Je dois te l’avouer, j’eus des difficultés
À définir de quoi, d’abord, je parlerai :
La jungle a une loi, tu dois bien le savoir :
Si les lianes t’attrapent’ elle devient mouroir.
C’était fort ambitieux, même présomptueux
De penser faire un texte, un poème véreux,
Avec autant de mots et aussi peu de temps
Mais qui a une vie en ce covid-moment ?
Les vers de mon poème seront pas réglo
(Un instant, ça craque, j’ai putain d’mal au dos),
Mais ils seront parfois libres, cruels, venteux
Chassés par le passé, le présent ou les deux,
Et souvent bien calés d’une onomatopée,
D’un mot bidon, débile ou bien d’une envolée
Lyrique et amusante ou soufflée par les vents
Tout comme Andromède dans le loin Orient.
Je sais qu’on dit lointain mais c’était trop trop long.
Et puis loin a le chic d’être moins polisson.
Même si le ver libre est bon pour les poissons
Le vers l’est un peu moins pour nos auditions,
Et dis-moi t’es réac ! pour que je passe en prose
Ça ne marchera pas même si tu… tu l’oses ?!
Eh bien je suis butée et je veux m’amuser
À compter les syllabes dans les mots français.
Donc tu subiras donc, vilain petit canard,
Encore un petit peu, mes pleurs et mes déboires
Et ceux d’Andromède, éternelle attachée,
Que sa mère vendit – quel orgueil, Cassiopée ! –
À ce monstre marin pour laver ses discours
Superbes et vantards, sous les conseils balourds
(Et injustes aussi) de l’oracle d’Ammon
(Demande pas qui c’est, je sais juste son nom).
Est certain qu’Andromède ne pouvait bouger
À cause de ces lianes qui se resserraient
Comme de vils serpents autour du gros rocher,
De ses membres faibles et frigorifiés,
Ses mèches de cheveux, les vents les fouettaient fort,
Sans parler de ses joues ni même de son corps.
N’est plus blanche sa peau, n’est plus rouge sa lèvre
Tout est mauve, violet, violenté par la fièvre
De Zéphyr, qui souffle sur l’onde de la mer
Et porte par vagues une tempête amère.
Il n’a eu Hyacinthe, Amour n’aura personne,
Surtout pas cette fille à la mère qui chantonne
Qu’elle est beauté, grâce, même Vénus, sans cesse.
Alors l’eau bout, souffle, s’abat sur la princesse
Et vent souffle, liane serre et vent arrache,
Liane broie : à bout n’en viendrait une hache.
Le rivage était jungle et la jungle rivage
Quand des larmes trop vaines rompent le barrage
De ses paupières et déversent sa peine,
Sa peur et sa douleur face au monstre sans chaîne
Qui doit la dévorer où elle se démène
Sur l’écueil éraflé. Réduite au rang de chienne,
N’est plus que sacrifiée, n’a plus un mot à dire :
Elle est sur le rocher et tenue d’y mourir,
Pour sauver sa patrie, pour sauver sa famille.
Pourquoi est-ce à elle, gentille jeune fille,
De payer un tel prix, injuste et terrifiant ?
Pourquoi suivit-elle son bourreau sagement ?
Pourquoi baissa-t-elle tête devant Destin ?
Elle ne veut plus, elle ne veut pas : « Chiens !
Mais chassez le monstre et détachez votre reine !
Me laisseriez-vous ces lianes comme chaînes ? »
Son désespoir et sa colère n’ont d’écho,
Et seul frappe le vent, et seule frappe l’eau.
Céphée, son père affligé, pleure derrière elle.
Cassiopée, sa mère, gémit, criminelle.
Mais ce sont les malheurs et les cris d’Andromède,
Qui attirent’ l’attention et ramènent de l’aide.
Il s’appelle Persée et il passe par là,
Vole sur Pégase sans épée à son bras.
C’est un malin, armé d’une tête tranchée :
La tête de Gorgone il l’a d’un coup fauchée.
Ces yeux de Basilic, les a après fermés,
Mais il peut les ouvrir selon sa volonté.
Méduse la Gorgone il a pris son pouvoir
De changer tout en pierre au plus petit regard.
Il entend la bourrasque de vent qui abîme,
Élève et tourne l’onde amère des abymes.
Il entend par-dessus une voix qui tempête,
Crie, pleure, supplie, hurle et puis : il voit la bête.
Énorme, monstrueuse, bavant, écumant :
Un chien ayant la rage n’effraierait autant.
Que le retint donc là ? La curiosité ?
La volonté d’aider ? La quête du danger ?
Ou la vue de la belle entravée de lianes ?
Coup de foudre mythique’, être toqué du crâne,
Ou tout simplement âme altruiste et serviable ?
Pour sûr un peu de tout : car qui serait capable
De plonger dans la jungle, de risquer sa vie,
D’esquiver les lianes, le vent qui frémit,
Sans parler de ce monstre et ce pour une voix ?
Qui risquerait sa vie pour la fille d’un roi,
– Mais ne le sachant pas – qu’il à peine aperçoit
De loin et mal en point, pour la première fois ?
Un truc qui pleurniche, saucissonné de lianes
Et battu par les vents ? C’est un fou, pire un âne !
Disons que cet élan timbré du chevalier,
Comme on peut ouïr, guide bêtement Persée.
L’appât du gain peut-être quand il reconnaît
Le vieux, grand, riche roi d’Éthiopie, Céphée,
Qui lui promet le trône pour dot de sa fille,
S’il la délivre plus vite que court l’anguille
(L’anguille étant le monstre mangeur de la belle,
Et donc le délivreur des lianes cruelles),
Il connaît l’Éthiopie, en entendit parler,
C’est une terre riche en or, liane et palmier.
Le grand dieu Éole lui en a tout dit,
Lui qui tient dans sa main tous les vents des pays.
C’est lui qui à Ulysse donna l’outre pleine
De tourbillons des airs, qui donna de la peine,
À ce rusé soldat, et lui vola sept ans
Sept ans en pleine mer, sept ans sans son enfant,
Sept sans Pénélope, sept avec Calypso,
Sept ans à faire plus qu’écouter les oiseaux…
Oiseaux portant déjà la nouvelle rumeur :
Un vent de liberté amène le bonheur.
Ce vent n’est point Zéphyr, n’est point Favonius,
Ce vent n’est point Borée ou autre dieu Ventus.
Ce vent nommé Pégase est monté de Persée,
C’est un cheval ailé à la paternité
Très doucement étrange et assez insolite
Pour ne pas être omise mais mentionnée vite :
Sa mère est Méduse dont Persée tient la tête.
Son père est Neptune, nom que les Romains prêtent
Au vieux Poséidon, dieux des mers, des eaux,
Des séismes et des indomptables chevaux.
Il sortit de la tête que Persée coupa
Prêt à voler par-ci, prêt à voler par-là.
Ces têtus de serpents de cheveux de Méduse
N’inspirent pas Persée à en faire mumuse,
Il les a donc noués et pourtant ils s’entêtent
Mais vain est leur combat, Persée leur tient tête
D’une main ferme et parle à sa belle chouquette :
« Ma chouquette… » « C’est Andromède. » « Ô ma chouquette,
Mon Andromette ! » « Avec un D, tu comprends pas ? »
« Dis-donc Andy, traîne pas tant et puis prends-la,
Cette main que je tends, pour te sortir des lianes
En un rien de temps. » « Crois-tu que sarbacane,
Serait suffisante pour arracher ces liens
Qui toujours se resserrent ? » « Eh ben on dirait bien. »
« J’ai pas crié helpeu pour qu’on m’invite au bal,
J’ai crié aidez-moi, car il y a l’animal,
Un énorme monstre et une tempête pire
Qu’un essaim, un troupeau, une horde de vampires.
Les lianes tirent ma peau, et échauffent mon sang,
Me font tourner de l’œil, crier sauvagement ! »
« Mais que dois-je donc faire, ô ma belle chouquette ? »
« Utilise ta tête ! UTILISE TA TÊTE ! »
Heureusement une percée atteint Persée.
Et il comprend les mots de sa belle adorée,
Car le génie n’est pas, proscrit à l’être humain,
Mais il déserte bien le cerveau de certains.
Il agite sa tête, tête de Méduse,
Face au monstre écumant, et déployant sa ruse,
Il excite la bête et défie et menace
De s’en prendre à elle puis à toute sa race.
Le monstre rit au large : il a mangé ses piots,
À l’instar de Saturne, il a peur des complots.
Sa race il s’en tamponne’ ; Andromède il la veut,
Pas pour sa libido mais pour son petit creux.
Elle est sa prisonnière elle est son déjeuner
Que lianes maintiennent’ sur l’assiette-rocher.
Alors le monstre approche les dents découvertes
Il approche toujours malgré le vent-tempête.
Zéphyr se calme un peu, Éole l’a repris :
Avec tout ce boucan, cassée l’antenne wifi,
Cassée la TNT et même la télé !
Persée s’en moque un peu, il préfère les BD
Et puis il a un monstre à transformer en pierre.
Alors irrité face à si peu de manières
Il brandit la tête bien tenue par les lianes
Et d’un mot fait s’ouvrir les deux petits organes.
La pupille de Méduse est fatale à la bête,
Qui instantanément devient Gorgora-Crête.
Le vent s’abat alors sur la roche friable,
Et Andromède accepte de se faire aimable.
Elle regarde Persée trancher, tant bien que mal,
Les lianes capricieuses aux odeurs fatales.
La folle émanation étourdit Andromède
Qui peine à respirer, pense qu’elle va dead.
Jusqu’au dernier moment, Persée bataille tant,
Qu’il crée des vents violents et même des courants.
Finalement c’est la mâchoire de Pégase
Qui broute liane tendre et chasse glauque gaz.
Lors tombe Andromède dans les bras de Persée
Qui emporte sa belle très durement gagnée.
Mais la bataille est loin d’être ainsi achevée :
Andromède n’aime guère être kidnappée
Comme tout le monde, hors des contes de fées.
Patientez un peu, j’ai besoin de cent mots
Pour achever ce très sinistre fiasco.
Les vents les portent loin, sous les yeux éplorés
Des parents et lianes abandonnés.
Andromède est inerte alanguie sur son homme
Ou plutôt sur celui qui l’amène à son home.
Il vit comme un Tarzan, au milieu de la jungle
Vivant de peu de rien et de quelques épingles.
Andromède accrochée à son dos bien sculpté
De liane en liane il saute vers la maisonnée
Qu’il s’est aménagée en haut du plus haut pin.
Persée est tout foufou, tout heureux turlupin,
Il pose Andromède sur son lit de feuillage,
Sort une jolie robe d’un ancien bagage.
Pauvre de lui pourtant, car la belle Andromède,
Massacrée par les vents, est d’une humeur de merde.
Humeur massacrante éclate contre Persée
Qui court se cacher dans son grenier secret.
Quand elle accepte enfin qu’il vienne enlever les lianes
Ses joues ont la couleur rouge d’une pivoine
Car le pauvre innocent à la vue du sein blanc
De sa charmante amie dont tous les vêtements
Sont réduits en charpie ne sait plus trop que dire
Se laisse rabrouer, remercier et maudire :
« Insensé que tu es ! Pourtant tu as deux têtes !
Insensé de Persée, je vais te faire ta fête !
As-tu conscience que tu ne m’as pas sauvée
Mais scandaleusement tout aussi enlevée !
Si c’est pour me sortir des griffes de ce monstre
Et me prendre avec toi comme un bon vieux gros rustre
Ce n’était pas la peine d’écouter ma voix :
J’étais saucissonnée à la roche à la noix,
Et comme enrubannée d’un bon film cellophane :
J’échange des lianes pour d’autres lianes !
Tu m’as sauvée, merci, mais tu m’as achetée
Comme un sac à patates à l’hypermarché.
On sauve pas quelqu’un pour l’enlever ensuite
Sinon c’est un beau vent, qu’on se prend à la suite ! »
Que peut-on en tirer comme moralité ?
Que les chevaliers sont enfin démodés ?
Que tous les Walt Disney sont à autodafer ?
Ou simplement dire qu’Andromède agacée
Ordonna à Persée de la laisser passer
Et de la courtiser en mec civilisé.