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Notes :

Warning : consommation d'alcool.

Attablée seule sur une des tables hautes de la terrasse du Seven, épuisée de ma journée au journal à courir partout pour assouvir les besoins en café ou en photocopies de mes collègues qui pensent encore qu’une stagiaire n’est bonne qu’à ça, je pousse un long soupir las et étends mes jambes sous la table. 


— Tu veux quoi sweetie ? me demande Maggie avec son accent londonien et son éclatant sourire, tout en s'essuyant les mains sur son tablier noir de serveuse. 


— Comme d’habitude, soupiré-je à mon amie et colocataire.


— Ça marche ! J’arrive ! me répond-t-elle toujours aussi enjouée en faisant voler ses longs cheveux blonds derrière elle dans sa démarche chaloupée pour se rendre jusqu’au bar. 


Je sors mon téléphone de mon sac pour vérifier que Lucas ne m’ait pas envoyé de message, mais ce n’est pas le cas. Tout comme les jours précédents. Depuis que je l’ai quitté, il n’a pas cherché à reprendre contact, et c’est très bien ainsi !


— Et voilà, me lance Maggie en déposant devant moi une pinte de bière fraîche. 


Le verre est encore plein de condensation, le liquide légèrement ambré bouge et laisse remonter de fines bulles à sa surface en la colorant d’une teinte plus claire. 


— Thanks ! réponds-je dans un bâillement. Je ne sais pas comment tu fais pour enchaîner les boulots le jour et la nuit Maggie… 


— Oh, l'habitude… me sourit la blonde en haussant les épaules. Tu m’appelles si tu veux autre chose ? 


Mon amie fait quelques pas, puis se retourne brusquement vers moi. 


— Tu peux me prendre un bo bun végé ? Je le mangerai en rentrant cette nuit ! 

 

J'acquiesce de la tête et reporte mon attention sur mon verre à présent lisse au pied duquel une petite flaque d’eau s’est formée. 

Je pose ma main gauche dessus. Un vieux réflexe des jeux d’alcool auxquels je jouais lorsque j’étais plus jeune. Et, immédiatement je suis renvoyée dans mes souvenirs de cette première soirée. 


*** 


J’ai presque 18 ans, mon anniversaire approche. Je me souviens du froid et des restes de neige sur les trottoirs qui avaient empêché le bus de passer durant plusieurs jours. La neige avait surpris tout le monde, mais à 17 ans, c’était une belle surprise de pouvoir profiter des journées à se balader dans la neige chaussée en Converses, et de se retrouver en fin d’après-midi avec les copains pour regarder des films au chaud en attendant que nos baskets sèchent. 


— Mes parents sont absents tout le week-end, ça vous dit de faire une fête à la maison ce soir ? avait proposé Lucas, un autre. 


Nous avions tous accepté la proposition avec enthousiasme et commencé dès l’après-midi à nous organiser pour aller faire les courses.


— Des chamallows ! 


— Des chips ! 


— Des bières et de la vodka !


Nous avions tous énoncé nos envies avant de laisser les précieux détenteurs du permis se charger de se rendre au supermarché du coin.


Je n’avais jamais bu. Ou pas plus qu’une coupe de champagne à Noël, mais ce soir-là je savais que j’allais boire. Et j’en avais envie.

J’avais envie de savoir ce que ressentaient mes amis que je voyais sourire, et danser comme si rien ne pouvait les atteindre durant quelques heures. 




Alors, lorsque la bouteille de vodka se trouve face à moi, j’attrape un gobelet et y verse un fond de liquide transparent et sirupeux puis remplis à ras bord avec le premier jus qui me passe sous la main. 

Personne ne me regarde. Alors, je porte le gobelet à mes lèvres et les trempe timidement dedans “pour goûter”.

C’est sucré, un peu amer.

Je n’arrive pas trop à reconnaître ce goût qui se mélange au multifruit de mauvaise qualité. Mais j’aime ça, je crois. Alors j’en prends une vraie gorgée que je laisse glisser dans ma gorge. 

Rien. 

Il ne se passe rien. 

Je ne me sens pas différente.

Je regarde autour de moi, pour observer les autres, pour voir comment, eux, font.

Est-ce qu’ils boivent leur verre d’une traite ? Pour les avoir déjà observés, je sais qu’il ne faut pas faire ça, sous peine de finir très vite la tête dans la cuvette. Et ce soir, je n’en ai pas envie. 


Les autres discutent, leur verre à la main, et prennent de petites gorgées lorsqu’ils écoutent puis s’arrêtent lorsque c’est à leur tour de prendre la parole, tout en fumant sur leur cigarette.

Je fais quelques pas pour me mêler au groupe, en souriant pour me mettre à l’aise. Pourtant ce sont mes amis, que je connais pour la plupart depuis plusieurs années maintenant. 

Ma robe est trop serrée, et mon collant me coupe déjà en deux.


Les yeux de Tom louchent sur mon gobelet bleu et me questionnent sur son contenu. J'acquiesce et lui souris, en prenant une nouvelle gorgée. Il me sourit aussi, pour m’encourager, comme s’il était fier de moi.

C’est étrange. Cette sensation de faire partie d’un autre monde, tout ça parce que ce soir j’ai décidé que j’allais prendre un verre d’alcool. 


Après plusieurs gorgées, debout en discutant avec mes amis, je décide de suivre Lola vers la table où se trouvent les chips, pizza et bonbons. 


— Ça va Alice ? me demande-t-elle en m’observant sous les lumières des néons colorés du salon de Lucas installés pour l’occasion. 


— Oui, super ! dis-je avec entrain. 


— T’as les yeux un peu brillants ou c’est moi ? 


Je me mets à rire, sans trop savoir pourquoi. 


— Il y a quoi dans ton verre ? lance-t-elle en me le retirant des mains et en y buvant une longue gorgée avant que je ne puisse dire quelque chose. Aliiiiiice !! T’as décidé de boire !! C’est génial !! me félicite-t-elle tout en me serrant dans ses bras. 


— Juste un verre, pour goûter, me justifié-je. 


— Ah non non ! Avec un verre, on n’a rien ! Allez hop je te termine celui là et on prend le deuxième toute les deux ! Oh Alice ! Tu vas voir, la soirée va être géniale !!


Je vois mon amie servir deux verres, bien plus chargés que celui que je m’étais fait toute seule. Elle me le tend, puis attrape mon autre main et m’entraîne au niveau de la sono où elle monte le son d’un coup en hurlant pour entraîner tout le monde sur la piste de danse improvisée entre les canapés du salon. 

 

Lola m’invite à boire en trinquant avec moi, je n’ai pas le choix que d’accepter de suivre le mouvement, d’autant plus que la musique est à présent si forte qu’elle nous empêche tous de parler et nous oblige à danser. 

Cette nouvelle gorgée me fait grimacer, elle est vraiment plus forte que mon verre précédent. Mais je la bois, puis pose mon verre sur la table basse et me fais directement entraîner par Lola qui me fait danser en me faisant tournoyer. 

Je ris aux éclats et me laisse faire. 

Après tout, je suis là pour ça. 


Rapidement, je suis en nage et attrape par réflexe mon verre pour prendre une gorgée rafraîchissante sans me rendre compte que je fais tout sauf me désaltérer. Je le repose et retourne danser avec Lola, tout le monde nous a rejoint maintenant, et c’est tous ensemble que nous sautons en l’air, bougeons les bras et hurlons à tue-tête. Certains verres se renversent sur le carrelage et rendent le sol collant, d’autres sont servis sans plus aucune règle concernant leur dosage. Mais tout le monde rit et s’amuse, alors pourquoi arrêter ?  


Je me sers mon troisième verre, et me rends compte à ce moment-là qu’Alex est arrivé à la soirée. Je ne l’ai pas vu entrer, sûrement trop prise par l’ambiance. 

Dès que je croise son regard, mon cœur s’arrête, alors qu’il battait à toute vitesse jusque là. Je pose mon verre, mes deux mains sur le rebords de la table et me force à prendre une longue inspiration. 

Mais je n’y arrive pas, une partie de mon cerveau ne pense qu’à bouger dans tous les sens, tandis que l’autre espère qu’Alex viendra me parler. Le brun s’approche, salue son entourage de la main et retire son manteau qu’il pose sur un fauteuil. 

Même à quelques mètres de lui, j’arrive à sentir son parfum, dont il a certainement un peu abusé ce soir d’ailleurs, pour que je le sente de si loin. 

Puis, il se poste juste à côté de moi, attrape un gobelet, un marqueur et écrit son prénom dessus avant de prendre la bouteille en verre qu’il dévisse. 

Il ne me parle pas, ne me regarde pas. 


Sans mon autorisation, ma propre main se saisit du marqueur puis de son verre. Alex me regarde avec des yeux ronds, ne comprenant pas ce que je m’apprête à faire.

Moi non plus, d’ailleurs. J’agis selon un instinct que je ne maîtrise pas. 

Ma main droite est un peu tremblante mais j’arrive à dessiner un petit cœur au-dessus de son prénom avant de reboucher le marqueur et de poser le verre avec un sourire fier. 

Je tourne brusquement des talons en emportant mon verre plein avec moi, pour rejoindre la piste de danse. 

Arrivée à la hauteur de Lola, je réalise ce que je viens de faire. 

Je viens de faire un signe à Alex, le garçon que je connais à peine, mais sur lequel j’ai des vues depuis des mois. 

Prise de panique, je voudrais partir d’ici et aller me cacher, mais au lieu de ça, je prends une autre gorgée, et grimace de nouveau avant de poser mon verre parmi tous les autres sur la table basse.

Je me concentre sur Lola, sur les autres, sur les musiques qui défilent et sur l’ambiance qui devient de plus en plus électrique. Les cris sont plus forts, la musique aussi. Les corps se déhanchent davantage, je ne quitte pas des yeux la foule, de peur de croiser le regard gris d’Alex qui n’a pas rejoint la piste de danse. Et c’est tant mieux. 

À mesure que les minutes passent, j’arrive à oublier ce que j’ai fait. En même temps, ce n’était rien de grave, ni de préjudiciable alors pourquoi me torturer avec ça. 


La musique change, celle-ci est plus langoureuse, alors, je ferme les yeux et me laisse bercer. Lola me regarde, son maquillage a coulé avec la chaleur et ses cheveux ne sont plus aussi lisses qu’au début de la soirée. Elle s'approche tout sourire pour me proposer de danser avec elle, j’accepte et tends la main vers elle. Mais brusquement, elle fait un pas en arrière et m’envoie un clin d’œil que je ne saisis pas. 

Un gobelet apparaît sous mes yeux, mon prénom est écrit mais malgré ma vision floue je remarque qu’un petit cœur mal dessiné à remplacé le point du i. Mon regard suit la main qui le tient, puis le poignet et l’avant bras. Le parfum me prend au nez, et je comprends que c’est lui. 


J’attrape mon verre, les joues rouges, y plonge mes lèvres et Alex en profite pour se poster devant moi. Ma gorgée prise, je repose mon verre et c’est à ce moment précis que je sens une vague de chaleur envahir mes côtes sous la pression légère et presque timide de la main du brun qui s’est déposée au-dessus de ma hanche. 

J’aimerais être tétanisée, mais je ne le suis pas. 


Il fait rouler ses doigts pour m’indiquer qu’il aimerait que je me tourne pour lui faire face. Je réagis et pose à mon tour ma main sur son avant-bras. Sa peau est bouillante, tout autant que la mienne. 

Dans un très doux mouvement nous nous retrouvons tous les deux presque collés l’un contre l’autre. Mon visage est enfoui dans son cou et je le laisse gérer notre danse qu’il anime. 

Aucun de nous n’ose dire quoi que ce soit, la musique nous empêcherait de nous entendre de toute façon. 

Alex attrape ma main et la lève pour m’inviter à tourner avant de délicatement me replaquer contre lui. 

Je sens les battements rapides de son cœur contre moi, et je suis certaine qu’il ressent les miens. 


Juste avant que la musique ne s'arrête, sa poigne se renforce autour de mon poignet et son regard passe de mes yeux brillants à la porte d’entrée. 

Je le suis. Il attrape son manteau à la volée. Et nous nous retrouvons sur le perron de la porte, seuls.


Les basses résonnent derrière la lourde porte en bois, mais je suis troublée par ce silence soudain, mes oreilles sifflent un peu et mon corps est trempé. Je vois de la fumée se dissiper de mes avant-bras nus. 

J’ai un peu la tête qui tourne, alors je décide de m’asseoir sur la première marche. 


— Mets-ça, me chuchote Alex en déposant son manteau sur mes épaules. 


— Merci, dis-je en ramenant le col autour de mon cou.


Son bras vient m’entourer et il me frotte le dos pour m’éviter d’avoir froid. Juste à côté de nous, il y a toujours de la neige sur le sol. 

Nous restons silencieux. 

Mes oreilles sifflent un peu, et je sens que je dois respirer plus fort pour ne pas perdre mon souffle. Finalement, je meurs de chaud avec son manteau mais, je n’ose pas le retirer pour ne pas perdre son odeur. 

Alex m’attrape la main et je sens son regard posé sur mon visage alors que je fixe mes pieds sans oser bouger, de peur qu’il se décide à partir, ou de peur qu’il se décide à rester. 

Je ne sais pas ce que je veux, mon cœur s’emballe, mes idées sont floues à cause de l’alcool. 

Je sais qu’il a bu aussi, sûrement moins que moi. 

Je ne sais pas comment ça doit se passer. 


Comment doit se passer un premier baiser. 


Je sens son souffle se rapprocher de moi, il est chaud et vient me caresser la mâchoire, ses doigts ont cessé de jouer avec les miens, et maintenant son pouce est en train de tracer des cercles sur le dos de ma main. Je regarde toujours droit devant moi. J’ai besoin de temps. 


Il chuchote mon prénom et son index vient se poser sur mon menton pour me faire tourner la tête vers lui. Je ne résiste pas. 

Il est là, face à moi, très proche. Si proche, que je dois presque loucher pour le regarder dans les yeux, alors je dévie mon regard vers ses lèvres qu’il humecte sans s’en rendre compte.  

Je fais de même, sans m’en rendre compte aussi. 

Son pouce n'arrête pas son geste sur ma main, j’apprécie.

Son index court maintenant le long de ma mâchoire puis c’est sa main entière dont la paume est brûlante qui finit par encadrer mon visage. 

Il m’invite simplement, je sais que je peux partir à tout moment et le laisser en plan. Mais je ne le ferais pas, je n’en ai pas envie. Et je décide que j’ai envie d’embrasser ce garçon. 

Maintenant. 


Je prends une courte respiration et réduis la distance entre nos lèvres. Mes yeux sont replongés dans les siens, j’ai envie de les fermer mais je n’ose pas. 

Puis, finalement, nous sommes trop proches pour continuer à nous regarder. La dernière chose que je vois est son léger sourire qu’il m'envoie avant de déposer ses lèvres sur les miennes.


***


— Alice, tu te sens bien ? me demande Maggie inquiète. Tu n’as pas touché ton verre depuis cinq minutes. 


Je regarde alors le liquide ambré, pose ma main sur le verre et le porte à mes lèvres. Je retrouve ce goût amer, et sourit à mon amie. 

 

— Oui, tout va bien Maggie. Parce que je l’ai décidé.

Note de fin de chapitre:

En espérant lire vos retours, et vos ressentis sur ce texte ! 

à bientôt,
Guette :)

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