Amy, infirmière, avait l’habitude des retards de son mari sur leur lieu de travail, car il ne pouvait rien refuser à sa mère. Il avait ce besoin incessant de plaire à Rose, qui n’avait pourtant jamais eu le moindre geste de tendresse envers lui. Elle avait toujours du mal à s’intégrer dans cette famille et notamment auprès de cette femme à la poigne de fer qui ne la trouvait pas assez forte pour son fils. Elle savait très bien que Patrick ne l’aimait pas autant qu’elle l’aimait.
Ils fréquentaient la même université depuis déjà deux ans lors de leur premier rendez-vous. Ce qu’elle ignorait à l’époque et qu’elle apprit beaucoup plus tard, c’est qu’il s’agissait en réalité d’un arrangement entre Richard et son père. Jeune fille, elle avait remarqué dès le début ce bel Apollon fêtard qui faisait tourner toutes les têtes sur le campus. Elle avait alors naïvement pensé qu’elle pourrait lui faire oublier l’épicière dont il s’était entiché pendant quelque temps mais elle s’était voilé la face. Patrick l’avait épousée car il n’avait pas osé s’opposer à sa mère, et même le fait d’accepter de quitter son île natale pour la Bretagne n’avait pas suffi à gagner son cœur. Il la considérait comme celle qui lui avait donné trois enfants, rien de plus. D’ailleurs, elle avait passé des nuits entières à pleurer les premières années de leur mariage. Le divorce ? Elle y avait souvent pensé, mais avec la perfidie de ses beaux-parents, elle aurait pu dire adieu à ses enfants. Cependant, Amy avait la patience comme grande qualité et elle sentait que l’heure de la revanche viendrait bientôt.
Elle sentit son cœur peser de nouveau dans sa poitrine en repensant à ces années-là, alors elle secoua la tête pour expulser ses pensées négatives.
Il est vrai que depuis quelque temps, elle avait gagné des points en acceptant de s’occuper de Françoise et de veiller à ce que personne d’autre qu’elle ne lui donne ses médicaments. Elle était contre au début, jugeant cela immoral, mais elle avait dû céder devant la pression familiale.
Tout en préparant les pilules destinées à aggraver l’état psychologique de la vieille femme, elle vérifia l’heure. Patrick avait une heure de retard, mais qu’avait-il de si important à faire ?
Une de ses collègues l’interpella tout-à-coup ce qui la fit revenir sur Terre brutalement.
— Le médecin-chef est là avec un agent de police, ils viennent voir ta patiente euh…Mme Deniel je crois, lui dit-elle, quelque peu agitée.
— Que veulent-ils ?
— Aucune idée, mais en tout cas, ça ne rigole pas.
Les mains d’Amy se mirent à trembler sur le petit plateau rempli de médicaments. Elle le posa dans la précipitation et prit son téléphone pour appeler Patrick. Si la police était là, ce ne devait pas être par hasard, ils allaient être découverts, si ce n’était pas déjà fait :
— Je n’ai pas le temps de te parler. Nous avons un problème ici, dit son mari en décrochant.
— Nous en avons un plus gros à l’hôpital, je peux te l’assurer.
— Ah oui, alors écoute ça : Roselyne a eu un accident si tu vois ce que je veux dire et ma mère m’a demandé de me charger du corps, seulement voilà, arrivé ici, devine quoi ? Plus de corps !
— Ta mère a assassiné Roselyne, c’est ça ? Et toi, tu as accepté de faire le sale boulot ensuite ? Tu te rends compte de ce que tu me dis, un meurtre. Vous êtes tous devenus fous !
— Arrête tes sermons ! Tu es aussi impliquée que nous et si l’on veut s’en sortir, il faut faire ce qu’il faut ! De toute façon, elle a disparu… Tu as entendu ? Plus de corps ! Nous devons absolument la retrouver… Maintenant que tu as appelé, tu voulais quoi ? dit-il avec mépris.
— Ce que je vais te dire va, je l’espère, te ramener à la raison… chuchota-t-elle.
— Je ne t’entends pas. Parle plus fort ou je raccroche. Je suis dans la merde là, tu comprends !
— Je ne peux pas parler plus fort, c’est ce que je voulais te dire. La police est ici avec le médecin-chef, dans la chambre de Françoise… Je fais quoi s’ils me posent des questions ?
Patrick resta plusieurs secondes sans rien dire.
— Et bien tu te tais, c’est ce que tu fais le mieux… Je vais essayer de venir au plus vite.
— Si tu continues à me traiter de la sorte, je vais beaucoup parler plutôt ! Comme d’habitude, je ne peux pas compter sur toi… Je raccroche, le médecin-chef arrive, mais dépêche-toi de venir ici.
Elle tenta de faire disparaître les médicaments qu’elle s’apprêtait à donner à Françoise, mais le médecin était déjà à son niveau.
— Je vous cherchais Madame Godest. La police est avec moi, l’affaire est grave. Il y a eu une dénonciation concernant le traitement de Madame Deniel. On accuse votre mari de lui administrer des médicaments trop puissants. D’ailleurs où est-il ?
— Il a un petit problème familial. Cela doit être un malentendu.
—Donnez-moi les médicaments que vous alliez donner à Madame Deniel et tout cela sera vite éclairci, intima le chef.
— Et bien… Je vais chercher le flacon, balbutia Amy.
— S’il vous plaît… Je vais prendre aussi ceux-là, rajouta le médecin en montrant du doigt les comprimés sur le plateau.
La panique envahit l’infirmière. S’il prenait ces pilules, ils découvriraient tout. Faisant mine d’être maladroite, elle fit tomber le plateau dont le contenu s’éparpilla sur le sol. Elle se précipita alors pour ramasser les médicaments et les mettre dans sa poche.
— Mais que faites-vous ? Donnez - les - moi enfin ! lui ordonna le médecin-chef en la regardant d’un air méfiant. Venez avec moi, je pense que l’agent de police veut vous parler, continua-t-il.
À la limite du malaise, Amy le suivit jusqu’à la chambre de la patiente où se trouvaient un agent de police ainsi qu’une femme qu’on lui présenta comme la belle-fille de Françoise. L’ambiance était très tendue.
— Madame Godest, je présume, demanda le policier.
— C’est cela.
— Savez-vous où se trouve votre mari ?
— Il ne devrait pas tarder, répondit-elle encore une fois, la voix tremblante.
— Très bien, nous allons l’attendre. C’est bien vous qui administrez les médicaments ?
— Tout à fait.
Elle décida ensuite de ne rien ajouter, car dès qu’elle avait donné les pilules au médecin-chef, tout était fini pour eux. Il reconnaîtrait tout de suite les anti-psychotropes puissants prescrits habituellement à des malades plus atteints qu’elle et surtout plus jeunes. Bien sûr, elle pourrait prétexter d’avoir fait aveuglément confiance à son mari, mais compte tenu de ses années d’expérience, cela serait peu crédible. Quant à Patrick, il ne pourrait pas prétendre ignorer les dangers de ces médicaments dans un cas comme celui de Françoise. Un doute l’envahit tout-à-coup… Et si Patrick ne revenait pas ? Elle regarda sa montre, il avait une heure de retard.
Sans s’en apercevoir, elle prit une grande inspiration puis expira bruyamment, elle venait de comprendre qu’il ne reviendrait pas. Tous se tournèrent vers elle, mais le regard d’Amy fut attiré par le médecin qui regardait les pilules dans sa main. Il leva les yeux et la fixa avec dégoût. Il venait d’identifier les médicaments qu’il tenait et de s’apercevoir qu’ils ne correspondaient pas au flacon. Une telle histoire allait faire scandale. Pourtant, il se tut, inutile de provoquer un esclandre devant la famille.
Jusqu’à présent Madeline était restée silencieuse, abasourdie. Tôt dans la matinée, elle avait reçu un coup de téléphone de la police et elle s’était précipitée à l’hôpital pour s’assurer que Françoise allait bien. Elle avait alors rencontré l’agent de police et le médecin-chef. C’était incompréhensible. Pourquoi vouloir du mal à sa si vieille belle-mère ? Un souci de plus alors que son mari était toujours en garde à vue et sa fille en cavale. Sans oublier le saccage de la maison de Françoise pour lequel elle devait encore se rendre au poste de police.
— Mais enfin, en tant qu’infirmière, vous devez savoir si ces médicaments sont les bons ou non, lança-t-elle froidement à Amy.
— Allons, calmez-vous, demanda le médecin avec condescendance.
— Non. Je ne me calmerai pas tant que cette histoire ne sera pas réglée ! Je vais au commissariat pour une autre affaire, mais je ne manquerai pas de demander des éclaircissements.
— Une autre affaire ?
L’agent venait de lever la tête de son petit calepin. Le cas qu’on lui avait mis entre les pattes allait-il prendre une tournure intéressante ?
— La maison de ma belle-mère a été saccagée il y a quelques jours. La police a été prévenue par l’appel d’un voisin.
Le policier resta dubitatif pendant que Madeline quittait la pièce.
— Nous serons mieux dans mon bureau, dit le médecin-chef.
L’agent de police acquiesça et invita Amy à les suivre. Elle s’exécuta, espérant toujours l’arrivée surprise de son mari.
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Notes d'auteur :
Françoise, la grand-mère de Maïwenn n'est pas à l’hôpital par hasard...
Note de fin de chapitre:
Merci à ceux qui continuent la lecture!
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