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Notes d'auteur :

Narcotic de Liquido ici (paroles en italique)

Dans la lumière blafarde du métro, la vitre me renvoie le reflet de Thibaut, assis à mes côtés. Un pli anxieux barre son front. Épaule contre épaule, il essaye courageusement de meubler le silence entre nous. Son flot de paroles me berce. De temps à autre, j’acquiesce pour l’inviter à continuer mais je suis incapable de soutenir la conversation. Tout va trop vite. Une overdose de vitalité. Néanmoins, je fais des efforts. C’est la première fois que j’accepte de sortir depuis des semaines. A force de patience et de persévérance, mes amis ont réussi à me convaincre. Ce n'est pas pareil sans moi, la soi-disant lumière du groupe. Alors pour eux, j’ai bouclé mes cheveux. Telle une star se méfiant des paparazzis, j'ai aussi enfilé des lunettes de soleil rondes pour masquer mes cernes violacés. Le fard sur mes joues a habillé leur pâleur et l’ampleur de ma robe a camouflé habilement les creux de mon corps. Je n’ai plus d’appétit. Je n’ai plus d’envie. C’est comme si j’étais morte. Une coquille vide. Malgré cela, il faut continuer à jouer la comédie de la vie. Pour les autres. Pour les convaincre que j’ai tourné la page.

Alors, [je] fais face avec le sourire. Ce n’est pas la peine de pleurer pour ce qui n’est qu’une broutille.

Et dire qu’il m’a quittée. Ce faux-jeton. Pourtant, j’étais prête à lui pardonner. Prendre sur moi. Effacer l’ardoise. Malgré ma confiance poignardée. Mes sentiments piétinés. Je voulais nous donner une seconde chance. Sauf qu'il n’en a pas voulu. Apparemment, j’attendais trop de lui et il n’était pas prêt. Il m’aimait. Passionnément. Mais le quotidien routinier l'asphyxiait. Il avait besoin de récupérer sa liberté. Profiter de sa jeunesse. Huit jours plus tard, il se mettait avec cette raclure et je m’effondrais. Comment pouvait-il prétendre m’aimer encore et concrétiser avec cette traînée ? Je ne comprenais pas. Je n’ai toujours pas compris. Comme une mouche coincée derrière une vitre, mes pensées s'agitent en espérant résoudre ce mystère insoluble. Après trois ans et demi de relation, je ne méritais pas une telle rupture. Brutale et ambivalente. Pourtant, comme un accro à la cocaïne réclame la substance qu’il devrait blâmer, je ne peux m’empêcher de penser à lui. Tout le temps. Quand je me couche ou je me lève. Dans mes rêves ou sous la douche. Au travail ou dans la rue. Sans cesse, je consulte son profil. J'espionne sa nouvelle vie. Que fait-il ? Est-il avec elle ? L’aime-t-il aussi fort ? Pense-t-il à moi ? Me reviendra-t-il ?

Te souviendras-tu encore de mon nom ? Et le mois où tout a commencé ? Me délivreras-tu avec un baiser ?

Thibaut me ramène à la réalité en me poussant délicatement.

— On arrive Madi.

Les portes s’ouvrent et nous descendons. Direction Concrete, ce club flottant amarré quai de la Rapée. Sur la terrasse bien remplie de la péniche, toute la bande profite des derniers rayons de soleil. Je suis accueillie telle une reine. Comme au bon vieux temps. Embrassades par-ci, accolades par-là. Un mojito est placé d’office dans mes mains et peu à peu, je me laisse gagner par l’atmosphère légère et festive. Vue sur la Seine. Musique électro. Noctambules qui se trémoussent. Plaisanteries pétillantes. A peine mon verre terminé, qu'un deuxième prend la relève. Lorsque Thibaut tend le bras pour un selfie groupé, j'arrive même à offrir un sourire qui n'est pas forcé. Je renoue avec le monde. Je l'avais férocement négligé.

Alors que j'accompagne Aline aux toilettes, je tombe nez à nez avec un ancien camarade de lycée. Philippe. A vrai dire, c'est plutôt lui qui me reconnaît quand je mets de longues secondes à le resituer. Mes souvenirs brumeux avaient gardé l'image d'un adolescent rondouillard. En face de moi se tient un grand gaillard élancé au visage ouvert. Ses anciennes joues rebondies sont maintenant sculptées et recouvertes d'une fine barbe châtain clair qui fait ressortir le gris de ses yeux. Je n'avais jamais remarqué leur couleur auparavant. De quelconque, il est devenu séduisant. Une étonnante évolution. Avec plaisir, je me replonge avec lui dans ces années d'insouciance. Il me fait gentiment du charme et je trouve ça étonnamment agréable. Même si j'ai perdu l'habitude. Plaire. Badiner. Séduire. Je me laisse simplement porter. Il se penche pour remettre une boucle indisciplinée derrière mon oreille. C'est ce moment que choisit Vincent pour apparaître dans mon champ de vision, au bras de sa nouvelle compagne. Terriblement beau. Le manque de lui me poignarde en plein coeur. Conquérant et résolu, il semble se diriger droit sur moi. Que fait-il ici ? Je panique. Absolument pas prête à l'affronter et incapable de lui parler comme si de rien n'était. J'agrippe mon interlocuteur :

— Allons danser !

Etonné mais ravi, Philippe s'engage à ma suite sur le dancefloor et nous disparaissons dans la foule de corps exaltés. Furtivement, je vérifie que Vincent ne souhaite plus me saluer. Il m'a évidemment suivi tout en restant prudemment à distance. Il semble avoir compris le message. Je l'ignore ostensiblement en me déhanchant sur les basses assourdissantes. Ce qui ne m'empêche pas de sentir l'intensité de son regard brûler ma nuque. Mon dos. Mes hanches. Comme si nous étions de nouveau connectés. Ça m'électrise. Philippe me frôle et je me fais audacieuse. Je sais que Vincent nous observe avec attention. Je surjoue. J'en rajoute. Pour lui prouver qu'il ne m'a pas brisée. Pour lui signifier que je peux aussi aller de l'avant. Pour qu'il regrette son absurde décision. La colère déferle en moi. Une soif de vengeance qui me régénère. Un contraste saisissant avec l'apathique que j'étais il y a quelques heures. Sans désir. Sans allant. J'ai enfin un but. Briller pour qu'il se rende compte de ce qu'il a perdu. Briller pour l'hypnotiser. Briller pour exister.

Je n’ai jamais accepté de payer la note contre mon gré.

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