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— Direction l'Angleterre j’imagine ? demanda Maïwenn en prenant place à l’arrière de leur moto.
— Direction l'Angleterre damoiselle. Prenons le bateau, comme ça nous aurons la moto pour nous déplacer là-bas. J'espère qu'il restera de la place sinon nous allons devoir attendre demain matin. Je passe à un distributeur pour retirer le maximum de liquide et on est parti alors.
— Pour ne pas être tracés, futé va ! nota Maïwenn en lui tapant sur l'épaule.

Mathias la regarda fixement, interloqué par son geste familier, mais resta silencieux et démarra. Le détour à un distributeur fait, ils prirent la direction de Roscoff, ville départ des ferries. C'était la première fois que Maïwenn circulait aussi longtemps en moto et la sensation de vitesse sur la voie express était grisante et l’aidait à reprendre ses esprits. Ils arrivèrent juste à temps pour le dernier départ.

La traversée jusqu’à Plymouth allait se faire de nuit, alors Maïwenn s'endormit dans un siège pendant que Mathias faisait le tour du bateau.
Les mouvements du navire sur les vagues berçaient doucement la jeune femme. Bien qu'elle n'ait que son manteau en guise de couverture, elle avait suffisamment chaud... Trop chaud.

Maïwenn était à présent allongée sur une plage de sable fin où le soleil brillait haut dans le ciel et la mer d'un bleu presque transparent. Elle se redressa pour contempler le paysage et prit une poignée de sable dans sa main qu'elle lâcha doucement au vent. Puis, elle décida de goûter l'eau, retroussa donc son jean et marcha jusqu'à avoir de l'eau aux mollets. La température était idéale. Jamais elle ne se baignait habituellement, mais là, elle plongea sans réfléchir et fit la planche, le visage face au soleil. Seul le bruit des vagues se faisait entendre, rien d'autre pour perturber ce moment. Tout à coup, elle sentit quelque chose la frôler. Elle ouvrit alors les yeux et vit une tête émerger de l'eau. Maïwenn hurla de terreur et tenta de s'enfuir à la nage, mais une main lui retint le bras et tous ses efforts pour se débattre n'y faisaient rien, elle était immobilisée.

— Écoute-moi Maïwenn, intima une voix féminine.
Cette dernière cessa de se débattre et fit face à une femme polynésienne. Elle avait de longs cheveux qui recouvraient une tunique bleue.
— Il faut que tu m'écoutes maintenant. Ils arrivent et tu ne dois rien leur dire. Nous serons amenées à nous revoir, mais en attendant, fais-moi confiance.
Soudain, un bruit de moteur se fit entendre. C’était un zodiac qui se dirigeait vers elles à vive allure. À son bord, Maïwenn reconnut deux des femmes qu'elle avait chassée de ses rêves. Lukian était là aussi, de même qu’un homme âgé, qui dirigeait l'embarcation.
— Tu ne dois rien dire, répéta la femme.
Affolée, Maïwenn chercha des yeux la Polynésienne, qui avait déjà disparu. Malgré ses vêtements trempés, elle eut le temps de sortir de l'eau et de s'enfoncer dans la forêt luxuriante qui bordait la plage, avant que ses poursuivants n'accostent.

Elle courut aussi vite qu'elle put, repoussant avec force les branches qui lui barraient le passage tout en prenant sur elle la douleur de ses pieds tailladés par les ronces et les épines au sol.
La chaleur devenait irrespirable et le poids de ses vêtements mouillés rendait le moindre de ses mouvements difficiles. À bout de souffle, elle devait pourtant redoubler d'efforts pour semer ses poursuivants dont les voix se rapprochaient dangereusement. La végétation était dense et elle finit par tomber à terre, son pied coincé par une racine. Elle tenta de se dégager, mais ses mouvements brusques déclenchèrent un mécanisme qui la souleva du sol. Pendue la tête en bas, elle était prise au piège.
Lukian et les deux femmes ne tardèrent pas à la rejoindre et à contempler avec satisfaction sa mauvaise posture. Sans ménagement, le jeune homme saisit son couteau et sectionna la corde qui la maintenait en l'air. Maïwenn fit alors une lourde chute avant que les deux femmes ne la prennent par les bras et ne la traînent jusqu'à la plage.
L'homme plus âgé était resté assis sur le sable et les attendait patiemment. Vêtu d'un costume gris clair, il imposait le respect par sa prestance et son visage dur. À l'approche du groupe, il se releva et arbora un large sourire.
— Nous l'avons attrapée grand-père. Tu vois qu'on pouvait le faire, lança fièrement Lukian.
Maïwenn, sonnée, n'avait pas opposé de résistance, mais elle commençait peu à peu à reprendre ses esprits. Ils la firent s'agenouiller aux pieds de l'homme.
— Où allais-tu comme cela ? lui demanda la blonde.
— Réponds, surenchérit la brune tout en la bousculant. Où vas-tu ?
L'homme leur fit signe d'arrêter.
— Alors comme ça c'est toi qui me causes tant de soucis. Comment cela est-ce possible, tu n'as pas l'air bien dégourdi.
Puis il se pencha vers elle et lui murmura à l'oreille :
— Dis-nous où tu vas et pourquoi, car sinon, nous hanterons chacun de tes rêves à t'en rendre folle.
Maïwenn releva la tête jusqu'à avoir ses yeux plongés dans les siens et éclata de rire. Les deux femmes lui intimèrent alors de se taire, sans succès.
— Vous êtes Richard n'est-ce pas ? Le grand Richard que beaucoup craignent. Vous vous êtes peut-être introduit dans mon rêve, mais je ne vous dirai rien, je suis toujours maîtresse de la situation.
— Ah oui ? Te voyant comme ça là, à genoux devant nous, tu n'en donnes pas trop l'impression, ironisa Lukian.
Le visage de Richard avait changé, il paraissait maintenant méfiant.
— Supposons qu'effectivement tu aies le contrôle, ce dont je doute, qu'en est-il de tes parents ? demanda-t-il.
Maïwenn se releva et les deux jeunes filles qui l'encerclaient reculèrent tout en gardant leur sourire satisfait au coin des lèvres.
— Si vous touchez à un seul de leurs cheveux...
— Pas besoin de les toucher, Maïwenn, nous leur avons déjà rendu visite plusieurs fois, jubila la brune.
— Laissez-les tranquille ou vous aurez affaire à moi ! cria Maïwenn avec une fougue qu'elle ne pensait pas avoir.
— On a peur, comme tu peux le voir !
— Tais-toi Lukian, cria Richard en lui lançant un regard rempli de mépris. C'est très simple jeune fille, ne vous mêlez plus de nos histoires ou je me chargerai personnellement de votre famille.
— J'en ai assez entendu. Demandez-leur ce dont je suis capable et vous allez comprendre ce qui vous attend ! nargua Maïwenn.
Son ton résolu créa un vent de panique au sein du groupe qui scrutait le moindre mouvement suspect. C'est alors que la brise légère s'intensifia, soulevant le sable de la plage qui se mit à voltiger de plus en plus vite autour d'eux. Maïwenn, au centre du cercle, s'écarta pour échapper au sable qui s'insinuait partout. Les yeux, les oreilles, les cheveux, la bouche, la moindre parcelle de leur corps était maintenant attaquée sans relâche. Richard, qui suffoquait, posa un genou à terre avant d'être soulevé du sol par le tourbillon de sable qui s'était formé. Les trois autres ne tardèrent pas à le rejoindre dans les airs, essayant désespérément de se débattre, ballottés de-ci de-là par les éléments et torturés par le sifflement strident du vent au contact du sable. Le ciel si clair s'entrouvrit, comme éventré, pour laisser la place à un trou noir béant dans lequel Richard et ses comparses furent aspirés. Puis, la brèche se referma et le vent cessa.

Le calme était revenu. Maïwenn, qui s'était recroquevillée à terre, se décrispait peu à peu et observait autour d'elle avec méfiance. Les vagues se déroulaient à nouveau sur le sable, plus aucune trace des dernières minutes. Soudain, elle remarqua qu’à l'autre bout de la plage, se trouvait la femme qui l'avait prévenue. Il fallait qu'elle lui parle, qu'elle ait des explications. Qui était-elle ? Maïwenn courut dans sa direction, mais au bout de quelques secondes, elle eut la sensation de faire du sur-place, comme si le sable se dérobait sous ses pieds et c'était le cas. Le sable chaud et fin s'était transformé en un sable mouvant dans lequel elle s'enfonçait. Les jambes immobilisées, elle glissait de plus en plus. Recouverte rapidement jusqu'au cou, elle fut engloutie.

La seconde suivante, le visage d'un inconnu était au-dessus d'elle. Son rêve avait été si intense qu'elle avait hurlé et inquiété ce passager qui s'était approché.
Très embarrassée, elle quitta son siège en s'excusant et partit à la recherche de Mathias qu’elle retrouva sur le pont. Lorsqu'il vit son visage, il comprit que quelque chose s'était passé. Elle s'adossa à la rambarde sans dire un mot et ils restèrent ainsi, en silence. Mathias, conscient qu'elle ne tiendrait jamais sans quelques heures de repos, leur trouva deux places pour s'allonger et resta à ses côtés.
La jeune femme se réveilla quelques heures plus tard, la tête sur les genoux de Mathias. Elle se leva doucement et se rendit au comptoir de boissons chaudes pour prendre deux cafés. À son retour, il dormait encore si profondément qu'elle n'eut pas le cœur de le déranger.
Heureusement qu'il ne m'est rien arrivé d'autre, il ne m'aurait pas beaucoup aidée. Il a l'air presque sympathique quand il dort... Presque.
Soudain, la voix d'une hôtesse indiqua que le bateau serait à quai d’ici trente minutes. Maïwenn approcha alors la tasse de café fumante près du nez du jeune homme, car quelques jours plus tôt, il lui avait révélé son addiction pour cette boisson. Le résultat ne se fit pas attendre, la seconde d’après, il était éveillé.
Ils sortirent alors sur le pont prendre un bol d'air et voir le ferry entrer dans le port de Plymouth. À cette heure matinale, il faisait frais, mais le temps était suffisamment dégagé pour apercevoir la côte se dessiner peu à peu.
— Ça y est, nous y sommes, dit Mathias en soupirant.
La voix de l'hôtesse se fit à nouveau entendre pour inciter cette fois les passagers motorisés à récupérer leur véhicule en prévision de l'accostage.
Dans un pays étranger et ne sachant pas du tout ce qui les attendait ni ce qu'ils allaient découvrir, ils se regardèrent, tendus, puis, se dirigèrent vers leur moto.
L'heure suivante, ils atteignaient le centre-ville de Plymouth. Mathias n'avait jamais conduit de ce côté-là de la route et l'adaptation ne se fit pas sans mal. Tout à coup, Maïwenn tira sur le blouson de son conducteur. Elle venait de voir un pub proposant le petit-déjeuner. Mathias se gara donc et ôta son casque, libérant ainsi un visage fatigué et crispé.

À quelques mètres d'eux se trouvait également un petit magasin de souvenirs que Maïwenn s'empressa de visiter pour y acheter une carte routière pendant que Mathias entrait dans le pub. Lorsqu’elle le rejoint, le jeune homme mangeait goulûment. Elle avait l’appétit moins aiguisé et se contenta de quelques toasts grillés. Rassasiés et leur plan de route établi grâce à la carte, ils sortirent de l’établissement pour constater que d'épais nuages s'étaient formés au-dessus de la ville et que la température avait chuté. Avant de monter à l'arrière de l'engin, Maïwenn jeta un œil à Mathias. Le regain d'énergie que lui avait procuré le petit-déjeuner
er avait vite disparu en voyant les conditions météorologiques qui les attendaient. Il finit par pousser un long soupir puis démarra.
— Southampton, nous voici, lança-t-il d’un ton monotone.
Le vent avait gagné en intensité et leur glaçait le sang. Maïwenn, qui sur les cent premiers kilomètres s'était cramponnée, sentait tous ses membres s'engourdir. Ils sortirent enfin de la voie rapide et entrèrent sur une large avenue, bordée d'arbres verts et de maisons en briques rouges. Le soleil, encore timide, se reflétait sur les feuillages mouillés et la petite brise qui soufflait dans les arbres solidement ancrés dans le trottoir, apportait aussi un peu d'apaisement à cette avenue très fréquentée.

Après une quinzaine de minutes, ils trouvaient l'office de tourisme où ils espéraient obtenir des adresses d'hôtels. Plusieurs minutes après leur arrivée, une femme d'âge mûr entra par une porte au fond de la pièce et s'approcha d'eux. À la demande de Maïwenn, l’hôtesse leur indiqua rapidement quelques hébergements et l'emplacement de la banque à l'aide d'un plan avant de les raccompagner vers la porte. Son comportement intrigua Maïwenn, cette femme semblait avoir hâte qu’ils partent. Alors, elle ne put s'empêcher de faire demi-tour pour regarder par la devanture. Elle vit la femme au téléphone et lorsque celle-ci l'aperçut, elle raccrocha aussitôt, comme prise en faute.

Déjà repérés ? pensa Maïwenn en s'éloignant... Non, impossible, se convint-elle.
Munis du plan qu’on leur avait donné, ils empruntèrent une ruelle qui les conduisit au milieu d'une longue avenue, exclusivement piétonne et pavée de dalles grises à l'esprit très moderne. Au centre, des bancs en aluminium et des jardinières de fleurs étaient disposés à intervalles réguliers pour créer deux couloirs de circulation. Cet immense espace en pente comptait un grand nombre d’enseignes de restauration dont les terrasses étaient prises d'assaut. Enfin, au beau milieu de l’avenue, trônait une immense porte de pierre en forme d'arche.

Les deux jeunes gens s'assirent sur un banc pour contempler les deux statues de lion qui gardaient fièrement cette porte, mais surtout, pour définir un plan. La banque se situait à quelques rues de là, mais bien qu'ils aient la clé du coffre, ils n'avaient pas de procuration.
La fatigue accumulée et le stress rendaient l’atmosphère électrique entre les deux compagnons de route. La moindre des suggestions de Maïwenn était aussitôt rejetée sans ménagement par le jeune homme. Excédée, elle décida de s’éloigner.

— Et tu comptes aller où comme ça ? lui cria Mathias, tout en la suivant de loin.
Maïwenn ne prit pas la peine de répondre.
— J'en ai marre et je suis fatigué ! Tu peux comprendre ça ? insista-t-il en agitant ses bras dans le vide comme pour évacuer sa colère.
La jeune femme fit alors demi-tour pour revenir à son niveau :
— Tu te moques de moi ? Tu crois quoi ? Que je suis contente d'être ici ? C'est ça que tu penses ? Et arrête de gesticuler, car niveau discrétion c’est pas terrible !

Mathias remarqua alors le regard médusé des passants. Pourtant, il était hors de question qu'il s'excuse alors, il préféra se taire tout en suivant la jeune femme.
L’adresse trouvée, ils entrèrent ensemble dans la banque et saluèrent l'agent de sécurité posté à l'intérieur. Le hall d'attente était très grand et dépourvu de décoration superflue. Mathias se dirigea alors d'un pas sûr vers le premier des quatre guichets. Un homme en costume noir, protégé par une vitre, y était assis. Les cheveux entièrement gris, lunettes sur le nez, il ne leva pas la tête de son écran. Les jeunes gens patientèrent ainsi quelques secondes devant lui avant qu’il ne leur adresse la parole, toujours sans lever les yeux

— Je vous demande un peu de patience Monsieur Omnès, se contenta-t-il de dire.
— Vous connaissez mon nom ?
L'employé de banque ne répondit pas.
— Suivez-moi, ordonna-t-il enfin.
Le guichetier se leva et ouvrit la porte permettant aux clients d'accéder à l'arrière de la banque. Maïwenn et Mathias entrèrent avec méfiance et il referma avec soin derrière eux.
— Plus un mot à présent, dit l'homme d'un ton autoritaire.
Plusieurs box de bureaux et portes de sécurité plus tard, ils arrivèrent dans un long couloir épuré, très éclairé, au fond duquel se trouvaient les coffres.
— Pierre m'avait prévenu que vous viendriez. Je m'appelle Joffrey Donwell, lança l'homme à Mathias.
— Comment savait-il ? Et comment m'avez-vous reconnu ?
Joffrey esquissa un sourire.
— J'avais une description physique de madame Deniel.
— Pierre me connaît ? s’étonna-t-elle.
— Victor lui avait dit que s’il avait un problème, il ferait appel à un enquêteur et Pierre m'a donné des instructions à votre intention. Il savait que quelque chose se tramait contre lui.
— Que vous a-t-il dit exactement ? demanda Mathias.
— Que vous et madame Deniel viendriez chercher le contenu de son coffre. Il m'a aussi demandé de vous conduire chez lui. Vous aurez besoin d’un objet qu’il a laissé là-bas, m’a-t-il dit. Je dois aussi vous mettre en garde. Beaucoup connaissent l’existence de cette maison, elle est sûrement surveillée par les Varlarc'h de Richard.
— Richard ? Attendez une minute, vous connaissez Richard ? Vous êtes aussi un Guide ?
Joffrey jeta un œil interrogateur à Mathias, puis, sans répondre, il ouvrit la porte blindée en face d’eux.
— Je n'ai pas eu le temps de tout lui expliquer, se justifia Mathias avant de pénétrer dans la grande pièce remplie de petits tiroirs coffres.
— Tout le monde est surpris que je ne sois pas au courant. Vous êtes pourtant censé être une société secrète, se moqua Maïwenn en suivant Mathias à l'intérieur.
Joffrey referma la porte derrière eux et se mit à la recherche du coffre de Pierre.
— Vous auriez tout de même dû en savoir un peu plus madame, rétorqua Donwell en lançant à Mathias un regard désapprobateur.
— Je sais, je sais, vous n'êtes pas le premier à me faire la réflexion, mais nous n'avions pas le temps d'entrer dans les détails. J'aurais aimé vous y voir. De toute façon, Richard avait déjà commencé les offensives contre sa famille. Mais, je vous en prie, expliquez-lui en détails tout ce qu’elle risque, histoire qu'elle soit un peu plus angoissée.
Donwell s'arrêta de chercher, se tourna vers Maïwenn d'un air inquiet puis retira ses lunettes, plongeant ainsi ses petits yeux noirs dans ceux de la jeune fille.
— Richard s'en est pris à votre famille ? Cela veut dire qu'il est au courant de vos projets ?
— Mon père est en prison, ma mère me pense folle et je suis probablement recherchée par la police à l’heure qu’il est, mais je ne sais pas s'il est au courant de nos projets, désolée.
— Effectivement, vous n'avez plus d'autre choix. Pour être concis, Richard s'est marié avec la sœur du chef de Grande Bretagne, j'ai donc eu de nombreuses occasions de le côtoyer. Je n'ai jamais pu le prouver, mais je le soupçonne d'avoir détourné de l'argent. Lorsque j'ai rencontré Pierre pour la première fois, j'ai remarqué qu'il n'avait rien à voir avec Richard et nous avons tout de suite sympathisé. Au nom de notre longue amitié, j'ai accepté de vous aider, mais j'ai déjà le sentiment d'être surveillé. Nous devons faire vite.... Voici son coffre.
Il le retira de l’emplacement pour que Mathias puisse y introduire la clé. À l'intérieur, se trouvaient plusieurs liasses de billets en livre et en euros qu'il s'empressa de cacher dans son sac pendant que Maïwenn se saisissait de la mini-cassette se trouvant au fond.
— Utiliser une clé USB aurait été trop simple bien sûr. Au moins maintenant nous savons pourquoi nous devons aller chez Pierre. Je suppose qu'il y a le magnétophone qui va avec.
— Vous avez raison, il faut savoir positiver. J'ai demandé à Liam, mon fils, de vous conduire là-bas et de vous trouver une chambre pour la nuit. Il doit vous attendre dehors. Encore une fois, vous devez être prudents, les alliés de Richard sont probablement déjà au courant de votre arrivée.
Il les raccompagna ensuite jusqu'au hall d’entrée, mais en sortant, le banquier saisit le bras de Mathias et l’attira légèrement en retrait. Maïwenn, quant à elle, sortit de la banque.
— Je suis désolé pour Victor mais beaucoup disent ici que son casque est une menace pour nous les Guides et qu’il l’a bien cherché.
— Je sais. Beaucoup sont contre, mais cela ne justifie en rien le meurtre d’un chef.
— Non bien sûr que non. Je m’interroge tout de même … Êtes-vous sûr que madame Deniel n’ait rien à voir avec sa mort ?
— On ne peut être sûr de rien pour l’instant.

Mathias écourta leur conversation, car il ne pouvait pas lui révéler qu’il soupçonnait d’autres Guides, pas encore. En sortant, il salua de nouveau l'agent de sécurité, qui l’ignora. Quelques secondes plus tard, ce dernier fumait une cigarette à l’extérieur du bâtiment. De là où il était, il observait Maïwenn et Mathias montant dans un pick-up. Il saisit son téléphone.
— C'est moi. Préviens Kenneth qu'ils viennent de partir. Je n'ai pas vu ce qui s'est passé, mais c'est Joffrey Donwell qui les a reçus et je viens de les voir monter dans la voiture de son fils. Demande-lui ce que je dois faire et rappelle-moi.
Puis, l'agent de sécurité reprit son poste.

Liam, la vingtaine environ, avait de petits yeux verts rieurs qui inspiraient confiance. Les cheveux châtains foncés et quelques taches de rousseur sur une bouille bien ronde, il portait une chemise à carreaux rouge et blanc qui faisait ressortir sa carrure de rugby man.
Après avoir mis la moto de Mathias à l'arrière de son pick-up, ils avaient roulé un peu moins d'une heure sur une route très fréquentée, traversant une grande forêt. Ils passèrent plusieurs lieux-dits avant d'arriver à une ville de taille plus importante. Liam se gara sur un petit parking, en face d’un pub, le Carlson Inn, là où il leur avait réservé deux chambres.
L'établissement était fait de pierres très sombres et de colombages. Le propriétaire avait laissé le lierre prendre d'assaut cette façade, sans pour autant l'étouffer, ce qui donnait encore plus de cachet au lieu.
Pour accentuer encore le côté épique, le nom du pub était inscrit en lettres dorées sur une plaque de métal forgée en forme de parchemin, accrochée au-dessus de la grande porte d'entrée. Le tout était illuminé par une lanterne de chaque côté.

Dès qu’ils passèrent l’entrée, ils se retrouvèrent en face du comptoir où, Owen, le propriétaire, les reçus avec un large sourire. De chaque côté du zinc, les tables étaient occupées par les clients qui buvaient leurs consommations tout en écoutant les musiciens au fond de la pièce. Les murs intérieurs étaient en pierre apparente et de nombreuses poutres de bois soutenaient les étages. Maïwenn était ravie de cette atmosphère chaleureuse, mais Mathias était moins à l'aise.
Owen les conduisit ensuite à leur chambre respective où ils purent se laver de cette journée éprouvante. Ceci fait, ils rejoignirent Liam qui voulait tout savoir d'eux : depuis quand ils se connaissaient, comment ils s'étaient connus... Ce type de questions déplaisait à Mathias qui parlait peu, alors que Maïwenn trouvait sympathique qu'il s'intéresse à eux. Au fur et à mesure de la soirée, Liam et elle se découvraient des points communs tandis que Mathias semblait de plus en plus agacé par ce jeune homme trop décontracté à son goût. D'ailleurs, il avait sorti sa pièce fétiche qu'il faisait glisser frénétiquement entre ses doigts.
— Tu as l'air un peu tendu Mathias, lui lança Liam.
— Nous ne sommes pas ici en vacances et nous devrions nous reposer pour aller dès demain chez Pierre, répondit Mathias d'un ton froid.
— Mon père m’a expliqué rapidement la situation. Ça va être compliqué de démasquer le coupable, continua le jeune homme d'un air amusé.
Liam était d'humeur à titiller Mathias. Une sorte de rivalité s'était instaurée entre les deux hommes.
— Non, mais je comprends que tu ne fasses pas ton boulot correctement. Moi aussi je serais perturbé avec Maïwenn à mes côtés, insista encore le jeune anglais.
Liam n'avait guère apprécié le ton agressif de Mathias et tout en disant ces mots, il ne put s'empêcher de le fixer avec un petit sourire provocateur. L’enquêteur, piqué au vif, allait lui répondre lorsque le portable de Liam sonna. Il s'en saisit, écouta son interlocuteur puis raccrocha sans un mot.
— Que se passe-t-il ? Quelque chose ne va pas ? demanda Maïwenn.
— Ce n'est rien, c'est juste mon père qui n'est pas encore rentré du travail, il a probablement dû s'arrêter au pub avec des collègues et ma mère s'impatiente. Ah les femmes... dit-il tapant sur l'épaule de Mathias avant de saisir Maïwenn par la main.
— Mais non, je te taquine, finit-il par dire.
— Sur ces bonnes paroles, je vais me coucher.
Mathias ne pouvait plus supporter le jeune homme qui, selon lui, était beaucoup trop familier. Il bondit de sa chaise, salua Liam du bout des lèvres et fusilla la jeune femme du regard avant de s’éloigner.
— Et bien, ton ami était pressé de se coucher d'un coup, enchaîna Liam en feignant la surprise.
— Oui, c'est étrange, il est insomniaque, rétorqua-t-elle froidement.
En réalité, elle était contrariée par le regard que Mathias lui avait lancé, mais ne voulait pas le faire savoir. Son attention fut alors détournée par Owen qui s’approcha de leur table et y posa une bougie, créant ainsi une ambiance intimiste.
— Tu sais Maïwenn, je pense qu'il n'a pas apprécié que je te prenne la main. Il est juste jaloux.
La jeune femme éclata de rire.
— Non, tu ne le connais pas, ce n’est pas son genre. Il veut juste protéger ce qui lui est utile, c’est tout, expliqua-t-elle.
— Tant mieux pour moi, rétorqua Liam.
Maïwenn ne savait pas quoi répondre à cette phrase et l’entrée d’une femme dans le pub l’en dispensa. Des murmures s’élevèrent sur son passage, mais cela ne l’empêcha pas de prendre place au comptoir. Elle portait avec grâce de longs cheveux blancs tressés et une robe noire lui tombant sur les pieds, recouverte en partie par une cape en velours de la même couleur.
— C'est Daïlia, une sorcière de Burley, murmura Liam.
— Une quoi ? s'exclama Maïwenn.
Liam esquissa un sourire gêné.
— Tu sais Maïwenn, nous sommes ici dans une forêt pleine d'histoire, de légendes. À quelques kilomètres, il y a un petit village qui s'appelle Burley, connu pour avoir été un repère de sorcières. C'est maintenant devenu le fonds de commerce des habitants.
— Non mais vous ne croyez pas à ces histoires quand même ?
Le jeune homme ne répondit rien et baissa juste la tête.
— J'ai une amie qui serait au paradis ici ! reprit la jeune femme.
— Personnellement, j'y crois. Ces gens ne volent pas sur des balais bien sûr, mais ont une connaissance des plantes qui pourrait vraiment te surprendre.
— Des herboristes améliorées en gros, compléta la jeune femme, avec légèreté.
— Tu ne devrais pas te moquer. Il n'y a pas si longtemps, tu n'aurais pas cru aux Guides, n'est-ce pas ?
— Tu marques un point, là. Je garde l'esprit ouvert alors. Par contre, elle n'arrête pas de regarder par ici et ça commence à me faire flipper.
Liam se retourna discrètement et vit Daïlia se diriger vers eux.
— Maïwenn, je suis très heureuse de te rencontrer, dit la femme tout en lui serrant la main.
— Euh... Bonsoir. Comment connaissez-vous mon nom ?
Faisant mine de ne pas entendre sa question, la femme prit une chaise, s'assit près d'eux et continua :
— Je ne vais pas vous importuner très longtemps, mais j'ai quelque chose pour toi.

Elle sortit de sa bourse en cuir une petite fiole plate de forme ovale remplie d'un liquide violet. Cette dernière était refermée par un bouchon de liège transpercé par un minuscule anneau dans lequel passait une longue chaîne d'argent.
— Tiens. Je dois te remettre ceci, dit Daïlia en tendant le pendentif à la jeune fille.
— Qu'est-ce que c'est ?
— Un porte-bonheur. Garde-le autour de ton cou. Crois-moi, il te sera utile.
La femme se leva ensuite et quitta le pub laissant Maïwenn et Liam à leurs interrogations.
— Suis-je la seule à trouver étrange ce qui vient de se passer ? Pourquoi m’a-t-elle donné ceci ? s’interrogea la jeune femme tout en regardant le pendentif.
— Je ne sais pas pourquoi, ni comment elle connaît ton prénom mais si j’étais toi, je l’écouterais.
Les deux jeunes gens remarquèrent alors les regards appuyés des vieillards au comptoir, probablement les habitués des lieux.
— Faut pas plaisanter avec la sorcière ma p’tite, lui lança l’un d’eux.
Maïwenn lui fit alors un signe de tête, gênée, pour lui indiquer qu’elle avait compris le message et posa l’objet sur la table.
— Une bizarrerie de plus sur ma liste, souffla-t-elle.
— Il y en a tant d’autres ? demanda Liam.
— Oui. Par exemple, qui ou qu’est-ce qu’un Varlarc’h exactement ?
— Ah…Et bien, c’est un combattant redoutable. Un apprenti Varlarc'h apprend à se battre dès seize ans et je peux te dire que ce n'est pas de la rigolade. De seize à dix-huit ans, ils ne vont pas sur le terrain, mais ont un entraînement intensif durant lequel ils doivent subir des tortures physiques et morales pour les endurcir. Puis de dix-huit à vingt-quatre ans, ils vont sur le terrain et doivent prouver leur loyauté.
— On les torture ?
— Enfin, je veux dire qu’ils doivent faire des stages de survie intenses. Je connais plusieurs personnes qui ont abandonné et ne s'en sont jamais remis.
— Et ils doivent prêter serment, c'est bien ça ?
— L'année de leurs vingt-cinq ans. Les meilleurs ont le privilège de servir notre chef désigné, eux sont vraiment respectés. Pour bien les distinguer, ils possèdent une dague au manche doré. Les autres vont dans les différentes branches et ont une dague au manche couleur fer.
— J'ai déjà eu l'occasion de rencontrer des apprentis et j'en garde un mauvais souvenir.
— Ah oui ? Mathias aurait pu te renseigner.
— Il est resté vague sur ce sujet, répondit-elle gênée. Comme pour beaucoup de choses d’ailleurs, pensa-t-elle encore.
— C’est vrai, dans un sens, je le comprends. L’apprenti qui a refusé de prêter serment, ça fait mauvais genre.
— Tu en as entendu parler ?
— Ca a fait grand bruit et on en reparle souvent, oui. C’était l’un des meilleurs et du jour au lendemain, il plaque tout pour devenir un vulgaire enquêteur.
— On ne l’apprécie pas trop si je comprends bien.
— Les enquêteurs fouinent et débusquent ceux qui abusent de leur pouvoir. Même s’ils sont soit disant indépendants des branches, ils doivent rendre des comptes au chef désigné.
— Ca veut dire non donc…
Liam rit.
— Ca veut dire non. Beaucoup les détestent même.
— Les ? Il y en a beaucoup ?
— Pour la suite tu demanderas à Mathias, botta en touche le jeune homme.
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