LE RETOUR DU BURGER
Je vous pose le tableau. Samedi soir. En amoureux. Fin novembre. 2020. Année de la loose. COVID. Confinement. Ou plutôt : reconfinement un peu déconfiné malgré tout confiné mais pas trop quand même.
Je suis d'accord avec vous, cette histoire avait plutôt bien démarré. Mais je crois que vous avez commencé à sentir venir l'embrouille à partir de « 2020 ». Non ? Mais où avez-vous vécu depuis mars ? Vous n'êtes pas sorti de chez vous ou quoi ?... Oui, bon, d'accord, vous êtes pardonné. Mais vous savez quoi ? Moi, je suis sortie. C'est même ce qui motive toute cette histoire.
Quelle histoire ? Que je me dépêche de vous la conter ? Ralala cette génération qui veut qu'absolument tout, tout le temps, arrive immédiatement. Vous savez quoi ? Une bonne histoire ça se savoure, ça se déguste, ça ne s'engloutit pas d'un coup, comme ça, sauvagement.
Il n'y a que moi qui ai faim, tout à coup ? Remarquez, ça tombe plutôt très bien puisque tout débute par ce besoin primaire. Celui qui vous tortille le bidon d'une agréable douleur.
Je disais donc : nous sommes un samedi soir en plein confinement. Mon cher et tendre et moi-même sommes assis sur notre canapé, enveloppés dans un doux plaid. Et là, le fameux, le mythique : « Grrrrrr » retenti. Celui de nos estomacs à l'agonie qui meurent littéralement d'envie de se voir apporter en urgence de la nourriture. Le glamour étant définitivement mort, on se dit : autant y aller à fond. En plus, nous savons, d'un seul regard, que ni l'un ni l'autre n'a envie de préparer le dîner. La flemme a pris racine, quoi. La solution s'impose donc d'elle-même. « Faim intenable, grosse flemme, pas besoin de glam' », c'est la définition Larousse du McDo.
Ni une ni deux, on est debout, harnachés pour affronter le vent glacial. Évidemment, nous n'oublions pas de remplir notre attestation en cochant la case « achat hautement nécessaire ». (On sort, oui, mais on respecte les règles, hein ! Qu'on se le dise.)
Enfin bref ! Ça y est, on est dans la voiture, on part. En cinq minutes top chrono, on est déjà arrivés, plus affamés que jamais. On sent déjà l'odeur des frites caressant doucement nos narines. Et le moelleux du burger dans notre bouche. L'anticipation remplie déjà notre appétit. Il est là, le Graal, tout proche. C'est certain, on se permettra même une frite dans la voiture !
Mais soudain... L'horreur. Absolue. Complète. Totale. Le pire qui puisse arriver quand on est au bord de l'apoplexie alimentaire. L'a...t...e...n...t...e... CETTE ATTENTE ! INTERRRRRRRMINABLE... Au moins vingt-cinq milliards de voitures sont devant nous, débordent sur la route et font la queue pour le drive. Pour manger nos burgers. Ceux qui doivent venir contenter nos petits bidous. C'est l'enfer sur Terre. Rien de plus, rien de moins.
Il nous faut nous rendre à l'évidence : nous n'allons pas attendre. Oui, nous le voulons ce BigMac, mais là, c'est une question de survie qui se pose.
Malgré tout, une lueur apparaît et vient nourrir notre optimisme. Ok, on n'aura pas notre McDo. Mais... KFC est cinq-cents mètres plus loin. Cinq-cents petits mètres. Même pas la peine de nous regarder pour décider. On fonce. Cette fois-ci, notre ventre est noué par autre chose : l'appréhension. Cette anxiété qu'on peine malgré tout à prendre au sérieux car il nous semble impossible de ne pas avoir notre fast-food.
Et pourtant.
L'anxiété prend un goût acide à la seconde où nous jetons un œil à la file de nouveau interminable des véhicules. La COVID a clairement trouvé son maître. J'annonce : l'envie de manger gras est le virus le plus contagieux de tous.
La frustration est grande et la dépression s'installe entre nous tandis que nous faisons demi-tour. Pas de parole échangée. On ne tente pas d'en rire. Je garde pour moi ma blague sur la COVID.
Retour à la maison. Toujours affamés et maintenant énervés, la flemme n'est plus d'actualité. Il n'y a qu'une seule direction à prendre, à présent.
Ouverture du frigo. Check-up. Vieux cornichons abandonnés dans un pot trop grand. Un peu de cheddar transi par le froid et l'ennui. Dans la porte, un fond de sauce au poivre bientôt périmée. Un nouvel espoir ! Fermeture du frigo. Ouverture du congel'. Deuxième tiroir. Armée de steaks serrés en rang d'oignon, prêts à servir la patrie. C'est dingue comme j'oublie toujours que Monsieur ne jure que par la bidoche ! Troisième tiroir. Bingo ! Des frites ! À défaut du McDo, on va avoir McCain !
On se regarde. Il ne reste qu'un seul ingrédient manquant. Un seul qui peut tout faire basculer. Paradoxalement, on prend notre temps. Survivra-t-on à une troisième désillusion ? Non.
Inspiration. Expiration. L'angoisse contre-attaque !
Nouveau regard. Dernier regard. Celui qui vient avant la sentence. Le couperet tombe. Finalement.
Alors que la poêle grésille de bonheur et que les frites prennent de belles couleurs, nous exultons. La guerre était perdue. Notre faim allait nous dévorer. Mais les petits pains ne nous ont pas lâchés.
Installés sur notre canapé devant Star Wars (autre truc par lequel Monsieur ne fait que jurer...), nous mangeons. L'agonie se dissipe définitivement. Le plaisir est bien là.
C'était le retour du Burger !