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Les policiers la regardaient avec des têtes stupéfaites. Augustine étira ses lèvres en un petit sourire et leur fit un signe de main pour les saluer. Ce qu’elle n’avait pas remarqué depuis sa branche, c’était qu’ils étaient grands. Ils étaient vraiment grands, même pour des adultes. Elle avait treize ans et elle était petite. Pourquoi devaient-ils en plus prendre leur air intimidant ? Elle voyait bien que de toute manière, il n’y avait aucune chance pour qu’ils ne fassent pas ce qu’ils voulaient avec elle. Elle essaya de se rendre le plus innocent possible. Evidemment qu’elle était suspecte, elle en avait bien conscience.

Le policier le plus âgé se racla la gorge. Ce n’était pas le chef qui était certainement encore en train de parler avec Monsieur Germain. Tant pis ou peut-être tant mieux, elle n’en savait rien en réalité. Pourquoi n’avait-elle jamais son ardoise dans les moments les plus embarrassants ?
– Qui es-tu ? demanda le policier qu’elle avait en face d’elle.
Augustine recula un peu pour voir les deux autres aussi et s’adossa même contre son arbre. Elle leur offrit un sourire un peu gêné dont elle avait compris qu’il rassurait les gens et mima le fait d’écrire. Le plus jeune des policiers fronça les sourcils, ça tombait bien les siens étaient sombres et épais, ça lui donnait du style. Le plus âgé se frotta la barbe, ce qui l’était beaucoup moins. Augustine réitéra son geste. Le policier contre la voiture parut comprendre.
– C’est toi, Augustine Pinson ? La fille muette qui a disparu ce matin ?
L’adolescente acquiesça en s’efforçant de ne pas lever les yeux au ciel face à cette description. Elle était bien plus que cela, même si en l’occurrence c’était ce que les autres enfants et les encadrants de la colonie devaient savoir. Cela montrait bien à quel point ils s’étaient intéressés à elle avant de la classer comme cible de leurs moqueries. Enfin, c’était eux qui ne savaient pas ce qu’ils rataient. Elle les avait bien observés et aucun d’eux n’était complètement innocent – à part Louise et Jean-Pierre et la majeure partie des petits qui se chamaillaient juste entre eux.

Bref, ces policiers n’étaient certainement pas des lanternes mais il fallait bien qu’elle leur donne un coup de main si elle voulait qu’au moins un meurtrier soit puni. Elle refit le geste d’écrire et tendit le doigt vers le bloc-notes du plus jeune policier.
– Tu veux mon bloc-notes ? s’étonna celui-ci.
– Il faut bien qu’on l’interroge aussi, fit le plus âgé en haussant les épaules. Gustaf nous a dit d’interroger tous les gamins. Et si elle ne peut vraiment pas parler, qu’elle écrive puisqu’elle ne semble pas y être opposée.
– Tu crois qu’elle simule pour ne pas se trahir ? Dans ce cas, on ne peut pas lui laisser un bloc-notes officiel avec tous nos indices…

Augustine leva les yeux au ciel puis partit d’un pas décidé vers le dortoir. S’ils étaient trop bêtes pour lui donner une feuille, alors elle chercherait son ardoise. Comme ça plus de soucis. Le policier d’âge moyen – un grand blond musclé – lui barra le chemin.
– Tu crois aller où comme ça ?
Augustine lui dessina une ardoise dans l’air, écrit dessus puis la lui tendit. Et c’est qu’il ouvrait les mains pour la prendre ! Pas étonnant qu’ils aient été si longs à venir et qu’ils n’avaient rien tiré de ses camarades non plus.
– Bon, Christian, donne-lui ton bloc-notes et ton crayon. Je n’ai pas envie qu’elle s’enfuie.
Le jeune policier rouspéta encore un peu pour la forme mais céda finalement le matériel d’écriture à contrecœur. Cela le paraissait rassurer quand Augustine ne fit pas mine de vouloir regarder toutes les informations qui devaient se trouver sur les pages précédentes mais commença par écrire son nom en haut de la page.

« Je n’avais pas disparu. J’étais juste assise sur cet arbre. Personne ne m’a cherchée. »
Les policiers échangèrent un regard dont elle ne devinait pas le sens entier mais cela lui était bien égal maintenant. Il fallait qu’elle leur dise ce qu’elle savait – sinon c’était de la rétention d’informations – et qu’elle leur en extirpe le maximum. Elle en était déjà fatiguée d’avance. Sans attendre une réponse ou une autre question, elle rajouta une phrase.
« J’ai assisté au meurtre ce matin, alors je vais vous faire un témoignage précis. »
– Avec plaisir, fit le plus âgé. Tu veux t’asseoir ou prendre la voiture comme table ?
Il sonnait réellement inquiet pour elle et c’était étonnamment agréable. Depuis quand personne ne l’avait plus sollicité de se mettre davantage à l’aise ? Des semaines, des mois voire des années ? Elle ne s’en souvenait pas. Elle se rapprocha de la voiture et commença à écrire.

Augustine observait attentivement les expressions des trois policiers qui lui faisaient face. Ils lisaient son rapport qu’elle avait pris soin de formuler aussi précisément que possible. Son regard glissa sur leurs fronts plissés – si elle avait bien compris leurs marmonnements, elle n’écrivait pas assez lisiblement à leur goût – et se posa sur sa montre.
Dix-sept heures treize. Si elle avait été chez elle, au collège, elle serait en train de ranger ses affaires dans son sac en traînant exprès un petit peu pour éviter la cohue dans les couloirs. Alphonse, le conducteur du bus, l’attendait toujours. Il le lui avait promis un des premiers jours de sixième où elle avait été retardée par un professeur qui ne voulait pas comprendre qu’elle ne pouvait pas parler ou plutôt qu’elle n’allait pas dans une école spécialisée. Alphonse était parti et était revenu juste pour elle avec sa voiture privée quand il avait remarqué son erreur parce que personne ne devait être oublié à son avis.
Il lui manquait. Elle avait envie de rentrer. A la maison au moins il n’y avait pas de moqueries ouvertes. Il y avait toutes ses cachettes préférées, il y avait les adultes qui s’intéressaient à elle et il y avait les autres qui restaient indifférents – c’était la majorité mais Augustine était tout aussi indifférent de leur sort alors c’était de bonne guerre. Il y avait ses arbres et sa forêt. Il y avait sa maison et l’église juste à côté. Il y avait le cimetière où parfois elle réussissait à murmurer quelques mots à sa mère. Il y avait son père, son parrain avec son chien, Alphonse et madame Guillaume qui lui offrait toujours un petit pain au chocolat quand elle passait devant la boulangerie. Oui, ils lui manquaient tous.

– Bon, fit le policier le plus âgé. Je pense que tu n’as pas pu inventer tout ça. Pas avec tous les détails qui concordent à ce qu’ont dit les autres. On va apporter ça au chef et puis on verra.
Augustine haussa les épaules. Elle se désigna puis le dortoir. Elle allait faire sa petite enquête maintenant qu’elle n’était plus suspecte. Parce qu’avec tous les inconvénients de cette colonie de vacances, il y avait en ce moment un avantage majeure : elle pouvait aider à arrêter un meurtrier, c’était plus qu’elle n’avait eu le droit chez elle. Visiblement les policiers n’étaient pas tout à fait convaincus mais aucun d’entre eux ne fit de geste pour l’arrêter quand elle se retourna à nouveau en direction du bâtiment principal.
– Je pense qu’elle va nous être utile, la petite, eut-elle encore le temps d’entendre.
Note de fin de chapitre:
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