Les heures de route qu'ils leur restaient à parcourir se firent dans une ambiance pesante.
Tout en conduisant, Clerks s'interrogeait sur le comportement à adopter. La nuit dernière, il aurait étranglé Maïwenn sans s'en apercevoir si Mathias n'était pas intervenu.
Comment de telles choses étaient possibles ?
L'hostilité et la méfiance de Maïwenn lui paraissaient tout à fait naturelles, il aurait réagi de la même façon à sa place, mais il n'arrivait pas à comprendre comment on avait pu le manipuler avec tant de facilité. Comment garantir qu'elle n'essaierait pas de l'hypnotiser à nouveau malgré ce qu'assurait Mathias ?
L'espace d'un instant, il voulut faire demi-tour, ne pas les accompagner, reprendre ses investigations de loin et sa vie d'ermite au passage. Puis, il se ravisa, pouvait-il raisonnablement passer à côté de cette occasion unique de percer les secrets des Guides ?
Sa petite voix intérieure se fit alors entendre : « Non, bien sûr que non ».
La circulation devenait dense à mesure qu'ils se rapprochaient du quai d'embarcation. En plein mois de juillet les touristes étaient nombreux.
Le navire qui devait les amener sur l'île de Till fut bientôt visible.
Plus petit que celui qui les avait conduits en Grande-Bretagne, il n'en était pas moins impressionnant.
La file de voitures se divisa en deux : d'un côté ceux qui allaient rejoindre les parkings et visiter l'île en piétons et de l’autre, ceux qui y allaient en voiture. Au bout d'une heure, le départ était donné.
Leurs mines fatiguées contrastaient avec celles des autres passagers, bien décidés, eux, à profiter de leurs vacances. C'est pourquoi ils s'installèrent sur une table, loin des regards indiscrets, pour dresser un plan d'action.
Leur mission principale serait d’entrer en contact avec Noelyse pour comprendre son lien avec les frères. Ils espéraient aussi qu’elle sache où se cachait Pierre.
Entrer dans la résidence du chef désigné pendant la réunion était leur deuxième objectif et pas des moindre puisque les Varlarc'h du chef désigné étaient loin d'être faciles à duper. Il leur fallait aussi être prudent, car Richard ne reculerait devant rien pour leur mettre des bâtons dans les roues. Enfin, la conférence de presse des Laboratoires Godest allait attirer des journalistes et Maïwenn ne devait pas se faire voir. D’ailleurs, une télévision dans un coin couvrait l’évènement et les visages de Pierre et de la jeune femme apparurent à l’écran contraignant cette dernière à se recroqueviller un peu plus.
Soudain, leur mise au point fût perturbée par un groupe de jeunes qui les accosta. Ils tenaient à la main une banderole et des tracts.
— Vous aussi vous allez à la conférence de presse ? Tenez, il ne faut pas se laisser faire. Ils en veulent à notre cerveau. Résistance ! leur dit l’un d’eux en leur donnant des prospectus.
Mathias le prit et eut un rire nerveux en le lisant avant de le montrer à ses compagnons :
« Non au Visio-nerf – non au lavage de cerveau. Rendez-vous le jour de la présentation – Hôtel des acacias »
— Faut venir les gars, on lâche rien, insista un autre.
— Vous voulez faire quoi au juste ? demanda Clerks.
Maïwenn pendant ce temps tentait de se camoufler le plus possible.
— On veut leur montrer à ces sales privilégiés qu’on n’est pas cons, on ne va pas se laisser lobotomiser, résistance ! lâcha un autre en brandissant un drapeau artisanal.
C’est à ce moment-là que quelques employés du Ferry s’approchèrent d’eux. Instantanément, le groupe se dissout avant qu’on ne puisse leur dire quoi que ce soit.
— Ca sent pas bon cette histoire, s’inquiéta Maïwenn.
— C’est clair. Il va falloir se méfier, ça va être le bordel là-bas, rajouta l’enquêteur.
À l'approche du port de Little Rock, la sirène du bateau résonna et le trio, tout comme un grand nombre de passagers, se rua sur le pont pour admirer la vue qui s'offrait à eux. Le ciel était nuageux, mais suffisamment clair pour avoir une bonne visibilité et très vite, les mouettes tourbillonnèrent autour d’eux.
Un Steward vint leur proposer le prospectus de l'île qu'ils s'empressèrent de prendre.
Malgré la distance qu'il restait à parcourir avant d'accoster, les maisons peintes de couleurs vives du village de Little Rock étaient déjà visibles. Elles étaient alignées de part et d'autre du port et s'enfonçaient ensuite vers les terres.
L'hôtel qu'ils avaient réservé se trouvait quant à lui à Brador, l’ancien port de pêche. À cause du déclin de cette activité, les habitants s'étaient mobilisés pour faire revivre le village grâce au tourisme et c'est dans ce but que les anciens bateaux avaient été transformés en musées flottants.
Le dernier village de l’île était Avanley. Créé de toute pièce dans les années cinquante, ce dernier accueillait une population plus aisée. C'est à cet endroit que se trouvait l’hôtel haut de gamme avec plage privée et cours de golf dans lequel se déroulerait la présentation de Visio-nerf.
Sur le quai, de nombreuses personnes observaient l'accostage du bateau, seul lien avec le reste du monde, mis à part le petit aérodrome d'Avanley, réservé aux urgences médicales ou à une clientèle aisée.
Little Rock semblait s'articuler autour du port d'où partaient trois routes : une pour Avanley, une autre pour le centre bourg et la dernière pour Brador.
À la demande de Clerks, ils empruntèrent la route les menant au bourg, mais ils constatèrent vite que les voitures n'étaient pas les bienvenues dans les ruelles bondées.
Sur la place du bourg, un groupe d'enfants jetaient des pièces dans une grande fontaine pendant que leurs parents finissaient leur repas à la terrasse d’un restaurant. Le groupe continua de rouler difficilement dans les ruelles étroites jusqu'à apercevoir un panneau indiquant la direction de Brador. Une fois sortis de Little Rock, ils empruntèrent une route longeant la côte restée encore sauvage. En une quinzaine de minutes, les premières maisons de Brador furent visibles. Ce village semblait être moins peuplé et les maisons plus traditionnelles. Son passé de port de pêche était très présent, notamment dans la structure du village lui-même. Tout s'axait sur une longue rue avec d'un côté des magasins et de l'autre le port et son large quai. Pour que les visiteurs puissent pleinement admirer les bateaux et la mer, des bancs ainsi que des jumelles avaient été disposés à intervalles réguliers. Les pontons permettant d'accéder aux embarcations, quant à eux, avaient été renforcés et sécurisés. Enfin, le bout du quai laissait place à une jetée propice aux promenades. Ce cadre avait contribué au développement de quelques boutiques d'artistes-peintres qui proposaient leurs œuvres aux touristes.
Leur hôtel trouvé, ils entrèrent dans un hall à la décoration ancienne, mais soignée, où une femme d'âge mûr les accueillit chaleureusement. Les cheveux blancs attachés en un chignon strict, elle portait un chemisier de satin rose pâle avec un pantalon à pinces noir qui tombait sur des talons hauts. De longues boucles d'oreilles assorties à un collier en or achevaient son allure bourgeoise. Elle s'appelait Edna et était la propriétaire des lieux.
Leurs valises posées, ils retournèrent à l’accueil, espérant glaner quelques informations auprès de la vieille femme. Pourtant, un malaise s'installa lorsqu'ils tentèrent d’en savoir plus sur les habitants des plus vieilles maisons de l’île. Toujours avec courtoisie, la femme leur fit comprendre qu'il n'était pas dans leur intérêt d’être trop curieux à ce sujet et coupa court à leur discussion. Intrigués par sa réaction, ils décidèrent d'aller au bourg, à environ cinq minutes de marche, espérant avoir plus de chance là-bas.
Bien qu'ils ne soient pas là en visite, ils furent captivés par l’océan qui commençait à frémir sous le vent. Les bouts des mats de bateaux tintaient mélodieusement, rappelant un mobile accroché à une fenêtre ouverte. Ils s'arrêtèrent un instant sur le quai, le visage fouetté par les bourrasques qui s'intensifiaient de minutes en minutes.
— Une tempête se prépare les enfants.
Maïwenn et Mathias se regardèrent, agacés. Après ce que Clerks avait fait, il était déplacé de sa part de se servir d'un vocabulaire paternaliste, se dit Maïwenn en frissonnant. Mathias passa alors son bras autour d'elle et la frictionna pour la réchauffer.
— Mais qu'est-ce qui te prend ? lui lança-t-elle, surprise par son attention.
— Ben quoi, tu as froid non ? Et puis je ne sais pas, l'air marin me fait tourner la tête sûrement, répondit le jeune homme avant de retirer son bras.
— Je peux aussi vous laisser seul à seul si vous préférez, grommela Clerks en leur passant devant.
Malgré le temps qui se dégradait, de nombreuses personnes se promenaient sur les pontons. La guérite, permettant d'acheter son billet pour une balade sur le dernier bateau naviguant encore, était prise d‘assaut. Le vent forçait encore et bientôt des cris de protestation se firent entendre : le bateau ne sortirait pas en mer à cause des conditions météorologiques.
L'ambiance était devenue électrique sur le quai, aussi, ils décidèrent d'entrer dans la taverne juste en face, où d’anciens pêcheurs regardaient d'un air amusé les touristes mécontents. À leur entrée, les quelques personnes assises au comptoir les dévisagèrent de haut en bas.
— Bientôt la tempête dehors… Ça n'était pas prévu, lança l'un des habitués à son voisin, se désintéressant ainsi totalement des étrangers qui venaient de pénétrer dans son pub.
En dépit de cet accueil un peu bourru, ils prirent place eux aussi au comptoir. Contre toute attente, le patron fut flatté de leurs questions et fier de leur raconter l’histoire de l’île. Il leur expliqua alors que son père tenait ce pub avant lui et qu'à l'époque où les affaires du port étaient encore fleurissantes, cet endroit était un incontournable. Les rires des habitués ne laissaient pas de doute sur l’exagération de ses propos, mais cela leur était égal. Clerks était subjugué par la fougue de l'homme barbu et tatoué qu'il avait en face de lui et il ne ratait pas une miette de ses anecdotes. Maïwenn, elle, observait les différentes toiles aux murs. Parmi les scènes de tempête, la peinture d'un grand manoir de pierre sur les hauts d'une falaise attira son attention.
— C’est la maison des Godest. Au départ, c’est parce que Victor Godest était en vacances ici qu’il a fait sa première conférence à l’hôtel et puis c’est devenu une tradition. Il y a l'autre maison aussi, celle avec l'immense serre.
Devant les regards réprobateurs de ses habitués, le patron se tut définitivement prétextant qu’il n’était pas de bon ton de s'étaler sur les propriétaires de cette maison. Comprenant la gêne qu’ils avaient provoquée, les trois amis décidèrent alors de quitter les lieux.
À l’extérieur, les bourrasques s'étaient transformées en très grand vent. Ils ne longèrent pas le quai pour rentrer car certaines rafales auraient pu les faire tomber dans l’eau. L'endroit, charmant quelques heures plus tôt, avait laissé place à un spectacle chaotique où le sifflet des bouts était devenu d’insupportables bruits stridents. Les pontons, pourtant solidement attachés, tanguaient dangereusement au grès des vagues, comme des ponts de singe.
Sur la jetée, un couple en promenade venait de se faire tremper par une vague qui était passée par-dessus les murets. Plus de peur que de mal pour ceux qui faisaient demi-tour en courant, mouillés jusqu'aux os. Au loin, la lumière du phare, nommé le phare des réfugiés, était à peine visible tant les nuages, étaient bas et denses.
— Hâtons-nous, à cette allure la pluie ne tardera pas à tomber, cria Clerks.
De retour à leur hôtel, Edna les attendait de pied ferme :
— Il y a deux hommes très bien habillés qui vous demandent. Ils attendent depuis une demi-heure. Je les ai fait patienter dans le salon, leur dit-elle.
Maïwenn, transie de froid, ne fit pas attention à ce que venait de dire la vieille femme et monta dans sa chambre mettre des vêtements plus chauds.
— Ce sont des employés de la famille Mc Grath. Des gens très importants ici ! Vous m'amenez du beau monde, poursuivit Edna. Je vous apporte une boisson chaude au salon ?
Elle ne leur laissa pas le temps de répondre et partit les commander en cuisine pendant que Mathias et Clerks se regardaient d'un air étrange.
— Vous savez ? demanda Mathias.
— Et comment ! répondit l'historien.
Lorsque Maïwenn apparut sur les marches des escaliers, les deux hommes lui firent signe de s'arrêter et la rejoignirent.
— Des Varlarc'h du chef désigné sont ici, s'empressa de lui dire Mathias.
— Mais que veulent-ils ?
— Pour le savoir, il faut le leur demander, lança Clerks.
La curiosité de John avait été piquée au vif. Au cours de ses recherches, il avait beaucoup entendu parler des Mc Grath, la famille du chef désigné, mais surtout de leurs Varlarc'h, décrits comme de grands soldats dévoués corps et âme à leur chef. Il n'en avait jamais rencontré et il était impatient de voir de ses propres yeux à quoi de tels guerriers pouvaient ressembler.
Ils redescendirent l'escalier et pénétrèrent dans le salon où deux hommes en costume sombre les attendaient assis à l'une des tables. L'un d’eux, trentenaire, avait une peau mate qui faisait ressortir ses yeux vert foncé et de longs cheveux noirs, noués en queue de cheval qui tombaient sur ses épaules carrées. L'autre, plus âgé mais tout aussi athlétique, avait la coupe militaire grisonnante. Ses traits étaient plus épais et marqués. En voyant le trio, les deux hommes se levèrent mais n'avancèrent pas vers eux, laissant une distance de sécurité.
— Je suppose que vous savez pourquoi nous sommes ici, dit le plus âgé.
Les amis se regardèrent, aucun d'entre eux n'osait répondre. Clerks et Mathias faisaient office d'avortons devant ces deux armoires à glace, mais ne voulant pas perdre la face, Mathias répondit négativement.
— Nous sommes au service de la famille Hua le temps de leur séjour ici et ils souhaiteraient vous voir.
— Les Hua ? Nous ne les connaissons pas, affirma le jeune homme avec assurance.
— Elle, si, rétorqua l'homme en désignant Maïwenn.
Mathias et Clerks se tournèrent vers elle, attendant une réaction de sa part.
— Ce nom ne me dit rien, je vous assure, se défendit-elle.
— Je pense que vous vous raviserez une fois sur place. Prenez vos affaires, nous partons, ajouta le Varlarc’h.
— Où allons-nous ? Je ne suis pas sûre d'avoir envie de vous suivre, poursuivit Maïwenn.
— Nous avons ordre de vous conduire dans leur propriété. Si vous voulez des réponses, vous n'avez pas le choix, intervint le plus jeune des deux.
Le trio se regarda de nouveau et sortit du salon pour se concerter. Déterminé à avoir des réponses, Clerks voulait absolument les suivre et pressa donc ses compagnons. La curiosité de Maïwenn avait été aiguisée aussi et c'est pour cette raison qu'elle accepta.
La pluie tombait sur les petites routes côtières et sinueuses de Till et le vent soufflait dans les arbres des bas-côtés. Le chauffeur bifurqua, quittant ainsi la route longeant les falaises, pour s'enfoncer dans les terres. La nuit n'avait pas encore complètement pris sa place ce qui donna l'occasion aux invités de voir se dresser devant eux une immense serre et collée à celle-ci, une maison de pierre. La voiture s'arrêta enfin devant une grille, gardée par deux hommes. Ils pénétrèrent ensuite dans une grande cour éclairée par des luminaires encastrés au sol, comme des dizaines de lucioles géantes.
Lorsqu'ils sortirent de la voiture, une bourrasque de vent les toucha de plein fouet en même temps que retentit le grondement des vagues se cassant sur des récifs. Tout ce qu'ils étaient en train de vivre paraissait surréaliste, jusqu'à l'accueil qu'on leur réservait puisque six personnes, quatre hommes, deux femmes, se tenaient debout sur le perron. De loin, ces quatre hommes paraissaient avoir le même âge, la quarantaine environ et le teint mat. L'une des deux femmes descendit les marches du perron et vint à leur rencontre avec un grand sourire aux lèvres. Il était difficile de donner un âge à cette personne, malgré les rides déjà bien présentes sur son visage. Elle avait un teint doré et de grands yeux noirs qui inspiraient confiance. Elle portait un pantalon beige et un épais pull à col roulé violet recouvert en partie par un imperméable, beige lui aussi.
— Venant de Polynésie j'ai toujours du mal à m'habituer au climat de Till, dit-elle tout en prenant les mains de Mathias.
Elle les mena ensuite sous le porche, à la hauteur de la seconde femme et des quatre hommes.
— Voici Noelyse, ma fille, mais je manque à tous mes devoirs... Je suis Christina Hua.
En croisant le regard de Noelyse, Maïwenn eut un mouvement de recul : elle venait de reconnaître la femme qui, par deux fois l'avait protégée dans ses rêves. Stupéfaite, la jeune femme se contenta de hocher la tête.
Sa courte présentation terminée, Christina les incita à entrer dans le hall. Leur hôtesse s'arrêta au milieu du grand tapis moelleux posé au sol, juste en dessous d'un grand lustre. Elle leur demanda ensuite de patienter là pendant qu'elle et sa fille allaient vérifier au salon que tout était prêt pour eux. Les invités ne restèrent pas seuls pour autant puisque les quatre hommes se positionnèrent autour d'eux.
Comme si j'allais tenter de m'enfuir face à eux. Pourquoi me regardent-ils ainsi ? Pas bouger John, pas bouger, pensa Clerks devant cette surprotection.
Sont-ils eux aussi des Varlarc'h du chef désigné ? Je n'ai pas encore vu leur dague. Combien pourrais-je en mettre à terre ? se demandait Mathias, admiratif de ces hommes avec tout de même une pointe de jalousie.
— Et sinon, vous venez tous de Polynésie ? Ça doit être beau là-bas, lança Maïwenn.
La jeune femme tentait de briser la glace, mais elle n'obtint que les regards assassins, de ses deux compagnons, la suppliant de se taire.
— En effet, cela est bien différent d'ici... Surtout le climat à vrai dire.
L'homme qui venait de parler était le plus âgé des quatre hommes, le plus éloigné de Maïwenn aussi. Sa phrase terminée, il sourit, ce qui fit sourire les trois autres. Il s'avança vers elle, lui serra la main et se présenta comme étant Jo, le responsable de la sécurité. L'homme près de lui était Éric, son adjoint, qui fit signe aux deux gardes restant de se retirer. Jo leur expliqua ensuite que leur accueil glacial servait à évaluer leur niveau de dangerosité et il lui était maintenant évident qu’ils étaient inoffensifs.
Clerks rit nerveusement. Mathias, par contre, n'était pas du tout amusé. Il avait suivi le même entraînement qu'eux et ne se considérait pas inoffensif.
Christina réapparut et pria ses invités de la suivre dans la salle à manger. C'était une pièce longue, haute de plafond et sans décoration. Au centre, les attendait une table dressée avec soin et un immense lustre de cristal. Les murs de pierres apparentes d'un côté et de briques de l'autre, laissaient penser que cette partie de la maison était une extension construite bien après le reste du bâtiment.
Dehors, les branches des arbustes plantés le long des quatre grandes fenêtres de la pièce étaient mal menées par le vent et glissaient sur les vitres dans un bruit strident et lugubre. Dans un coin de la pièce, le majordome de la maison attendait patiemment les instructions de Christina. Cette dernière lui demanda de fermer les grands rideaux bordeaux de chaque fenêtre pour étouffer les bruits extérieurs. Il quitta alors la pièce pour revenir quelques instants plus tard, muni d'une longue tige de métal lui permettant d'atteindre les tringles à rideaux situées à deux hauteurs d'homme. L'atmosphère devint immédiatement plus feutrée, mais un bruit sourd fit sursauter l’assemblée. Maïwenn tourna la tête en direction de celui-ci et remarqua alors l'âtre de la cheminée située à droite d'elle. Un homme venait d'y jeter une bûche afin de démarrer la flambée. Il s'excusa de son manque de délicatesse et quitta rapidement la pièce. Le crépitement du bois qui suivit apaisa les esprits.
Chaque convive prit ensuite place. Christina se trouvait en bout de table, à côté de Jo. À sa droite étaient assises Noelyse, Maïwenn puis Clerks et Mathias en face. La place laissée vide à l'autre bout de la table intriguait le trio, ce que Christina ne manqua pas de remarquer avec amusement. Pendant ce temps, le majordome s'afférait autour de la table pour remplir leurs flûtes à champagne, y compris celle de la place inoccupée. La maîtresse de maison leva ensuite son verre avec légèreté et invita ses convives à faire de même, mais à peine avaient-ils porté le breuvage à leurs lèvres que le bruit de la porte d'entrée se fit entendre. Christina quitta alors la pièce et réapparut accompagnée d'un homme aux cheveux blancs. Mathias se leva immédiatement.
— John, Maïwenn, je vous présente celui que vous cherchez à disculper depuis des jours. Pierre, précisa Christina.
— Je suis heureux de te rencontrer enfin Maïwenn, dit l'intéressé d'une voix posée et douce.
Maïwenn se leva à son tour et s'avança vers celui qui lui avait causé tant d’ennuis.
— Je crois que nous vous devons des explications, reprit leur hôtesse.
— J'allais le dire, acquiesça Mathias, un peu méfiant.
— Il y a quelques temps, Richard et son épouse sont venus nous voir en Polynésie. Ils voulaient que Noelyse leur fasse des prédictions. Ils étaient préoccupés par leur avenir et étaient très insistants, expliqua Christina.
— Monsieur Clerks, je crois savoir que vous avez eu des contacts avec Victor, mon frère, et que vous avez récolté plusieurs documents. Est-ce exact ? demanda Pierre en se tournant vers l'historien.
— C'est bien vrai Monsieur Godest, répondit John, très intimidé.
— C'est donc vous qui avez remis à Victor les documents incriminant Richard.
— Encore une fois, vous êtes bien informé.
— Même si cela est horrible, je ne peux m'empêcher de penser que Richard est mêlé d'une façon ou d'une autre à son meurtre. Je suppose qu'il n'a pas tenté de m'éliminer, car une autre tragédie de ce genre aurait éveillé les soupçons. L’invention de mon frère, le Visio-nerf, n’est qu’un prototype, mais il pourrait un jour aider la police en vérifiant si les souvenirs évoqués par un suspect sont vrais. Une sorte de détecteur de mensonge plus performant. Il pourrait aussi, et c’était l’objectif de Victor, permettre d’entrer dans les rêves d’autrui et avoir ainsi une visée plus médicale. Enfin, ce n’est que spéculation pour le moment, mais cela suffit déjà à mettre certains Guides en colère. Ils ne veulent pas que la technologie supplante leur don. Ça, Richard l’a très vite compris et il voudrait s’en servir pour obtenir plus de pouvoir. J’ai de la peine de dire cela de mon propre frère, mais c’est pourtant la vérité. Vos découvertes Monsieur Clerks sont un nouveau pas en avant pour le démasquer.
— Je partage votre avis, rétorqua Clerks, ravi d'être enfin pris au sérieux.
— Il n’y a pas que les Guides qui s’inquiètent. Nous avons croisé à plusieurs reprises des opposants à ce casque. Il y en aura lors de la conférence et je ne leur donne pas tort à vrai dire. Cette invention me préoccupe aussi, me fait peur même pour être honnête, intervint Maïwenn.
— D’ailleurs Maïwenn a assisté au meurtre, détourna Mathias.
— Et bien, ces éléments me seront utiles devant le grand cercle. Trinquons à ces bonnes nouvelles alors, conclut Pierre en levant sa coupe.
Tous l’imitèrent avec entrain à l’exception de la jeune femme qui n’appréciait pas qu’on ignore ses craintes.
Le repas terminé, Christina et Noelyse firent visiter leur bibliothèque à Clerks qui ne savait plus où donner de la tête pendant que Pierre, Mathias et Maïwenn se plaçaient dans de grands fauteuils autour de la cheminée. Mathias tendit à Pierre la chevalière que ce dernier prit avec un sourire nostalgique.
— La fameuse bague poison.
L'homme regarda les flammes qui consumaient farouchement les bûches dans la cheminée et parut un instant plongé dans de douloureux souvenirs :
— Même à distance, je n'ai jamais cessé de veiller sur Françoise. Dans l’ombre, j’étais présent le jour de son mariage puis lors de la naissance de notre… Enfin… De son fils, se corrigea-t-il. J'étais là aussi à l'enterrement d'Henry, l'homme qui avait eu le bonheur de partager sa vie pendant de si longues années. J'ai partagé sa peine tout en haïssant celui qu'elle pleurait ce jour-là. J'avais besoin de connaître sa vie, un peu comme si je vivais avec elle par procuration. Mais je m'égare... J’ai entendu dire que le médecin qui s’occupait de ta grand-mère était Patrick Godest. Est-ce vrai ? demanda-t-il en reprenant son contrôle.
— Oui. Pas très sympathique d’ailleurs, souligna Maïwenn.
— Je te l’accorde. Ne t’inquiète pas, j’ai quelqu’un qui s’occupe de son cas. Plutôt inattendue cette aide cela dit. Les choses sont en train de bouger. As-tu vraiment vu le meurtre de Victor ?
— J’étais là effectivement. J’ai vu ses agresseurs, enfin, l’un d’eux surtout. Il m’avait brouillé la mémoire, mais le Visio-nerf a apparemment débloqué cela.
Pierre regarda Mathias d’un air interloqué qui gêna le jeune homme.
— Je vous expliquerai plus tard Pierre, balbutia Mathias.
— J’ai hâte, rétorqua Pierre, très calme.
— Bref, l’homme que j’ai vu était brun, inquiétant et peut apparemment voiler la mémoire des gens, commença la jeune femme.
— Pourquoi t’avoir gardée en vie ? C’est étrange comme choix. Il aurait été tout aussi simple pour lui de te liquider, pointa Pierre.
— Alors, pour le coup, j’aime autant qu’il ait choisi la difficulté, ironisa Maïwenn. L’homme qui l’accompagnait lui a dit quelque chose à l’oreille et il a décidé de me laisser en vie. Ce qui m’intrigue, c’est qu’ils étaient en bas de chez moi, à Brest, alors que le corps a été retrouvé à Quimper. Que faisaient-ils là ?
— À Brest ? releva Pierre, c’est étrange oui. Si nous voulons des réponses, nous devons retrouver ces hommes. Maïwenn, tu devras te rendre, discrètement, à la conférence de presse pour t’assurer qu’il n’y est pas.
La jeune femme acquiesça et se leva pour quitter la pièce, mais avant, elle devait lui poser une question :
— Mon père vous a-t-il aidé à vous enfuir ? se risqua-t-elle.
— D’aucune manière, il sera blanchi c’est certain, confia Pierre.
À moitié convaincue, elle regagna sa chambre.
— Alors enquêteur, vos conclusions ? demanda Pierre une fois seuls.
— Un peu tôt pour le dire et je les ferai au chef désigné. Ce qui est sûr, c’est que l’ombre de Richard plane sur toute cette affaire. Croyez-vous que ce soit une coïncidence que Maïwenn y soit mêlée ?
Pierre parut gêné par cette question.
— Philippe m’a confirmé que le psy de Maïwenn lui donnait de mauvais médicaments, reprit Mathias.
— Tu lui as demandé de les arrêter au moins ?
— Je lui ai dit de freiner mais sans lui expliquer pourquoi.
— Tu as bien fait, inutile de l’affoler davantage.
— Ce n’est pas tout, poursuivit l’enquêteur, elle s’est fait enlever par Kenneth mais elle a réussi à reprendre le contrôle. Bizarre, non ?
— Notre don est une loterie, peut-être tient-elle beaucoup plus de moi qu’on ne le pensait, expliqua Pierre.
— Vous ne me cachez rien monsieur Godest ?
— Bien sûr que non Mathias, affirma ce dernier en quittant la pièce.
Il n’avait pourtant pas convaincu l’enquêteur.
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Notes d'auteur :
Notre petit groupe débarque à Little Rock pour la conférence de presse et font une rencontre ...Inattendue!
Note de fin de chapitre:
J'espère que cela vous plait toujours!
A bientôt :-)
A bientôt :-)
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