Après une longue journée de travail, Candice Everdeen venait de rentrer chez elle, dans son appartement de Manhattan. La trentenaire aux cheveux blonds bouclés avait passé sa journée au téléphone à échanger avec son patron au sujet de la prochaine couverture de magazine. Candice était graphiste et réalisait des dessins ou des montages pour des clients divers. Mais elle regrettait toujours de passer plus de temps à négocier ou justifier son travail devant un patron autant incompétent qu’acariâtre, qu’à dessiner et créer.
Quand elle rentrait chez elle, Candice avait son rituel. Elle quittait ses escarpins, troquait son tailleur pour un jogging et un large tee-shirt. Elle détachait ses cheveux tressés et enfin, s’effondrait sur le canapé. Quand enfin elle reprenait un peu d’énergie, elle se levait pour se préparer à manger et s’installait ensuite à nouveau dans le salon pour se faire un très chic plateau télé.
Ce soir-là, avant de lancer son téléfilm du soir, elle prit le temps de consulter son courrier qu’elle avait récupéré dans sa boite aux lettres avant de monter au dixième étage de son immeuble. Elle avait reçu deux lettres, un flyer et une grande enveloppe blanche tamponnée en Arkansas. Elle délaissa rapidement les lettres et publicités pour prendre connaissance du courrier qui lui semblait officiel.
L’Arkansas, elle n’y avait pas remis les pieds depuis plus de vingt ans. La jeune célibataire se demandait bien qui pouvait lui écrire.
« Cabinet de notaire de la ville de Kingston en Arkansas – dossier de succession de Madame Everdeen »
Candice n’était pas sûre de bien comprendre. Elle délaissa complètement le téléfilm qui défilait toujours à l’écran, se redressa sur son canapé et rattacha ses cheveux pour s’installer plus sérieusement et se concentrer davantage sur la lecture.
Le notaire de sa ville natale la conviait à son office afin de lui présenter les détails de son héritage suite au décès de sa grand-mère paternelle.
Candice était complètement déboussolée. Elle avait perdu tout contact avec la famille de son père depuis des années.
Vingt-et-un ans plus tôt, Candice avait tristement perdu son père dans un accident de voiture. Accablée par le chagrin, sa mère avait quitté la ville de Kingston l’année suivante pour emménager à Manhattan avec sa fille, alors âgée de cinq ans. Depuis la mort de son père, Candice n’était jamais retournée en Arkansas bien que sa grand-mère y vivait toujours.
Ce courrier si officiel, froid et austère venait ainsi de lui apprendre, non seulement, le décès de sa grand-mère, son dernier lien avec son père, mais aussi que celle-ci possédait une boutique et une maison qui lui revenaient de droit.
Le professionnel de l’état souhaitait la rencontrer dans le mois à venir. Candice se demandait déjà comment elle allait s’organiser pour réussir à se libérer pendant plusieurs jours afin de se rendre dans le sud du pays.
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Après une négociation serrée avec son patron, la jeune femme réussit à prendre trois jours de congé à la fin du mois de septembre mais elle avait malheureusement dû jouer la carte du courrier officiel pour que son supérieur lui accorde des vacances.
Pour la graphiste, cette virée forcée en Arkansas était malgré tout, une bonne occasion pour faire une pause largement méritée dans son travail acharné.
A la sortie de l’aéroport, Candice, en jeune amatrice de technologies, consulta son téléphone. Pendant les quatre dernières heures, elle avait été déconnectée du monde, sans réseau. Alors que la jeune femme cherchait un taxi, déjà cinq appels manqués et douze textos non lus s’affichaient sur son écran. Son patron avait essayé de la joindre tout comme Emy, sa meilleure amie qui s’inquiétait déjà de savoir si son voyage s’était bien passé.
Quelques minutes plus tard, le taxi déposa la jeune femme blonde à la seule adresse qu’elle avait et qui était répétée plusieurs fois sur le courrier du notaire. « 15 rue principale – Kingston – Arkansas »
En ce début d’après-midi du mois de septembre, le soleil était encore haut et chaud dans le ciel. Candice, toutefois, n’était pas éblouie. Sa valise à la main, elle resta figée un instant devant la ville et la rue qui se présentait à elle. Les maisons et boutiques en bois, certes colorées, lui paraissaient ternes. La rue était calme. Pas de voitures, pas de klaxons, très peu de piétons, pas de lumières ou de spots publicitaires. Candice eut presque l’impression d’avoir fait un bond dans le temps en plus de son voyage dans l’espace. Loin des technologies new-yorkaises, elle avait l’impression que le temps, ici, était étrangement resté figé dans le siècle dernier.
Au numéro 15 de la rue principale - mais probablement de la seule rue de la petite ville du pays, pensa-t-elle - se dressait la devanture d’une ancienne boutique. La façade autrefois rose et jaune était désormais écaillée. Les vitres recouvertes de poussière ne laissaient rien transparaître.
Toutefois, quand Candice lut les lettres à moitié effacées de l’enseigne, une troublante émotion la saisit. « Candy Story » lui évoquait beaucoup de tendres souvenirs qu’elle avait oubliés et même enfouis. L’ancienne boutique de confiseries était bien pâle désormais.
Candice remarqua à la fois avec tristesse et horreur que les deux autres boutiques de part et d’autre de la confiserie étaient elles-aussi à l’abandon. Elle devina qu’il s’agissait d’une ancienne papeterie à droite alors qu’à gauche devait se tenir un salon de coiffure, probablement, car seul un dessin d’une paire de ciseaux restait visible sur le fronton.
Candice se lamentait de la triste mine de cet ensemble immobilier. Elle pouvait à peine imaginer que sa grand-mère, qui avait plus de quatre-vingts ans, avait pu encore loger ici quelques mois auparavant.
Tout à coup, la sonnerie de son téléphone sortit la new-yorkaise de ses songes.
- Oui, salut Emy. Oui, je suis arrivée. Oui, le voyage s’est bien passé. Non, je n’ai pas eu Patrick au téléphone. Oui, j’ai eu ses messages. Non, je ne vais pas le rappeler, tu peux lui redire que je suis en congé. Et tu sais très bien qu’il m’énerve et qu’il devrait pouvoir gérer ça tout seul… Non, je n’ai pas encore vu le notaire. Je ne sais pas encore, récita Candice en réponse aux questions de sa meilleure amie et collègue restée à New-York. Je vais chez le notaire et puis je vais tenter de me trouver un hôtel. Je te rappelle ce soir. Oui, promis.
Suivie de sa valise à roulettes, Candice, perchée sur ses talons hauts, parcourut la rue. Elle constata que certaines boutiques étaient, à l’instar de celle du numéro quinze, tristement abandonnées. Toutefois, le coeur de la ville restait heureusement dynamique. La jeune femme blonde croisa plusieurs habitants qui la dévisageaient étrangement de la tête aux pieds. Apparemment, son allure new-yorkaise dans ce coin de l’Arkansas dénotait légèrement. A moins que sa valise ainsi que son regard inquiet et chercheur la trahissaient en tant, non pas d’une touriste, mais comme une étrangère.
Candice ne reconnaissait rien à la rue principale qui s’étendait devant elle. Elle trouva l’office notarial entre une librairie et une agence d’assurance. Son rythme cardiaque s’accéléra légèrement lorsqu’elle poussa la lourde porte en verre et à la poignée dorée.
- Mademoiselle Everdeen, je suis ravie de vous recevoir. C’est un plaisir de faire votre connaissance, charma l’homme au costume marron et à la cravate couverte de gros motifs jaunes.
La graphiste ne quittait plus de vue cette horrible association. Elle restait figée et hypnotisée par l’allure démodée du quinquagénaire qui l’accueillit sans réussir à se concentrer sur son discours.
- … Votre grand-mère paternelle possédait un ensemble immobilier avec appartement et boutique. En tant que seule héritière, vous devenez donc immédiatement propriétaire de ces biens.
Candice écoutait sans vraiment entendre. Toutes les informations que développait l’homme d’état n’avaient pas beaucoup de sens.
- Vous savez, la confiserie de votre grand-mère était très appréciée autrefois et encore il y a quelques années…
Le notaire avait changé de registre et avait quitté son vocabulaire officiel pour désormais parler plus personnellement et sincèrement.
- Donna Everdeen est restée longtemps derrière son comptoir. Jusqu’à ce qu’elle tombe malade et qu’elle séjourne à l’hôpital, elle était là tous les jours ou presque, pour servir les enfants, petits et grands. Moi-même, je m’arrêtais régulièrement pour m’acheter un sachet de caramels... Sa bonne humeur et son sourire suffisaient à nous donner envie d’y retourner le jour suivant. Et chaque mois, elle avait toujours de nouvelles dragées à nous faire découvrir...
La gourmandise de l’homme au ventre arrondi fit sourire Candice mais pourtant, elle ne se sentait pas vraiment concernée par le discours nostalgique du notaire.
Une fois ses souvenirs sucrés mais également languissants énoncés, le notaire reprit sa fonction et son rôle devant le visage visiblement absent et peu investi de sa cliente.
- Je peux dès aujourd’hui vous transmettre les clefs de votre propriété de la rue principale. Pour la suite du dossier, je vous tiens au courant.
Dans la main de Candice, un imposant trousseau d’une dizaine de clefs tomba alors lourdement.
Avec sa valise à bout de bras, et les clefs dans son autre main, près d’une heure plus tard, Candice fit le chemin inverse le long de la rue principale, l’esprit et le pas beaucoup plus lent et pesant.
Elle manqua presque de lever la tête en arrivant au numéro quinze. Candice, habituellement active, bavarde et énergique, s’étonnait elle-même d’être aussi fatiguée, terne et abattue.
Timidement, elle testa plusieurs clefs métalliques avant de pouvoir entrer dans la soi- disant antre de sa grand-mère qu’elle connaissait si peu. La porte grinça, la valise à roulettes résonna sur le parquet. La femme la laissa sur place et observa la pièce.
Candice, complètement déboussolée par ce premier après-midi en Arkansas, déambula alors dans sa nouvelle propriété qui n’avait rien à voir avec son grand appartement de Manhattan. La pièce principale de la boutique était aussi grande que sa chambre et son dressing, et mesurait à peine trente mètres carrés. Des étagères en bois étaient installées sur deux pans de mur. Un vieux comptoir était le seul meuble encore présent et plaqué contre le mur en face de la large vitrine. Ses talons résonnèrent dans la pièce vide et poussiéreuse. La seconde salle devait être l’arrière- boutique. Des cartons y étaient encore entassés.
Le notaire avait dit que tout l’ensemble, maintenant, était à elle. Mais Candice ne saisissait pas, elle ne se rendait absolument pas compte encore de ce que cela signifiait. Loin de New-York, de son appartement, de son bureau et de ses planches à dessin, la jeune femme se sentait vraiment perdue.
Le notaire lui avait dit que la boutique avait fermée trois ans auparavant et depuis plus personne n’était entré dans le magasin. Il avait ajouté que Donna Everdeen avait continué de vivre dans son petit appartement à l’étage jusqu’à être définitivement hospitalisée le trimestre dernier.
Candice redoutait un peu de monter les escaliers en bois qui se trouvaient dans le couloir, au fond de l’arrière-boutique.
Elle avait bien compris être la seule personne proche de la famille de l’ancienne propriétaire. Toutefois, Candice ne pensait pas être la personne la plus appropriée pour se permettre de revenir en ces lieux. Elle se sentait gênée avec la désagréable impression de profaner l’appartement.
La cuisine tenait dans sept mètres carrés. Sur la table se tenaient encore un vase et un dessous de plat. Un buffet en bois occupait toute la largeur de la pièce et regorgeait de vaisselle d’un autre siècle. Machinalement, Candice testa l’évier. De l’eau claire en coula. L’électricité fonctionnait aussi. Tout était vieux et petit mais tout était aussi en ordre et propre. L’appartement de sa grand-mère n’avait rien à voir avec celui de sa petite-fille à New-York, mais Candice devait bien reconnaître, qu’il était assez cosy et chaleureux. Dans le salon, une table en merisier trônait au centre entourée de ses quatre chaises paillées. La jeune graphiste n’avait pas vu ce genre de mobilier depuis des années. Alors qu’elle déambulait près du grand fauteuil en cuir de sa grand-mère situé juste à côté de la fenêtre, elle prenait conscience, presque avec tristesse, qu’elle n’avait aucun souvenir des lieux. Rien ici ne la concernait.
Pourtant, il serait forcément nécessaire de faire le ménage dans cet appartement abandonné. Elle n’avait vraiment aucune idée de ce qu’elle ferait de tous ces objets, de tous ces meubles qu’elle découvrait en avançant doucement à travers les pièces. Elle savait encore moins ce qu’il adviendrait de la boutique et du minuscule appartement eux-mêmes alors elle s’étonna de penser subitement à trier ou jeter les affaires de Donna Everdeen. Elle pouvait très bien aussi vendre en l’état, faire passer une annonce dans une agence qui gérerait tout à distance et à sa place.
Candice se sentait perdue dans cet endroit si étranger qui était désormais à elle. Certes, elle était déjà venue avec ses parents, elle n’en doutait pas. Elle se sentait honteuse de ne se rappeler de rien. Mais elle était si jeune quand son père s’était tué en voiture. Elle n’avait aucun souvenir.
Dans la chambre de sa grand-mère, le lit était fait. Recouverts d’une épaisse couverture, les draps semblaient impeccablement tirés. Candice s’installa sur le rebord et prit un coussin aux motifs floraux entre les bras.
Elle regardait pensive, les cadres accrochés aux murs, quand tout à coup, son téléphone sonna et la rappela à la fois à la réalité et au présent.
Elle n’avait pas rappelé Emy…
- Tu ne m’as pas rappelée, ça va ?
- Oui, ça va, répondit Candice d’une voix étonnamment chevrotante.
- Vraiment, tu as l’air bizarre ?
- Ca va, ça va, j’te dis, ajouta la femme blonde en retrouvant une voix normale. Le rendez-vous chez le notaire a duré longtemps. Je n’ai pas saisi tout ce qu’il m’a raconté mais en gros, je t’annonce que je suis propriétaire d’une vieille boutique de bonbons et d’un appartement minuscule qui appartenaient à ma grand-mère…
- Oh ! s’exclama Emy au téléphone sans savoir si c’était une bonne ou une mauvaise nouvelle. Et tu vas faire quoi ?
- Bah, j’en sais rien, soupira Candice qui s’était levée et regardait maintenant les photos noires et blanches dispersées dans toute la pièce.
Alors qu’Emy lui parlait d’un agent immobilier qui pourrait éventuellement lui venir en aide et la conseiller, la new-yorkaise tomba sur une photo de ses parents où elle pouvait voir son père tenir un bébé dans les bras. Dans le cadre suivant, elle reconnut une photo d’elle encore poupon et alors, Candice cessa d’écouter son amie.
- Candice... Candice… Tu m’entends, oui, je te disais que si tu veux des conseils, Kyle pourrait t’aider. Il est originaire de l’Arkansas aussi, c’est le mari du cousin de mon ancien copain. Je suis sûre qu’il serait content que tu l’appelles…
- Ouais, je verrai demain ce qu’il se passe ici. Je te tiens au courant. Bisous Emy.
- Tu me rappelles hein, n’oublie pas. Raconte-moi tout, c’est vraiment trop énorme ce qu’il t’arrive ! Bisous ma chérie.
Contrairement à ce qu’elle avait dit à Emy, Candice décida de rester ici pour son séjour. Elle n’irait pas à l’hôtel. Revenue dans la cuisine, elle était sûre de trouver une boite de conserve et une casserole dans le vieux buffet. Loin de ses habitudes new-yorkaises et malgré l’inconfort, elle décida étrangement de s’installer dans cette vieille confiserie. Elle passerait ainsi ses deux derniers jours de congé dans la maison de sa grand-mère… Dans sa maison...
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participation commune à l’échange de fics 2019 pour Bibi2 et au concours « Cupidon sous la neige » proposé par Hazalhia.
Les contraintes du concours qui m'ont bien inspirées pour le cadeau de Bibi étaient :
- Votre texte doit se dérouler pendant la période des fêtes de fin d'année.
- vous devrez donc intégrer des références à l'hiver et à Noël pour créer une ambiance.
- Vous devrez intégrer quatre personnages : le personnage principal, le ou la meilleur.e ami.e, le coup de coeur, le ou la concurrent.e. l'un d'entre eux devra adorer la période de Noël, et un autre, au contraire, n'aime pas ce moment de l'année.
- et si vous le voulez, vous pouvez ajouter : Une personne âgée mystérieuse, qui donne des conseils quand on la croise; Un chien ; Un enfant (sympa ou casse pied, à vous de voir) ; Un.e patron.ne despotique ; Un parent/proche bien intentionné mais qui au final sème la confusion.
- vous devrez intégrer au moins 3 des situations suivantes à votre texte: Une tâche doit être réalisée dans un délais très court ; Un rendez-vous à la patinoire ; Une bataille de boule de neige ; Faire des gâteaux/de la pâtisserie à deux ; Se rendre à un bal ; Le personnage principal se retrouve à fréquenter quotidiennement/travailler avec le coup de cœur ; Un secret de famille est révélé ; Revenir dans la ville/village natal pour se ressourcer
- la fin doit être une Happy End
- le texte devra faire au minimum 2000 mots et être publié avec au moins 3 chapitres
Bonne Lecture ;)