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C’est Garance qui nous ouvre, et nous soustrait à une longue attente au coeur d’un jardin luxuriant. Elle jette un coup d’oeil à Romain et Kevin qui ont tous deux sorti leur plus beau jogging de l’armoire. Elsa et moi sommes tirées à quatre épingles, et après avoir beaucoup tergiversé, j’ai fayoté en mettant moi aussi du rouge à lèvres.

— Bienvenue chez moi ! ronronne Garance avec un regard qui s’attarde un peu trop sur les épaules de Romain - à sa décharge, moi aussi je me demande s’il va passer la porte autrement que de profil.

Je m’efforce de garder le volume de mon corps hors du passage, tandis qu’Elsa se tord déjà le cou à mesurer mentalement celui de l’appartement. Dans deux minutes, elle va me donner le métrage loi Carrez - spoiler, on peut y faire entrer notre appart’ plusieurs fois.

C’est à peine si j’ai le temps de lui rendre sa bise très affectée, que déjà, on appelle Garance ailleurs. Dans le salon, ça papote, ça vapote, ça chuchote les derniers ragots entre un spritz pour se rappeler l’été et des coups d’oeil condescendants sur les bronzages d’automne qui s’étiolent. Je desserre ma prise sur la lanière de mon sac à main. Cette fois, ça va bien se passer. Je ne vais pas boire, et dès que je ne le sens pas, je me casse.

Je ne le sens pas. 

Enfin, plutôt, je me sens comme une merde. Ça me happe et me comprime de toutes parts, je me sens suer une proloitude repérable à vingt bornes, je sais que dès que je vais m’approcher de quelqu’un, on va voir illico que je ne suis pas du sérail, que je n’ai pas lu ce qu’il faut lire, que ma pensée n’est pas assez complexe et raffinée pour ce salon où une seule toile accrochée coûte plus cher que mon prêt étudiant. Chez moi, la série de bouquins qui trône sur l’étagère du haut, c’est Nana, pas les intégrales de la Pléiade.

— Meuf, ça va ?

Kevin et Elsa sont déjà partis explorer, mais Romain me couve d’un regard inquiet.

— Réponds-moi, steup, on dirait tu vas gerber.

Je me raccroche à son poignet et secoue la tête.

— C’est… rien. Merci.

Il me frotte l’épaule d’un geste un peu gauche. Ses dreads majestueuses sont attachées sur sa nuque avec un vieux chouchou noir un peu pourri. À l’occasion, je pourrais lui en trouver un neuf.

On se serre les coudes pour fendre cette foule de trentenaires aux dents scintillantes qui parlent d’auteurs de droite, de la gauche libérale, et qui se rachètent une vertu politique en feignant une opinion sur Assa Traoré. Mais qu’est-ce que je fais là ?

Kevin réussit mieux que moi sa quête de repères et fonce vers une valeur sûre.

— Téma la taille du buffet !

Je pourrais moi aussi m’empresser de jouer les pique-assiette, mais le rire claironnant de Céleste me stoppe net. Je me force à marquer une pause avant de me dévisser nonchalament le cou pour la repérer : à l’autre bout du buffet, elle tient la jambe à un petit groupe de types à lunettes et col de chemise bien boutonné, un peu décalés par rapport aux polytechniciens au brushing de surfeurs, mais plutôt on-brand pour à elle. Pour sa part, elle a sorti les souliers vernis, le pantalon à pinces en tweed avec veston assorti, et une chemise à jabot en soie aubergine. Sur Céleste, tout ce tissu a juste l’air de flotter sur un cintre, mais j’y vois une sorte de la grâce. Elle offre à ses interlocuteurs un sourire sincère et éclatant.

Elsa crispe sa main sur mon avant-bras. Elle chuchote :

— Je vois pas son frère. Dis-moi qu’il ne va pas surgir de derrière un meuble.

Son inquiétude est légitime : des meubles de cette taille, chez moi, je leur ferais payer un loyer. S’ils passent la porte.

— T’inquiète, lui et leur pote Achille ont dû la planter. Ça ne serait pas la première fois.

Et même si Auguste bondit de derrière un rideau, peut-être qu’Elsa conclura que le meilleur moyen de ne pas le croiser, c’est de ne pas le stalker. Elle décoche néanmoins un regard inquiet à Céleste, qui s’amuse toujours autant et opère maintenant un subtil décalage stratégique dans notre direction.

— Dites, s’inquiète Romain devant le buffet, on est sûrs que c’est pas la viande qu’est en option, là ?

Nous scrutons l’étendue des victuailles et Kevin énumère :

— Attends, tarte trop cuite, tofu sa mère, houmous gluant, sauce marron cheloue, un bol de noix, makis concombre, cake moche, du pain complet trop sec, bâtons de carottes…  T’as raison gros, ils nous ont pris pour des lapins.

La panique perce dans le regard de Romain, dont les biscotos ne vont pas s’entretenir tout seuls - c’est qu’il en mangerait bien un, lui, de lapin.

— Là, une crevette ! s’exclame Elsa, doigt brandi à la gauche de Kevin.

Celui-ci ne se le fait pas dire deux fois ; altruiste, il bondit, bouscule une grande brune à la queue de cheval anormalement lisse, tend le bras au maximum… et se fait damner la crevette par une fille pas plus âgée que lui, très confiante en son rouge à lèvres rouge pompier et sa colo bleu vif. Il jure dans sa barbe.

— Trop tard ! clame la fille. Tu la veux vraiment ?

— Ça dépend.

Elle suspend sa crevette entre le pouce et l’index, et demande sur le ton de la conversation :

— Ok, et sinon c’est quoi tes pronoms ?

— Mais j’t’emmerde, va crever avec ta crevette là ! éructe Kevin.

Interdite, la fille le dévisage plusieurs secondes, puis fourre l’objet de la discorde dans sa bouche et disparaît dans la foule, non sans avoir traité Kevin de gros connard. Un silence éberlué s’abat sur notre groupe.

Elsa rompt notre sidération pour tenter :

— Euh… Alors, je crois qu’elle était en train de… de te draguer ?

— Hein ?

Kevin est écarlate et mon amie lui tend un verre d’eau.

— Tiens. Je crois qu’elle te draguait, ça commence à se faire dans les milieux profem, de demander les pronoms…

Il vide le verre d’un trait. Il fume presque par les oreilles.

— Oh putain. Merde. C’est tous ces bourgeois, là, je me sens mal ici, aussi. Je pensais ça serait drôle, mais jsuis tendu de ouf. Cinq minutes et déjà je crois ils me regardent tous en coin en pensant « sale pauvre », et l’autre, j’ai cru qu’elle se foutait de ma gueule de trans…

Touchée de me reconnaître, je le serre dans mes bras et il se détend une poignée de secondes. Après quoi, il me repousse pour faire son petit dur. Tandis qu’il défroisse sa veste, Romain fait remarquer :

— Même, gros, c’est chaud. Excuse-toi, si tu la revois.

Kevin hoche la tête, le menton planqué dans son col de chemise. Elsa lui tapote l’épaule du bout de la main :

— C’est normal, ton angoisse de classe. On est coincés avec la moitié des diplômés de grandes écoles de la capitale. Et même les journaleux et les sciencepistes sont pas les plus au fait de ce qui se fait dans les sphères queer.

— C’est à se demander ce qu’ils foutent à une soirée pour le Génie Féminin, je remarque.

— Leur travail, m’assène Elsa, leur travail : réseauter, se faire voir, bouffer des petits fours au yuzu… Je t’ai dit quarante fois de lire les Pinçon-Charlot, tu le saurais : un statut bourgeois, ça s’entretient. Si les autres bourgeois ne te considèrent pas comme un des leurs, tu vas avoir du mal à maintenir ton statut.

Des effluves de vapoteuse parfum barbe à papa remontent dans nos narines. Je bats en vain l’air de ma paume et réponds :

— C’est juste les mécaniques d’un groupe social, ce que tu décris, non ? Genre, moi, qui suis bi, mais pas impliquée dans les milieux LGBT+, j’en fais pas plus partie que ça. C’est impossible d’en faire partie de fait.

Kevin se racle bruyamment la gorge. Sarcasme incoming.

— Ouais, t’as raison, dit-il. Moi aussi, c’est à l’humeur, le matin jme dis ah tiens, j’ai envie d’être trans aujourd’hui ? Hm, non, la flemme, immense flemme, je vais juste parler à zéro gens de la commu queer et je serai cis-straight pour la journée, ça m’fera des vacances wesh.

L’effet de sa tirade est amoindri par une fille qui lui demande de se pousser pour accéder au ketchup de carottes jaunes bio et localement sourcées. Poli, il la laisse faire, mais soutient mon regard.

— Pour moi, je réponds, ça c’est la différence entre l’identité, et, et, genre, l’appartenance au groupe social. On se sent pas moins trans ou moins bi dans un groupe hétéro, mais sans réseauter ni passer du temps dans la commu, on reste un outsider.

— Non mais ça c’est vous les bi, aussi, concède Kevin. Z’êtes les moins chers des queers, vous ragnassez qu’on vous inclut pas chez les queers et qu’on vous invisibilise chez les hétéros. Mais vous avez qu’à en faire une à vous, de communauté, au lieu de casser les couilles. Je vois pourquoi tu câbles à ce point sur les bourgeois, eux aussi tu veux faire partie de leur groupe social en fait.

Je proteste :

— Là, tu tapes sous la ceinture.

— Qu’est-ce qui se trouve sous ta ceinture, dis-moi ? s’enquiert une voix dans mon dos.

Même pas besoin de faire volte-face, j’ai compris que je suis foutue. Les trois autres, ces sales traîtres, s’écartent pour inclure Céleste dans la conversation.

— On parlait d’Olivia, la renseigne Kevin, et de son énooorme kink sur les bourgeois.

— Intéressant, réplique Céleste qui rentre à fond dans son jeu. Est-ce que tu peux m’en dire plus ?

— Grave, renchérit-il sans me lâcher du regard, attends, j’ai dit les bourgeois ? Nan, c’est les intellos en fait. Elle bloque grave sur les intellos, ça la kinke de ouf.

Je tente de le désamorcer.

— Ouais, tout à fait, c’est ça, allez, mange du tofu Kevin, tu vas mâcher deux minutes le temps que ça te passe.

— J’ai parlé des profs ? poursuit-il. Nan, les profs de fac, surtout, si tu donnes des cours à la fac, ça, ça lui met le feu. Dans sa tête, c’est le roleplay de fou, sur le bureau et…

Romain attrape Kevin par derrière, lui fait faire deux tours sur lui-même avec ses grands bras et lui coupe la chique par la même occasion.

— Allez ta gueule, dit-il doucement. Tu vas encore t’en vouloir, après.

— Faut l’excuser, explique Elsa, il a vingt-et-un ans, il a bouffé trop de sucre et c’est bientôt l’heure du dodo.

Céleste éclate de rire, la tête renversée en arrière. Sa voix claque par-dessus le bruit des conversations. Mes trois amis sursautent, et je me souviens qu’eux, ça ne fait pas deux mois qu’ils pratiquent Céleste à une fréquence effrayante.

Kevin décide encore sur quel pied il préfère danser, quand elle lui assène une grande claque complice dans le dos.

— C’est de bonne guerre, non ?

Mon voisin toussotte et récupère l’usage de son larynx, avant de s’enquérir :

— Toi, tu bosses avec Olivia, c’est ça ?

— Tout à fait, mais pas seulement - j’enseigne aussi.

— À des vrais étudiants ?

Céleste hoche la tête et précise :

— Il y en a même qui m’écoutent ! Et toi, dans la vie, que fais-tu, à part mettre la belle Olivia dans l’embarras ?

Elsa me jette un regard scandalisé que je fais mine de n’avoir pas vu. Kevin répond :

— Des films indé, du genre qui feraient claquer tes fesses de bourgeoise, pourquoi, y’a quoi ?

— Du calme, elle fait juste la conversation, je m’entends répondre.

Trois paires d’yeux me dévisagent, ébahies de me voir voler au secours de Céleste. Moi tout pareil. Le coin de ses yeux remonte à peine, l’expression est si fugace que j’aurais pu la manquer si je n’avais pas été assez attentive.

— Ça va le tone policing Olivia, on te dérange pas ? me rétorque Kevin.

Au son de l’anglicisme, cet appeau à sermon célestien, je me raidis. Sans pouvoir m’en empêcher, je lui jette un regard inquiet qu’elle intercepte, avant de me répondre d’un sourire énigmatique, en pressant ses lèvres avec un petit geste de fermeture éclair. J’en soufflerais de soulagement si l’échange n’avait pas été surpris par Kevin, dont le sourire s’étire comme celui d’un chat dont on décapsule la boîte de pâtée. Il décoche un coup de coude à Romain qui rigole déjà sous cape, et tous deux font repartir la conversation sur un sujet qui n’a rien à voir avec la choucroute.

Céleste leur fait la politesse de participer cinq minutes, durant lesquelles chaque personne qui passe se fait un plaisir de la bousculer tout contre moi. Même Elsa commence à me regarder bizarrement, et au point où on en est, je finirai par n’avoir pas d’autre choix que de cracher le morceau dès ce soir.

Pendant l’un de ses rares silences, le regard de Céleste croise le mien, et le maintient longuement. L’espace de cet interminable instant, même le bruit de fond des conversations se tait.

— Bien ! s’exclame soudain Céleste. C’est pas tout, mais je vais me repoudrer le nez.

— Dis tout de suite qu’on n’est pas ta came, la taquine Kevin.

— Au contraire, mon jeune ami, mais même à moi, il m’arrive de devoir bouder mon plaisir.

Elle m’adresse un clin d’oeil délibéré et se fond dans la foule. Mes trois amis me dévisagent plusieurs secondes, puis Elsa demande :

— Est-ce que cette fille est toujours super cheloue, ou c’est moi qui ai raté une marche ?

— Un peu des deux, concède Kevin.

— On s’en fout, coupe Romain, qu’est-ce que tu fais encore là, Olivia ?

— Hein, moi, je, euh, hein ?

Les deux garçons me chassent de la main et je fais mine de reculer à contre-coeur, comme une immense hypocrite. 

Dans ma difficulté à réaliser ce qui vient de transparaître dans ces échanges, je me laisse dériver parmi les invités sans but précis, scrutant la foule à la recherche d’une asperge couleur aubergine qui aurait l’obligeance de dépasser.

Le salon est plein à craquer, la cuisine abrite une poignée de commères, une file de buveurs de bière et de types qui reniflent s’étire devant les toilettes, mais je repère une porte fermée - tant pis si c’est le placard, je m’y engouffre.

Une douceur ouatée étouffe aussitôt mes pas. Je m’adosse au mur. J’ai laissé le brouaha de la soirée derrière moi. Je souffle.

L’obscurité ondule, puis me laisse discerner les contours d’un lit au centre de la pièce, et d’une fenêtre en hauteur. Sur la moquette épaisse, mes pas m’entraînent jusqu’à la coiffeuse, un meuble verni magnifique au miroir piqueté. Je n’ose pas effleurer la brosse à cheveux ni les boîtes de maquillage alignées sur la tablette. J’ai pénétré dans le saint des saints - il faut que je sorte avant que Garance ne me surprenne, et pourtant, je suis fascinée par le fragment d’intimité dans lequel je me suis faufilée. Du bout des doigts, je caresse son tube de rouge à lèvres.

Soudain, la porte s’ouvre et un rai de lumière désacralise la pièce pendant une fraction de seconde. Je sursaute, recule dans l’obscurité et me cogne aux barreaux métalliques du pied de lit - quelle idée d’installer un machin pareil ! Plutôt que de m’excuser d’être là, je lâche une série de jurons en solidarité avec mes futurs bleus.

— Eh bien, tu es si déçue de me voir ?

Céleste. Elle louvoie le long du mur, s’approche de la coiffeuse. Ses longs doigts saisissent le tube doré que j’ai renversé, et le redressent avec un petit « poc ».

— J’avais besoin de respirer, j’explique tandis que sa proximité me fait retenir mon souffle.

Elle ne répond pas et vient s’adosser aux barreaux du lit à côté de moi, elle est assez près pour que sa chaleur m’étreigne. L’épaisseur du silence tait nos doigts qui se trouvent dans la nuit. Mon coeur trébuche quand nos mains se rejoignent. Je fixe la déco en face de moi, un truc indiscernable. Génial, je ne sais pas ce que je fais, et je ne sais pas non plus ce que je vois.

Les ongles de Céleste tracent les lignes de ma main. Toutes mes terminaisons nerveuses ont migré dans le creux de ma paume. Elle s’éclaircit la gorge.

— Sympathique, ce jeune homme que vous avez ramené, dis-moi.

Je me jette à plat ventre sur cette opportunité de diversion :

— Kevin ? Oui, il, il ne passe pas dans tous les contextes, mais il est, il est super, c’est un, un mec en or.

— Ça se voit, acquiesce Céleste.

Tu parles d’une surprise. Elle poursuit :

— Je me souviens surtout de sa très intéressante théorie.

— Laquelle ?

— Celle qui traite de professeurs. Et de tes fantasmes.

Pour ne pas l’avoir vue venir, j’avais dû débrancher mon cerveau quelques secondes, c’est la seule explication. J’essaie de détendre l’atmosphère :

— C’est pour ça le tweed de la tête aux pieds ? Tu t’es sapée pour le rôle ?

— Heureuse coïncidence.

Céleste pivote d’un coup et me coince dos aux barreaux du lit, entre ses bras tendus. Entre sa taille et son assurance, elle domine sans le moindre effort - je reste plaquée contre les barres de métal qui appuient sur mon attache de soutien-gorge. Malgré la pénombre, pour la première fois, je remarque à quel point le trait net de sa mâchoire tranche avec la courbe de ses lèvres. Qui sont tout près. Qui murmurent :

— Je remarque que tu n’as pas nié en bloc.

Je devrais vraiment fermer la bouche. Mais toutes mes forces sont mobilisées pour m’empêcher de déboutonner ce veston qui me nargue. Il n’est pas le seul :

— Alors comme ça, on en pince pour les professeurs ?

— Boucle-la, Céleste.

Je n’aurai aucun prix d’éloquence, mais c’est mieux que de gober l’air comme une carpe. Le sourire de Céleste revient et me fait chavirer - je sais qu’elle sourit avec ses joues, ses yeux, son visage entier et même sa voix qui gronde :

— C’est du joli, mademoiselle. En voilà une étudiante insolente, qui mériterait que je la fesse. Que je la rosse.

Sur ces derniers mots, son visage descend à la hauteur du mien, et son genou trouve sa place entre mes cuisses. Je proteste du mieux que je peux :

— Ça s’appelle, ça s’appelle du, du kink shaming ce que tu fais, et c’est très mal.

— Tss, encore un anglicisme. Au contraire, y’a aucun mal à se faire du bien.

D’un côté, elle lâche les barreaux et son regard accompagne les caresses de ses doigts sur le dos de ma main. Mon bras entier s’électrise. Mes doigts se tendent, s’entrelacent avec les siens et les étreignent. 

Quand nos paumes se joignent, nos regards se rencontrent. Le sien a soif, si intense qu’il me brûle presque, et moi je crève d’envie qu’elle me consume, qu’elle me dévore, tout de suite, et pourquoi, pourquoi ne s’est-elle pas déjà emparée de mes lèvres, emparée de mon corps, pourquoi la cruauté de cette insoutenable attente ?

Je réalise : c’est moi, qu’elle attend.

D’un coup, le plafonnier douche la pièce d’une vive lumière.

Près de la porte, Garance a encore le doigt sur l’interrupteur. Elle nous dévisage, interdite. Son menton délicat pointe Céleste et elle articule lentement :

— T’es sérieuse ?

Celle-ci relâche d’un coup ses muscles bandés autour de moi, et tourne une épaule nonchalante vers la nouvelle venue.

— Très.

Mon coeur rate une petite marche.

— Olivia, continue-t-elle sans lâcher Garance des yeux, tu manques sans doute à tes amis. Je nous excuse et je te rejoins.

Un petit coup de tête renforce cet ordre qui ne dit pas son nom. Je m’en fiche, je prends la poudre d’escampette et referme la porte derrière moi, ravie de cette occasion de me soustraire à une situation gênante. C’en fait trop d’un coup : Garance qui surprend pour la deuxième fois quelque chose qui n’était jamais censé se produire, mon coeur et mon estomac chamboulés par le magnétisme inattendu de Céleste, et ce « nous », comment ça elle « nous » excuse, d’où est-ce qu’elle le sort ?

Je ne suis pas tout à fait idiote, je sais qu’il faut choisir entre ne jamais s’associer publiquement à Céleste et lui permettre de me manger toute crue. J’aurais l’honneur et l’intégrité d’un député macroniste si j’essayais d’avoir le beurre, l’argent du beurre et le cul de la thésarde. Voilà pourquoi je m’étais résolue, jusqu’à présent, à ne pas peloter ni même convoiter ledit cul.

Mais voilà : même plus besoin de prendre des résolutions au Nouvel An pour les foirer dans les grandes largeurs.

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