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Augustine recula précipitamment dans le couloir. Ce n’était pas possible. Cela n’avait pas le droit de l’être. Il n’y avait pas le corps mort d’une fille de son âge sur le sol du réfectoire. Il n’y avait pas eu de meurtre. Il n’y avait personne qui tuait les autres. Et surtout, elle ne l’avait pas vu. Non, elle ne voulait pas. Elle refusait. Elle avait beau savoir qu’il y avait d’autres meurtres dans le monde, elle ne voulait pas y croire. Personne n’y avait cru. Pourquoi ce serait vrai alors ?

Contrairement à la dernière fois, elle ne fut pas tentée d’aller voir le corps. Au contraire ! Elle avait envie de s’enfuir le plus loin possible de cet horrible endroit. Malheureusement ses jambes ne lui répondaient qu’avec grande peine. L’adolescente se dirigea vers la porte et son hêtre. Il la protégerait avec ses feuilles. En quelques mouvements, elle se percha sur la branche haute qui l’avait déjà supportée pendant quelques heures plus tôt de la nuit. Le soleil s’était levé mais la maison restait étrangement silencieuse. Augustine essaya de calmer les battements affolés de son cœur. Et si le meurtrier l’avait vu ? Si elle – c’était une voix de femme qu’elle avait entendue – savait qu’il y avait un témoin, elle la tuerait aussi.

Mais en même temps, elle ne pouvait pas rester cachée dans cet arbre. Elle serait immédiatement suspecte. Et puis Monique méritait malgré tout que sa mort ne reste pas mystérieuse. Elle devrait alerter la police. Ou au moins Natalie. Elle devait prévenir quelqu’un. Elle devait. Pourtant ses muscles ne lui répondaient plus. Elle était incapable de bouger ne serait-ce que le petit doigt, crispé sur la branche du hêtre. Et si les autres ne la croyaient pas ? S’ils pensaient qu’elle inventait cette histoire ? S’ils pensaient que c’était elle qui l’avait tuée ? S’ils la traitaient de menteuse ? Si Monique n’était pas morte en fin de compte ? Si elle ne s’était qu’endormie et que c’était un rêve ? C’était trop absurde, personne ne pourrait croire que la fille de quinze ans du directeur de la colonie était morte dans le réfectoire. Surtout pas tuer par quelqu’un. A la limite, une crise cardiaque, un accident, une maladie de longue haleine, un suicide… tout cela serait plus acceptable mais un meurtre ? Qui la croirait ? Pourquoi la croiraient-ils ?

Une partie de son esprit essayait de la raisonner. Il y avait un cadavre dans le réfectoire. Monique était morte, elle le savait sans même être allée vérifier. Si ça se trouvait, c’était parce qu’elle n’avait prévenu personne immédiatement qu’elle mourrait ! Cette pensée l’arracha à sa paralysie. Peut-être que ce n’était pas encore trop tard. Peut-être qu’elle pouvait encore sauver Monique à défaut d’avoir pu sauver sa mère. Elle se laissa glisser de la branche et atterrit souplement dans l’herbe humide par l’arrivée du jour. Elle n’aurait pas dû partir. Peut-être que maintenant elle arrivait trop tard.


Traverser la cour lui semblait beaucoup plus long qu’un quart d’heures plus tôt. Et si Monique était morte par sa faute ? Et si la meurtrière y était encore ? Et si personne ne la croyait ? Comment ferait-elle venir l’infirmière de la colonie avec une histoire pareille ? C’était trop incroyable.

En proie à ses doutes, Augustine se glissa dans le réfectoire seulement éclairé par le rayon de soleil qui passait dans le hall puis par la porte entrouverte. Si elle avait vu Monique tomber, elle devait se trouver juste à côté de cette flaque lumineuse. Ses pas l’y précipitèrent aussi rapidement qu’ils l’en avaient éloigné auparavant. Elle devait être en vie. Pour l’amour du ciel, il fallait que ce ne soit pas trop tard.

Elle jeta un coup d’œil mais le réfectoire était vide. Le meurtrier était parti. Il n’y avait plus que Monique et elle. Et ce couteau à viande qui lui traversait la gorge. Augustine déglutit. Au moins, c’était sûr, Monique n’avait eu aucune chance de survivre. Quelle horreur quand même.

Elle devait donner l’alerte maintenant qu’elle en était certaine. C’était son devoir. Elle ne pouvait quand même pas rester ici avec un cadavre. Personne ne pourrait croire qu’elle l’avait trouvé, c’était bien connu. Lâcher Monique du regard. Se tourner vers la porte. Sortir. Finalement ce n’était pas si difficile de placer un pied devant l’autre. Qui devait-elle prévenir ? La réponse était évidente, c’était Natalie qui était responsable d’elles. C’était elle qu’elle devait chercher.


Le dortoir des filles entre douze et seize ans était encore plongé dans l’obscurité de la nuit. Pourtant il était déjà six heures dix d’après sa montre. Un matin normal, le dortoir tout entier était plongé dans le bazar indescriptible d’une vingtaine d’adolescentes en train de se préparer pour la journée. Aussi énervant qu’elle le trouvait d’habitude, il aurait été rassurant aujourd’hui. Mais ce n’était pas une matinée ordinaire. Un jour ordinaire, Monique ne se faisait pas tuer.
Augustine laissa glisser son regard dans la pièce. Quasiment toutes ses camarades dormaient encore à poings fermés. Seuls cinq lits étaient vides. Le sien, celui de Monique évidemment, celui d’Amandine, encore plus insomniaque qu’elle-même, celui de Fabienne qui se croyait discrète en allant rejoindre Serge, et puis celui de Mireille. C’était bien la seule pour laquelle c’était inhabituel.

Le réveil de Natalie était éteint, ce qui expliquait le retard. Augustine hésita une seconde quant à simplement le déclencher puis secoua l’épaule de l’animatrice. Sans aucun succès. Comment faisait-elle pour dormir aussi profondément ? Elle la secouait un peu plus fort sans lui tirer davantage qu’un grognement mécontent. Tant pis, l’adolescente se saisit du réveil et tira sur le stylet d’activation. Immédiatement, il n’était pas très précis visiblement, le tintement insupportable se mit en route.

– C’est bon, c’est bon. Allez, debout, les gamines !
Natalie se redressa avec une énergie qu’elle était loin d’avoir une minute plus tôt. Elle tendit la main en direction de sa table de nuit pour éteindre le réveil et Augustine le lui tendit.
– Quoi ? fit l’animatrice surprise. Qu’est-ce qu’il y a ?

Elle lui prit le réveil et l’éteignit. Augustine savait exactement ce qu’elle pensait d’elle à ce moment. La même chose que toujours. Il y avait de la pitié dans ses yeux parce que Natalie était quelqu’un de gentil et un peu d’agacement parce qu’elle la dérangeait dans le bon déroulement de son petit matin. Elle lui désigna le lit de Monique du doigt.
– Ah non, Augustine, il est trop tôt pour ce jeu-là, protesta l’animatrice tandis qu’autour d’elles les autres filles cherchaient leurs habits, brosses et autres serviettes. Allez, dis-moi ce qui ne va pas, on gagnera du temps. Déjà qu’on est en retard…

L’adolescente ne se laissa pas perturber. Elle ne les connaissait que trop, toutes ces personnes qui pensaient que c’était un choix volontaire, une lubie ou un caprice. Avec davantage d’insistance, elle indiqua le lit de Monique, heureusement juste en face de celui de Natalie, puis se passa un doigt sur la gorge. Le geste était quand même facile à comprendre.
– Tu veux tuer Monique ? tenta Natalie d’une voix incrédule. Ecoute, je sais qu’elle peut être difficile mais ce n’est pas une…

Augustine secoua vivement la tête. Quelle idée atroce ! Mais en même temps, Natalie n’avait pas tort. Monique n’était pas quelqu’un d’agréable à vivre. Elle essaya de montrer la direction du réfectoire, mais devant l’incompréhension de la jeune adulte, elle lui fit simplement signe de la suivre. Malgré quelques protestations, elles descendirent jusqu’au réfectoire et elle désigna la porte. Elle n’avait aucune envie de revoir le cadavre mais Natalie n’avait pas l’air de la croire suffisamment pour vérifier seule.

– Qu’est-ce qu’on fait ici ? demanda l’animatrice alors qu’Augustine la précéda en prenant le soin d’allumer la lumière.
Elle se dirigea droit vers le corps et le désigna derrière la table auprès de laquelle l’altercation avait eu lieu une trentaine de minutes plus tôt. Quelle idée étrange que de se dire qu’en quelques secondes tout avait changé et que Monique était morte aussi rapidement que cela.
– Qu’est-ce qu’il y a enfin ? s’agaça Natalie en la suivant.
Augustine s’arrêta net. Il n’y avait plus de cadavre.

Note de fin de chapitre:

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