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Chapitre 11

 

Il était presque midi. Le soleil était haut dans le ciel, déversant ses rayons aveuglants et sa chaleur accablante sans relâche. Haletante, je tirai sur le col de ma chemise pour faire entrer un peu d’air frais en contact avec ma peau. Orun, qui marchait à côté de moi, me lança un regard inquiet.

— Vous sentez-vous bien ?

— Je suffoque, répondis-je. Comment vous faites pour supporter une telle chaleur au quotidien ?

Orun leva légèrement le nez vers le ciel, comme pour juger de la température, avant de me répondre :

— Il ne me semble pas qu’il fasse si chaud. J’ai connu des journées bien moins supportables.

Je lâchai un râle, épuisée par avance à l’idée de devoir supporter des températures plus hautes que celles que j’expérimentais déjà avec difficulté. Je me demandai comment faisait le conseiller pour ne pas suer à grosses gouttes dans son uniforme composé d’un pantalon brun clair et d’une tunique couleur crème resserré aux poignets, qui ne cachaient pas son embonpoint naissant. Il portait aussi une paire de bottes marron qui lui remontaient quasiment jusqu’au genoux et un pardessus de même teinte que son pantalon. Je pouvais presque souffrir à sa place.

— Alors, j’imagine que ça vient de ma tenue. Je n’ai pas pour habitude d’être aussi couverte en pleine été, révélai-je.

Je rêvais littéralement de jupes courtes et de tops à bretelles. Comme le contenu de mon armoire me manquait … J’aurais aimé pouvoir ne serait-ce qu’enfiler le tee-shirt qui m’avait suivi dans ma mésaventure et quitter cette chemise à manches longues et à col strict.

— Vous auriez sans doute été plus à l’aise avec des vêtements Liponimusiens, m’apprit Orun alors que nous évitions tout juste une rencontre douloureuse avec un chariot qui avait déboulé un peu trop vite d’une rue adjacente.

L’homme qui conduisait l’attelage nous fit un signe de main, comme pour s’excuser, et continua son chemin vers la sortie de la ville. Pour notre part, nous reprîmes notre route en direction du château, qui ne se trouvait plus qu’à quelques pas.

— J’ignore comment s’habillent les habitants de Liponimus, dis-je en reprenant la conversation, mais s’ils portent moins de tissu que les Drïannais, je suis preneuse ! Où peut-on s’en procurer, que je m’y rende dès que possible ?

Orun remit en place la broche frappé de l’emblème du royaume qu’il portait accroché à sa tunique, juste au niveau du cœur, et répondit simplement :

— Sur Liponimus.

Je roulai des yeux.

Les deux hommes qui gardaient l’accès au château nous ouvrîmes les portes dès qu’ils aperçurent Orun. Nous pénétrâmes dans la cour et mon cœur commença à danser la samba. Je m’étais pourtant préparée toute la matinée pour cette rencontre, cherchant du réconfort auprès d’Orun qui n’avait cessé de m’assurer qu’en dehors d’une révérence pour montrer mon respect envers le roi, on n’attendrait rien d’exceptionnel de ma personne, mais je continuais à stresser et à imaginer toutes sortes de raisons qui feraient tourner cette entrevue au vinaigre.

Après notre escapade sur le marché, le soir de notre arrivée, pour acheter de quoi nous restaurer pour les prochains jours, Orun avait de nouveau disparu, me laissant seule dans la maison. J’en avais profité pour fouiner un peu, découvrir quel genre de vie pouvait mener cet homme qui vivait étonnamment seul dans un monde où avoir une famille semblait être très important. Je n’avais découvert que des livres illisibles, des objets dont les fonctions m’avaient totalement échappé et, de manière général, trop de preuves d’une vie esseulée. J’en avais éprouvé un pincement au cœur.

En revenant de sa longue sortie qui m’avait largement laissé le temps de préparer un repas digne de ce nom et de faire un brin de nettoyage dans la maison pour ne pas mourir d’ennui, Orun m’avait annoncé que nous avions rendez-vous le lendemain pour déjeuner en compagnie du roi et du mage. J’avais accueilli la nouvelle avec une telle appréhension que j’en avais lâché le plat que je tenais, obligeant Orun à user de sa magie pour éviter de ruiner notre dîner. Depuis, ma peur n’avait fait qu’augmenter jusqu’à atteindre son paroxysme, dans la cour royale, en remontant silencieusement l’allée bordée d’arbres que nous avions déjà empruntés la veille. Pour tenter de calmer mon cœur galopant à toute allure, je soufflai lentement par la bouche. Ca m’aida un peu.

Nous empruntâmes l’escalier à double entrée pour pénétrer dans le château. Nous arrivâmes directement dans une immense pièce dont le plafond était soutenu par des rangées de colonnes de part et d’autres de la salle et sculptées de spirales. Au delà de ces supports, des arches semblaient mener vers des couloirs garnies de vitres, et des cheminées, éteintes pour la plupart, aidaient à éclairer les endroits où la lumière naturelle ne parvenait pas. Au bout de la longue pièce, que nous traversions silencieusement, était montée une estrade. Y reposait un trône, fauteuil large à haut dossier bien plus simple que tout ce que j’aurais pu imaginer, au centre d’une longue table autour de laquelle était déjà installés quelques personnes, plus nombreuses que ce à quoi je m’étais attendu.

Du trône, un homme d’imposante stature s’éleva aussitôt que nous fûmes à moins de cinq pas de la table. Il avait une épaisse chevelure brune qui grisonnait sur les tempes et sur le front, un visage carré et avenant où brillaient deux prunelles sombres et des lèvres fines qui esquissaient un sourire ravi à ma seule intention.

— Je vous souhaite la bienvenue sur mes terres, voyageuse. C’est un honneur pour moi de vous accueillir en ma demeure et d’avoir la chance inestimable de faire votre rencontre.

Euh … OK … ? Je ne m’y attendais clairement pas à celle-là.

Face à mon manque de réactivité, Orun s’empressa de me donner des petites tapes dans le dos. Je retrouvai alors mes esprits et m’empressai de m’incliner maladroitement en remerciant le roi pour son chaleureux accueil. J’espérais que c’était tout ce qu’on allait exiger de moi jusqu’à la fin de ce rendez-vous.

En me redressant, je jetai un rapide coup d’œil autour de la table. Le roi était entouré d’une femme blonde, juste à sa gauche - certainement son épouse - et de ses deux fils à sa droite, l’aînée étant installé sur le siège le plus proche du souverain. Le dernier invité, assis dos à nous mais qui s’était retourné à notre arrivé, devait être le mage Sosha.

— Myriam, c’est bien là votre nom, n‘est-ce pas ?

Je reportai mon attention sur le roi qui ne l’avait toujours pas lâché du regard. Il ne s’était pas départi de son sourire et semblait vouloir me rassurer par la seule force de son regard. Je mordillai légèrement l’intérieur de ma lèvre avant de répondre :

— Oui, votre majesté.

— Je suis Fitz D’Ube, souverain de Drïa. Vous me paraissez tendue. Détendez-vous, je n’ai encore jamais mangé personne.

S’il se permettait un brin d’humour en ces circonstances, je n’avais sans doute pas autant à craindre que je le pensais. Mes épaules se relâchèrent un peu et je suivis Orun quand il s’installa à côté du mage, m’invitant à faire de même à sa droite. Je m’assis en sentant les regards curieux de l’assemblée peser sur mon corps. Le roi reprit la parole :

— Laissez-moi vous présenter mon épouse, la reine Alphina, ainsi que mon fils aîné, le prince héritier Issa. Il me semble que vous connaissez déjà mon fils cadet, le prince Nyann.

Il désigna tour à tour chacune des personnes qu’il nomma, à qui j’adressai un signe de tête en guise de révérence assise, mains croisées sur les genoux. Chacun m’adressa un sourire poli au retour, sauf Nyann qui m’adressa un vrai sourire chaleureux, bien que son regard fut emprunt d’incrédulité.

— Et enfin, voici notre mage Sosha L’Oril, qui, espérons-le, pourra vous être d’une aide précieuse.

Le dernier homme semblait aussi âgé que Orun. Son visage creusé par le temps arborait le teint bruni des gens de l’île, son cheveux épais était aussi blanc que la neige et ses yeux étaient d’un bleu si limpide qu’ils en paraissaient transparents. Il portait une tenue qui m’interpella : une pantalon proche du corps et une espèce de longue robe fendu jusqu’aux hanches, agrémentés d’une épaisse ceinture de cuir gravée d’étoiles argentées. Il portait aussi la même broche que Orun et je finis par comprendre qu’elle était l’apanage de ceux qui travaillaient à la cour.

Alors que je le détaillais, le mage Sosha m’adressa un signe de tête en guise de salut sans se départir du regard curieux et avide dont il m’entourait depuis mon arrivée. J’ignorais ce que Orun avait dit lors de ses entrevues la veille au soir, mais je pouvais deviner qu’il avait au moins donné les grandes lignes puisque le roi et le mage semblait savoir pourquoi nous étions réunis. Pour ce qui était des trois autres, cependant …

A peine les présentations terminées, quelques personnes pénétrèrent dans la pièce, armés de plats en tous genres qu’ils déposèrent sur la table avant de s’effacer aussi silencieusement et rapidement qu’ils étaient arrivés. Le roi attendit sciemment qu’ils soient loin pour reprendre la parole.

— Orun nous a raconté votre histoire, hier, lorsqu’il est venu me faire son compte-rendu, mais il est resté avare de détails. Pourriez-vous me la raconter à nouveau ?

Je coulai un regard incertain vers le conseiller qui se contenta de m’encourager d’un signe de tête. Je me raclai donc la gorge et entamai mon récit, sans préambule :

— Je ne suis pas née sur Cinq-Iles. Je viens d’un monde appelée Terre, un monde qui n’a rien à voir avec le vôtre. Et d’après ce que j’ai compris, je suis arrivée ici par magie, grâce à ce bijou.

Sur ces mots, je sortis le collier de sa cachette et le laissai retomber sur ma robe. Sans laisser le temps à qui que ce soit de faire autre chose que de l’admirer, je repris :

— Là d’où je viens, la magie n’existe pas, alors je vous laisse imaginer à quel point j’ai été surprise quand, en moins d’un instant, je suis passée d’un environnement familier à un autre, totalement inconnu. Mais je n’ai pas vraiment eu le temps de paniquer ou de faire quoi que ce soit d’autre qu’il aurait été logique de faire à ce moment-là car j’ai été subitement très malade. Plus tard, Siam et Reddi, les cousins d’Orun qui m’ont recueilli, m’ont dit que j’étais restée inconsciente pendant deux jours après mon arrivée.

— Le Premier Contact, murmura alors Sosha, les yeux brillants de compréhension. Si vous n’avez vraiment jamais été au contact de la magie de toute votre vie, ce voyage, qui a dû en demander une dose phénoménale, vous a certainement terrassé.

J’acquiesçai d’un singe de tête avant de poursuivre :

— Siam et Reddi ont été adorables. Ils sont tout de suite compris que je n’avais aucune solution alors ils m’ont hébergé en attendant le retour de la seule magicienne de leur village pour lui demander conseil à propos de mon collier. Mais Orun est arrivé avant elle, et il a décidé de m’amener ici à la place.

J’hésitai à parler des différentes attaques dont j’avais été la cible. Il ne me semblait pas qu’elles avaient leur place dans un récit qui parlait de mes origines.

J’avais faim et j’avais soif, mais comme personne ne semblait décider à attaquer ce qui se trouvait sous nos yeux, j’attendis patiemment en observant mes interlocuteurs. Je leur avais visiblement donné matière à réfléchir.

Ce fut le roi qui finit par briser le silence, ses sourcils froncés par une profonde réflexion.

— Quelle preuve pouvez-vous nous donner qui conforterait vos paroles ? Vous comprendrez qu’il est difficile de croire un tel récit sans cela.

Honnêtement, je m’y attendais. Sans hésiter, j’ôtai mon collier, m’étonnant toujours de le sentir si chaud contre ma paume, et le confiai à Orun. Il en profita pour le passer ensuite à Sosha qui mourrait très certainement d’envie de voir de plus près un bijou capable de tels prodiges. Ensuite, je me penchai pour récupérer mon sac, que j’avais emmené avec moi et que j’avais laissé tomber au pied de ma chaise en m’installant, et le donnai à la reine qui me faisait face. Elle fut surprise par mon geste mais accepta quand même de le prendre. Orun prononça ensuite quelques mots qui invitait certainement la souveraine à ouvrir le sac, ce qu’elle fit aussitôt.

Sa réaction lorsqu’elle sortit mon tee-shirt et mon jean fut sans appel : elle n’avait clairement jamais vu de tels objets. Elle les passa immédiatement à son époux qui les palpa avec beaucoup d’intérêt, et ils passèrent ensuite entre les mains des deux princes, pendant que Orun et le roi discutaient. Bien entendu, sans mon collier, je ne comprenais pas un traître mot de leur conversation. Aussi, ce fut seulement quand tout le monde se tourna vers moi avec curiosité après que Nyann ait parlé, que je compris qu’on m’avait très certainement posé une question. Je me tournai vers Orun, m’attendant à le voir me rendre mon collier, mais Sosha était toujours en train de l’examiner avec attention, sourcils froncés. Je regardai alors chacune des autres personnes présentes, m’arrêtant plus particulièrement sur Nyann qui, le front plissé, attendait toujours une réponse de ma part.

— Je ne parle pas votre langue, me contentai-je de prononcer dans ma langue natale.

Orun fut le seul à ne pas afficher un air incrédule. Même Sosha avait cessé d’examiner le collier pour me dévisager avec intérêt. Orun prit ensuite la parole pendant un long moment, avant que le roi ne pose une question, comme je le devinais à l’intonation de sa voix. Orun poussa un soupir et se tourna vers moi avant de prononcer de nouveau quelques mots qui eurent pour conséquence de choquer chaque personne présente - exceptée moi, évidemment. En constatant que l’on me regardait de nouveau avec incrédulité, je compris que Orun avait certainement usé du même stratagème qu’à Dorca, pour prouver que, sans le collier, je ne comprenais pas un mot de leur langue.

Je commençais à trouver le temps long, coupée ainsi de la discussion, alors je fis comprendre à Orun que je voulais récupérer le bijou, que le mage observait toujours avec autant de curiosité. Une fois qu’il fut de retour autour de mon cou, je pus à nouveau comprendre ce qui se disait autour de moi. La reine fut la première à être traduite :

— Étiez-vous vraiment obligé d’être aussi grossier ? demandait-elle à Orun, sourcils froncés par la désapprobation, en jouant avec ses longs cheveux blonds qu’elle portait lâchés, ramenés sur sa poitrine et décorés de rubans bleus assortis à sa robe.

— Si j’avais été plus poli, vous n’auriez peut-être pas accepté son manque de réaction comme une preuve réelle des pouvoirs du collier. Au moins, maintenant, vous savez qu’elle ne feint pas.

— Encore une fois, Orun, j’ignore ce que vous avez bien pu dire pendant que je ne vous comprenais pas, intervins-je alors, glissant le pendentif sous le col de ma chemise.

Le regard du conseiller se fit amusé quand il me répondit :

— Je préfère que vous continuiez à l’ignorer, Myriam.

— Il a raison, confirma la reine en posant un regard bienveillant sur ma personne qui me rappela la manière dont Siam avait l’habitude de me couver, elle aussi, des yeux. Ce sont des mots qu’une damoiselle ne devrait jamais avoir à entendre.

Elle ne faisait qu’augmenter ma curiosité. A quel point Orun avait-il pu être grossier, voire peut-être même ordurier si j’en jugeais aux réactions qu’il avait suscité ?

— Excusez-moi, dit alors Sosha en se levant brusquement, affichant le visage de celui qui vient de se souvenir de quelque chose d’important. Je crois que … il me semble avoir déjà vu ce collier quelque part … Je reviens tout de suite.

Mon cœur fit un double salto en voyant le mage quitter précipitamment la pièce en empruntant l’une des arches à notre gauche pour disparaître dans le couloir. Le roi et son conseiller échangèrent un regard intrigué.

Le départ soudain de Sosha sembla alors agir comme un rappel au sujet de tout ce qui se trouvait sous nos yeux, et la reine nous invita à commencer à manger en attendant le retour du mage. Je ne me fis pas prier.

J’eus le temps d’avaler une bonne moitié de mon assiette et de vider deux verres d’une espèce de cidre acidulé et très léger avant que Sosha ne réapparaisse. Il déboula les bras chargés de parchemins roulés et de feuilles volantes qu’il déposa lourdement sur la table, envoyant valdinguer au passage un plat de saucisses que Nyann rattrapa juste à temps.

— Vous souvenez-vous du magicien Gon A’Neliud ? demanda Sosha, sans autre préambule, en farfouillant dans ses documents.

La question ne s’adressait à personne en particulier. Ce fut le roi qui répondit :

— Je crois que oui. Si mes souvenirs sont exacts, il y a une dizaine d’années, la guilde a envoyé des hommes à la recherche de ce magicien car il ne donnait plus aucun signe de vie. Ils l’ont retrouvé mort sur une petite île au sud, vraisemblablement assassiné. C’est là que la guilde s’est rendu compte, qu’apparemment, ce magicien avait eu une attirance inhabituelle envers les dragons.

— Vos souvenirs sont exacts, votre majesté, confirma Sosha en continuant à fouiller dans son tas de feuilles sous les regards curieux de tous ceux qui étaient présents. Et comme Gon A’Neliud était un citoyen de Drïa, c’est à moi que la guilde a confié tous les documents retrouvés sur place. Et parmi les esquisses de Gon, il me semble avoir vu quelque chose de très ressemblant au collier de damoiselle Myriam.

Sosha tomba enfin sur ce qu’il cherchait. D’un geste ample, il déroula un parchemin sur la table et le montra à tout le monde. Les caractères utilisés sur Cinq-Iles, que j’avais déjà observé à quelques reprises, s’étendait sur toute la longueur en une écriture fine et ronde qui trahissait le soin avec lequel on avait rédigé le document. Et, comme s’en souvenait parfaitement Sosha, tout en bas était dessiné délicatement une reproduction de mon collier, en double exemplaire. La seule différence notable entre les deux dessins tenaient à la couleur qui avait été utilisée pour représenter l’œil du dragon gravé sur le médaillon : l’un était rouge, l’autre vert.

— Le collier ne traduit que la langue orale, pas écrite, dis-je alors en regardant Sosha. Que dit le texte ?

— Rien de très intéressant pour vous malheureusement, répondit Sosha en se grattant le visage d’un air gêné. Le parchemin ne fait pas mention de colliers ou de bijoux ensorcelés, ce qui laisse penser que ces dessins n’ont rien à voir avec le contenu du paragraphe.

— Est-il possible qu’un magicien ait créé le collier de damoiselle Myriam ? demanda le prince Issa. Il me semblait pourtant que l’ensorcellement d’objets est une pratique peu répandue car elle nécessite un niveau de puissance assez élevé.

Sosha s’assit sur sa chaise en fouillant à nouveau parmi les documents étalés sur la table.

— C’est le cas, votre altesse. Les ensorceleurs sont rares, peu de magiciens se tournent vers cette discipline à la fin de leur formation à l’Académie et je n’en connais aucun qui serait capable d’avoir créer un tel bijou.

Le mage se tourna ensuite vers le roi pour expliquer :

— Votre Majesté, l’existence même de cet objet est … incroyable ! Les magiciens ensorcellent des objets en ne leur offrant qu’une seule fonction, pas plusieurs. Pourtant, ce collier permet à damoiselle Myriam de nous comprendre mais aussi de parler notre langue ! Et je ne cite même pas sa capacité extraordinaire qui a fait venir cette jeune femme jusqu’à nous. Pour insuffler un tel pouvoir à un objet, il aurait déjà fallu savoir qu’il existait d’autres mondes ! Ce n’est pas à la portée des magiciens. Si c’était le cas, la guilde l’aurait su.

Sosha continua de s’enthousiasmer sur les capacités hors du commun de mon collier, mais je cessai d’écouter quand je compris que j’étais face à une impasse. Si les magiciens n’avaient pas créés le médaillon, alors ils ne pouvaient certainement pas m’aider à retourner chez moi. J’étais venue jusqu’à la capitale pour rien.

Je me renfonçai dans la chaise en luttant contre les larmes qui me montaient aux yeux. Même si ma seule lueur d’espoir venait de s‘éteindre, je ne devais pas céder au désespoir. Ce n’était ni le lieu, ni le moment pour flancher ainsi.

— Allons, ne pleurez pas, murmura la reine en se penchant vers moi pour attraper mes mains posées sur le bord de la table et les serrer entre les siennes en signe de réconfort. Je suis sûre que nous finirons par trouver une solution à votre problème. Et, en attendant ce jour, soyez assurée que vous trouverez à Nashda le meilleur des accueils.

Touchée par sa sollicitude, j’arrivai à esquisser un léger sourire. Je pouvais remercier ma bonne étoile de mettre sur mon chemin des personnes aussi chaleureuses que la reine ou Siam. Sans elles, je n’aurais peut-être pas eu la force de continuer à chercher un moyen de rentrer chez moi.

Je reniflai, souhaitant tenir éloigné toutes manifestations de tristesse et me concentrai à nouveau sur ce qu’il se disait du côté des hommes. Sosha, Orun et le roi devisaient toujours sur les incroyables propriétés de mon collier, mais Nyann et son frère étaient en train de fouiller dans la pile de documents apportés par le mage. Chacun d’entre nous avait délaissé son repas, laissant les plats refroidir.

— Je crois que j’ai trouvé quelque chose d’intéressant, fit soudain Nyann, interrompant la conversation de son père.

Il parcourait rapidement un document des yeux.

— Ce parchemin semble être une sorte de journal. Gon A’Neliud y fait mention d’une personne qui réclamait son aide. Cette personne était aussi bien intéressée par ses dons de magiciens que par la formation de bijoutier qu’il avait reçu de ses parents avant l’apparition de ses pouvoirs. Il s’est rendu à Dorca à plusieurs reprises pour la rencontrer. Elle s’appelait Merrine.

— Quoi ? m’exclamai-je, un frisson me parcourant le corps tout entier.

Tout le monde me regarda avec surprise. J’expliquai aussitôt, en me tournant vers Orun qui était le mieux placé pour me comprendre :

— L’ensorceleuse que Siam voulait me faire rencontrer s’appelle Merrine ! On ne peut pas appeler ça une coïncidence. Il faut que je retourne là-bas, à Dorca !

Orun leva aussitôt ses mains en signe d’apaisement et tenta d’atténuer mes ardeurs :

— Le village a brûlé, Myriam, rien ne garantie que cette ensorceleuse y soit encore.

Je secouai la tête.

— Non, je suis persuadée qu’elle y est ! Je l’ai entendue certifier à Siam qu’elle ne quitterait jamais le village. Et puis, si le collier m’a fait atterrir à Dorca, là où il a été fabriquée et où la commanditaire de sa fabrication se trouvait toujours au bout de tant d’années, ça ne peut pas être un hasard ! Elle doit m’attendre.

Je vis Orun ouvrir la bouche, prêt à me contredire, mais la voix du prince Issa s’éleva à ce moment-là, songeuse.
— Je suis d’accord avec damoiselle Myriam, elle doit retourner dans le nord pour avoir des réponses à ses questions.

Je me tournai vers lui avec surprise. Je ne m’attendais pas à voir qui que ce soit intervenir en ma faveur, et encore moins le prince héritier, qui ne me connaissait ni d’Eve, ni d’Adam.

— Moi aussi, je doute sincèrement que sa venue sur Cinq-Iles soit un hasard, poursuivit-il en posant ses mains jointes sur la table et en se penchant légèrement avant. Le voyage qu’elle a effectué est censé être impossible, et pourtant, elle est là. Quelqu’un l’a fait venir. Volontairement. Peut-être même que c’était cette Merrine. En tout les cas, on ne mobilise pas autant de magie par hasard, on s’est donné du mal pour fabriquer ce bijou. Il y a forcément une raison à cela.

Il y eut un blanc. Chaque personne présente devait méditer les paroles du prince Issa.

— Il n’est pas impossible que les colliers ait été fabriqués par plusieurs magiciens, dit alors Sosha. Plusieurs d’entre nous s’y sont déjà essayé mais sans succès. Certains ont peut-être réussi et n’en ont informé ni la guilde, ni le conseil. Après réflexion, je pense qu’il n’y a que de cette façon que le collier a pu être créé.

Je lâchai un soupir de soulagement, presque sans m’en rendre compte. Sosha n’imaginait pas à quel point son intervention me redonnait espoir.

— D’accord, fit le roi. Damoiselle Myriam doit retourner à Dorca, j’entends bien. Mais elle ne peut pas faire un si long voyage seule, surtout en sachant qu’elle n’est pas coutumière de notre monde. Orun a des obligations ici, il ne peut pas repartir pour l’accompagner, et je ne peux pas non plus faire appel à mes soldats pour l’escorter, pas avec la menace que Micone fait de nouveau peser sur nous.

Je n’avais pas pensé à tout cela. J’aurais bien voulu pouvoir certifier que faire le voyage seule jusqu’à Dorca ne me posait pas de problèmes, mais cela aurait été un mensonge grossier que tout le monde aurait vite éventé. Le roi avait raison, je ne pouvais pas faire route vers le nord sans quelqu’un pour m’accompagner.

— Je l’escorterais, annonça brusquement Nyann. Je suis un bon combattant et vous n’avez pas besoin de moi à la capitale pour le moment. En voyageant incognito, il ne devrait pas y avoir de soucis.

Je vis clairement les souverains détester l’idée de leur fils.

— Je ne pourrais pas vous fournir de chevaux, Nyann, contra le roi. Il vous faudra y aller à pied. Cela prendra beaucoup de temps.

— Une chance pour nous que ce soit l’été dans ce cas. C’est la meilleure saison pour parcourir le pays sans montures.

Puisque son époux n’avait pas réussi à dissuader leur fils, ce fut la reine qui opposa l’argument suivant.

— Il vous faudra un chaperon.

Je roulai des yeux, hallucinée. J’ignorais qu’ils en étaient encore à ce point-là. Protéger l’honneur des femmes, non mais franchement … Sans compter que c’était un peu limite comme excuse pour nous empêcher de partir.

— Vous avez si peu confiance en votre fils que vous estimez que nous aurons besoin d’un chaperon ? intervins-je, peu encline à laisser ma chance passer. A moins que ce ne soit sa vertu à lui que vous souhaitiez protéger …

Le prince Issa faillit s’étouffer avec sa gorgée de vin. Mon trait d’humour réussit même à dérider les visages mortellement sérieux du roi et de la reine.

Le père de Nyann sembla alors rendre les armes et poussa un long soupir avant de d’annoncer :

— C’est entendu, je t’autorises à escorter damoiselle Myriam jusqu’à Dorca, Nyann. J’espère que vous y trouverez les réponses à ses questions ainsi, qu’éventuellement, une solution pour la renvoyer chez elle. Mais pas avant la promesse de ton frère dans une quinzaine de jours. C’est une cérémonie importante, toute la famille doit y assister.

Mon cœur se gonfla tellement de joie que je crus qu’il allait s’envoler. Peu m’importait que je devais encore patienter deux semaines avant le départ, ou que le voyage retour serait plus long qu’à l’allée - après deux mois, je n’étais plus à ça près honnêtement. Le plus important, c’était que la fin de cette aventure non-désirée se profilait enfin à l’horizon.

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