Partout où il regarde, des cendres et des corps enchâssés, des amas disséminés sur le champ de bataille, un décor de désolation qui oscille dans la lumière collante, gluante, du soir au rose dilué par les nuages. Sa monture renâcle à côté de lui, le sang mêlé à sa pâte, là où Geoffroy le petit pois a perdu le sien. La blessure est fermement enroulée dans une bande d’algue, un reste déniché au fond de son sac et qui fait bien l’affaire. Il a plus important, à l’instant : la Reine est tombée, leur bouchée écroulée, et Geoffroy doit rassembler tout son courage de petit pois pour la chercher… Ou affronter la dure, cruelle, réalité.
Il secoue la tête, ce qui ne fait que gémir toutes ses fibres une à une, elles qui ont été maltraitées à coup de fourches et de dent dans le carnage. Il ne se démontera pas. Qu’importe cette nappe poisseuse qui s’étend jusqu’à bouffer l’horizon. Il enjambe les débris, un à un, calant ses formes rondes dans les moindres aspérités. Il progresse, inlassablement, le long du chemin brodé à même la terre et qui ne semble mener que droit à l’abysse. Enfant, il a été le premier de sa fratrie à s’échapper de sa gousse. Cette force lui reparaît aux moments les plus critiques — il n’en est pas peu fier. Mais alors que Feuilleté s’arrête brusquement, effrayé par une ombre, et qu’il manque de lui rentrer dans une brisure, il se sent flageoler. Un mont de glace se dessine derrière le canasson, tout en aspérités. Un pied fin mais abattu, surmonté de bris tranchants, des saillies soufflées dans l’élégance froide et translucides. Elles sont encore tachées et le petit pois déglutit. Il a tant d’amis couxerts qui s’y sont risqués au prix de leurs jambes.
« Geoffroy ! » Ça a jailli depuis l’autre côté. Le petit pois sent son cœur tambouriner : il reconnaît cette silhouette longiligne, et il regagne espoir un instant.
Mais d’abord, il prend son élan, et d’une roulade maîtrisée, se propulse sur la pente glissante. Le froid le prend d’un coup. Le dégoût aussi : un liquide aux odeurs sucrées est logé dans les recoins de la glace, accrochant ses pas. Geoffroy le petit pois a l’estomac qui joue à l’alpiniste dans son œsophage. Il échappe à la chute en se coinçant entre deux pics, mais y gagne une belle égratignure autour de sa taille. Presque. Le plus difficile est derrière lui. Il déglutit en œillant la hauteur à descendre, mais ne se laisse pas hésiter et saute. La chute lui fait perdre l’équilibre, il roule et roule et sent la douleur attiser des endroits de son corps qu’il ne soupçonnait pas. Feuilleté saute par-dessus l’obstacle, ses sabots claquant dans ses oreilles. « Oh, Geoffroy... » entend-il, alors que sa course est stoppée. « Regarde dans quel état tu es ! »
Il se redresse, époussette sa robe émeraude ce qui ne change rien aux miettes infiltrées partout. « Bérangère ! » Elle aussi est dans un sale état. Sa robe de salière est déchirée, des cristaux blancs saignant par la plaie, et sa tête est cabossée.
« Geoffroy, il faut que tu m’aides ! Didier a été capturé, renifle-t-elle, pensant à son jumeau. Les couxerts ont pu me l’amener à l’hôpital, mais il a tourné poirier et têtu comme une moule.
— Il refuse l’attelle, comprit-il.
— C’est juste deux pattes en plus ! On a beau lui répéter que poixrier c’est pas si terrible, il pense que c’est imprononçable…
– Je comprends » soupire le pois. Il attrape le licol de Feuilleté. Direction la salerie, où son ami a arrêté de perdre des litres de grains noirs seulement grâce aux soins de sa sœur. Il en faut, des louches d’encouragements pour le persuader de se remettre à moudre.
Il fait nuit noire lorsque Geoffroy peut sortir de la tente. Les monstres ont nettoyé le champ de battaille et le chaos a fondu en flaques qui sèchent encore. De sa bouchée à la Reine, il ne reste rien.
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Notes :
Mes contraintes pour ce texte étaient :
- Entre 500 et 700 mots (695 d'après le compteur)
- Thème "Obsctacles soulevés" : le personnage doit faire preuve de volonté
- Ne pas utiliser la lettre V.
Je ne trouvai pas l'inspiration, alors j'ai demandé des contraintes à Catie et Omi qui m'ont respectivement donné "Un petit pois à l'époque de Napoléon" et "horreur" (l'avantage des contraintes facultatives c'est que je peux les interpréter comme je veux).
Note de fin de chapitre:
Je sais que les bouchées à la reine ne sont pas censées contenir de petit pois, mais ma mère les a toujours faites comme ça
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