C’était ça la liberté, Joe. Fallait y croire pour le voir, Joe, je te jure. Ces plaines étendues et ces routes vides, et ces paysages de la Death Valley qui m’engloutissaient à peine y mettais-je un pied, et le silence, Joe, ce putain de silence absolu.
L E C A L M E.
Pour une fois, sans ces braillements stupides, et ces gémissements pénibles qui m’arrachent le cœur et les reins, chaque jour que Dieu fait. Le calme, sans la tempête après, je savais même pas que ça existait, tu savais, toi, Joe ?
J’imagine qu’on ne peut pas vraiment savoir tant qu’on n’a pas traversé l’Arizona.
Tu devrais essayer, un jour.
Pourtant, dans la voiture, j’avais mis les Clash à fond la radio. C’était pas spécialement le calme, tu me diras et je sais que c’est ironique, Joe, après mes grands mots de tout à l’heure mais que veux-tu, l’humain est plein d’ambiguïtés et je ne suis pas une exception. Enfin trêve de conneries, on s’en fout de tout ça.
Ce qui compte, c’est l’expérience, Joe. Sur la route, j’avais quand même l’impression d’être la personne la plus puissante et la plus importante au monde, et c’est tout ce qui comptait. Parce que c’est précisément ça qui est extatique, jubilatoire, jouissif, fantastique, ébaubissant, cette putain de sensation de contrôle sur le monde.
Quand tu roules seul, sur la route 66, et que tu joues les Clash ou les Stones à fond la caisse, rien ne peut t’ébranler.
Le monde est à toi et, comme dirait je sais plus qui, rien n’y peut rien.
Voilà, Joe, je regrette pas. J’ai pris mes clics et mes clac et je me suis tiré et je te le souhaite comme je le souhaite à tout le monde, sauf à Trisha, et à Mary-Helen. J’ai pris un congé de quelques semaines, c’était d’abord pour souffler, pour ressentir enfin. Et puis me confronter au vide. J’avais cru que ce serait terrifiant, à un moment, parce que la solitude ça effraie, tu te souviens Joe ? On en parlait beaucoup, dans nos chambres universitaires de St José, mais qu’est-ce qu’on était à côté de nos pompes. Y’A RIEN DE MIEUX QUE LA SOLITUDE. Je te promets, Joe.
Et c’est pour ça que j’ai tenté. Au départ, parce que je voulais me prouver que j’étais pas une poule mouillée, que j’étais capable de le faire si je le voulais, de traverser l’Amérique à bord de ma chevrolet, sans aucun but, sans personne, et d’en ressortir victorieux. Pour la victoire, j’étais pas trop sûr, mais je voulais au moins pouvoir me dire : je l’ai fait. Je peux battre la solitude, si je le veux.
Et c’est là que j’ai réalisé que c’était pas elle, mon ennemie, au contraire. Elle est ma sauveuse, ma liberté, ma délivrance, ma maîtresse et ma sainteté. Maintenant j’ai envie de vivre sur la route, Joe, ce serait pas dingue ça ? Tout le temps, toute ma vie, sans rien ni personne qui vienne m’emmerder.
Tu viendrais avec moi si tu veux, si t’en trouves le courage ou je sais pas. Si toi aussi t’en as marre d’entendre les autres tous les jours, radoter, divaguer, etc., etc., si t’as juste besoin de silence, et de cette putain de route. T’es le bienvenu. Anytime, anywhere (mais plutôt sur la 66, parce qu’elle est inimitable celle-ci).
Joe, tu m’entends ?
Joe ?
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Notes :
J'ai écrit ce texte pendant la Nuit HPF du 20 janvier. Ceci est le thème de 1h : L'image de la voiture et le paysage déserté (en illustration de cette histoire)
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