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Notes d'auteur :
Chères toutes et tous,

J’ai le bonheur et l’honneur d’introduire mon personnage préféré de cette histoire. Sans doute le premier qui m’est venu à l’esprit, mais dont je voulais soigner l’arrivée, si difficile à caser. Mais voici, j’espère que vous l’aimerez autant que moi !

Je tiens à remercier chaleureusement toutes celles et ceux qui prennent le temps de commenter les aventures de Leyme, aussi morbides soient-elles !

Votre thème : Exquise fragrance.
Vos contraintes : - votre chapitre doit se dérouler au crépuscule.
- votre chapitre doit se dérouler par un temps venteux
- vous devez insérer une citation de votre choix sur un thème donné (la nature). La citation est issue du Trésor de la Langue Française : http://atilf.atilf.fr/dendien/scripts/tlfiv5/advanced.exe?8;s=3893831640;
- les émotions suivantes sont interdites : sérénité, apaisement, bonheur, joie, extase.

Ce texte fait 1996 mots sur word, ahah j'ai sué je l'avoue !
Nous l’avons déjà dit, Esclarmonde cherchait à percer les secrets de Leyme. Depuis quelques jours, elle en oubliait même les lamentations d’Anne, bien que cela lui coûtât beaucoup de ne pas y répondre lorsqu’elles parvenaient à ses oreilles. Nous étions en fin de journée, la nuit était en train de tomber par-delà les murs de Leyme, le crépuscule faisait fondre son ombre sur les patients qui s’agitaient, à cette heure-ci, comme des nouveaux-nés. L’Abbesse savait qu’il ne restait plus que quelques heures avant qu’Anne ne recommence sa litanie, mais elle sentait bien qu’elle se rapprochait d’un but qui n’était pourtant pas évident à atteindre. Elle ne pouvait donc pas abandonner maintenant. Depuis des siècles qu’elle était là, il était temps que la situation se débloque, d’une manière ou d’une autre.
Cette fois, elle avait prise avec elle Sainte Spérie, et avait posé sa tête par terre, la laissant barboter dans une mare de sang et s’excusant régulièrement pour l’inconfort.

« Ne sentez-vous donc pas cette odeur ? Elle vient de par ici. On la sent surtout les jours de grands vents comme celui-ci.
- C’est sans doute un rat crevé. » répondit laconiquement le visage blafard.

Esclarmonde aurait voulu lui dire qu’on ne parlait pas ainsi, mais on ne reprenait pas une divinité sur son langage. Elle secoua sa coiffe en faisant virevolter la poussière et continua de triturer les murs aux pierres humides qui constituaient les fondations de Leyme.

« Il m’est impossible de passer par-delà ce mur, annonça Esclarmonde.
- Ah ?
- Mais vous, peut-être que vous pouvez y aller. C’est dans ce couloir que je vous ai trouvée, justement, je cherchais d’où venait cette odeur. »

A ces mots, Esclarmonde eut une intuition et songea qu’elle aurait dû amener Sainte Spérie en vadrouille plus tôt. Elle s’en saisit, l’autre protesta :

« Mais ! Non ! Reposez-moi ! »

Esclarmonde, Sainte Spérie dans les bras, traversa le mur comme bon lui semblait.



Bien mal lui en prit ! Elles se retrouvèrent au beau milieu d’un enchevêtrement de gravas. Il n’y avait rien autour d’elles ni à l’horizon, réellement rien, si ce n’était un désert de ruines. Esclarmonde tourna sur elle-même.

« Mais… »

Plus de murs à franchir, uniquement un cimetière de pierres.

« Sommes-nous coincées ? demanda-t-elle avec angoisse, en hissant la tête sanguinolente au niveau de son regard.
- J’en ai bien peur, répondit la figure. Je vous avais prévenu de ne pas m’empoigner de la sorte ! J’aurais pourtant espéré que comme vous apparteniez à l’autre côté, vous pourriez nous y conduire à nouveau.
- Que voulez-vous dire ?
- Que vous m’avez trouvée alors que j’étais bloquée là ! Il doit y avoir un passage qui permet à cet endroit et à l’ancienne Abbaye de communiquer…
- C’est à perte de vue. Comment cela tient-il ici, sous terre ? interrogea Esclarmonde alors que son regard cherchait désespérément quelque chose à quoi se raccrocher, mais l’horizon paraissait infini.
- C’est nulle part.
- Comment ça : c’est nulle part ?
- En réalité, c’est la chapelle sur laquelle a été construite l’Abbaye et dont il ne reste plus de trace. J’étais là avant l’Abbaye.
- Pendant sept siècles vous étiez coincée là ? »

Esclarmonde frissonna de tout son corps et eut envie de hurler. Il y avait donc pire que d’être emprisonné dans l’Abbaye et l’hôpital ? Cela signifiait qu’il y avait des lieux ensevelis, détruits, non réutilisés, qui ne renaissaient pas de leurs cendres, enterrés sous de nouveaux édifices, et dont les esprits restaient prisonniers dans une sorte de néant, sans nouveaux colocataires et sans vivants à épier.
Sainte Spérie ne répondait pas.
Pendant un instant, Esclarmonde songea sincèrement à laisser là la pauvre tête, en espérant que ça la ramènerait dans sa dimension à elle. A nouveau, elle frissonna, puis se reprit. Elle n’avait jamais imaginé qu’il y avait pire que ce qu’elle expérimentait déjà : voir mourir tous ces braves gens auxquels elle s’attachait inévitablement, comme si cela était là son supplice : ne pouvoir sauver personne qu’elle aimât, comme elle ne parvenait pas à sauver Anne.

Elle voulut se remettre à tâter les pierres, ce geste qu’elle faisait depuis si longtemps, mais il n’y avait plus de murs : seulement un désert. « De l’autre côté » n’existait plus. Elle songea qu’elle pouvait essayer de communiquer avec un médium, mais actuellement aucun d’entre eux ne séjournait à Leyme, et bien qu’ils soient nombreux à échouer ici car on les pensait fous, ils étaient rarement assez puissants pour pouvoir communiquer alors distinctement. Autrement dit, il leur était impossible d’entrer en contact avec une autre dimension comme celle-ci, absorbée par les entrailles de l’ancienne Abbaye. Elle pensa à contacter ses autres colocataires infortunés, mais il faudrait qu’ils devinassent qu’elle était partie pour fureter du côté des « pierres qui puent » comme les appelaient certains esprits moqueurs.

« Mais, l’odeur est encore plus forte, non ? remarqua soudain Esclarmonde.
- Non, non, je ne sens rien.
- Enfin, Sainte Spérie ! Vous n’avez plus de corps mais vous avez un nez ! »

Reniflant comme un animal, les naseaux en l’air, Esclarmonde se guidait grâce à l’odeur. Elle arriva au seuil de ce qui ressemblait à une cavité qu’elle n’avait pourtant pas remarqué dans le paysage. L’odeur était entêtante. Cette odeur, c’était de la mousse avec un mélange de lichens et de champignons, une décoction étrange sortie d’un autre âge qui s’étalait sur la roche calcaire. Comme si cela avait macéré et fermenté, ça prenait la tête comme une fragrance trop forte mais qu’on ne peut se résoudre à arrêter de renifler. Comme les enfants qui sniffent de la colle. Une fois qu’elle nous submergeait pourtant, cette odeur n’était plus vaguement repoussante mais addictive.

Esclarmonde frissonna encore, de froid cette fois. Alors qu’elle n’avait plus eu froid depuis des siècles, elle aurait reconnu ce froid-là entre tous : c’était le froid de la mort. Elle se demanda avec angoisse si elle venait de mourir une seconde fois. La peur la saisit comme une eau glacée dans ses poumons et ses veines ; mais au lieu de hurler, de bouger, de parler, elle restait figée. Ses yeux grands ouverts larmoyaient car elle ne parvenait pas à les faire cligner, retenant son souffle, attendant que le Pire sorte du trou noir que formait cette grotte, s’attendant à découvrir un monstre tout droit sorti des Enfers ou le Diable en personne.

« Esclarmonde ? »

Sainte Spérie la sortit de sa torpeur. Comme un vivant qui se réveille d’un rêve, l’Abbesse se demanda où elle était. Très lentement, comme pour ne pas se faire prendre en chasse par des loups, elle pivota doucement pour se tourner vers le désert de pierres qui lui semblait tout d’un coup étrangement rassurant en comparaison avec cet antre, la tête de Sainte Spérie comme bouée de sauvetage.
En se retournant, elle découvrit la steppe. Elle n’avait jamais vu de steppe de ses yeux, mais elle connaissait les encyclopédies, lisant par-dessus les épaules des vivants : « -géographie, formation végétale des zones semi-arides. - archéologie. ‘’Art des steppes.’’ Forme d'art caractérisée par la représentation d'animaux qui se développa du 3e millénaire avant J.-C. au IIIe s. après J.-C. environ chez les peuples nomades des steppes eurasiatiques. »
Pourquoi se trouvait-elle dans un espace sec alors que Leyme était planté au beau milieu d’une forêt verdoyante ? Où étaient les arbres qui accrochaient l’humidité et le vent ? Là où elle se trouvait désormais, le crépuscule était froid et le vent fouettard car rien n’arrêtait leur course sur cette plaine aride, la terre semblait plate tant on y voyait loin par-delà l’horizon, presque nu, qui s’assombrissait.

« Où sommes-nous maintenant ? » demanda-t-elle, la voix enrouée d’épouvante. Mais seul l’écho de la cavité derrière elle lui répondit.

*

Au bout de minutes qui parurent interminables, un grognement se fit entendre dans la grotte du Diable. Esclarmonde étouffa un gémissement dans sa gorge serrée, les larmes aux yeux, se décidant à faire face au monstre. Elle ne redoutait bien évidemment plus la mort, mais elle craignait la damnation éternelle, un supplice de Tantale.

Elle vit une forme bestiale qui s’approchait lentement. Elles se jaugeaient du regard. La chose était mi-femme, mi-animale ; elle se tenait debout, plutôt voûtée, possédait deux seins qui ressemblaient à des mamelles. Dans la pénombre, la silhouette semblait musclée et velue, elle avait pourtant un dessin humain.
Serrant Sainte Spérie contre sa poitrine, l’Abbesse ferma les yeux et se mit à ânonner une prière qui était censée offrir une quelconque protection :

« Ô Seigneur, nous te demandons de défendre tes fidèles de toute adversité...
- Mais enfin, Esclarmonde ! Ça suffit !
- … Par Jésus le Christ…
- Stop !
- … notre Seigneur…
- Bon sang de merde ! FERMEZ-LA ! »

Esclarmonde ouvrit les yeux et se tut dans le même mouvement, dévisageant Sainte-Spérie qui venait de hurler et dont le cri rebondissait sur les roches de la grotte, tandis que la bête avait prit peur et s’était dissimulée.

« Avancez. Doucement. » ordonna, d’une voix glaciale, la bouche enfantine de Sainte-Spérie.

Esclarmonde obéit et entendit comme des gémissements.

« Posez-moi par terre et reculez jusqu’au seuil.
- Mais…
- Laissez-moi faire, je la connais. »

Esclarmonde, à nouveau, demeurait sans voix. Comme un automate, elle fit ce que Sainte Spérie lui dictait, se sentant démunie, dépossédée de toutes ses connaissances, ses certitudes manichéennes. Elle la posa au sol avec une attention plus grande encore qu’à l’habitude et recula, ne voulant pas perdre le spectacle des yeux.
Très vite réapparurent un front et des yeux de derrière un monticule constitué de stalagmites, se firent entendre des sons entre grognements et gargarismes.

« Je sais, j’avais promis. Mais je pensais qu’on pourrait retourner facilement dans l’autre monde, celui des vivants, grâce à Esclarmonde. Sans qu’elle te voit. Ramène-nous, s’il te plaît. »

La chose grogna à nouveau, s’empara de Sainte Spérie et se mit à lui caresser la joue. Elle s’enfonça dans l’obscurité avec le doux visage mortuaire qui enjoignit Esclarmonde :

« Suis-nous. »

L’Abbesse empêtrait sa robe dans les stalagmites et ne réussissait pas toujours à éviter les stalactites que son front rencontrait. Quelqu’un d’autre que la pieuse Esclarmonde se serait mise à râler car on n’y voyait rien. Soudain, l’excavation s’ouvrit sur une salle recouverte d’un dôme naturel, un feu y brûlait. Esclarmonde n’en croyait pas ses yeux. Les encyclopédies disaient vrai : Dieu avait créé des choses avant de créer les Hommes.
Elle fit le tour des parois, recouvertes de dessins, comme ceux d’un enfant. Il y avait des formes de lions, des sortes d’antilopes… Puis on y voyait une tête qui semblait goutter loin de son corps, représentant sans doute Sainte Spérie. On pouvait aussi remarquer une figure striée de ce qui pouvait s’apparenter à des rides, possédant une drôle de coiffe : c’était probablement la vieille Esclarmonde en costume.
Se retournant, cette dernière lança un regard vide à la créature, incrédule de se retrouver ainsi face à ce qui devait être son ancêtre. L’ancêtre de l’humanité tout entière.
Elle la dévisageait, la détaillant, pendant que la troglodyte berçait Sainte Spérie comme un bébé. Soudain, quelque chose arrêta tout net le flot confus d’interrogations qui noyait les pensées égarées d’Esclarmonde, anéantie face à ce qu’elle découvrait et entêtée par l’odeur tenace de la mousse :

« Sainte Spérie ! Vous ne saignez plus ! »

La troglodyte jeta un regard interrogatif au visage cadavérique et juvénile, qui ferma les paupières et les rouvrit doucement, répétant cela plusieurs fois, comme on rassure un chat.

« Non, dans ses bras je ne saigne pas, dit-elle comme si rien n’avait été plus naturel.
- Sainte Spérie, est-ce elle qui vous a déposé dans le couloir pour que je vous trouve ?
- Oui, c’est elle le portail. Elle nous observe tous. »
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