Dans les nuits et les jours qui suivirent, Eulric organisa ses journées pratiquement de la même manière.
Il s’endormait et se réveillait au chaud entre les sacs de laine encore entreposés à l’extérieur de l’atelier. Ensuite, il se rendait au marché et attendait la fin pour quémander et récupérer quelques petits bouts de nourriture à manger. Puis il revenait dans le quartier des artisans et s’installait derrière l’atelier des femmes. Alors il attendait que Milena sorte pour aller chercher un sac de laine ou pour vider l’eau des bassines de teinture. En quelques minutes, il lui posait alors les questions qu’il s’était répétées pendant toute la matinée afin de recueillir le maximum d’informations pour fabriquer un modeste métier à tisser. Rapidement, il comprit que cela ressemblait vaguement à un pupitre évidé de peintre mais avec quatre pieds et sans toile ni plaque de bois.
Maliena qui avait eu la chance d’en voir lors des marchés de la laine à Felletin, lui expliquait qu’il existait beaucoup de modèles différents mais que dans tous les cas, il fallait aussi prévoir des barres transversales amovibles qui viendraient supporter et tenir le tissage.
Eulric enregistrait tous les détails que la jeune femme lui transmettait généreusement. Puis en fin de journée, alors que le soleil se couchait, que le froid s’installait, que le quartier des artisans se vidait, Eulric, lui commençait ses recherches. Sans crainte de se faire surprendre, il déambulait alors entre les ateliers, dans les rues vides du village. Parfois, il s’éloignait légèrement sur les routes de campagne afin de trouver des morceaux de bois rabotés, de vieux pieds de table, même des bûches non débitées, il prenait tout ce qu’il trouvait et qui pourrait lui servir.
Eulric connaissait maintenant les rues du quartier des artisans par coeur. Dans le village, il avait repéré les coins de vente, les coins des rencontres, les coins des amoureux mais aussi les coins des déchets. Il avait classé les bâtiments isolés, les maisons désaffectés, les tas d’ardoises, les briques jonchées en tas. Il savait où il pourrait trouver des morceaux de bois assez grands et solides pour se construire son métier à tisser.
Dans une vieille grange, il avait repéré des piquets abandonnés qui lui seraient bien utiles. Mais pour accéder à la réserve du vieux paysan en toute discrétion, il lui fallait élaborer un plan et venir en pleine nuit.
Il lui fallait obtenir une échelle, qu’il pouvait subtiliser au meunier. Mais l’homme connaissait trop Eulric pour lui faire confiance. Le jeune brigand l’avait trop de fois berner à subtiliser des sacs de farine qu’il ne pouvait plus se permettre d’entrer une nouvelle fois dans son antre sous peine de recevoir des coups de martinet. Le charpentier aussi avait une échelle. Eulric irait plutôt emprunter celle de l’artisan, même s’il savait pertinemment qu’il ne pourrait pas faire le poids face au grand Ferdinand si celui-ci le surprenait. Eulric hésitait. Mais quand la nuit tomba ce soir là, il se rendit dans l’entrepôt du charpentier et se saisit de l’engin deux fois plus grand que lui pour se rendre ensuite, dans la nuit noire, la lourde échelle sous le bras, dans le vieux grenier du paysan Parleroi.
Eulric était complètement hors la loi pour de multiples raisons. Il prenait des risques, mais si son projet allait au bout, il pourrait ensuite enfin envisager de ne plus avoir recours à ce genre d’agissement pour s’en sortir dans la vie. Il se convainquait qu’il s’agissait d’un dernier délit pour une nouvelle vie.
Bientôt sa vie changerait et cela grâce à ses piquets en bois et cet emprunt de grande échelle qu’il s’empresserait évidemment de ramener une fois son objectif atteint.
Eulric traversa les trois routes qui séparaient l’atelier du charpentier du grenier du vieux paysan sans aucune rencontre malfaisante. Pas un chat ne traînait dans le quartier des artisans. Dans le noir complet, motivé par son unique ambition, il installa la grande échelle contre le mur en pierre qui donnait sur la lucarne ouverte du grenier.
Tentant de faire le moins de bruit possible, Eulric grimpa à l’échelle. Arrivé en haut, un rayon de lune traversa un nuage et vint faiblement éclairer le grenier. Le garçon était ébahi par ce qu’il apercevait. Des dizaines de rondins de bois étaient entreposés les uns sur les autres. Eulric n’aurait jamais cru trouver un tel trésor.
Tel un chat, il se glissa prestement dans le grenier. Il n’avait pas beaucoup de temps et surtout, son œuvre n’était pas terminée. Rapidement il s’empara des premiers piquets qu’il vit sans chercher à les mesurer ou les tester. Il saisit les poteaux carrés les uns après les autres et sans se poser de questions, il les lança par la lucarne. A ce moment-là, il ne se souciait pas du bruit qu’il faisait. Les poteaux retombaient sur le sol froid. Mais s’installer dans la lucarne, attraper un bâton, descendre l’échelle et poser tranquillement l’objet du vol était trop long et fastidieux pour lui. Il enchaîna donc les lancers espérant simplement que le bois cogne contre un buisson et non contre le sol en pierre. Il s’activa ainsi pour prendre tous les piquets dont il avait besoin en veillant à ne réduite trop le stock du paysan afin de ne pas éveiller de soupçons. Puis enfin, satisfait de sa récolte, il descendit de l’échelle.
Toujours enivré par l’excitation de sa mission illégale, le voleur refit le chemin inverse pour rapporter la grande échelle en bois au charpentier Ferdinand dans son entrepôt. Il multiplia encore plusieurs fois le chemin pour revenir récupérer son butin. Il ne pouvait pas faire un seul trajet pour tout emmener. Il avait les bras ni assez grands, ni assez forts pour se le permettre. Trois trajets plus tard, Eulric avait enfin terminé sa mission illégale. Ses poteaux volés étaient désormais entreposés dans l’atelier désaffecté situé en face de l’atelier de filage de la laine, là où il avait espionné les femmes fileuses quelque jours auparavant. A priori personne ne l’avait vu. Certes, il avait enfreint beaucoup de règles du village mais il se persuadait aussi qu’il n’avait rien fait de mal. Eulric était à la fois soulagé et fier que sa mission ait réussi.
Le jeune garçon était fatigué mais heureux. Il était aussi et surtout convaincu que toute cette expédition en valait la peine et que bientôt ses infractions lui seraient profitables.
Il avait toutefois encore du travail à accomplir. Les poteaux du vieux paysan n’étaient pas tout à fait exploitables en l’état. Il lui faudrait encore plusieurs heures et jours d’application avant de pouvoir commencer à tisser et à se fabriquer ses propres vêtements et espérer ainsi vivre sans avoir à craindre du froid.
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Notes d'auteur :
Thème du calendrier : En haut de l'échelle
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