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La mèche s’embrasa en éclairant son visage avant qu’elle ne l’éloigne. Ce n’était qu’un cierge parmi d’autres. Humble prière de gratitude noyée dans la multitude. Au pied de la Vierge, Claire déposa sa bougie. Non seulement elle était sortie indemne du covoiturage mais elle se retrouvait maintenant avec un faux compagnon très séduisant et un vrai prétendant tout aussi charmant. À vrai dire, le ciel avait peut-être été un peu trop généreux finalement !


Avec son après-midi à la patinoire, Donovan l’avait complètement conquise. Enfin, il répondait à ses sentiments et elle se sentait pousser des ailes. Et puis, Solal était arrivé pour le réveillon, si beau dans sa chemise blanche et son attitude grave teintée de nonchalance avait tout effacé. Elle était si versatile. C’en était exaspérant. Son inconstance la scandalisait. Loin d’être un coeur d’artichaut, elle était pourtant incapable de se raisonner. Dès qu’elle était face à l’un d’eux, ses pauvres arguments partaient en fumée. L’attraction et la culpabilité se livraient une lutte acharnée en elle. Heureusement, ce dilemme s’éteindrait de lui-même très prochainement. Des trois jours accordés par Solal, la moitié s’était déjà écoulée. Selon toute probabilité, le philosophe s'évanouirait dans la nature une fois son engagement accompli et elle ne le reverrait plus. Autant profiter de sa présence tant qu’il était encore là.


Carpe Diem et compagnie...


Se hissant sur la pointe des pieds, elle le chercha dans l'assemblée. Comme souvent à Noël, les bancs se remplissaient vite et il s'était engagé à lui réserver une place. Malgré les fidèles qui affluaient de tous côtés, elle repéra facilement son blond vénitien qui dépassait de la foule et se faufila jusqu’à lui. Il y avait bien une place même s’il était probablement surfait de désigner ainsi le mince interstice entre lui et une soixantenaire en fourrure. Ignorant la moue pincée de cette mégère, elle s'assit à demi sur Solal. Sa gêne sembla durer une éternité avant qu'il ne parvienne à grappiller quelques précieux centimètres en jouant des coudes. Elle était installée. Collée à lui. A son corps défendant cela va sans dire. Prenant conscience de la rigidité de sa posture contre l'épaule détendue de son voisin, elle tenta de se relaxer en inspirant profondément. Les effluves d'encens entêtantes ne parvenaient pas totalement à masquer une note subtilement boisée. Son parfum. Elle huma discrètement et réalisa que son odeur lui plaisait. Beaucoup. Puis, elle se rabroua vertement. Ce n’était pas le moment ! Elle était dans une église après tout. Durant un millième de secondes, elle réussit à se réfréner, seulement il se pencha vers elle et aussitôt elle replongea.

— J'espère que tu as prié pour le mécréant que je suis, murmura-t-il près de sa nuque tandis que son coeur avait un loupé.

— Évidemment, annonça-t-elle en se reprenant. J'ai demandé une conversion à la Saint Paul pour toi.

— A la Saint Paul ?

— Quelque chose de foudroyant.

— Carrément ?

— Avec les nuages qui s'ouvrent sur une grande lumière et les anges qui chantent. Je pense qu'il faut au moins ça pour convaincre un philosophe. Votre truc c'est de tout remettre en question, non ?

— Touché.

— Du coup, il n’y a que le miracle pour toi.

— Je suis ému que tu te soucies du salut de mon âme.

— C'est uniquement par charité chrétienne, assura-t-elle en lui offrant son plus beau sourire.

Son visage se figea toutefois lorsqu'elle constata qu'ils étaient observés. Avec un air attendri, sa mère se délectait de leur couple photogénique en ignorant qu'il s'agissait d'une illusion. Claire sentit monter l’agacement. C’était vif et épidermique. Ces excès de guimauve l'écoeuraient.

— Qu'est-ce qu'il y a ? interrogea le jeune homme en percevant sa soudaine froideur.

— Ma mère. Elle est insupportable, râla-t-elle à mi-voix.

— Ah oui ? Pourquoi ?

— Elle décortique tous mes faits et gestes. J'ai l'impression d'être sans cesse sous le feu des projecteurs. Analysée. Scrutée. Disséquée. Je n'ai aucune intimité. C'est fatigant. Son attention constante m'étouffe, tu vois ?

— Tu lui en as déjà parlé ?

— Non.

— Tu devrais essayer.

Elle était tellement habituée à cette mécanique bien huilée entre elles que ça ne lui avait pas effleuré l’esprit. Crever l'abcès. Finalement, en avait-elle vraiment envie ? Ce train-train était certes inconfortable mais connu. Fouiller pour découvrir ce que cachait leur mésentente l’effrayait un peu. Pourtant, cette proposition était tentante. A la longue, leur incompréhension mutuelle devenait pesante et elle ne pourrait pas esquiver éternellement. Et puis, c'était Noël. Si les armées allemandes, britanniques, belges et françaises avaient réussi à faire une trêve lors de cette nuit si particulière, elle pouvait tenter de renouer le dialogue avec celle qui lui avait donné la vie. L'assemblée se leva pour entonner le premier chant et le baryton mélodieux de Solal emporta ses réflexions.


La célébration terminée, Anna et Paul rentrèrent chez eux avec leurs enfants endormis. Le reste de la troupe retourna au chalet pour apprécier les multiples desserts. Après les festivités de la soirée, Claire n'avait absolument pas faim cependant sa gourmandise en avait décidé autrement. Bûche pâtissière. Rissoles dorées. Sablés aux amandes et à la cannelle. Sans oublier leur magnifique invention de la matinée : les biscuits chocolatés aux coquillettes caramélisées. Son frère adora et en avala sept d’affilée. Sa compagne, Juliette, se récria sur leur imagination ce qui lui permettait d’exprimer sa désapprobation poliment. Son père s’engagea à les goûter mais n’en fit rien en espérant passer inaperçu. Finalement, sa mère en grignota du bout des lèvres à grand renfort de camomille. Beaucoup d'attentes pour un succès mitigé, il fallait bien l’avouer. En croisant le regard amusé de Solal, Claire pouffa. Au moins, les confectionner avait été un plaisir.


Peu à peu, leur babillage ralentit et elle s’abîma dans la contemplation de l’immense sapin au milieu du salon. Ses branches verdoyantes abritaient les chaussons de ses neveux et elle se revoyait petite, déposant dans un respect quasi-religieux de mignonnes pantoufles à côté de celles de sa sœur et de ses parents. Avec leur pompon soyeux, les mules sophistiquées à talons de sa mère avaient sa préférence. Lorsqu’elle glissait ses petons à l’intérieur, elle s’imaginait grande et belle comme l’était Viviane. À cette époque, sa mère était son tout. Une alliée et une icône intouchable. Son refuge et sa confidente. Maintenant, il y avait ce mur dressé entre elles et elle ne comprenait pas ce qu’il s’était passé.

— Merci ma chérie d'avoir préparé mes biscuits préférés, dit sa mère en dissipant sa rêverie.

Elle réalisa à ce moment-là qu'elles étaient seules. Les autres s'étaient apparemment éclipsés sans qu'elle ne s'en aperçoive.

— Je n’y suis pour rien, c’est Solal qui a choisi la recette.

— Il a l’air très bien…

— Dis plutôt que tu es soulagée que je sois enfin avec quelqu’un ! accusa-t-elle agacée.

— Mais non voyons ! Pourquoi est-ce que tu dis ça ?

Claire n'avait plus le choix. Après avoir jeté le pavé dans la mare, il fallait à présent l'assumer.

— On dirait… je... ça m'arrive de penser que... hésita-t-elle. J'ai l'impression que... que tu es… déçue.

Voilà, le mot était lâché. Sa mère blêmit mais l'encouragea d'un signe de tête. Elle lui en était reconnaissante, une fois lancée, elle préférait aller au bout sans interruption.

— C’est comme si je n’étais pas à la hauteur de ce que tu espérais pour moi. Anna est mariée et mère de deux enfants avec le troisième en route. Thomas a Juliette et une vie trépidante à Londres. Et puis, il y a moi. L'éternelle célibataire. Avec un boulot qui n’a rien d’exaltant. Ma supérieure est infernale et elle me mène la vie dure. J'ai presque 30 ans et je suis un échec ambulant.


La gorge nouée, elle ne put continuer. Blâmait-elle vraiment sa mère ? Celle-ci n'était peut-être que le miroir de ses propres doutes. A 30 ans, Mozart avait composé l’essentiel de ses symphonies, Magritte achevait un de ses plus célèbres tableaux avec la légende « Ceci n’est pas une pipe », Elisabeth II était déjà reine, sans compter Kurt Cobain et Amy Winehouse qui n'atteindraient jamais cet âge. À 30 ans, sa mère avait trois enfants depuis plusieurs années. Et elle, qu'avait-elle réalisé finalement ? Sa vie était un néant. Délaissant ses rêves, elle vivotait sans passion, ni élan. Portant une main à son visage, elle étouffa un sanglot. En débutant cette conversation, elle ne s'attendait pas à ce déferlement d'émotions. Elle espérait maîtriser la situation et réussir à cacher sa peine sous le vernis brillant de l'indépendance. Mais ses sentiments refoulés étaient une bombe à retardement. Elle ne voulait pas craquer. Surtout pas devant sa mère.


— Tu te trompes Claire, contredit-elle doucement.

Comme elle ne réagissait pas, celle-ci répéta fermement :

— C’est faux, je ne suis pas déçue.

— Je me déçois moi-même, bafouilla-t-elle d’une voix étranglée.

— Lorsque je te regarde, je vois une jeune femme libre et créative. En fait, tu me rappelles de manière troublante quelqu'un que j'aurais préféré oublié...

— Qui ?

— Moi.

Elle la dévisagea sans comprendre. Avec son brushing tiré à quatre épingles et son pull en cachemire, Viviane Gervais était l'exemple même d'une existence calme et rangée. Mariée à 19 ans, elle avait eu des enfants dans la foulée en abandonnant toute velléité de carrière. Elle sortait toujours apprêtée. Les mardis et jeudis matin, elle se rendait à son cours de Pilâtes. Même si elle se passionnait pour la décoration, il était difficile de la qualifier d’artiste. Elles n'avaient rien en commun. Avait-elle abusé du champagne pour prononcer un discours aussi farfelu ?

— Moi dans ma jeunesse, précisa Viviane.

— Vraiment ? souffla-t-elle incrédule.

— J'étais comme toi, j'avais soif d'indépendance et de liberté. Ma majorité en poche, je rêvais de voyager. Seulement avant mes 18 ans, j'ai rencontré ton père.

— Sur une piste noire, anticipa sa fille en connaissant déjà sur le bout des doigts cette histoire mainte fois racontée.

— Exactement. Il était déjà moniteur. J'avais fait une chute spectaculaire dans la poudreuse et déchaussé. Il est venu à mon secours. Avec son côté chevaleresque et son uniforme, j’ai immédiatement été sous le charme. Quelle jouvencelle impressionnable j’étais… Nous nous sommes revus...

— Jusqu'au mariage, oui je sais.

— Tu ne connais que la version officielle.

— Parce qu'il y a une autre version ? s’étonna-t-elle médusée.

— Oui.

— Anna et Thomas sont au courant ?

— Bien sûr que non !

— Et tu vas me raconter ? Juste à moi ? s'ébahit-elle.

— C'est ce qui est prévu si tu cesses de m'interrompre.

— Je me tais, promit-elle en ravalant la série de questions qui lui brûlait les lèvres.

— Nous sommes donc sortis ensemble. J'aimais beaucoup ton père. Sauf que je n'étais pas prête pour une relation stable avec tout ce que cela impliquait. J’aspirais aux grands espaces pas à un amoureux. Je l'ai quitté.

— Tu l'as quitté ? répéta-t-elle bouche bée.

Elle s'était toujours représenté leur amour sans nuage. Un cliché lisse et naïf hérité de son enfance. A sa décharge, ses parents se disputaient rarement et ils présentaient généralement un front uni. Certes, Viviane s'agaçait vite pour un rien mais son mari avait l'art de l'apaiser. Au dire de tous, c'était un couple harmonieux et Claire ne l'avait jamais remis en cause. Pourtant, elle était bien placée pour savoir que l’apparence peut être trompeuse. Il lui semblait maintenant évident qu’ils n'avaient pas pu traverser trente années d’idylle sans heurts.

— Je l'ai quitté et je suis partie en Argentine.

Les traits maternels si familiers lui révélaient une inconnue. Elle était persuadée que sa mère n'avait jamais voyagé au-delà de l’Europe… Qui était cette femme en face d’elle ?

— Mais... tu parlais espagnol ?

— Absolument pas, s’amusa Viviane avec un rire en cascade qu’elle ne lui connaissait pas.

Intriguée, Claire discerna brièvement la jeune fille qu’elle avait été, plus légère et aventurière. Sa mère retrouva son sérieux alors que l’éclat particulier dans ses yeux perdurait.

— Évidemment, c’était de la folie. J’étais naïve et inconsciente des risques. Ce pays m’attirait et c’était suffisant. Je voulais aussi faire mes preuves. Montrer que je pouvais m’en sortir. Seule.

— Ça me rappelle étrangement quelqu’un, marmonna Claire.

— Que veux-tu, les chiens ne font pas des chats ! Heureusement, une bonne étoile veillait sur moi. Dans le vol depuis Paris, j’ai rencontré un groupe d’amis à peine plus âgé que moi. Deux garçons et une fille. Ils avaient pris six mois pour faire le tour de l’Amérique du Sud. On a sympathisé et ils m’ont proposé de les accompagner. L’un d’eux était madrilène. Camilo.

A son accent chantant, on pouvait entrevoir à quel point il avait compté.

— Il était un peu sauvage, continua-t-elle, mais paradoxalement très doux. Les premières semaines ont été merveilleuses. C’était dépaysant pour une petite savoyarde dont le voyage le plus exotique était la Bretagne ! Si différent de ce que je connaissais. On vivait au jour le jour, sans savoir toujours où dormir. J’adorais cette vie d’aventure et je progressais en espagnol. Les Argentins étaient adorables. Les paysages grandioses. Et puis, j’ai commencé à me sentir moins bien. J’étais constamment fatiguée avec un appétit d’oiseau. Au début, j’ai mis ça sur le dos de l’hygiène alimentaire précaire. Je pensais à une tourista. Pourtant, ça ne passait pas. Je perdais du poids. Camilo était de plus en plus inquiet et il a insisté pour que j’aille consulter.

— Et alors ?

— J’étais enceinte.

— De... de nous ? bégaya sa fille.

— De ta soeur et toi, oui.

Pour elle, sa mère était tombée enceinte après ses noces et elle réalisa, déconcertée, qu’elle ne connaissait même pas la date de la cérémonie.

— Du coup, tu étais enceinte lorsque tu t’es mariée ? reformula-t-elle.

— De cinq mois.

Claire accusa le coup. Partagée entre son envie de connaître la suite et la nécessité de mettre de la distance avec cette nouvelle, elle se leva. Elle avait besoin de bouger. Comment avait-elle pu louper une telle information ? Il y avait des photos du jour J ! Petite, elle les avait souvent parcourues en rêvant à son propre mariage. Avait-elle nié l’évidence ? Voulant en avoir le coeur net, elle retrouva sans peine l’album concerné sur une étagère, grâce à son étiquette calligraphiée. Il y avait là plusieurs portraits de ses parents aux couleurs fanées. Devant la mairie, à l’église ou vers un lac. Seuls ou avec leurs invités. Solennels ou souriants. Ils se tenaient la main, s’enlaçaient ou s’embrassaient. L’image même du bonheur. Elle détailla longuement la silhouette de la mariée. Aucun indice ne révélait sa grossesse déjà avancée.

— Il y avait uniquement un cercle restreint de personnes informées, expliqua sa mère. Je n’étais pas prête à en parler et mon ventre est resté discret durant toute cette période. Comme si la nature m’avait donné l’opportunité de le vivre à mon rythme. C’est seulement après notre lune de miel que je l’ai annoncé et j’ai directement pris de l’ampleur. Les gens ont eu des soupçons à votre naissance, quatre mois plus tard, mais personne n’a osé nous interroger.

— C’est dingue ! s’exclama Claire en reprenant son souffle.

Sa mère acquiesça avec une grimace contrite.

— Tu étais à l’autre bout du monde et célibataire quand tu as appris la nouvelle. Et papa dans tout ça ?

— Au départ, il était hors de question de l’avertir. C’était un choc, je ne m’attendais pas à ça. J’étais sonnée. Étrangement déconnectée de la réalité. Pour moi, la maternité était un projet lointain. Très lointain.

— Tu as voulu avorter, chuchota Claire consternée.

— Oui, je l’ai envisagé, avoua-t-elle tendue.

C'était étrange d'imaginer que son existence ne tenait qu’à un fil. Elle aurait pu ne jamais naître. Ne pas être ici, dans ce salon. Ignorer les joies et les peines. Si sa mère avait fait un autre choix, elle n'aurait simplement pas existé. Ça lui donnait le vertige. A l’origine de toute sa vie, il y avait le « oui » de cette jeune fille. Claire qui pensait être une enfant désirée se sentait flouée. La pilule était amère. Et en même temps, une part d'elle comprenait le désarroi qu'avait pu éprouver sa mère. A bientôt 30 ans, elle n’avait aucune certitude quant à sa réaction face à une grossesse surprise, alors avec dix ans de moins…

— Je comprends, l'apaisa Claire en lui caressant le bras.

— J’étais perdue, pleurant continuellement. J'aurais aimé une boussole pour m'indiquer la direction. J'étais en Argentine, loin des miens et surtout dans un pays où l'avortement est, encore aujourd'hui, illégal. Il aurait fallu revenir en France mais je ne voulais pas. Je n'étais qu'au début de mon itinéraire et je m’accrochais à mon rêve de toutes mes forces. Il y avait tant à découvrir là-bas. Danser un Tango endiablé. Voir les chutes d'Iguazú et sa jungle tropicale, les lacs et sommets de l'Altiplano. Finalement, c'est Camilo qui m'a convaincue de contacter ton père. Il a argumenté pendant des jours en disant qu'il avait le droit de savoir. C'était si généreux de s'effacer après ces semaines où nous avions été si proches.

— Tu as prévenu papa ?

— Je l'ai appelé. Je m'en souviens comme si c'était hier. Avec un vieux combiné qui grésillait et la ligne coupait fréquemment. Il y avait un décalage de plusieurs secondes entre mes propos et sa réponse. Des conditions terribles pour ce genre d’annonce. Malgré cela, ton père a été exemplaire en réservant son billet pour me rejoindre afin d’en discuter de vive voix.

— Il a traversé un océan juste pour te parler ? C'est complètement fou !

— Ça m'a beaucoup touchée et en attendant sa venue, je me suis mise à envisager l’avenir. J’apprivoisais l’idée d’être mère. Épouse éventuellement. Ce qui m'horrifiait auparavant devenait possible. Ton père est arrivé. Il m'a avoué qu'il m'aimait toujours et qu'il était prêt à élever cet enfant. Notre enfant. Toutefois, il m'a aussi assuré qu'il respecterait ma décision quelle qu'elle soit. Ce jour-là, j’ai réalisé quel homme il était. Loyal. Fidèle. Courageux. Un homme sur lequel s’appuyer. Avec quelques jours de réflexion, ma conviction a grandi. Avorter n’était plus d’actualité, je voulais le garder. Nous avons continué notre périple en Argentine. Ton père a demandé ma main aux chutes d’Iguazú et j'ai dit oui.

— Tu n'as jamais regretté ? s'inquiéta néanmoins Claire.

— Jamais. Moi voulais l’aventure avec un grand A, j'ai été comblée en apprenant que j’attendais non pas un enfant mais deux !


Et c'était comme si tout était renouvelé. Disparus ce brouillard d'incompréhension qui les aveuglait ou cette fumée épaisse qui les oppressait. La lumière avait peu à peu percé l’obscurité au fil de leur dialogue. Elle avait jailli. Intense. Elles s'étaient comprises. Retrouvées. Et miraculeusement, sa crispation s'était envolée. Adieu tristesse et découragement. Elle se sentait sereine. Aimée. Pleine d'espoir pour le futur. La magie de Noël avait encore opéré. Pour la première fois, elle avait parlé à la femme derrière sa mère. Elle avait touché du doigt ses rêves brisés et ses résurrections. Ses projets et ses élans. Ses choix et ses amours.


— Je suis très fière de toi ma chérie. De la femme que tu es. J'aurais aimé être comme toi au même âge.

— Tu n’étais pas mal non plus, plaisanta-t-elle en l’enlaçant.


Elles se quittèrent réconciliées. En montant les escaliers jusqu'à sa chambre, Claire fredonnait un air de Noël, rêveuse. Poussant délicatement la porte, elle se glissa dans la pénombre.

— Ça va ? lança une voix ensommeillée.

— Très bien. J'ai suivi ton conseil et parlé à ma mère, chuchota-t-elle.

Une vive lumière l’éblouit soudain.

— Raconte.

— Tu dormais !

— Pas du tout, je suis parfaitement réveillé, répliqua Solal en baillant exagérément.

— C’est ça, gloussa-t-elle.

— Allez ! Tu ne peux pas me dire ça et t’arrêter ! C'est cruel, bougonna-t-il.

— D'accord, d'accord, concéda-t-elle en s'allongeant sur son lit. Approche-toi pour ne pas qu’on réveille toute la maison.


En le voyant émerger de son sac de couchage, elle haussa imperceptiblement les sourcils. Il était torse nu. Pourtant, elle aurait juré qu’il avait un tee-shirt la nuit dernière. Qu’en avait-il fait par contre, mystère. Sans y prendre garde, elle fut happée par son ventre plat et suivit la fine ligne de poils dorés qui se perdait sous l’élastique plutôt lâche de son pantalon. Elle déglutit en relevant les yeux. Il la fixait d’un air amusé bien conscient de son trouble.


– Estime-toi heureuse que j’ai un pantalon, la taquina-t-il avec un sourire en coin suffisant.

– Ce n’est pas le cas d’ordinaire ? s’enhardit-elle alors que ses joues s’embrasaient.

– Non. En général, je ne porte rien.

Elle essaya de rester impassible face à une telle révélation sauf que l’intensité de son regard ne l’aidait pas vraiment. Il faisait très chaud dans la pièce soudainement. Cet étudiant menait la danse et il n’était pas question de le laisser faire.

– Ça t’intéresse mon histoire ou pas ?

Ce n’était pas brillant pour changer de sujet. Clairement pas son heure de gloire. Sa diversion pathétique entraîna un rire silencieux qui agita les épaules du jeune homme mais il ne renchérit pas. Il avança et se laissa tomber lourdement sur le matelas ce qui la fit rebondir. Puis, il s’allongea en croisant les bras derrière la tête, pas le moins du monde intimidé. C’était déconcertant de le voir dans son lit, étonnamment à sa place. Familier et serein.

– Je suis tout ouïe.

Pour s’éviter la tentation de le reluquer, elle éteignit. Ce qui n’était pas l’idée du siècle. La tension entre eux redoubla. Privée de la vue, ses autres sens se déployaient. Il y avait ce souffle régulier. La chaleur qui émanait de sa cuisse. Cette présence à ses côtés, c’était… intime. Elle n’avait plus l’habitude. Ce qui expliquait certainement son coeur battant la chamade. Il fallait qu’elle se reprenne. Elle était une grande fille. Elle ne pouvait pas être transportée pour si peu. La voix légèrement rauque, elle commença son récit en se focalisant sur les mots. Et peu à peu, la sérénité la gagna.
Note de fin de chapitre:
Merci à tous ceux qui suivent cette histoire même en plein coeur de l'été ;) Ce chapitre répondait à la contrainte d'Haza "un secret de famille est révélé", qu'en avez-vous pensé ?
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