Chapitre 16
Depuis la colline où nos amis nomades avaient établis leurs camp, nous avions une vue parfaite sur le village d’Anior, construit dans un vallon et traversé par une seule et unique route qui se poursuivait jusqu’à l’océan - du moins, selon les dires du guérisseur Dalyn.
Comme j’avais reçu comme consigne de rester allongée le plus possible durant cette journée de repos forcée, j’en avais profité pour discuter un peu avec l’ami d’Ilaïc, pendant que, chacun de leur côté, Nyann et la nomade pratiquaient leurs exercices d’entraînement.
Au delà du champ de collines, à l’horizon, on pouvait apercevoir des reliefs sombres qui annonçaient l’approche du massif montagneux au pied duquel le village de Dorca avait été bâti. Nous n’étions donc plus très loin de notre destination et - toujours d’après Dalyn - nous n’en avions plus que pour quelques jours de marche avant de l’atteindre.
Tout en continuant à regarder l’horizon, je me rhabillai tranquillement quand le guérisseur me fit signe qu’il avait terminé de m’ausculter.
— Comme prévu, vous devriez pouvoir reprendre la route demain matin. Votre blessure cicatrise bien, d’ici deux ou trois jours, ce ne sera plus qu’un mauvais souvenir.
Je le remerciai d’un signe de tête. Agenouillé sur le tapis épais qui recouvrait entièrement le sol de l’abri qu’ils avaient montés à l’aide d’une immense toile beige accrochée à la roulotte du guérisseur, il plongea ses mains dans une bassine d’eau pour les nettoyer de la crème cicatrisante dont il avait enduit ma plaie pour accélérer le travail déjà orchestré par mon corps.
— Est-ce que je dois m’attendre à des risques de complication ?
Dalyn releva la tête, étonné, et fit peser sur moi ses deux prunelles noires, emplies d’interrogations.
— Je ne comprends pas votre question, avoua-t-il en toute honnêteté.
— Est-ce que l’infection peut revenir par exemple ? Ou la plaie se rouvrir si j’en demande trop à mon corps avant qu’il ne soit totalement remis ?
Sourcils foncés, il secoua la tête en s’essuyant les main sur un tissu propre qu’il avait auparavant pris soin de poser près de la bassine.
— Bien sûr que non, m’assura-t-il. Est-ce la première fois que vous vous blessez de la sorte ? Vous ne semblez pas avoir l’habitude des guérisseurs.
Ca, c’était le moins qu’on puisse dire !
— Ah, à moins que … fit-il ensuite, semblant soudain gêné. Bien sûr, pardon, je n’y avais pas pensé … vous n’avez sans doute pas les moyens de faire appel à leurs services en temps normal. Pardonnez-moi, en temps que nomade, j’oublie souvent que pour les sédentaires, l ‘accès aux soins est souvent lié à leur bourse.
Je fus intriguée par ce que venait de m’appendre Dalyn. A aucun moment je ne m’étais interrogée sur l’égalité des chances sur Cinq-Iles. J’aurais pourtant dû, vu que j’avais vécu plus d’un mois avec Siam et Reddi qui avaient eu l’air bien moins aisés que pouvait l’être Orun - et je ne parlais même pas de Nyann et de sa famille. Je n’aurais jamais pensé que la possibilité de faire appel à un guérisseur soit soumis au nombre de pièce d’or que l’on possédait, j’avais naïvement imaginé que tout le monde pouvait le faire, que c’était aussi simple pour les cinq-iliens de faire appel aux dons de guérison d’un magicien que ça l’était pour moi, en France, de s’octroyer les services d’un médecin.
Je gardai cette information dans un coin de mon cerveau, me promettant de la ressortir à Nyann à la première occasion pour en apprendre un peu plus sur le mode de vie des cinq-iliens.
Pendant notre voyage, je m’étais découvert une véritable curiosité à propos de ce monde, presque aussi grande que pouvait l’être celle de Nyann et de son frère envers le mien, et je ne me privais pas pour lui poser toutes les question qui me passaient par la tête dès que l’occasion me le permettait.
Alors que Dalyn s’éloignait pour ranger ses affaires à l’abri dans sa roulotte, je me relevai du couchage sur lequel j’étais installée depuis le lever du soleil, de nombreuses heures plus tôt, pour faire quelques pas et tester ma résistance. Je semblais reprendre du poil de la bête plus vite que je ne l’aurais jamais cru : ma plaie ne me faisait plus du tout mal et même les étourdissements de la veille au soir étaient passés ! Il ne me restait plus qu’une légère raideur dans les membres inférieurs qui, je n‘en doutais pas, disparaîtraient dès que nous aurions repris la route.
A quelques pas de la tente, je pouvais apercevoir Nyann exécuter les mêmes mouvements d’entraînement qu’à l’accoutumée, débarrassé de sa chemise qu’il avait laissé tombé dans l’herbe sèche. La chaleur extrême et inattendue de cette journée d’été faisait naître des perles de sueurs partout sur lui. J’étais bien contente d’être obligée de rester à l’ombre.
Un peu en retrait, Ilaïc s’amusait à lancer des couteaux sur des cibles de sa propre fabrication, gravées dans l’écorce de vieux et épais morceaux de bois. Elle faisait mouche à chaque fois et m’impressionnait par sa dextérité.
Importunée elle aussi par la chaleur, elle s’était débarrassée de son long manteau et ne portait plus que son pantalon à bretelles et sa chemise rouge. Ses cheveux étaient détachés et dansaient autour de son visage à chacun de ses mouvements, tel un feu incontrôlable. Je sentis revenir la pointe de jalousie qui ne manquait pas de me piquer le cœur à chaque fois que je faisais face à la beauté insolente d’Alicia.
Ilaïc dut sentir mon regard sur elle car elle se tourna soudain vers moi. Je lui fis un petit signe de la main, qu’elle me rendit rapidement, presque timidement, après un moment d’hésitation. Plus je l’observais et plus la jolie nomade me faisait penser à un animal farouche qu’il fallait apprivoiser, comme si elle n’avait pas l’habitude de côtoyer des gens au comportement amical.
Au bout de quelques minutes passées à les observer, Nyann m’aperçut à son tour. Il laissa retomber son épée et me fit signe de retourner m’allonger, le regard autoritaire. Puisque je sentais que mes jambes ne demandaient que ça, j’obtempérai sans rechigner.
Alors que je m’étendais sur les douces couvertures prêtés par Dalyn, ce dernier sortit de sa roulotte et me rejoint, s’installant sur un coussin long, épais et coloré qu’il avait mis près du couchage pour pouvoir me tenir compagnie. Histoire de s’occuper, il commença à éplucher toutes sortes de légumes - certainement en prévision de notre dîner. Mon regard se fixa alors sur ses doigts, cerclés des mêmes traits fin et noirs que ceux d’Ilaïc.
— Vous connaissez Ilaïc depuis longtemps ? lui demandai-je soudain, portée par la curiosité que j’éprouvais envers la mystérieuse nomade.
— Depuis qu’elle est enfant, répondit-il. C’est moi qui l’ai élevé après la mort de ses parents. Pourquoi cette question ?
Il posa un regard interrogateur sur ma personne. Je haussai des épaules d’un air désinvolte, comme si j’avais posé ma question plus pour meubler le silence que par réelle envie - ce qui n’était absolument pas le cas.
— C’est juste qu’elle est un peu étrange, même pour une nomade. Nyann est persuadé que c’est une mercenaire.
Dalyn lâcha un éclat de rire bref et identique à l’aboiement d’un chien, ce qui ne manqua pas de me surprendre.
— Il est vrai que son choix de vie est curieux et qu’il peut pousser à croire qu’elle a embrassé la cause de ces crapules, mais ce n’est pas le cas, je peux vous l’assurer. Ilaïc possède une grande bonté d’âme, elle ne peut pas rester inactive lorsqu’elle sait que quelqu’un a besoin d’aide, alors elle a décidé de mettre ses aptitudes au service des autres. Plus jeune, elle s’était découvert un attrait pour les cabrioles en tous genres et elle a suivi l’entraînement des acrobates nomades. Comme elle était adroite avec des projectiles, elle a aussi été formée au lancer de couteau - un spectacle dont beaucoup raffolent sur Cinq-Iles d’ailleurs. Et puis, au bout de quelques années, elle s’est dit qu’elle pouvait utiliser ces connaissances pour faire autre chose que divertir les gens : voilà comment elle en est venue à proposer des contrats à ceux qui pourraient avoir besoin des services qu’elle propose, mais sans rejoindre la guilde des mercenaires.
Je souris en imaginant Ilaïc parcourir Cinq-Iles sur son cheval, à la recherche de la veuve et de l’orphelin à secourir. Ca correspondait plutôt bien avec ce que j’avais cru deviner au cours des dernières heures à propos de sa personne et j’étais heureuse d’apprendre que je n’avais pas fait fausse route.
— C’est bon à savoir, dis-je. Je saurais vers qui me tourner en cas de besoin.
Ce ne fut qu’à la fin de ma phrase que je me rendis compte que j’avais parlé - et pensé - comme si je n’étais pas déjà en route pour quitter Cinq-Iles. Troublée, je caressai distraitement mon collier à travers le tissu de ma robe - dernier vêtement intact qu’il me restait.
Mains passées sous la tête, allongée près du feu où ne dansaient plus que des petites flammes, j’admirai le ciel étoilé et la pleine lune qui illuminait les collines. La fournaise qui avait sévit toute la journée avait laissé place à une nuit agréable, bercée par une brise tiède qui permettait de se passer de couvertures. Ilaïc était silencieusement étendue près de moi, Nyann et Dalyn dormaient de l’autre côté du feu de camp. Les légers ronflements du guérisseur animaient le silence ambiant.
J’étais la seule encore éveillée, la faute certainement à la sieste impromptue que j’avais faite en fin d’après-midi, pendant que Nyann était descendu au village pour compléter les provisions qui nous restaient après notre dernière escale. Je profitai de ce moment seule à seule avec moi-même pour réfléchir à ce sentiment qui m’avait troublé toute la journée, suite à ma discussion avec Dalyn.
Sans même m’en rendre compte, petit à petit depuis quelques temps, j’avais commencé à m’imaginer un avenir sur Cinq-Iles, notamment en compagnie de Nyann, dont j’appréciais de plus en plus la présence à mes côtés. La rencontre avec Ilaïc, un lien dont je soupçonnais la possible existence mais qui était encore à créer avec elle, me poussait aussi à vouloir prolonger mon séjour dans ce monde. J’en venais à espérer qu’au terme de notre voyage, ce ne soit pas l’opportunité de rentrer que l’on m’offre, mais celle de rester encore un peu.
Et j’en frissonnais.
Je me surprenais aussi à penser que ces quelques mois passés ici n’avaient pas été aussi désagréables que je voulais bien le croire. Je ne cessais de me souvenir du visage d’Orun lorsqu’il m’avait certifié qu’il y aurait une place chez lui pour moi au besoin, au regard brillant du prince Issa lorsqu’il avait émis l’hypothèse que je pourrais revenir à Nashda pour lui raconter mon monde, à la douce gentillesse d’Alphina ou au regard noisette de Nyann qui ne manquait presque jamais de me troubler.
Je me tournai sur le côté et fléchis les genoux, serrant ma poitrine dans l’étau de mes bras. Je n’aurais jamais cru que, la fin du voyage approchant, je prendrais soudain conscience que partir serait plus compliqué que prévu. Je devais renoncer à ses attaches que j’avais commencé à forger sans même le vouloir, autrement, je risquais de souffrir inutilement. Pourquoi avait-il fallu que le peu de temps passé sur Cinq-Iles soit plus riche et plus exaltant que les dix-sept années que j’avais vécu sur Terre ? Pourquoi me sentais-je plus vivante dans ce monde dur et rempli de danger que chez moi, en sécurité sur Terre ?
Je fus soudainement arrachée à mes pensées lorsque, du coin de l’œil, j’aperçus le mouvement d’une ombre qui montait la colline. Mon cœur cessa aussitôt de battre, puis repartit au triple galop. Le rythme de ma respiration s’accéléra en conséquence mais je réussis à faire en sorte que cela ne s’entende pas : si la silhouette était mal intentionnée, il valait mieux lui faire croire que tout le monde dormait profondément.
Paupières à demi-closes, je la suivis du regard quand elle s’approcha prudemment, pliée en deux dans l’intention manifeste de se faire la plus discrète possible. Au vu de sa forme et de son gabarit, je déduisis que c’était un homme.
Doucement, presque de manière imperceptible, je décroisai mes bras et glissai tranquillement une main sous mon oreiller, les oreilles assourdies par le tintamarre que faisait mon cœur qui s’accélérait à l’idée de ce que j’allais faire. Mes doigts trouvèrent et se refermèrent autour du manche en fer froid de la dague que j’avais caché dans mon couchage pendant que tout le monde regardait ailleurs.
Je me doutais que Nyann aurait refusé que j’ai une telle arme à portée de main, sans savoir réellement m’en servir, mais cette précaution me rassurait. J’avais trop souvent été la victime d’attaques surprise pour accepter de rester vulnérable. Et ce n’était pas les quelques cours d’autodéfense pris avec Nyann qui allaient me servir efficacement - la preuve lors de notre altercation à la mare. Au moins, avec une arme à portée de main, je me sentais protégée. Et presque menaçante.
La silhouette continua son avancée et s’arrêta à la lisière de la lumière diffusée par le feu qui s‘éteignait. Elle s’approcha ensuite tranquillement, sans un bruit, de la couchette de Dalyn. Entrant dans la lumière orangée des flammes, je distinguai des épaules étroites, un visage jeune et une tignasse sombre et bouclée.
Je resserrai ma prise sur la dague, prête à la dégainer et à bondir de mon lit quand l’homme se pencha vers le visage de Dalyn. Mais il se redressa très vite et recula, avant de passer au couchage suivant, celui sur lequel Nyann dormait d’un sommeil profond. Indécise et perdue, je fronçai des sourcils.
Pourquoi la silhouette n’avait-elle donc rien fait au guérisseur ? Était-elle à la recherche de quelque chose ou de quelqu’un en particulier ? Pouvait-elle être sans danger, simplement curieuse de notre petit groupe ? Cela me semblait peu probable. Du moins, c’était comme ça que j’avais appris à analyser ce monde.
L’homme se pencha cette fois sur le visage de Nyann. Il se redressa ensuite légèrement et, contrairement à plus tôt avec Dalyn, il passa la main dans son dos. Je le vis sortir de sous sa chemise une longue lame, à mi-chemin entre la dague et l’épée, qu’il brandit mortellement au dessus du corps de mon compagnon.
Puisque j’étais sur le qui-vive, je réagis aussitôt qu’il se fit menaçant. Je me redressai brusquement en hurlant pour réveiller les autres, puis je me précipitai sur la silhouette en brandissant ma dague. Mais avant même que j’ai terminé de m’extirper de mon lit, Nyann avait réagit à son tour. D’un coup de pied, il étala son adversaire à terre.
Surprise, ne m’attendant pas à ce que mon compagnon se défende aussi vite, je m’arrêtai en plein mouvement et restai debout sur ma couche, comme une idiote, tenant maladroitement ma lame à deux mains devant moi, alors que Nyann se redressait avec vivacité et se mettait en garde.
Dalyn, réveillé par mon cri, sauta hors de son couchage et s’éloigna de quelques pas quand il s’aperçut de la présence de l’intrus. Une fois suffisamment éloigné du danger à son goût, je le vis brandir ses deux mains devant son visage, paumes en avant. Sa position me rappela brièvement quelque chose, mais avant que je n’ai pu me souvenir réellement de quoi, Ilaïc se posta près de moi, couteaux en main.
Notre attaquant était clairement en mauvaise position. Il avait escompté sur l’effet de surprise pour accomplir ce qu’il voulait faire, mais son plan tombait à l’eau. A sa place, j’aurais tenté de prendre la fuite.
Sa décision fut toute autre.
Le visage haineux, il se jeta sur Nyann. Mon ami étant désarmé, il passa les premiers instants de son duel à éviter les larges coups de lames qui fendaient l’air, dans l’attente d’une ouverture pour contre-attaquer. Il dut sauter en arrière ou sur les côtés de nombreuses fois, acculer par la véhémence de son adversaire, avant d’arriver à l’attraper par le poignet pour l’obliger à lâcher son arme. L’homme poussa un cri de douleur quand Nyann tordit sa main, puis tomba à genoux. Le prince lui colla ensuite à puissant coup de genou dans le visage qui me fit grimacer, et l’homme s’écroula au sol, sonné.
Le combat étant visiblement terminé, je m’approchai rapidement, suivie par Ilaïc. Nyann s’agenouilla près de son adversaire. Ce dernier se redressa alors rapidement et colla un coup de poing magistrale dans la joue de mon ami qui tomba en arrière. L’homme profita du fait que son adversaire était hors d’état de nuire momentanément pour récupérer sa lame tombée au sol.
Seulement, il avait oublié la présence d’Ilaïc. Libérée du risque de blesser Nyann, elle lança l’un de ses couteaux qui se planta dans la jambe de sa victime. Un puissant cri de douleur mêlé de rage échappa à l’homme lorsqu’il s’écroula à terre. Déterminé, il jeta alors sa lame en retour, mais pas sur la nomade. Il l’envoya sur Nyann, qui eut tout juste le réflexe de l’éviter en se jetant au sol d’une drôle de façon. La courte épée termina sa course loin derrière mon ami, en se plantant dans l’herbe.
Ilaïc se précipita sur notre assaillant. Je la suivis, m’arrêtant au passage pour aider Nyann à se relever. Il avait une main posée sur sa joue, le visage plissé de douleur.
— Est-ce que tu vas bien ? m’enquis-je.
— Je crois qu’il m’a cassé une dent, mais ça ira.
Nous rejoignîmes ensuite Ilaïc et Dalyn, qui avaient allongés l’homme dans l’herbe, et que la nomade gardait sous son contrôle au moyen de la menace de son second couteau. Installé sur le flanc, on distinguait parfaitement le manche du premier qui sortait de l’arrière de sa cuisse.
— Je le reconnais, dit alors Ilaïc. C’est le type qui s’est enfuit lors de l’attaque à la mare.
Je frissonnai en me rappelant l’étau du bras qui s’était glissé sous ma poitrine et la froideur de la lame qui avait touché ma gorge. Je serrai les poings en scrutant le visage juvénile de celui qui avait failli me tuer, emplie d’une colère sans précédents. Je mourrais d’envie de lui faire payer ses actes.
— Drôle de coïncidence, fit alors Dalyn, le regard soupçonneux et les mains toujours levés, mais en direction de notre prisonnier cette fois.
— Ce n’en est pas une, déclarai-je alors, m’attirant le regard furibond du type allongé au sol, tenant toujours sa jambe avec une grimace douloureuse. A la mare, il a exigé de moi que j’appelle Nyann pour qu’il nous rejoigne et ce soir, il s’est d’abord approché de Dalyn à qui il n’a rien fait, avant de se pencher sur Nyann et de l’attaquer.
Je me tournai vers mon ami pour conclure :
— Tu es sa cible. Il cherche à te tuer.
Je vis le visage de Nyann se plisser lorsqu’une myriade d’interrogations envahit certainement son esprit. Ilaïc, elle, s’agenouilla pour glisser son couteau sous la gorge de l’intrus, lui signifiant par là qu’au moindre geste indésirable, elle n’hésiterait pas à en finir avec lui.
— Elle dit vrai ? l’interrogea-t-elle. Ce jeune homme est ta cible ?
L’intrus se contenta de rester muet et de regarder le feu mourant, qui à présent peinait à nous éclairer. Tous concentrés sur son visage et la réponse que l’on attendait de sa part, nous ne vîmes qu’au dernier moment le geste qu’il opérait : il frappa vivement le dessous de son menton avec la paume de sa main, faisant bruyamment s’entrechoquer ses dents. Nous sursautâmes tous les quatre, surpris par son mouvement.
— Qu’est-ce que …
L’interrogation étonné qui échappa à Dalyn mourut lorsque notre intrus commença à se tordre de douleur sur le sol, de l’écume rougeâtre apparaissant à la commissure de ses lèvres. Ilaïc s’écarta vivement, remplacée par le guérisseur qui se précipita sur l’homme, l’air inquiet. Il voulut le forcer à ouvrir sa bouche, mais les violentes convulsions l’empêchèrent de desserrer l’étau des mâchoires. Très rapidement, l’intrus cessa de bouger et je compris au manque de mouvement de sa poitrine qu’il était mort.
Étonnement, cela ne me fit ni chaud ni froid. Il fallait croire qu’en absence d’hémoglobine, je supportais plutôt bien l’approche de la faucheuse.
— Du poison, lâcha Dalyn en se relevant avec un air défait.
Je sourcillai de surprise.
— Un mercenaire donc, annonça Ilaïc en retour en récupérant son couteau, toujours planté dans la jambe de l’intrus.
Je me tournai vers Nyann. Il l’avait trouvé finalement son mercenaire …
— Une idée de qui aurait pu mettre un contrat sur votre tête ? poursuivit Ilaïc en posant un regard aigu sur la silhouette de mon compagnon.
Nyann se contenta de pousser un long soupir et de croiser les bras. J’imaginais facilement qu’en tant que prince - même s’il n’était pas l’héritier de la couronne - il devait avoir une multitude d’opposants près à mettre le prix pour le savoir six pieds sous terre. Peut-être même parmi les membres de sa propre famille, si j’en referais aux quelques séries et films que j’avais déjà vu à ce sujet.
— Ne laissons pas ce type ici, je n’ai pas envie de dormir à côté d’un cadavre, déclara Dalyn. Nyann, vous m’aidez à le déplacer un peu plus loin ?
Nyann se baissa aussitôt pour attraper les jambes de l’homme, alors que le guérisseur empoignait ses bras. Ils s’éloignèrent avec leur charge, descendant la colline.
Ilaïc s’approcha alors de moi et posa sa main sur celle des miennes qui tenait toujours ma dague, me rappelant ainsi sa présence.
— Est-ce que vous savez vous servir de ça au moins ? me demanda-t-elle en récupérant l’arme.
— Pas vraiment.
— Alors vous devriez éviter de les manipuler. Entre des mains inexpérimentées, une arme peut faire plus de mal que de bien. Vous pourriez vous blesser, ou blesser un de vos amis.
Je louchai sur les deux couteaux qu’elle avait encore en main. Elle sembla comprendre le sous-entendu.
— Je pratique le lancer de couteaux depuis que j’ai dix ans.
— Les cibles en bois et les hommes ne sont pas tout à fait la même chose, rétorquai-je.
— Cela dépend du point de vue.
Je lui lançai un regard interrogateur, qu’elle se contenta d’ignorer. Elle s’éloigna ensuite pour retourner se coucher. Je jetai un coup d’œil sur le bas de la colline, où Dalyn et Nyann se chargeaient toujours de déplacer le corps de notre intrus, mais sans réussir à percevoir quoi que ce soit.
Les yeux piqués de fatigue, je décidai alors de ne pas attendre leur retour et d’imiter Ilaïc. Je ne trouvai cependant pas le sommeil avant d’entendre les deux hommes revenir en silence et se glisser à leur tour dans leurs couchages.