Chapitre 14
Les pieds dans la boue, je m’étirai avec délice. La nuit avait été bonne - même si le matelas aurait gagné à être un peu plus ferme - j’avais l’estomac plein et la journée s’annonçait radieuse. Comme quoi, il ne fallait parfois pas grand chose pour rendre la vie plus belle.
Tout en essayant de rester discrète, je lorgnai la haute silhouette de la jeune femme qui sellait son cheval à la robe couleur chocolat. J’avais remarqué avec bonheur qu’elle n’avait pas encore quitté l’auberge, et je fouillai mon cerveau à la recherche d’une idée lumineuse pour l’aborder. Ma vie me manquait trop pour laisser passer l’opportunité de faire semblant d’être en présence de ma meilleure amie, ne serait-ce que quelques secondes.
Autour de nous, les autres clients de l’auberge, levés eux aussi aux aurores, quittaient tout à tour les lieux. Une partie de mon cerveau s’étonnait du temps qu’il fallait à Nyann pour régler notre séjour dans l’établissement, mais tout obnubilée par le sosie d’Alicia, je l’ignorai facilement.
La jeune femme avait certainement remarqué mes regards insistants parce que lorsqu’elle eut terminé de préparer sa monture, elle fit volte-face et s’avança vers moi d’un pas décidé.
J’eus un bref moment de panique en la voyant foncer dans ma direction, les sourcils froncés, mais elle prit la parole avant que j’ai pu penser à dire ou faire quoi que ce soit :
— Si vous avez une question, posez-la.
J’en avais évidement aucune, mais puisque la vie me facilitait les choses, il aurait été idiot de laisser passer ma chance. Alors en désignant son visage, qu’elle gardait caché sous sa capuche, je dis :
— Votre blessure a l’air grave. Avez-vous besoin d’aide pour la soigner ?
— Je suis en route pour rejoindre un ami qui saura s’en occuper, répondit-elle sèchement.
Je n’avais rien à répondre à cela.
Nous restâmes quelques secondes à nous regarder en chien de faïence, chacune attendant visiblement que l’autre dise quelque chose, mais j’ignorais totalement ce que la jeune femme espérait m’entendre dire. Alors, je me contentai de la dévisager, espérant secrètement avoir la possibilité de revoir son double terrien au plus vite.
— N’avez-vous pas un service à me demander ? finit-elle par dire brusquement, accentuant le froncement de ses sourcils. Une aide quelconque à réclamer ? Votre compagnon de voyage est peut-être menaçant ?
J’avais du mal à comprendre où elle voulait en venir. Et pourquoi pensait-elle que Nyann pouvait être un danger potentiel pour moi ?
— Euh …
— Je pratique des tarifs abordables, et tant que vous n’exigez pas de moi que je donne la mort, je peux m’adapter à vos besoins.
Je restai coite. J’étais loin de m’attendre à une chose pareille. Quel travail exerçait-elle pour vivre au juste ?
Ce ne fut qu’à ce moment-là que je fis l’effort de regarder sa tenue et de remarquer enfin ce qui avait certainement induit Nyann en erreur la veille au soir, quand il l’avait prise pour un homme.
Sous son manteau long, elle portait une chemise rouge sang à col large, proche du corps et soulignant ses formes généreuses, avec des bretelles en cuir et glissée dans un pantalon noir de même matière. Une épaisse ceinture garnie de dagues rutilantes et une paire de bottes montantes complétaient sa tenue. Je fus instantanément sous le charme.
Et jalouse.
— Je veux la même, lâchai-je dans un souffle.
La jeune femme pencha la tête sur le côté, comme interpellée, puis ouvrit la bouche mais la voix de Nyann qui me hélait me fit me retourner, l’interrompant avant qu’elle n’ait pris la parole. L’air un peu fâché, il s’approcha de nous.
— Nous pouvons y aller.
Il ne remarqua mon interlocutrice qu’à ce moment-là. Son visage afficha un mécontentement encore plus grand et il se glissa entre elle et moi, faisant écran de son corps, avant de poser une main sur mon bras. Les deux se regardèrent aussitôt avec animosité.
— Qu’est-ce qu’il y a ? m’étonnai-je, mon regard naviguant entre l’un et l’autre, sans comprendre ce qui était en train de se passer.
— Rien, répondit sèchement mon compagnon. Nous avons encore beaucoup de route à faire, mettons nous en route sans perdre de temps.
Il fit volte-face et se servit de sa prise sur moi pour me tirer derrière lui. Abasourdie, je m’exclamai :
— Tu pourrais peut-être me laisser le temps de dire au revoir, non ?
Il se contenta de continuer à me tirer par le bras pour m’obliger à le suivre, sans répondre. Je regardai derrière moi ; la jeune femme avait posé la main sur l’une des dagues accrochée à sa ceinture et semblait hésiter à s’en servir. Elle faisait peser un regard noir sur la silhouette de Nyann, mais sa main finit par retomber sans s’emparer de son arme et elle se retourna pour rejoindre son cheval.
Je regardai de nouveau mon compagnon qui continuait à froncer des sourcils.
— Ce que tu viens de faire était vraiment malpoli. Je peux savoir ce qu’il t’a pris ? m’exclamai-je en me secouant vivement pour lui faire lâcher sa prise.
Nyann poussa un lourd soupir avant de me répondre :
— Cette fille était habillée comme un homme et portait des armes. Tu sais déjà que ce n’est pas dans les habitudes de mon peuple de permettre à une femme de telles extravagances.
— Oui et je le regrette chaque jour qui passe, dis-je en ayant une pensée émue pour mon jean plié bien sagement dans le fond de mon sac. Mais je ne vois pas bien en quoi ça explique ton attitude.
— Je ne connais que deux catégories de personnes qui peuvent se montrer ainsi : les nomades et les mercenaires. Et je n’ai pas vu la marque sur ses doigts.
— Tes suspicions sont sans fondements, elle porte un manteau aux manches longues et évasées qui cachent la base de ses doigts. Rien ne dit que …
Je me tus alors en repensant à ses drôles de questions. Puis, je demandai, pensive :
— Un mercenaire, c’est bien quelqu’un qui exécute des tâches que l’on ne veut pas faire soi-même en échange d’argent, n’est-ce pas ?
Nyann confirma d’un signe de tête en évitant une flaque de boue. Gênée, je me grattai la base de l’oreille en lui rapportant :
— Elle m’a proposé ses services contre un tarif abordable, d’après elle du moins. Mais elle a aussi précisé qu’elle ne donnait pas la mort.
Nyann sourcilla.
— Drôle de mercenaire dans ce cas. Et ce ne sont pas les services que tu aurais pu lui demander qui m’inquiètent, mais plutôt les contrats qu’elle aurait déjà accepté. Rien ne nous dit que tes assaillants de Dorca aient bel et bien abandonnés leurs projets envers toi. Il vaut mieux être prudents.
Je frissonnai.
— Tu crois qu’elle pourrait être là pour moi ?
Nous nous étions suffisamment éloignés de l’auberge et des ses clients pour que les épaules de Nyann se détendent. Son pas se fit moins pressé. Je me calquai sur son nouveau rythme, légèrement essoufflée par départ précipité auquel mon corps ne s’attendait pas.
— Pour toi ou pour quelqu’un d’autre, va savoir. Dans tous les cas, évite de côtoyer ces gens : ils ne sont pas de ceux dont on peut se faire des amis.
La mercenaire nous dépassa peu de temps après notre départ, juchée sur son cheval qu’elle menait au trot. Cependant, elle ne daigna pas nous adresser un regard. Tout comme elle, d’autres personnes nous passèrent ensuite devant, aidés de montures que nous n’avions pas la chance de posséder, dont six des hommes qui avaient formés le groupe joyeux de l’auberge et qui avaient semblé bien moins en forme que la veille - la faute sans doute aux trop grandes quantité d’alcool absorbés ainsi qu’à une nuit trop courte.
Après cela, cette nouvelle journée de marche fut bien plus agréable que la précédente. Le soleil estival nous baigna de sa chaleur tout le jour, terminant de sécher nos vêtements à même notre peau et transformant la gadoue sous nos pied en boue sèche, plus praticable.
Puisque nous avions entamés la dernière partie de notre voyage, celle qui nous mènerait à Dorca en moins d’une semaine, je me sentais d’humeur plus légère. J’admirais avec plus d’acuité le décor qui m’entourait et appréciais les hautes herbes qui bordaient notre chemin, ainsi que les bois légèrement à l’écart qui nous procuraient de l’ombre quand nous nous arrêtions pour boire un peu d’eau. Nous reprîmes nos discussions, ragaillardies par le temps clément, malgré les premières heures que Nyann avait passé à surveiller nos arrières, jusqu’à ce que plus personne ne croise notre route.
Mais lors des quelques moments où le silence s’installa entre nous, je ne pus empêcher mon esprit de s’égarer du côté d’Alicia et de son double cinq-ilien. Cela menait maintenant à trois le nombre de mes rencontres avec des personnes à visages identiques. Je doutais de plus en plus que ce soit une coïncidence et commençais à me demander si Cinq-Iles ne pouvait pas être un univers parallèle.
J’avais passé beaucoup de temps à scruter le ciel lors de nos nuits à la belle étoile et j’avais déjà constaté que la lune de ce monde était identique à celle que j’avais pu observer toute ma vie. Après, je n’étais pas une experte en astronomie donc je ne pouvais pas en être complètement certaine, mais les différente ombres de l’astre m’avaient semblé être aux mêmes emplacements. Quant aux étoiles, je ne pouvais pas dire si il y avait la moindre ressemblance : à mes yeux, une tâche de lumière dans le firmament ne se distinguait pas des autres.
— Nous allons nous arrêter ici pour aujourd’hui, annonça soudain Nyann, rompant le silence qui s’était installé entre nous depuis presque une heure.
Trop obnubilée par mes pensées, je n’avais pas prêté attention à notre environnement. Je découvris que mon compagnon avait choisi comme lieu de repos pour la nuit l’entrée d’un immense bois dont les arbres les plus proches étaient de taille classique, envahis de lierre et de mousse. Au loin, j’observai le reste de la forêt, habitée par des arbres si hauts et si serrés les uns contre les autres qu’ils formaient comme une montagne biscornu et feuillu qui barrait l’horizon.
Nyann s’enfonça sous le couvert des arbres, nous plongeant aussitôt dans l’ombre des feuilles. Plus nous avancions à la recherche d’une clairière ou même d’une trouée où nous installer, et plus je ressentais comme un sentiment d’oppression, de tension, qui émanait de la forêt elle-même.
Je me rapprochai du prince, peu rassurée, et résistant à l’envie de m’accrocher à son bras comme une gamine apeurée.
— L’atmosphère est pesante ici, lui confiai-je à mi-voix.
— C’est normal, nous sommes à l’orée de la forêt de Dolimo. Il ne faut pas nous aventurer trop loin ou nous entrerons sur le territoire des centaures.
Je déglutis avec appréhension, me souvenant d’un discussion avec Orun au sujet de cette forêt imprégnée de magie et de ses habitants, un peuple farouche qui ne laissait repartir aucun des aventureux qui avaient osé foulé leur territoire.
— Ne serait-il pas plus judicieux de passer la nuit ailleurs ? m’enquis-je.
Nyann m’offrit un sourire rassurant.
— Tant que nous restons en dehors du marquage des centaures, nous ne risquons rien. Essaye d’ignorer l’ambiance et considère cette forêt comme une autre. A la différence prêt qu’il vaudrait mieux n’avoir aucun geste menaçant envers quoi que ce soit de végétal, la forêt pourrait ne pas apprécier.
J’ouvris des gros yeux, peu sûre de la manière dont je devais prendre cette mise en garde. Était-il sérieux ou s’essayait-il à un humour douteux ?
Au bout de quelques minutes de recherche, nous jetâmes notre dévolu sur une clairière garnie de petites fleurs aux multiples teintes. Nous posâmes nos sacs près d’un rocher recouvert de mousse et Nyann décida de commencer notre soirée en ramassant quelques branches pour le feu. Comme à l’accoutumée, nous nous séparâmes, avec l’injonction de toujours rester à portée de voix, juste au cas où. Je pris tranquillement la direction de l’ouest, pendant qu’il s’éloignait vers le nord.
En quelques minutes, je réussis à obtenir un paquet de branches généreux, sans doute largement suffisant si Nyann réussissait à en ramener autant. J’arrêtai donc ma recherche et jetai un regard d’envie à la petite étendue d’eau que j’apercevais entre les arbres et qui me tendait les bras, m’offrant la possibilité d’un bain rafraîchissant dont je rêvais depuis des jours. De plus, la journée passée sous la pluie n’avait pas arrangé la sensation que j’avais d’être d’une saleté sans précédents.
Finalement décidée, je rebroussai chemin et découvris que Nyann était déjà occupée à délimiter un âtre à l’aide de pierre, un amoncellement de branche deux fois plus gros que le mien à ses côtés.
— J’ai trouvé une mare un peu plus loin, lui appris-je en déversant mon tas de bois près du sien. Je rêve d’un bain depuis des jours, tu vois à inconvénient à ce que je m’éloigne le temps de me débarbouiller un peu ?
Sans même quitter sa tâche des yeux, il secoua la tête mais prit le temps de me prévenir :
— Sois très respectueuse envers les lieux. Je ne plaisantais pas tout à l’heure. Même si les arbres de l’orée sont moins imprégnés de magie que ceux qui constituent le territoire des centaures, ils peuvent être une menace. Et reviens vite.
J’acquiesçai d’un signe de tête et récupérai de quoi me laver et me changer dans mon sac avant de disparaître de nouveau entre les arbres. Une fois de retour près de la mare, je me débarrassai prestement de ma robe et ne gardai que ma culotte que je continuais à porter, mal à l’aise à l’idée de me retrouver entièrement nue sous mes jupes. Je me glissai ensuite avec délice dans l’eau tiède et étonnement claire de la mare.
Je sentis aussitôt mes muscles se détendre et un poids s’envoler de mes épaules alors que je m’allongeais et me laissais flotter sur l’eau, décidée à profiter de l’instant paisible. Des yeux, je parcourus la frondaison sombre au dessus de ma tête, m’interrogeant sur les origines des mouvements des branches et des feuilles. Il y avait de la vie là-haut, pas de doute. Et ça s’agitait beaucoup. Mais la forêt était tellement dense et les arbres si rapprochés les uns des autres qu’ils n’offraient aucun espace suffisamment dégagée qui aurait pu me permettre d’observer les créatures vivant là. Je ne pouvais qu’imaginer quels animaux s‘agitaient là-haut et espérer qu’aucun d’eux ne me prendrait pour une menace.
Une fois satisfaite de mon temps passée à dériver sur l’eau, je posai pied à terre et revins vers le bord de la mare pour récupérer mon savon que j’avais déposé sur un tapis de feuilles. Je me récurai de fond en comble, ravie d’avoir enfin la possibilité d’ôter toute la saleté qui me collait à la peau, puis me plongeai toute entière dans l’eau pour me rincer. Je m’extirpai ensuite de la mare, rinçai mes pieds plein de vase et essorai au mieux mes cheveux, avant d’enfiler ma chemise et ma jupe propres, celles offertes par la nomade.
Ce fut alors que je m’employais à nettoyer ma robe bleu qui avait pas mal souffert du voyage que j’entendis que les mouvements au dessus de ma tête s’intensifiaient. Intriguée, je levai la tête mais je ne vis rien d’autre que les feuilles s’agiter dans tous les sens, comme si elles devaient subitement supporter un poids bien trop conséquent. Un frisson me dégringola le long du dos, l’appréhension m’englobant. Nyann m’avait demandé de me méfier et de me presser. Peut-être n’avais-je pas suffisamment écoute ses directives.
Je décidai subitement que ma tenue pouvait se contenter d’un nettoyage sommaire et m’empressai de rassembler mes affaires pour rejoindre le campement au plus vite.
Quand je me remis debout, je sentis un bras venir s’enrouler autour de ma taille et la pointe d’une arme se glisser sous mon menton. Je lâchai aussitôt ce que je tenais et cessai de respirer.
— Allons ma jolie, fais-moi plaisir, crie pour moi, glissa une voix masculine, tout près de mon oreille.
Cela m’était impossible, j’étais tétanisée.
J’entendis un peu de bruit derrière moi, m’apprenant que l’homme n’était pas seul. Je tentai tant bien que mal de contrôler les tremblements de peur de mon corps et mes halètements.
— Allons, juste un petit cri, m’encouragea l’homme qui me tenait solidement contre lui. Je veux seulement que tu appelles ton compagnon. Quel homme ne viendrait pas au secours de sa gente dame, n’est-ce pas ?
Je déglutis nerveusement. Mes sens en alerte captèrent que les branches au dessus de moi bougeaient encore, comme si elles étaient vivement secouées. La lame qui me menaçait s’approcha un peu plus de moi, entaillant légèrement la peau fragile de mon cou. La voix de mon agresseur se fit plus pressante, plus menaçante.
— Allez, ma jolie, un petit effort. Crie.
Je commençai à reprendre mes esprits.
Si ce type avait été un simple meurtrier, j’aurais rapidement été un cadavre au sol ; s’il avait voulu me violer, il aurait déjà été en train d’accomplir sa sale besogne ; et s’il avait souhaité me voler, mon collier placé bien en évidence aurait été entre ses mains depuis longtemps. Mais il s’obstinait à vouloir de moi que j’appelle Nyann. Je n’étais donc visiblement pas la cible, seulement l’appât. Mais cela ne voulait pas dire que je cessais d’être en danger - on laissait rarement la vie sauve à un témoin gênant - seulement que j’avais un sursis.
Alors que j’en étais là de mes réflexions, j’entendis un bruit d’étranglement. Il n’y a pas que moi que cela surprit, vu les réactions diverses qu’il y eut dans mon dos. Celui qui me tenait éloigna très légèrement son couteau de ma gorge et j’entendis au moins deux voix différentes émettre des bruits de surprise horrifiées. Mon assaillant m’obligea à me retourner, pour que lui aussi puisse voir ce qu’il se passait. Je découvris alors qu’il était accompagné de cinq hommes, dont l’un d’eux convulsait au sol, une lame plantée dans la gorge.
Un sifflement retentit alors et une seconde lame fendit l’air. Elle se planta dans le torse d’un second homme, juste à l’emplacement de son cœur, trouvant un passage entre deux côtes.
— Ca venait des arbres ! s’écria l’un des types, qui tenait une épée courte et regardait la frondaison avec effroi.
L’un des hommes banda un arc et chercha sa cible au milieu des branches.
Cette action inattendue m’offra quelques secondes de répit pour réfléchir. Je doutais que ce soit Nyann qui lançait des couteaux de cette manière, quelqu’un d’autre que lui était donc venu à mon secours. Et si une personne de plus pouvait intervenir, cela augmentait nos chances de s’en sortir.
Alors, j’appelai Nyann à pleins poumons, comme l’avait gentiment exigé mon assaillant un peu plus tôt, m’entaillant au passage la gorge sur la lame qui me menaçait toujours. Mon cri surprit les trois adversaires que je pouvais voir, mais le quatrième qui me tenait encore fermement contre lui n’eut pour seule réaction que de glisser sa lame plus haut, vers mon oreille, comme pour engager un mouvement pour m’égorger.
Je compris trop tard que ma réaction, qu’il avait tant attendue, signait mon arrêt de mort.
Heureusement, mon mystérieux sauveur, lui, avait été plus perspicace que moi. Une troisième lame perça la frondaison au moment où je prenais conscience de mon erreur et se planta dans le bras qui me menaçait. Mon assaillant poussa un cri de douleur et lâcha sa prise. Une flèche fila en direction de là où le couteau avait jailli. J’espérais que mon sauveur avait réussi à l’éviter.
Une fois libérée, je me laissai tomber à terre et roulai sur le dos, prête à me défendre face à un nouvel assaut. Mais les ridules sur la mare m’apprirent que mon attaquant avait sauté à l’eau et s’était enfui, abandonnant ses acolytes. Je me concentrai alors sur les trois hommes restants.
L’un d‘eux continuait à cribler la frondaison de flèches, sans succès puisque personne ne dégringola des arbres. Les deux autres, épées au poing, semblaient ne pas savoir quoi faire, scrutant les feuillages avec attention.
Je me redressai, attirant l’attention de l’homme le plus proche. Il se rua dans ma direction, son épée levée haut et poussant un cri de rage. Je reculai de quelques pas, surprise par sa réaction, glissai sur une pierre moussue et atterris dans l’eau dans un grand bruit d’éclaboussure. J’en sortis, haletante, à temps pour voir l’homme qui m’avait rejoint sans hésiter et qui abattait violemment sa lame sur moi. Je sautai sur le côté, mais pas assez vite ; je sentis l’épée transpercer la peau de mon flanc.
Quand je me redressai, je découvris que mon assaillant rebroussait chemin pour prêter main forte à l’un de ses amis, dorénavant engager en combat contre Nyann. Il gérais facilement son adversaire mais je doutais que, toute fine lame qu’il était, il puisse s’en sortir avec deux hommes armés contre lui - sans compter le type avec son arc qui pouvait à tout moment décider d’abandonner sa traque à travers les branches. Je m’élançai à la poursuite de mon attaquant et ramassai une petite lame, abandonnée au milieu des feuilles, même si j’ignorais encore ce que j’allais en faire.
Mettant à profit les soirées passées avec Nyann à apprendre à me défendre, je balayai les jambes du type, le faisant tomber avant qu’il ne puisse mettre mon ami plus en difficulté qu’il ne l’était déjà. J’hésitai à utiliser mon arme, peu sûre de savoir quoi en faire, et il en profita pour se relever et revenir à moi.
Un bruit sourd sur ma gauche attira alors notre attention. Une silhouette fine qui venait de se laisser tomber des arbres se rua sur l’homme et, un éclair argenté plus tard, la gorge de mon adversaire s’ouvrit en deux, laissant échapper un flot de sang.
Je reculai de deux pas, épouvantée, alors que ma sauveuse partait engager un combat contre l’un deux derniers hommes encore vivants, celui avec l’arc. Les jambes coupées par l’horreur, incapable de lâcher du regard la scène qui se jouait sous mes yeux, je tombai sur les fesses. Devant moi, l’homme était à genoux, les yeux fous et ses mains tentant en vain de retenir la vie qui lui échappait. Toute tremblante, j’assistai, impuissante, à sa mort.
J’ignore combien de temps je restai ensuite à fixer le cadavre, mais ce fut le visage de Nyann, s’interposant entre la vision et moi, qui me ramena à l’instant présent. D’une main douce, il m’incita à lâcher la dague que je tenais toujours en main, puis il m’obligea à me remettre debout.
— C’est terminé, m’apprit-il d’une voix prudente, comme s’il avait peur de ma réaction. Tout va bien maintenant.