveiller et pose sur la jeune femme ses yeux ornés d’un bleu fatigué. Ils paraissent s’enfoncer dans les joues creusées et ridées, mais ils brillent en la voyant d’une lumière curieuse et joyeuse. C’est cette énergie que Camille apprécie chez lui, cette manière de redécouvrir le monde à l’apogée de ses quatre-vingt dix printemps.

— Je me suis assoupi un instant, dit-il avec un sourire.
— Je vois, acquiesce Camille en lui rendant son sourire. Et cela vous a fait du bien ?
— Pas tout à fait, fit-il, son sourire s’amincissant. Quelques mauvais songes ont ressurgi, mais j’ai du mal à savoir si ce sont les miens, ou ceux d’un autre. C’est parfois un peu flou, voyez-vous. Si bien que je me demande si tout ce dont je me souviens s’est vraiment passé… J’ai tendance à tout mélanger. La guerre, et tout le reste…

La tristesse, soudainement, ravage ses traits marqués par la vie. Il a brusquement l’air d’un vieil homme qu’un dessinateur vient de croquer au fusain. Comme pour tenter de démontrer les méandres de l’existence.

— Vous souhaitez me raconter ? s’enquiert Camille, tirant une chaise pour venir s’asseoir près de lui.
— Voulez-vous vraiment écouter les inepties d’un vieux fou ? réplique-t-il, quelque peu amusé.
— Je suis toujours ravie de passer un moment avec vous, répond-elle, sincère.

Le sourire de Mr Thibault reprend sa place sur son visage, sur ses lèvres gercées et aussi fines que du papier de cigarette. Toutefois, ses yeux ne brillent plus. Toute joie s’est évaporée tandis qu’il laisse son regard dériver vers les vitres verglacées de sa chambre.

— Ce n’est pas une belle histoire, murmure-t-il plus pour lui-même que pour la jeune femme avant de commencer son récit. Mais soit… Puisque vous insistez.




***



Elle s’appelait Mathilde.

C’est un détail dont je suis absolument certain. Il est possible que j’oublie énormément de choses, que d’autres paraissent ne pas avoir de sens. Il est même probable que je confonde mon propre point de vue avec celui d’un autre. Je vous l’ai dit, j’ai une nette tendance à tout mélanger. Pardonnez-moi si c’est le cas. Nous étions si liés, elle et nous, que je ne sais plus exactement qui était qui, qui a fait quoi, et ce qu’il reste de moi.

Elle s’appelait Mathilde, et nous étions tous les trois fous amoureux d’elle. William, Henri et Léon. William l’était depuis bien plus longtemps, il la connaissait depuis le jardin d’enfant. Ils étaient voisins et leurs parents étaient devenus amis. Henri l’avait remarquée sur les bancs de l’école, lorsque nous avions doucement repris le chemin du collège en 1944, au sortir d’une guerre qui nous avait volé bien plus que notre innocence. Et Léon l’avait rencontrée, une dizaine d’années plus tard, dans un vieux café où elle travaillait durant l’été.

C’est à cette époque que nos vies ont pris un tournant décisif. Ou peut-être que je préfère le croire pour faire taire ma culpabilité. Après tout, elles étaient déjà en partie détruites par ce que nous avions vécu. Nous survivions en faisant taire nos traumatismes. Nous les avions muselés, tant et si bien, qu’ils ont fini par imploser. Et ils nous ont détruits de l’intérieur. Tous. Jusqu’au dernier. Même Mathilde n’a plus jamais été la même après cela. Enfin bon… Toujours est-il qu’avant… William se contentait d’être son ami, Henri était devenu son petit-ami, et Léon n’avait jamais croisé leur route. Je n’irais pas jusqu’à dire que ce qui s’est passé ensuite était de sa faute – nous avions tous les trois notre part de responsabilité – mais son arrivée a chamboulé nos vies. Plus qu’elles ne l’étaient déjà. Je cherche encore à quel moment nous avions réellement sombré, à quel instant nous aurions pu tout arrêter, mais je suppose que c’était écrit. Que nous devions la rencontrer. Tous les trois.

Mathilde. Ma belle Mathilde.



***



Il a la nuque brisé. Il est là. Juste sous ses yeux.
Et le sang coule, coule, coule sur le carrelage de la piscine.
On dirait presque que c’est un accident, qu’il a glissé.
Mais il en est certain. C’est un meurtre.
C’est l’autre. C’est lui. Il en est sûr.

Et le bracelet que lui a offert Mathilde s’est brisé dans sa chute lui aussi.
Et les perles roulent, roulent, roulent sur le carrelage de la piscine.
Malgré lui, il sourit.
Malgré lui, il fuit.

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