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Notes :

Salut tout le monde ! Je reviens avec un texte qui patientait depuis un moment, mais je n'avais pas réussi à trouver le temps pour le publier. Il s'agit d'une de mes deux participations à l'AT "Oiseaux de Nuit" des Editions HPF. Bon, j'admets que je ne suis moi-même pas hyper-satisfait d rendu final, mais c'était une ambiance qui me trottait dans la tête.

Je vous laisse la découvrir ! 

Notes d'auteur :

Bonne lecture !

 

Pays de désert infini

 

 

 

Le paysage était plongé dans les ténèbres les plus impénétrables. L’absence de lune ne laissait plus que les étoiles comme seule source de lumière dans ce coin reculé de toute civilisation. Loin à l’horizon, un halo orangé témoignait de la présence d’une grande ville. Il n’avait jamais été bon pour se repérer et il ignorait dans quelle direction il fuyait d’un pas vif et soutenu. De toute façon, il était hors de question de la rejoindre à pied, elle devait être à plus de cinquante kilomètres. Il avait besoin d’un véhicule pour pouvoir mettre le plus de distance entre lui et le reste du groupe. Il devait trouver une route qu’il pourrait suivre. Avec un peu de chance, il croisera un bled ou un ranch – la région en disposait de quelques-uns – où il pourra subtiliser une voiture que ses propriétaires n’auront pas verrouillée.

Son fardeau encombrant pesait lourd sur sa ceinture, cognant contre sa jambe à chaque pas. Il n’avait pas eu le temps de trouver un contenant de transport correct et il avait dû arracher ses manches pour l’attacher correctement. Sur le coup, la fraîcheur qui régnait dans le bassin la nuit ne lui avait pas effleuré l’esprit, il n’avait eu qu’une idée en tête : s’éclipser au plus vite avant que les autres ne remarquent son absence, découvrent ce qu’il avait maraudé et s’élancent à sa poursuite. Sa marche forcée et l’adrénaline que son organisme avait produite le maintenaient au chaud, pour le moment.

Il avait perdu la notion du temps, il était incapable de dire si des heures ou des minutes s’étaient écoulées depuis que ses mains s’étaient renfermées sur son nouveau trésor. Le soleil était rasant lorsqu’il était parti et plus aucun signe du crépuscule n’était désormais visible. Cela devait faire plusieurs heures. Au-dessus de lui, les étoiles scintillaient dans un long ballet mouvant et les contours de la Voie Lactée se dessinaient petit à petit, révélant toute sa splendeur. De temps à autre, un avion traversait le ciel suivant sa trajectoire placide, un satellite survolait le désert imperturbablement, ou un météore zébrait le firmament avant de disparaître presque aussitôt. Mais il n’avait pas le temps de contempler ce spectacle nocturne.

C’était par miracle qu’il avait réussi à se faire embaucher. Une équipe était venue prospecter dans le coin. Tout le monde était au courant, mais personne ne savait en réalité ce qu’ils venaient chercher. Ils n’avaient pas été les premiers, plusieurs autres équipes étaient venues dans la région lorsqu’il était gamin. Il se rappelait encore les tractopelles et les bulldozers qui déplaçaient des blocs de plâtre immenses aux formes plus étranges les unes que les autres. Certains disaient que c’était pour de la recherche, d’autres que c’étaient les industries pétrolières. Mais ça devait avoir de la valeur, ça pour sûr. Tous les gars du coin s’étaient rendus dans la carrière lorsque l’équipe était partie mais personne n’avait rien trouvé de vraiment intéressant, à part des roches aux formes bizarres sans intérêt. Les anciens parlaient de créatures qui avaient été exterminées pendant le Déluge, mais aucune ne ressemblait à un quelconque animal. C’étaient juste des roches éparpillées avec des formes étranges.

Quand la nouvelle équipe était arrivée quelques semaines plus tôt et avait rouvert l’ancienne carrière, très vite suivie d’une nouvelle, la curiosité de chacun était revenue. Alors lorsqu’ils avaient fait passer un appel pour de la main d’œuvre, l’appétit de Croc s’était ouvert. Il voulait savoir ce qui pouvait avoir autant de valeur dans les étendues que les locaux contemplaient jour et nuit toute l’année. Le nombre de places étaient limitées, sans doute pour pouvoir garder un œil sur les recrues, et Croc voulait impérativement quelqu’un de son gang dans le lot. C’était tombé sur lui.

« C’est vrai, tu m’dois d’jà un paquet d’fric pour avoir perdu l’d’nière cargaison, lui avait-il rappelé de sa voix doucereuse.

— J’t’assure, c’tait pas m’faute ! s’était-il défendu.

— Veux pas savoir ! avait répliqué Croc. T’vas aller là-bas, voir c’qu’ils mijotent. T’as intérêt à m’ramener quelque chose de bien, ou j’vais devoir trouver un autre paiement. Paraît que ta nana est pas mal au pieu, » avait-il ajouté avec un sourire graveleux, provoquant l’hilarité des personnes présentes.

Il n’avait pas eu le choix. Le lendemain, il avait fait la queue devant la bibliothèque, là où les étrangers avaient décidé de faire leur recrutement. Il avait poireauté toute la matinée lorsque son tour arriva enfin. Il fut le dernier accepté. Un peu plus l’occasion lui passait sous le nez et sa femme aurait subi la marque de Croc. C’était son truc à lui. Personne ne savait ce dont il s’agissait, mais tout le monde dans le milieu savait que la menace planait toujours pour leurs copines. Personne ne savait ce qu’il leur faisait, mais d’après les rumeurs, les plus chanceuses finissaient enterrées dans le désert.

Les jours suivants n’avaient été qu’une répétition d’un travail long et laborieux. Creuser dans la roche, retirer les débris, bien épousseter, creuser à nouveau. Aujourd’hui, ils avaient commencé à utiliser un marteau-piqueur, accélérant de façon considérable leur avancée, mais créant ainsi beaucoup plus de débris à retirer. En fin d’après-midi, un des jeunes de l’équipe s’était extasié devant un bloc de roche. Toute le monde était venu voir, et ce fut à ce moment précis qu’il sut ce dont il retournait. La couleur et l’éclat étaient reconnaissables entre tous. Il ignorait qu’il en existait de cette taille, mais il était certain qu’avec ça, Croc le laisserait tranquille pour les prochaines années. Il pourrait même racheter le gang.

Il avait attendu patiemment que la journée se termine. Le responsable, un vieux professeur de Chicago, ne voulait pas collecter le bloc aujourd’hui. D’après lui, c’était un site extraordinaire et il ne voulait pas risquer de compromettre les autres à proximité. Mais il n’en avait eu cure. Le campement était situé plus loin, sur un autre versant de la colline, là où s’arrêtait l’unique piste menant à cette partie de ces terres. Il s’agissait d’un léger creux entre deux sommets, qui était assez plat pour y garer plusieurs véhicules et monter les tentes auprès du feu. Il y avait même quelques rochers et arbustes qui offraient l’intimité nécessaire pour réaliser ses besoins. Dans sa jeunesse, il était souvent venu par ici, mais il n’avait jamais soupçonné une telle richesse. Il se souvenait qu’un peu plus loin, les pans des falaises dissimulaient des grottes où l’on pouvait s’abriter en cas d’orage.

Tout le monde s’était regroupé autour du feu, dînant et s’extasiant de la découverte prometteuse. Il en avait alors profité pour voler un maillet et un burin et y était retourné. Il devait contourner la colline en suivant le petit chemin que leur passage avait créé, avant de se laisser glisser dans le sable aggloméré jusqu’à leur site. L’objet de toute ses attentes s’y trouvait encore. Il était de forme globalement cylindrique, quoique à peine écrasé sur deux côtés opposés. L’un, qu’il supposa être la partie supérieure, était tracé d’un léger sillon tandis que celui opposé était incurvé vers l’intérieur du cylindre. Deux crêtes s’étendaient du côté supérieur, mais sans se rejoindre, comme si une arche surmontait le cylindre mais qu’elle avait été brisée. En revanche, une spatule se projeté vers l’extérieur de chaque crête.

Il n’avait pas compris les précautions excessives du professeur : il ne lui avait fallu que quelques minutes pour dégager le bloc, détruisant au passage quelques autres autour de forme similaire mais sans le même éclat fascinant. Avant que quiconque n’entende les bruits d’excavation, il avait dévalé le reste de la colline et était parti en ligne droite, chargé de son incroyable trésor.

Depuis, il n’avait rien croisé sur son trajet en dehors de quelques buissons et cactus. Pas la moindre âme qui vive, pas même le signe d’un véhicule approchant au détour d’une piste ou d’une route de graviers qui parsemaient la région. Il devait être maudit, il n’y avait pas d’autre explication. Il n’avait pas fait très attention à la direction qu’il avait prise en s’enfuyant, mais il connaissait assez bien la région pour savoir qu’il n’aurait pas dû marcher plus de quelques kilomètres avant de tomber sur une route du comté. Ou moins apercevoir les lumières d’un ranch pour le guider. Aussi sauvage que pouvait être l’Ouest Américain, il n’en était pas pour autant moins découpé que le reste du pays et rares étaient les parcelles de plus de cinq cents hectares. Certes, il aurait pu suivre un chemin sinueux, mais le feu de camp avait disparu depuis bien longtemps, témoignant qu’il avait parcouru une certaine distance.

Lorsque le soleil avait disparu, laissant place à un ciel sans lune, les collines et falaises autour de lui étaient devenues de grandes masses sombres oppressantes. Il avait donc fait attention à où il mettait les pieds, essayant de sentir le sol sous ses pieds et repérer les sillons qui auraient trahi une piste. Il aurait reconnu une route à coup sûr, qu’elle soit goudronnée ou faite de gravillons. Mais rien, uniquement de la roche, des branches sèches et de la poussière. Le tout dans une longue succession de dénivelés irréguliers. Il essayait d’éviter les falaises abruptes ou les collines en se guidant aux masses noires occultant le ciel, mais il ne pouvait esquiver les failles et petits canyons, si bien qu’il se retrouva piégé à plusieurs reprises. Mais la topographie désolée de la région ne pouvait être la seule raison de son échec.

Il suivait ainsi d’étroites gorges creusées à même le grès par une antique rivière, espérant qu’il finirait bien par déboucher sur le ciel ouvert. Enfant, il avait entendu plusieurs fois les histoires de ces prospecteurs intrépides qui s’étaient aventurés dans ces coins reculés, explorant chaque recoin et finissant par s’y perdre et y mourir. Les accidents étaient rares de nos jours, principalement des jeunes voulant faire de la randonnée et qui se retrouvaient bloqués par une inondation éclair ou un éboulement. La région était cartographiée et il s’était assez aventuré gamin pour savoir qu’il y avait toujours une sortie. Du moment qu’on restait sur le lit principal, il n’y avait aucune raison de s’y perdre.

Son trésor se balançait sur sa jambe, cognant son flanc à chaque pas, mais il ne pouvait s’empêcher d’y porter instinctivement la main à intervalles réguliers, comme pour s’assurer qu’il fût toujours là. Qu’il fût bien là, que ce n’était un rêve ou une illusion de son esprit due à la chaleur écrasante qui l’avait étouffé pendant la journée. Pour s’éviter la panique, il laissait ses pieds le guider machinalement, tandis que son esprit divaguait dans les projets qu’une telle trouvaille lui promettaient. Tout ce qu’il pourrait faire avec cet argent, couvrir sa femme de parures et de robes digne des reines, s’acheter un des ranchs luxueux très prisés, envoyer ses enfants à l’une des prestigieuses universités de la Côte Est, voire en Europe.

Il sentit que le terrain prenait une légère pente, puis au détour d’un nième virage, il vit enfin la voûte étoilée. Il était sorti du gouffre, mais toujours aucune trace de civilisation. La gorge sèche, les jambes endolories et le ventre tenaillé par la faim, il puisa dans les derniers ressorts de sa volonté pour se remettre en route. Cependant, il n’avait pas parcouru une dizaine de mètres qu’il sentit l’atmosphère devenir lourde, pesante, électrique. Il s’immobilisa aussitôt, guettant le moindre signe de danger. Le frisson glacé qui parcourut son dos ne fit que confirmer son mauvais pressentiment. Il y avait quelque chose dissimulé dans les ténèbres autour de lui.

L’air se remplit de plusieurs bruissements et de pas précipités faisant craquer les brindilles. Sa longue expérience à crapahuter dans la région à longueur de journée lui permit de reconnaître le son mat des pas : c’était quelque chose de lourd et bondissant. Les sens en alerte, les muscles bandés prêts à réagir, il sentit une masse caracoler dans sa direction. Il tenta d’esquiver d’un pas de côté, mais il ne fut pas assez rapide et il sentit un choc violent à l’abdomen le jeter à terre, suivi par un tourbillon de poussière et un meuglement plaintif. Restant immobile, prêt à parer d’éventuel coups, il attendit que l’animal se relevât et galopât plus loin. Puis il se remit sur ses jambes, époussetant d’un geste vif. La violente courbature qui l’élança à travers son abdomen lui confirma que le choc avec l’antilocapre n’avait pas été anodin. Heureusement, il avait dû s’agir d’une femelle ou d’un jeune, car il n’avait pas senti de cornes qui auraient pu l’embrocher vif.

Il se remit en marche mais s’arrêta presque aussitôt. Un jappement suivi d’un long hurlement caractéristique. Son sang se gela aussitôt, le figeant sur place. Voilà pourquoi le troupeau d’antilopes d’Amérique avait fui : elles avaient senti les coyotes. Le cri trouva son écho quelques instants plus tard, très vite suivi par une demi-douzaine d’autres. Il resta sur ses gardes. Il savait que les coyotes avaient la fâcheuse tendance de jouer avec leur nourriture. Il n’était pas blessé et a priori pas à leur menu, mais il était seul, isolé, et en piteux état. De plus, la géographie des lieux pouvait laisser croire que les canidés étaient éloignés alors qu’ils étaient en réalité tout proches. De plus, leur concert enjoué pouvait laisser croire qu’il y avait bien plus d’individus que le nombre véritable.

Les grognements se firent de plus en plus incessants, et il prit ses jambes à son cou lorsqu’il entendit des roches tomber le long de la falaise derrière lui. Sans y penser, il se lança à la suite du troupeau d’herbivores, trébuchant à plusieurs reprises dans sa course effrénée. Il entendit la meute derrière lui et essaya de presser le pas. Son cœur battit la chamade, sa respiration devint saccadée et haletante, les courbatures rendirent ses pas incertains. Il ne pouvait pas s’arrêter, c’était impossible. Les claquements de mâchoires vinrent frôler ses chevilles, et il essaya de donner les dernières forces de son organisme pour distancer les animaux affamés. Mais cette fois-ci, son pied se prit dans une racine exposée, et il s’affala de tout son long, s’écorchant les bras, l’abdomen, les jambes. L’instant suivant, des fourrures vinrent l’encercler et commencèrent à mordiller ses vêtements, secouant la tête avec vigueur.

« Non ! Lâchez-moi ! hurla-t-il avec énergie, se débattant avec férocité. Sales clébards ! Laissez-moi tranquille ou je vous ferai en ragoût ! »

Dans un mouvement de rage, il frappa à la tête l’un des coyotes qui l’attaquaient, l’assommant sur le coup. Deux autres coups, et il fut libre. L’un tenta de sauter sur lui, mais il lui flanqua un violent coup de pied dans le flanc, ce qui provoqua un couinement de la part de l’animal. Titubant, il essaya de se remettre en route, quand un bruit étrange attira son attention. C’était le son d’un moteur, sans doute un pick-up ou un SUV. Cherchant désespérément sa provenance, il repéra les faisceaux des phares à une centaine de mètres en amont d’une petite colline. Le véhicule cahotait à cause du terrain inégal, si bien que lorsqu’il braqua dans sa direction, il fut ébloui un instant. Se tournant, il vit les coyotes hésiter à poursuivre leur traque et à se rabattre sur une proie moins téméraire.

Il n’attendit pas plus longtemps pour s’élancer en direction de la voiture, hurlant à l’adresse des passagers, dans l’espoir qu’ils le voient et l’entendent. Il pourrait négocier avec eux, marchander pour qu’ils le déposent en ville et il s’assurerait de leur faire un virement lorsqu’il aurait réussi à échanger son trésor contre sa valeur. Le véhicule stoppa, la personne derrière le volant coupa le moteur et il entendit les portes s’ouvrir. Il reconnut aussitôt le visage éclairé par les phares : le professeur. Il s’arrêta net dans sa course. Il ne pouvait leur laisser le trésor, ils tenteraient de le lui voler, Croc le ferait écorcher vif pour avoir essayé de le doubler.

« Revenez, pauvre fou ! L’orage va bientôt éclater ! »

Il observa un instant le ciel et constata qu’en effet, les étoiles avaient disparu au profit de nuages noirs illuminés régulièrement par des éclairs. Un tonnerre lointain lui parvint, attestant que la tempête n’allait pas tarder. Mais il ne pouvait pas les rejoindre. Il devait protéger son trésor à tout prix, le revendre avant qu’on ne le découvre. Il avait eu de la chance que personne ne pense au potentiel d’une telle trouvaille. Les jeunes et le professeur étaient sans doute blasés de leurs découvertes régulières, mais pour la dizaine de locaux qui s’étaient joints aux fouilles, c’était une découverte inédite, sans valeur commune.

Il n’entendait plus les coyotes. Sans doute avaient-ils pris peur ou senti l’orage approcher. La voie était libre. Sans accorder un dernier regard au professeur qui lui intima une ultime fois de le rejoindre, il partit dans la direction opposée, en diagonale, fuyant le faisceau des phares. Au milieu du désert, en pleine nuit, sans lune, l’obscurité était sa seule chance de fuite. Leur véhicule lui permettrait de les repérer sans aucun problème, que ce soit par le son ou la lumière. Alors que tant qu’il resterait dans les ténèbres, il leur serait invisible, introuvable, tel un fantôme. Les premières gouttes se mirent à tomber, ce qu’il prit comme un dernier bon signe du destin : cela les forcerait à avancer à allure réduite pour pouvoir voir la route et éviter de s’embourber. Il était bien plus agile et rapide, malgré la fatigue qui l’accablait.

Il avait soif, faim, il pouvait à peine tenir debout, mais le poids à sa ceinture, la masse qui tamponnait son flanc à chaque pas, lui donnait le courage de continuer, d’avancer encore un peu plus. Un mètre, dix mètres, cent mètres. Il les égrenait les uns après les autres. Mais pas assez vite, il n’arrivait pas à distancer la voiture même s’il la tenait à bonne distance. Comment arrivaient-ils à le suivre ? Bien sûr ! Avec la pluie, le sol s’était transformé en une boue pâteuse dans laquelle il laissait une piste toute tracée. Il devait trouver un moyen pour les distancer. Utilisant la lumière des phares qui balayait la plaine, il repéra une crevasse zébrant le sol un peu plus loin. Tel était son salut. Il leur faudrait la contourner, ou alors le poursuivre à pied. Ils le perdraient.

Jugeant la distance, il prit son élan et sauta à travers le ravin. Malheureusement, il avait sous-estimé les crampes meurtrissant ses jambes, et l’obscurité lui avait dissimulé les réels contours du gouffre, de son aspect escarpé, donnant l’illusion d’une saillie droite et lisse. Il avait cru connaître le désert, il avait cru avoir dompté la nuit pour en faire une alliée qu’il pouvait utiliser pour se soustraire aux yeux de ses poursuivants. Aucun d’eux ne prend parti, ce sont deux forces universelles qu’il faut respecter. L’un peut s’avérer sournois et traître, on peut s’y perdre comme on se laisse consumer par nos désirs. L’autre se montre équitable avec tous, elle nous dissimule aux autres, tout comme elle nous cache ses secrets les plus mortels.

Son pied érafla la paroi en face sans réussir à trouver une prise où se stabiliser, et il glissa, se cognant violemment contre les rochers saillants. Chaque coup lui entailla le corps, lui broya un organe, lui fractura un os. Il devint incapable de localiser avec exactitude l’origine de la douleur qui irradiait à travers tout son être. Il n’était plus que souffrance. Après quelques secondes qui parurent durer une éternité, il s’écrasa lourdement sur le dos, au fond du précipice. Le souffle coupé, incapable de reprendre sa respiration, il réalisa qu’il était dans l’incapacité de bouger. Il ne sentait plus aucune partie de son corps. Il perdait peu à peu les notions d’espace et de temps. Il comprit que son erreur de jugement, son arrogance lui avaient été fatales.

La panique le gagna lorsqu’il entendit le son caractéristique du danger le plus mortel de ces contrées. Une sonnette furieuse, accompagné d’un sifflement frénétique, puis un corps souple qui ondulait sur le corps. La sonnette se fit plus insistante, et alors qu’il essayait de bouger pour en déterminer la provenance, il vit un éclair bondir sur lui. Puis un second. Puis un troisième. La violence de la morsure s’ajouta à la peine générale, mais il sut que ce n’était que le début. Il essaya d’appeler à l’aide, mais aucun son ne sortit de sa gorge, seulement un gargouillis. Il se savait condamné désormais. Il sentait toujours la présence réconfortante de son trésor, mais il lui était inutile à présent.

Les minutes, puis les heures qui suivirent furent un martyre qui ne prit fin que peu de temps avant l’aube. La tempête avait lavé le sang coagulé et la poussière qui s’était accumulée. Il s’était depuis longtemps laissé emporter par les ténèbres éternelles, et comme pour illustrer que la Nuit avait décidé de le garder captif pour l’éternité, son corps demeura à la fraîcheur de l’ombre matinale, alors que le soleil inondait déjà la plaine d’une chaleur écrasante. Il était à l’abri temporaire des charognards, car hors de vue, mais la vie de ce pays de désert infini ne tarderait pas à exploiter une telle aubaine, ne laissant que des habits en lambeaux et des os épars. Son trésor fut emporté par une quelconque créature et disparut dans les tréfonds du réseau de crevasses, tombant dans l’oubli absolu.

Lorsque le professeur arriva enfin sur les lieux du drame, en milieu d’après-midi, il ne restait déjà presque plus rien. Il nota le lieu, afin de prévenir les autorités locales, et attendit qu’elles viennent recueillir le cadavre pour le mener à sa famille. Le professeur était resté, essayant de repérer le bloc de roche volé, mais ne trouva rien. Après un dernier regard affligé il retourna au véhicule. Il fit signe au chauffeur de démarrer, trop las pour parler. Lorsqu’il revint au camp, il hocha la tête en négation à la question muette que lui posèrent la quinzaine de regards braqués vers lui.

« Que cela vous serve de leçon : laisser libre cours à sa cupidité, dans la recherche ou toute autre chose, ne peut mener qu’à votre faillite. Le bien commun prime sur le reste.

— Et la vertèbre ? s’enquit un des jeunes étudiants.

— Sans doute disparue avec lui, déplora le professeur. Non seulement c’était la seule qu’il n’avait pas saccagée, mais de tels fossiles en pyrite sont si rares que sa valeur n’était pas qu’anatomique. Espérons que les préparateurs du musée sauront recoller ce qu’il nous a laissé. »

 

Note de fin de chapitre:

Et voilà ! C'est déjà fini ! J'espère que cette petite escapade nocturne vous aura plu. N'hésitez pas à laisser un commentaire ;)

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