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Quand elle se réveilla le lendemain matin, Candice s’étonna d’avoir si bien dormi. Toutefois, elle mit un instant avant de se rappeler où elle avait passé la nuit et pourquoi elle se retrouvait ici, dans ce vieux lit en bois plutôt que dans son large futon japonais de son appartement new-yorkais.

Rapidement, elle prit ses marques dans le petit appartement du fin fond de l’Arkansas. Elle réussit à se préparer un café en faisant bouillir de l’eau dans une casserole et en se servant dans le vieux pot en verre étiqueté « café ». Elle dut attendre plus de cinq longues minutes, lenteur incomparable à sa machine expresso qu’elle utilisait bêtement chaque matin. Rapidement douchée, elle décida de commencer sa journée par faire des petites courses en espérant trouver près de chez elle de quoi remplir les placards afin de pouvoir manger jusqu’au demain midi.

Son sac à main sous le bras et ses hauts talons aux pieds, Candice sortit habillée d’un jean bleu et d’une chemise blanche, ses longs cheveux blonds ondulant sur ses épaules. Elle prit la direction de la veille, vers l’agence du notaire, persuadée être passée devant une épicerie.

Après seulement quelques dizaines de mètres, elle trouva son bonheur avec un tout petit commerce à la devanture très réduite mais qui semblait proposer tout une gamme de nourriture. En entrant, elle constata que le magasin était beaucoup plus large et grand que la vitrine. Candice trouva ce qu’il lui fallait, un paquet de biscottes, un pot de beurre de cacahuètes, un sachet de pâtes, un tube de sauce, des pommes, du bacon et du café soluble. Par chaque personne qu’elle croisait dans les rayons de la boutique, elle avait l’impression d’être désagréablement dévisagée. Légèrement gênée, Candice tenta de dissiper ces malaises en restant polie et en saluant d’un simple « bonjour », les autres clients.

Elle retourna péniblement les bras chargés jusqu’au bout de sa rue où se trouvait l’ancienne confiserie. Debout devant la porte vitrée, son lourd sac de courses posé à ses pieds, Candice cherchait difficilement le trousseau que lui avait confié le notaire tombé dans le fond de son sac.

Une fois ses maigres courses déposées sur la table, Candice se sentit bien embêtée. Elle n’osa pas ranger les affaires dans les placards et n’avait pas d’autres occupations auxquelles s’atteler. Elle n’avait ni ordinateur, ni réseau pour éventuellement s’occuper à travers un écran, aussi, elle décida d’aller davantage se promener dans la ville où sa grand-mère avait visiblement passé toute sa vie.

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Candice se dirigea cette fois-ci dans l’autre direction de la rue principale. Loin de l’agence notariale et de l’épicerie, elle observa ainsi les autres boutiques et les autres bâtiments de la ville. Dès qu’elle le put, elle tourna aussi dans une rue perpendiculaire et s’éloigna du centre ville. Kingston n’était pas une grande ville, c’était même un gros village, si bien qu’une fois sorti de l’axe principal, les habitations et constructions se faisaient de plus en plus rares. Toutefois, elle passa devant un petit hôpital, probablement là où sa grand-mère avait fini sa vie, un grand bâtiment orange qu’elle imagina être une salle de sports et enfin, une école. Derrière la cour de récréation, la promeneuse aperçut un parc avec un étang et s’y dirigea naturellement. Elle passa devant la grille de l’établissement scolaire et son regard fut attiré par une affiche aux couleurs roses et jaunes très criardes. Par déformation professionnelle, elle ne put s’empêcher d’y apporter un regard critique. La page paraissait parfaitement réalisée par un amateur, ce qui n’avait rien d’étonnant. L’un des parents investi avait fait ici un bon travail car il avait réussi à attirer l’attention avec les couleurs et les polices d’écriture très larges. Candice apprit ainsi que l’association des parents d’élèves cherchaient des bénévoles pour préparer la future parade de Noël.

L’automne était à peine commencé pensa la graphiste, que déjà certains pensaient et préparaient Noël. Elle trouvait cela tout à fait ridicule. Quittant son regard des affichages scolaires, elle préféra retourner à la contemplation du paysage. S’engageant dans le chemin de randonnée qui bordait l’étang, elle perdit complètement conscience que la ville se trouvait à quelques mètres derrière elle. Bercée par le vent qui soufflait et par le crissement des feuilles sous ses pas, elle marcha ainsi l’esprit ouvert. Les pensées se chevauchaient dans son esprit mais elle réussissait toutefois à profiter de la promenade. Se trouver si loin de New-York et si près de la nature ne lui était pas arrivé depuis longtemps. A cette pensée, elle imaginait même avec le sourire entendre Emy lui rétorquer que cela ne lui était jamais arrivé. Pourtant, Candice se sentait bien dans ce parc, naturellement bien.

Ses pensées furent tout à coup interrompues par un aboiement vif. Un beau labrador doré se tenait derrière elle et semblait l’interpeller. Candice regarda surtout aux alentours afin de vérifier que le propriétaire se trouvait effectivement à proximité. Malheureusement, elle n’aperçut personne. Ce parc, comme le reste de la ville, était très calme, désert. Cela avait des avantages, le calme était agréable, mais pour Candice, l’endroit paraissait tout à coup désagréablement vide et inquiétant. Elle réalisa alors que l’agitation et les bruits de New-York lui tenaient quand même à coeur et qu’ils étaient, d’une certaine façon, rassurants. Entre calme, silence et agitation, Candice était donc étrangement très partagée par ses impressions.

Le chien continuait de s’agiter follement devant elle. La trentenaire n’avait jamais eu de chien dans sa vie, et même si elle ne les détestait pas, elle n’était pas non plus très à l’aise avec ces animaux. Embêtée par le fait de ne pas comprendre ce que lui indiquait le labrador, elle continua sauvagement son chemin.

Mais si la femme ignora l’animal, le chien, lui continua de la suivre silencieusement.

- Ah vous l’avez retrouvé ? s’essouffla alors un homme qui arrivait en courant face à elle.

Candice se retourna alors seulement pour constater que le chien aux poils dorés l’avait inlassablement suivie jusqu’à la fin de sa boucle autour de l’étang.

- Oh oui, enfin, non, il m’a suivie, bredouilla-t-elle.

- J’étais en train de faire des photocopies à l’école, je l’avais laissé dans la cour mais il a dû trouver le moyen de passer par-dessus le grillage, expliqua inutilement l’homme aux cheveux noirs et aux yeux bleus.

- Il a l’air de connaître le coin, répondit Candice pour tenter d’entamer une conversation.

- Oh oui, Chouki adore courir ici, comme moi d’ailleurs. Par contre, vous, je ne vous connais pas. Vous êtes nouvelle à Kingston ? questionna l’homme tout en caressant son chien venu naturellement se frotter à ses jambes.

- En quelque sorte, je suis Candice Everdeen. Peut-être connaissiez-vous ma grand-mère qui tenait la confiserie… Je suis là pour le dossier de succession.

- Oh ! Mais oui. Bien sûr que je connaissais votre grand-mère. Tout le monde ici la connaissait d’ailleurs. Je n’ai jamais passé une semaine sans entrer dans la confiserie. Ca me manque d’ailleurs de ne plus pouvoir entendre la clochette tinter ou sentir le sucre quand on entrait dans sa boutique. Votre grand-mère était vraiment quelqu’un de bien.

- Je ne la connaissais pas vraiment, même pas du tout, avoua Candice qui se sentit toutefois émue par les souvenirs de son interlocuteur.

- Je connais quelqu’un qui passerait des heures à vous parler de Donna, si vous voulez, sourit l’inconnu. Je suis Henri Walsh et ma tante, Gina, était la plus proche amie de votre grand-mère.

Candice observa plus attentivement Henri. Vêtu d’un simple tee-shirt et d’un jean, la new-yorkaise devina que l’homme était sportif. Les cheveux à peine grisonnants, il devait avoir moins de quarante ans, pensa-t-elle.

Tout en continuant leur conversation, les deux promeneurs continuèrent, l’un à côté de l’autre, leur chemin en retournant vers le centre-ville.

- Et alors, qu’allez-vous faire de la boutique ? demanda avec curiosité Henri alors qu’ils arrivaient au début de la rue principale.

En marquant une pause sur le trottoir, l’homme semblait même avoir les yeux pétillants en attendant la réponse. Candice comprenait qu’il aurait été ravi de revoir réapparaître les rayons de dragées et de caramels et eut presque de la peine en lui répondant.

- Je ne sais vraiment pas. C’est encore trop frais pour moi. Je ne m’attendais pas à ça. Mais ma vie est à New-York… Sincèrement, je ne sais pas du tout de ce que tout ça va devenir.

Le sourire de Henri se décomposa presque. Ses émotions pouvaient facilement se lire sur son visage. Il ne réussit donc pas à cacher sa déception.

- Je vous laisse, ici, je retourne à mon atelier, salua-t-il cependant en montrant de sa main la direction qu’il allait prendre. A bientôt j’espère.

- Merci Henri pour cette balade et à bientôt j’espère…

Candice resta un instant figée sur le trottoir à observer Henri et son chien marcher tranquillement vers l’est de la ville, avant d’elle-même reprendre son chemin vers son point de départ.

L’après-midi était bien entamé mais le soleil continuait de briller. C’était une belle et agréable journée d’automne. Candice ne savait pas du tout comment elle allait occuper la fin de sa journée mais choisit malgré tout de rentrer dans l’appartement de Donna.

- Vous êtes la nouvelle propriétaire ? l’interpella alors une voix d’homme derrière elle,

Candice se trouvait sur le seuil de l’ancienne confiserie, la main une nouvelle fois plongée dans son sac, à la recherche de son gros trousseau.

- Comment ?

- J’ai appris que Madame Everdeen était décédée. J’imagine que si vous avez les clés de cette boutique, c’est que vous devez être son héritière.

- Euh, oui, je suis sa petite fille, rectifia Candice en sortant enfin ses clés.

- Je me présente, je suis Edgar Jones, promoteur immobilier, annonça-t-il en tendant une carte de visite bleutée à la jeune femme. Je ne sais pas quels sont vos projets avec cette bicoque, mais sachez que je suis intéressé par ce bien tout à fait atypique. Cela fait plusieurs années que je tente de l’obtenir, mais votre grand-mère était une femme tenace.

Candice posa enfin les yeux sur l’homme qui lui faisait face. Agé probablement d’une cinquantaine d’années, Edgar Jones portait une barbe fournie et des cheveux courts châtains. Son costume gris et sa chemise blanche lui donnaient tout à fait l’allure d’un businessman envahi et passionné par son travail. Sa voix avait la particularité d’être à la fois suave et forte mais dérangea assez immédiatement la new-yorkaise qui resta perplexe et muette.

- Surtout n’hésitez pas à m’appeler, continua-t-il. Je serai ravi de prendre en charge votre dossier. Vous ne me semblez pas être de la région. Je suis sûr que vendre serait une bonne affaire pour vous aussi. J’attends votre appel, mademoiselle.

Candice resta encore un instant subjuguée par cette étonnante et déstabilisante rencontre. Elle glissa la carte que lui avait donnée l’agent dans la poche arrière de son jean sans y accorder davantage d’intérêt.

Le lendemain Candice se leva avec un mal de tête. Ses rencontres de la veille l’avaient visiblement perturbée toute la nuit. Ainsi, elle avait rêvé de cartons entassés, d’une maison écroulée, de gravats mais aussi d’un chien qui courait après son maître qui lui-même était en train de courir après des bonbons au caramel. Tout s’embrouillait dans son esprit. Son retour à Kingston, dans son village natal, après plus de vingt ans d’absence, l’avait vraiment perturbée. La jeune femme avait besoin de retrouver son quotidien, son appartement, son lit japonais et son café expresso ainsi que ses planches à dessin et même son horrible patron pour reprendre ses marques.

Ainsi, après deux jours à Kingston, Candice était en train de faire sa valise sur le lit beaucoup moins bien fait qu’à son arrivée. Elle était sur le point de partir.

Debout sur le seuil de la boutique, la jeune femme utilisa une dernière fois le lourd trousseau et referma la porte vitrée qui grinça à nouveau. Elle n’avait toujours pas pris de décision quant à son bien très particulier. Mais, pour l’instant, quitter Kingston lui convenait parfaitement. Ici, rien ne l’attirait. Rien d’intéressant pour la graphiste moderne et active qu’elle était devenue. Son séjour, ici, était terminé.

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