Le lendemain, alors qu’elle avait fini de trier et ranger les affaires de son appartement, Candice n’était toujours pas fixée sur le sort de sa grande propriété. Après le départ de Gina, elle avait davantage analysé son lourd trousseau de clés et avait testé d’ouvrir les boutiques et les portes voisines. Elle s’était sentie encore plus étrangère en entrant dans les maisons des numéros quatorze et seize. Elle avait eu l’impression de pénétrer chez des inconnus. Pourtant, officiellement, légalement, elle était chez elle. Maître Morris lui avait confirmé ce matin même. Lors de sa visite, l’homme d’état en avait profité pour confirmer à Candice que tout l’argent de sa grand-mère lui serait entièrement reversé à la fin de l’année et que cela clôturerait définitivement le dossier de succession. Candice avait, comme lors des fois précédentes, acquiescé de hochements de tête réguliers sans saisir parfaitement le jargon officiel de l’homme à l’éternel costume noisette.
En suivant le conseil de Gina, cette vieille et affectueuse femme, qui remplaçait momentanément, généreusement et inconsciemment, à la fois sa mère absente, sa meilleure amie trop loin et sa grand-mère disparue, Candice s’était acheté une énorme boite de chocolats de Noël chez l’épicier du coin. Gina lui avait également expliqué que d’habitude, c’était chez Donna que les habitants se fournissaient en sucreries et douceurs de Noël mais depuis la fermeture de la confiserie, madame Glasser, l’épicière, avait repris l’activité en plus de ses produits habituels.
Trois jours avant Noël, la ville de Kingston revêtait parfaitement son habit de Noël. La neige recouvrait pleinement les trottoirs et la chaussée. Candice avait aussi décidé de faire un tour au marché de Noël que l’école organisait près de l’étang. Elle n’était pas revenue ici depuis sa promenade automnale où elle avait rencontré Henri et son labrador. En arrivant tranquillement dans le parc, elle sourit en imaginant et espérant à nouveau rencontrer l’instituteur et son chien.
Le paysage ici avait complètement changé. La neige recouvrait le sol à la place des feuilles orange et jaune. Les arbres désormais nus décoraient le parc sobrement. L’étang était complètement gelé. A rester au chaud dans sa boutique, Candice ne s’était pas rendue compte que les températures avaient largement chuté au point de geler la faible hauteur d’eau de l’étang. Des patineurs se faisaient d’ailleurs plaisir en enchaînant des glissades sur leurs patins.
En restant au bord, Candice observait un élégant patineur qui virevoltait avec délicatesse et sportivité. Étonnée, elle remarqua que celui-ci glissa tout à coup vers elle. Ce fut alors qu’elle le reconnut.
- Avec votre bonnet et sans votre chien, je ne vous avais pas reconnu, plaisanta-t-elle en guise de salut.
- Hey Candice. Je suis ravi de vous revoir, répondit Henri Walsh en quittant la patinoire. Comment allez-vous depuis cette journée de septembre ?
- Oh ce n’est pas l’idéal. Je viens de quitter mon travail, le dossier de succession me préoccupe toujours et je me demande vraiment ce que je vais faire, répondit honnêtement la jeune femme par-dessus son écharpe. Mais j’ai fait connaissance de votre tante, Gina. C’est une sacrée bonne femme. Quelle pêche encore pour son âge ! Elle m’épate.
- Oh oui, elle n’arrête pas. Cette année, elle sera encore une fois, en tête de la parade. Tous les ans, elle fait une magnifique lutin de Noël. J’espère qu’on vous y verra aussi, demanda Henri à son tour.
Après le notaire, le garçon gourmand et Gina, Henri était la quatrième personne à lui faire part de la future parade. Finalement, pratiquement toutes les personnes qui lui avaient adressé la parole lui avaient parlé de la fête de Noël organisée traditionnellement dans la ville chaque année à la veille de Noël.
- Pfou, soupira Candice, qui n’était jamais emballée par les fêtes de Noël en général et par les fêtes de village en particulier. C’est pas mon truc.
- Ah bon ! répondit Henri avec déception.
Candice se sentit coupable du silence gênant qui s’installa alors pendant quelques secondes.
- Et la patinoire ? Est-ce que c’est votre truc ? relança Henri, loin d’être abattu. Il y a des patins en libre accès dans le petit cabanon, là-bas. Ca vous tente ?
Candice adressa un large sourire à son cavalier. Cela faisait très longtemps qu’elle avait chaussé des patins à glace. L’envie de patiner au bras de Henri la tentait vraiment. Ainsi, la jeune femme, ne se fit pas prier.
Son partenaire de danse lui tendit la main une fois qu’elle fut prête. Candice s’en saisit et d’un pas léger retrouva rapidement de belles sensations au bout des pieds. L’air était froid et sec. Le soleil brillait. Autour d’eux le lac gelé reflétait des couleurs argentées. Parfois l’un contre l’autre, parfois l’un à côté de l’autre, le couple de danseurs enchaînait magiquement leur chorégraphie improvisée sans jamais se séparer. Des promeneurs autour de l’étang, les regardaient avec des yeux ébahis. Les deux patineurs étaient beaux à observer. Candice et Henri semblaient vraiment s’amuser et prendre du plaisir à glisser avec complicité et élégance sur la glace. Candice se sentit légère comme elle ne l’avait pas été depuis longtemps. Ses soucis et ses doutes semblaient s’envoler à chaque pas de danse. Soutenue et guidée par la main de Henri, elle se croyait intouchable. Elle se sentait forte et confiante. La jeune femme profitait du moment avec extase. Et quand elle croisait le regard de son beau partenaire, elle souriait et exaltait.
Enfin, dans un dernier tourbillon, Candice se retrouva enlacée dans les bras de Henri. Leurs deux visages souriants se faisaient désormais face. La jeune femme avait chaud. Après cette danse flamboyante, ses joues étaient devenues rouges et en plongeant dans le regard bleu et étincelant de Henri, elle se sentit fondre dans ses bras. Les deux danseurs restèrent ainsi, chaleureusement enlacés, pendant quelques longues et tendres secondes sans que ni l’un ni l’autre cherche à rompre l’instant.
Ce fut l’aboiement de Chouki au loin qui ramena Henri et Candice à la réalité.
De retour sur la berge, Henri caressa son labrador pour le rassurer. Non, il ne l’avait pas oublié.
- Je dois passer au chalet de l’école pour voir ce que font mes élèves, expliqua l’instituteur alors que les deux patineurs rechaussaient leurs bottes d’hiver. Est-ce que vous faîtes un tour de marché avec moi ?
Les deux trentenaires continuèrent ainsi leur promenade ensemble. Henri fit découvrir les spécialités locales à Candice qui écoutait attentivement et passionnément. Bercée par les explications sur les sucres d’orge ou sur les couronnes de houx, elle ne voyait pas le temps passer. Elle constatait aussi qu’à chaque stand Henri était toujours bien accueilli. Tout le monde, ici, semblait connaître et apprécier le bel instituteur. Quand celui-ci présentait poliment Candice auprès des commerçants et des parents d’élèves qu’il croisait, il précisait gentiment, qu’elle était la petite-fille de Donna. Aussi, la jeune femme put également constater l’attachement des habitants envers sa grand-mère. Les conversations importunes devenaient alors très chaleureuses. Candice, souriante se sentait bien, elle se sentait même réconfortée. La bienveillance des différentes personnes qu’elle rencontra ce soir-là, aux côtés de Henri, la toucha sincèrement.
Bizarrement, enivrée par l’ambiance de Noël qui ornait chaque chalet, Candice se sentit pour la première fois heureuse à Kingston. A côté de Henri, son verre de vin chaud à la main, les chansons de Noël qui passaient inlassablement dans les hauts -parleurs, les couleurs rouges et dorées tout autour d’elle, elle n’avait aucune envie de partir. Elle avait même envie de prolonger ces instants.
Le lendemain soir, Candice fut étonnamment la première spectatrice au pied sa boutique à attendre la parade de Noël. Henri n’avait finalement pas eu trop de difficultés à la convaincre de venir voir la parade de Noël. Toute la ville se mobilisait pour l’événement traditionnel. Ce serait vraiment triste de manquer cela, avait rétorqué l’instituteur.
La musique si entraînante venait facilement égayer la vie dans la rue principale de Kingston à tel point qu’il était difficile de ne pas se laisser distraire et entraîner par la célébration hivernale.
L’espoir de croiser Henri et de passer à nouveau du temps avec lui, avait aussi, et surtout, motivé Candice à venir faire la fête avec les habitants de Kingston. La trentenaire se retrouvait ainsi sur la rue principale devant la vitrine vide de sa confiserie. Montée sur la première marche de sa boutique, elle avait trouvé un point d’observation idéal. Candice n’aurait jamais cru qu’autant de monde se retrouverait ici dans le froid et la neige. Mais à la veille de Noël, les lumières et les musiques de Noël l’emportaient sur les températures glaciales. Sous son bonnet et son écharpe, Candice restait emmitouflée dans son gros manteau à l’abri du vent. La parade arrivait bientôt au niveau du numéro quinze de la rue principale et la jeune femme reconnut déjà le lutin vert et rouge qui conduisait le cortège.
Gina avec son costume marchait au rythme de la musique en lançant joyeusement de beaux confettis dorés qui décorèrent la rue enneigée devant elle. La vieille dame paraissait pleinement à son aise et à sa place. Une nouvelle fois, la jeune new-yorkaise était épatée par le dynamisme et la générosité de l’ancienne amie de Donna.
Derrière le lutin, une chorale d’enfants coiffés de bonnets rouges avançait avec entrain et Candice entendit alors les chants de Noël résonner dans toute la rue. Étonnamment, la jeune femme se sentit réchauffée. Un sourire s’installa alors sur son visage. Elle ne pouvait le nier, l’ambiance était vraiment agréable.
Les chars décorés de flocons, de boules de Noël, de sapins, de guirlandes ou bien de Pères Noël, étaient aussi surprenants qu’éblouissants et défilaient les uns derrière les autres. Candice devait bien reconnaître le travail, le temps et l’investissement remarquables pour réaliser ces chars. A New-York, les écrans avaient depuis longtemps remplacé les décorations naturelles et originales. Depuis plusieurs années déjà, malheureusement, les images animées et virtuelles se faisaient courantes et majoritaires dans les rues de la Grosse Pomme. Candice s’y était habituée. Mais là, devant les créations artisanales et le spectacle vivant qui se présentait gratuitement et généreusement à elle, la jeune femme ne pouvait pas le contester, la tradition et le naturel l’emportaient royalement.
Candice apprécia chaque instant et prit petit à petit conscience, de ce que le notaire lui avait dit quelques jours auparavant. Elle comprenait enfin ses paroles et pourquoi elle était revenue. Elle comprenait ce qu’elle faisait là et s’étonnait que Maître Morris l’ait bizarrement compris avant elle. Ses racines étaient ici et contrairement à ce qu’elle pouvait croire, elle se sentait chez elle. En regardant défiler les chars, elle imagina alors que son propre père avait lui-même été le petit garçon au costume d’ange ou bien l’elfe de Noël en train de porter des cadeaux. La vie ici ne lui était pas si étrangère finalement. Elle avait beaucoup à apprendre et à découvrir, peut-être même plus qu’à New-York.
Emportée par la magie de Noël qui s’offrait à elle, et par l’émotion, une larme coula alors sur ses joues.
- Vous avez bien fait de venir, susurra alors une voix douce à son oreille.
- C’est magnifique, murmura Candice. Vraiment. C’est un boulot énorme et magnifique. Et puis, Gina est superbe et les enfants ont tous l’air contents et fiers d’eux. Bravo !
Les chars avaient fini de traverser la rue. La parade était terminée pourtant la fête ne faisait que commencer. Bien qu’enneigée et glissante, la route se transforma en quelques secondes en piste de danse. Entraînés par la fanfare qui enchaînait les musiques, les spectateurs, lutins et autres artistes se laissaient entraîner par le rythme.
Emportés par la foule, Henri et Candice se retrouvèrent alors, très rapidement et naturellement, à nouveau main dans la main, tournant et dansant joyeusement. Émus par cette soirée magique, ils s’amusaient. La jeune femme croyait à nouveau rêver les yeux ouverts. Serrée dans les bras de Henri, elle valsait avec bonheur. Se rapprochant de plus en plus, les deux trentenaires se souriaient l’un et l’autre.
Enchaînant les rock endiablés, les valses ou même des tangos improvisés, Henri et Candice ne se lâchaient et ne se lassaient pas. Sans jamais se gêner dans leurs pas ou leurs échanges de mains, les deux danseurs semblaient parfaits l’un pour l’autre. Pourtant, dès que Candice croisait le regard de Henri, elle se sentait imperceptiblement vaciller. Mais immédiatement, la main à la fois ferme et rassurante lui donnait la force et l’énergie pour continuer leur chorégraphie.
Emmitouflée dans ses habits d’hiver, la jeune femme avait chaud. Elle ne ressentait plus le froid ni la torpeur de l’hiver. Au fil de la musique et de ses déhanchements, elle se sentait l’esprit et le corps revigoré.
Aussi, emportée par cet instant chaleureux et envoûtant dans les bras de Henri, la jeune femme, guidée par son envie, finit par se laisser aller, se décider et embrassa son partenaire de danse. Henri, à peine surpris rendit instantanément et passionnément son baiser en resserrant davantage son étreinte. Candice crut rêver. Jamais un baiser ne l’avait autant fait chavirer. Après les bras réconfortants de son partenaire de danse, après son regard pétillant, elle ne pouvait être que séduite par la douceur sucrée des lèvres de Henri.
Entouré par la foule, le couple semblait passer inaperçu.
La neige choisit ce moment-là pour commencer à tomber.