La pluie tombait doucement à travers les feuilles des arbres et battait le sol avec régularité. Les nuages gris touchaient les cimes. Est-ce qu’il y avait du brouillard ou se trouvaient-ils simplement dans le nuage de pluie ? Difficile à dire surtout que la plupart des personnes dormaient encore ou étaient du moins bien au sec sous leurs couvertures. Augustine était bien seule à l’extérieur mais cela ne la dérangeait pas plus que les gouttes qui la trempaient depuis le début de l’averse.
Elle avait l’impression que le ciel pleurait à sa place. Une grande fille ne pleure pas, lui avait suffisamment répété son père pour qu’elle en soit convaincue. Pourtant là, les larmes lui montaient aux yeux sans que rien de ce qu’elle pouvait faire ne les en empêche. Peut-être que ce n’était pas grave de pleurer si personne ne nous voyait. Le ciel n’était-il pas beaucoup plus âgé, beaucoup plus sage qu’elle ? Pourtant il pleurait comme si son chagrin était le sien. Finis les beaux jours de l’été où le soleil caressait les feuilles de ses doux rayons chaleureux, finis les rires amicaux où elle se sentait enfin comme toute autre fille, finis les paroles incessantes de Corinne qui parlait pour elles-deux.
Le ciel pleurait et son cœur était vide. Elle aurait dû le savoir que s’attacher à quelqu’un dans une colonie de vacances était futile, qu’une telle amitié ne pouvait que se briser. Elle ne faisait qu’apporter du malheur à son entourage, du malheur et des soucis. Les autres avaient raison, elle était inutile, énervante, idiote.
Avec un soupir, Augustine se laissa tomber en arrière et verrouilla ses jambes au dernier moment, se retrouvant ainsi la tête en bas, pendue à la branche humide. Sa jupe lui chatouillait le nez et elle la coinça entre ses genoux mais elle retombait rapidement. Son père n’apprécierait pas de la voir ainsi dévêtit. Tant pis, il n’était pas là, il n’avait pas eu le temps de venir à la visite des parents alors elle n’avait pas le temps de retenir sa jupe. Elle était injuste, elle le savait. Son père était occupé, il devait surveiller sa propre colonie de vacances avec les petits. Elle aurait préféré l’aider que de se retrouver ici… Au moins avec son père, il n’y aurait personne pour se moquer d’elle. Les petits avaient parfois des paroles blessantes mais ils ne le faisaient pas par méchanceté. Pas comme d’autres…
Corinne lui manquait déjà. Elle n’était que partie depuis deux jours pourtant et elles ne s’étaient connues qu’une dizaine – ou une quinzaine ? Elle avait perdu le compte au bout d’un moment – de jours. Elle ne l’avait pas réellement considéré comme une amie mais en fin de compte c’était ce qui s’en rapprochait le plus. Sa première amie… Probablement sa dernière aussi. Personne ne voulait être amie avec une fille comme elle. A part Corinne visiblement. Et dire qu’elle ne savait même pas bien lire et qu’elles communiquaient uniquement par dessin et par signes. Oui, elle en était sûre. Corinne avait été son amie.
Seulement maintenant elle était à nouveau seule. Est-on davantage seul lorsqu’on vient de perdre quelqu’un avec qui on passait du temps que lorsqu’on n’a jamais connu une telle présence ? Augustine aurait tendance à dire oui. Elle n’avait jamais l’impression que quelque chose lui manquait jusqu’à maintenant. Ce n’était que depuis que Corinne n’était plus là – elle ne lui avait même pas dit au revoir ! – qu’elle avait ce vide dans le cœur et dans l’esprit. Cela passerait avec le temps, elle le savait. Pas complètement et pas rapidement. Quoiqu’elles n’étaient amies qu’à peine deux semaines. Elle ne pouvait pas comparer le sentiment de solitude qui l’étreignait maintenant à la douleur qui l’avait habitée après la mort de sa mère. Non, ce n’était pas pareil. Pourquoi y repensait-elle maintenant ? C’était égal. C’était du passé et rien ne pouvait lui ramener sa mère. Rien.
Celle de Corinne avait l’air si heureuse de retrouver sa fille et si en colère quand elle avait compris pourquoi Corinne voulait rentrer en avance. Elle l’avait abandonnée, voilà ce qu’avait fait Corinne. Voilà pourquoi elle n’avait pas été assez courageuse pour lui faire ses adieux et voilà pourquoi Augustine n’en avait rien su jusqu’à ce qu’elle voie la voiture grise emmener la petite fille loin de la colonie de vacances. Corinne l’avait abandonnée aux moqueries des autres, à leurs langues de vipère, à leurs méchancetés. Elle avait beau n’avoir été qu’une gamine de sept ans, elle avait été de son côté et Augustine n’avait ni son courage ni son tempérament pour affronter les autres. Ça s’était empiré depuis le départ de Corinne. Comme si tout ce qu’elle prenait lui retombait dessus maintenant.
Elle n’aurait pas dû permettre à Corinne de devenir son amie. C’était sa faute. Elle n’avait pas pu sauver sa mère et elle n’avait pas pu protéger son amie des moqueries des autres. Au moins Corinne était encore bien vivante. Qu’est-ce qui se passerait si elle lâchait ses jambes maintenant ? Elle évalua la hauteur avec un intérêt mitigé. Si elle tendait les bras, il restait à peine trente centimètres à combler avant d’atterrir sur le tapis d’herbes molles. Aucun intérêt à part se mouiller davantage. Et en fait, elle n’avait pas la moindre envie de tomber. Ceux qui se tuaient n’aillaient pas au paradis. Elle n’avait pas passé autant de temps à l’église pour tout gâcher comme ça.
Mais franchement Dieu pouvait faire un peu plus attention à ses fidèles et punir un peu plus ceux qui leur causaient du tort. Rien de grave mais Monique mériterait bien des poux par exemple. Ça donnerait au moins une impression de justice…
Il ne se sentait quand même pas délaissé juste parce qu’elle n’avait pas eu la possibilité de prier autant que chez elle. Il devait bien comprendre qu’elle ne s’exposerait pas à davantage de moqueries sans être sûre d’une protection. Elle avait encore bien trop en tête le premier repas où elle avait sagement plié les mains comme son père l’attendait d’elle et où tout le monde avait rigolé. Autant elle trouvait ça exagérer de passer des heures à genoux comme avait tendance à le faire son père, autant elle ne comprenait pas pourquoi les autres n’en faisait rien. Enfin, c’était leur problème s’ils voulaient finir en enfer. Au moins ils ne pourraient plus se moquer d’elle.
Augustine jeta un coup d’œil à sa montre. Six heures vingt. Même avec ce temps de pluie, c’était l’heure du petit-déjeuner. Et c’était reparti pas une journée. L’avantage que Corinne était partie, c’était qu’elle n’avait plus mauvaise conscience quand les autres la traitaient de bizarre et de muette. Elle n’entrainait plus personne dans les moqueries. C’était libérant d’un certain point de vue. C’était déprimant de tous les autres. Elle hésita puis prit de l’élan pour atterrir sur ses pieds un peu plus loin. Au moins les cours de gymnastique avaient servi à quelque chose. Peut-être que son père répondrait au téléphone si elle l’appelait ? Mais qu’est-ce qu’elle pouvait bien lui dire ? C’était au-dessus de ses forces et elle ne connaissait pas le numéro de toute façon.
Il n’y avait pas d’autre possibilité. Soit il répondait à sa lettre – peu probable qu’il la lise en réalité – soit elle patienterait jusqu’à la fin de l’été. Pourvu qu’il continue à pleuvoir.
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Notes d'auteur :
Coucou ! Un nouveau chapitre pour vous !
Note de fin de chapitre:
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