« Mesdames et messieurs, applaudissez bien fort Miss Keto ! On lui souhaite bien sûr beaucoup de chance ! »
Biztos avait trouvé que les claquements des milliers d’applaudissements retentissaient trop puissamment dans sa cervelle. Cela faisait déjà trois cent soixante lunes qu’il était présentateur de cette émission, et il commençait à ne plus vraiment apprécier ce travail.
Surtout parce que cela faisait aussi trois cent soixante lunes qu’il trouvait que presque aucune des candidates ne méritait de remporter le titre.
Il avait estimé que les trois premières candidates avaient un problème de peau. Celle de Miss Egy était bien trop sèche. Qui pouvait bien penser avoir une chance dans ce concours sans avoir la peau suffisamment luisante ? Il aurait pourtant suffi qu’elle s’enduise de crème juste avant de monter sur le plateau…
La couleur de l’épiderme de Miss Harom tirait beaucoup trop sur le violet, alors que tout le monde savait que les juges préféraient une peau uniformément et profondément verte.
Enfin, celle de Miss Keto était au contraire trop luisante. Elle avait dû abuser de la crème hydrophore, on avait l’impression que toutes les lumières du plateau se reflétaient à la surface de son corps, la faisant ressembler à une boule à facettes.
*
Biztos se reposait actuellement dans sa loge, une tasse d’herbateak à la main. La dernière partie du concours, l’annonce des résultats, n’aurait lieu qu’après les délibérations des juges. En attendant, il pouvait continuer sa petite comptabilité.
Il but une gorgée de la boisson, la vapeur lui chatouillant l’odorat. Il lui plaisait de penser que cette amertume au sens propre concordait avec la sienne au sens figuré.
Après avoir encouragé ces premières candidates sans laisser paraître sa déception – c’était son métier, après tout –, il s’était éclairci l’appareil phonatoire avant de lancer à la candidate suivante, qui hésitait à le rejoindre :
« Approchez approchez, ne soyez pas timide ! Souhaitons la bienvenue à Miiiiiiiss Nyolc ! C’est à vous, nous sommes tout ouïe ! »
Miss Nyolc avait de grands yeux qui semblaient tous étonnés. Elle s’était approchée timidement dans la lumière.
« Bon… bonjour. Je m’appelle Félénk, je représente le Nyolc ce soir. J’ai 602 lunes, je travaille dans un centre de tri des déchets… »
Sous les lumières du plateau, Biztos avait dû faire un effort supplémentaire pour garder le sourire pendant que Miss Nyolc expliquait les raisons de sa candidature. Oublié, décidément, son enthousiasme de début de carrière. Cette année encore, elles étaient décidément bien ennuyeuses. Ce numéro de jonglerie par exemple, celui de Miss Keto, avait été assommant, Biztos était certain d’avoir vu la moitié des yeux d’un juge se fermer, et ce n’était pas parce qu’il faisait des clins d’yeux, à ce stade si peu avancé de la soirée. Est-ce que les juges n’avaient pas déjà assisté à de la jonglerie de tentacules chaque année, parfois plusieurs fois par édition depuis la création du concours ? Rien n’était au contraire plus classique que les numéros avec les tentacules, la preuve avec la cinquième candidate, Miss Ot, qu’il avait accueillie après Miss Nyolc.
Elle avait aussi présenté une petite danse d’appendices. Son maquillage était en revanche affreusement raté, et Biztos avait été totalement hypnotisé – ce qui n’était pas un compliment – par ses yeux, qui paraissaient ridiculement petits et peu nombreux sur sa peau, alors que, correctement mis en valeur, ils auraient dû éblouir l’assistance.
Après avoir remercié Miss Ot, Biztos avait invité Miss Kilenc à le rejoindre. Elle était monté sur scène dans un mouvement de flottaison bien peu gracieux. Le présentateur avait dû retenir un rire. Décidément…
Miss Kilenc, après avoir donné les informations de rigueur (prénom : Gyenged, âge : 620 lunes, profession : assistante en soins tentaculaires) avait malmené l’appareil auditif de Biztos en présentant un numéro de chant. Il s’était demandé si les juges aussi grimaçaient intérieurement en entendant cela. Leurs visages n’exprimaient rien.
Devenir juge, ce serait une belle évolution de carrière. Il resterait toujours autant sous les feux des projecteurs, mais sans être obligé de donner le change sans cesse. Il pourrait au contraire rester impassible ou même exprimer sa désapprobation.
Il était certain d’avoir vu un juge chanceler devant le numéro de Miss Hét, la septième candidate : il s’agissait encore d’un banal spectacle de dressage d’écailles, qui, s’il avait effectivement été impressionnant, avait laissé voir des épines entre les tentacules. Aucune candidate ne gardait habituellement ses épines, et Biztos avait été stupéfait qu’on ait laissé Miss Hét concourir ainsi.
Les candidates suivantes, Miss Négy et Miss Hat, n’avaient rien eu d’exceptionnel. Un tentacule antérieur visiblement trop court pour l’une, des écailles bien ternes pour l’autre.
Un dernier défilé avait conclu la présentation de toutes les candidates. Miss Kilenc avait failli tomber, Biztos avait dû se montrer prévenant en l’aidant à reprendre ses esprits pour finir son tour. Très professionnel, il l’avait escorté jusqu’au fond de la scène.
*
La lumière rouge qui surmontait la porte de sa loge s’alluma. Biztos termina sa boisson, se réajusta et renifla sous un de ses tentacules : il était présentable. En essayant de ne pas penser à la pyramide de szilvas qui l’attendait toujours après l’annonce de la grande gagnante et qu’il engloutissait avec le plus grand des plaisirs, il récupéra l’enveloppe contenant le nom de l’heureuse élue des mains de son assistant et prit place au centre du plateau en attendant que les lumières se rallument.
Lors des ultimes secondes précédant la fin de sa prestation, il croisa les tentacules pour que ce soit la dernière candidate, Miss Tiz, qui remporte cette édition du concours. Malgré la longueur ridicule de son pédoncule frontal, le numéro de biolumiscence qu’elle avait présenté avait hérissé de plaisir les écailles de – presque – toute l’assistance. L’entièreté de son corps avait été parcouru d’éclats lumineux, et une odeur sublime d’halszagú s’était dégagée de ses tentacules. Biztos et les juges de sexe him avaient inspiré à fond pour en profiter. Le présentateur savait que la bioluminescence associée au parfum d’halszagú n’inciteraient pas les juges de sexe nonemu à encourager la victoire de Miss Tiz, mais il ne pouvait s’empêcher d’espérer qu’elles se montrent sensibles à son exceptionnelle performance.
Les spots qui s’allumèrent d’un coup ne parvinrent pas à faire ciller les neuf yeux de Biztos : il était prêt à annoncer l’identité de la gagnante de cette soixante-douzième édition de Miss Univers.