Le coquelicot
De toutes ses sœurs, de toutes les fleurs, elle était sans doute la plus charmante, la plus envoûtante, ce qui expliquait le succès fou qu’elle avait auprès des hommes. Des femmes également. Coquelicot régnait sans partage sur les cœurs qu’elle emprisonnait de ses ardeurs timides, et de ses mots réconfortants. Elle venait batifoler après les chagrins d’amour, enlacer les corps sans un bruit. Son parfum, volatile, se déposait subtilement, se dissipait rapidement, mais jamais ne restait très longtemps. On la disait élégante, mais distante. De par sa délicatesse évidente, on oubliait certainement qu’elle était une fleur des champs.
La pivoine
Dans un bouquet, Pivoine était l’aînée. Femme de pouvoir, elle en imposait au reste de ses sœurs. Cordiale, généreuse, elle était de toutes les fêtes, de toutes les soirées, de tous les galas de charité. Dans l’ombre, on la jugeait avide de succès et de prospérité. Ainsi, de l’envie qui la taraudait partout où elle se rendait était née la jalousie. Incidemment, la honte l’avait suivie de son aura malavisée. Pour la tromper, elle soignait les maux des femmes, assistait aux accouchements, chassait les mauvais esprits des croyances anciennes, mais sa culpabilité, toujours, demeurait. Alors, Pivoine se paraît de bijoux, de bracelets, d’atours qui vantaient sa beauté et l’honneur qu’on lui associait.
L’asphodèle
Asphodèle, dans la prairie où elle se prélassait, était sans doute la moins jolie, la plus délaissée. Sur son passage, on murmurait, mais jamais on osait lui dire tout ce qu’on pensait car, de toutes les fleurs, de toutes ses sœurs, elle était un présage de mort. Discrète, elle étayait les tombes et, derrière elle, il flottait un parfum similaire à celui du jasmin. Modeste, peu coutumière des grandes effusions, elle s’attardait les soirs d’hiver dans les allées des cimetières, transportant dans un panier en osier, les plus douloureux, les plus beaux des regrets. Asphodèle n’était certes pas la plus belle, mais elle avait le don d’éveiller les sens.