La maison de Pierre se situait à plusieurs kilomètres de là, loin des regards indiscrets. Mathias arrêta sa moto devant un haut portail en fer forgé. Derrière celui-ci se dressait une forêt de chênes et de pins. Seule une longue allée de terre indiquait le chemin à suivre pour rejoindre la maison. Il se dirigea alors vers l'un des poteaux de maintien du portail pour entrer un code sur l'interphone.
Le portail s'ouvrit immédiatement et le jeune homme redémarra sa machine pour traverser l'allée. La nuit n'était pas encore tombée et pourtant, la pénombre régnait tant les arbres étaient hauts. L'atmosphère était même étouffante, à tel point que Maïwenn, plus cramponnée que jamais à son conducteur, se serait crue dans un film de série z d'où elle et son compagnon ne ressortiraient jamais vivant. La maison était là, à une centaine de mètres. Sobre, ce n'était pas le manoir qu'elle s’attendait à trouver dans un cadre pareil. Au contraire, c'était une demeure simple, sur deux étages. Mathias gara sa moto derrière le garage, séparé du reste de la maison.
- Pourquoi se cacher, la maison n'est pas vide ?
- Elle l'est, pour l'instant. La femme de Pierre est partie dans sa famille dès la première garde à vue. Toute cette histoire n’est pas claire et il se pourrait que nous ne soyons pas les seuls à venir ici.
Ils firent le tour de la maison pour arriver sur la terrasse. Une grande baie vitrée permettait d'accéder à l'intérieur du salon.
- Ils ont fait rénover tout le bas de la maison il y a cinq ans. Si on a de la chance, ils n'auront pas verrouillé avant de partir.
- Attends... Ça complote à tout-va et ils ne fermeraient pas chez eux ? Et comment sais-tu tout cela sur eux ?
Le jeune homme tira la poignée de la baie vitrée qui s'ouvrit aussitôt. Les jeunes gens se regardèrent, l'un satisfait de lui, l'autre atterrée que ce soit ouvert, puis ils pénétrèrent dans le salon.
Il faisait très sombre à l'intérieur, impossible de distinguer quoi que ce soit. Maïwenn sortit alors de son sac une lampe-torche pour éviter d'allumer les lumières et suivit Mathias dans le vestibule.
- Tu n’as pas répondu, comment sais-tu tant de choses sur eux ? insista Maïwenn.
- Je suis enquêteur. La famille Godest est la plus influente des Guides de la région, je me dois de connaître certains détails.
- Mouais, si tu le dis, rétorqua la jeune femme peu convaincue.
Ils montèrent ensuite à l'étage pour fouiller le bureau de Pierre. Les volets étant fermés, Mathias alluma le plafonnier.
Maïwenn découvrit alors une pièce au style épuré. Le sol était fait d'un parquet très clair qui s'accordait parfaitement avec les murs peints de couleur beige, ornés de quelques photos de bateaux. Des deux côtés de la porte, se trouvaient des armoires de classement et au milieu de la pièce, un bureau soigneusement rangé. Le regard de Mathias fut attiré par le répondeur du bureau qui clignotait. Il appuya sur la touche de lecture pendant que Maïwenn jetait un œil aux anciens dossiers dans les armoires.
« Pierre, c'est Richard, je reviens juste de Polynésie, j'ai vu Noelyse. Nous devons parler. Rappelle-moi. »
- Qui est Noelyse ? interrogea Maïwenn.
- Aucune idée, personne dans la famille ne s'appelle comme ça à ma connaissance.
- Et une interrogation de plus, une !
Mathias continua sa fouille des différents tiroirs du bureau, mais après une vingtaine de minutes de recherches infructueuses, le jeune homme commençait à perdre patience. Il soulevait frénétiquement chaque photo des murs en quête d'un coffre, sans aucun résultat. Ils allaient abandonner et quitter la pièce lorsqu'un bruit de vitre brisée se fit entendre au rez-de-chaussée.
- Vite, Maïwenn, cache-toi sous le bureau.
- Arrête de me donner des ordres, maintenant ça suffit !
Des voix s'élevèrent dans le salon. Elle glissa une feuille du dossier qu'elle consultait dans sa poche puis, s'accroupit sous le bureau pendant que Mathias éteignait la lumière avant de la rejoindre.
Au moins deux personnes saccageaient le rez-de-chaussée. Très vite, les intrus visitèrent les différentes pièces de l'étage en mettant toujours autant de cœur à tout retourner sur leur passage. Maïwenn sentait son pouls battre de plus en plus fort alors que les pas des hommes s'approchaient du bureau. Elle regarda Mathias, cherchant dans ses yeux un peu de réconfort, mais elle n'y trouva que de l'excitation. Alors qu'elle était morte de peur, lui, au contraire, n'attendait qu'une chose : qu'ils entrent dans la pièce. Il était à l'écoute du moindre indice qui lui permettrait de reconnaître les intrus. Il regarda Maïwenn avec un petit sourire. Elle lui prit le bras pour tenter de le calmer et de lui faire comprendre qu'elle n'était pas rassurée, mais c'est aussi à cet instant que la porte du bureau s'ouvrit. Elle lui lâcha le bras pour mieux se recroqueviller sur elle-même et regarda dans le reflet de la fenêtre l'homme sur le pas de la porte, éclairé uniquement par les lumières du couloir. Il s'avança et alluma le plafonnier.
- On aura peut-être plus de chance ici, tu ne crois pas Lukian ? dit-il en direction du couloir.
- J'espère bien. Nous ne pouvons pas rentrer les mains vides. Il nous faut des documents contre lui ou contre le père de la folle dingue.
La peur qui avait tétanisé la jeune femme quelques minutes plus tôt s'était tout à coup transformée en rage en les entendant parler ainsi. C’est aussi à ce moment-là que Mathias sauta par-dessus le bureau et fonça sur Lukian. Il lui assena un coup de poing au visage puis un deuxième dans l'estomac. Ce dernier n'eut pas le temps de se défendre et tomba contre l'une des armoires qui manqua de se renverser sur lui. L'autre homme saisit Mathias par derrière pour l'immobiliser, mais celui-ci réussit à se dégager. À son tour, il lui tordit le bras droit dans le dos jusqu'à ce que son agresseur soit à genoux hurlant de douleur. Un troisième homme entra et aida Lukian à se relever. Tous deux se jetèrent sur Mathias qui fut projeté par-dessus le bureau, aux pieds de Maïwenn. N'écoutant que sa rage, elle se saisit de la lampe de bureau et frappa lourdement l'un des hommes qui s'écroula immédiatement. Elle se tourna ensuite vers Lukian, qui frappait Mathias toujours à terre et le saisit par le pull, emportée par la colère qu'elle accumulait depuis quelques semaines.
- Folle dingue, hein ? Apprenti Varlarc'h ou pas, il y a un endroit que tu ne peux pas protéger, hurla-t-elle avant de le frapper à l’entre-jambe.
Lukian se tordit de douleur au sol, à côté de Mathias qui se relevait difficilement. Il ne restait plus que le dernier homme, qui se tenait le bras droit, probablement cassé. Il se releva avec peine, mais détermination et commença à s'approcher d'elle d'un air menaçant. L'adrénaline tenait encore Maïwenn vaillante et elle n'avait pas peur de le corriger, mais celui-ci resta figé, eut une fraction de seconde d'hésitation puis partit en courant. Elle, fière de l'avoir fait fuir, soupira de satisfaction et fit demi-tour pour aider Mathias. Ce dernier se tenait déjà debout juste derrière elle et avait repris tous ses esprits.
- Tu ne croyais pas vraiment que ta carrure avait suffi à faire fuir un apprenti ? dit-il en riant.
- Je viens de te sauver la mise. À ta place, je ne la ramènerais pas trop.
Il ignora sa remarque et se dirigea directement vers la porte.
- Allez la boxeuse, on y va !
- On ne va pas le laisser là, je l'ai peut-être tué ! dit-elle en pointant l'homme qu'elle avait assommé.
- Non, tu ne l'as pas tué, dit-il en riant de plus belle. Allons-y avant qu'ils ne reviennent plus nombreux.
Il laissa passer Maïwenn en premier dans le couloir et s’approcha de Lukian, qui se tordait toujours de douleur.
- Je n'aimerais pas être à ta place Lukian. Quand je pense que tu suis une formation pour devenir un grand guerrier et que tu te fais laminer par quelqu’un sans entraînement.
Il se dirigea ensuite vers l'homme que Maïwenn avait assommé et vérifia son pouls.
Mais pourquoi j'ai vérifié, elle n'aurait pas pu le tuer.
Il se releva, eut un instant de réflexion sur son geste puis sortit de la pièce un petit sourire malicieux aux lèvres. Il rejoignit ensuite Maïwenn dans le salon où il put constater l'ampleur des dégâts. Lukian et ses hommes avaient éventré le canapé, ouvert et vidé tout ce qui pouvait l'être.
- Nous devons partir avant qu'ils aillent mieux, lui assura la jeune femme.
L’adrénaline redescendant, Maïwenn sentait une grande fatigue l’envahir alors qu’ils roulaient vers Concarneau. Sur la route, ils furent dépassés par plusieurs camions de pompier, sirènes hurlantes. À l'entrée de la ville, s'élevait une épaisse fumée en provenance de la ville close.
Mathias fit alors un détour pour voir de quoi il s’agissait et gara sa moto sur la place du centre, là où les pompiers avaient pris position. Rapidement, il descendit de son engin et traversa la route le séparant de l’entrée de la ville close pour se renseigner. Il apprit alors qu'un magasin avait pris feu. L’incendie avait été maîtrisé, mais l’accès à la citadelle restait interdit, même aux riverains qui s’étaient réfugiés sur la place.
Mathias comprit immédiatement que le magasin en question était la librairie. Conscient qu’ils étaient en danger, il fit demi-tour pour rejoindre Maïwenn, mais alors qu’il s'engageait sur le passage piéton, une voiture manqua de le renverser. Les policiers, un peu plus loin, étaient trop occupés pour y prêter attention, mais Maïwenn par contre avait assisté à la scène et se précipita à la rencontre du jeune homme :
- Ce n'est pas une coïncidence, c'est la librairie qui a brûlé, j'en suis sûr, déclara Mathias en entrainant Maïwenn vers sa moto.
- Pourquoi on ne va pas voir la police alors ?
- Pour leur dire quoi ? Nous n'avons aucune preuve. Je vais dormir avec toi cette nuit. J'aime autant rester près de toi au cas où.
- Euh… Dormir avec moi ?
- Chez toi, chez toi, rectifia le jeune homme.
Cette tentative d’humour mise à part, Maïwenn prenait conscience de la gravité des évènements et réalisait qu'elle était entrée dans un engrenage qui la dépassait complètement. Devant la porte de la maison, l'idée que cet incendie soit d'origine criminelle lui trottait tellement en tête qu'elle n'arrivait pas à mettre la main sur ses clés. Las d'attendre Mathias s’adossa à la porte qui s'ouvrit sans résistance.
- Tête de linotte, tu avais oublié de la fermer, se moqua-t-il.
- Euh... Non pas du tout.
- Allez, ça arrive d'oublier.
- Pourquoi faut-il toujours que tout le monde doute de moi ? Au lieu de ça, tu devrais te demander qui a bien pu l'ouvrir. Laisse-moi passer, intima la jeune femme.
Elle le bouscula et entra, bien loin d'imaginer ce qu'elle allait trouver. Tout comme chez Pierre, les coussins avaient été éventrés, les chaises brisées, même le téléviseur n'avait pas été épargné et gisait sur le sol. Le même désastre les attendait dans la cuisine, la chambre de Françoise et à l'étage. Devant ce spectacle, Maïwenn s'assit sur son lit, complètement abattue.
La similitude dans la méthode de saccage était trop grande pour qu'il s'agisse d'une coïncidence. On voulait l'effrayer et c'était réussi. Comment allait-elle expliquer cela ? Elle n'eut pas le temps d'y réfléchir, car son portable ne tarda pas à sonner et c'était sa mère, proche de l'hystérie :
- Qu'est-ce que tu fabriques ? C'est la cinquième fois que j'essaie de t'avoir ! Tu deviens folle ou quoi ? Tu te drogues ?
- De quoi tu parles. Pourquoi es-tu énervée comme ça ?
- Tu es chez ta grand-mère ?
- Oui.
- Je viens d'avoir un coup de téléphone de la police. Quelqu’un dit t'avoir vue saccager la maison. C'est vrai ?
- Bien sûr que non, pour qui tu me prends ? Je viens de rentrer, la maison a été cambriolée.
- Cambriolé ? Ton père est toujours en garde à vue et maintenant ça ? Je ne sais pas ce qu’il se passe, mais ça ne me plaît pas du tout. Peut-être es-tu sortie trop tôt de la maison de repos. Le médecin de Françoise m’a appelé, il m’a dit que tu avais un comportement instable. La police ne va pas tarder à être là et tu verras avec eux, fini sa mère sans même cacher sa suspicion.
- Comment peux-tu penser une seule seconde que je puisse faire ça ?
Sa mère avait déjà raccroché et Mathias, alerté par ses cris, l'avait rejoint.
- Quelqu'un a appelé la police pour leur dire que j'avais saccagé la maison. Ils l'ont cru et une patrouille arrive, c'est quoi ces conneries ?
- Nous devons partir au plus vite, rassemble tes affaires, dit Mathias avec fermeté.
- Partir ? Si je fais ça, ils vont forcément croire que c'est vrai !
- Réfléchis deux secondes. La maison de Pierre, la librairie, maintenant ici. Ton père est en garde à vue et toi aussi tu seras bientôt accusée de ce meurtre si on ne prouve pas le contraire. Les Varlarc'h de Richard sont derrière tout cela. Les enjeux sont trop importants pour qu'il nous laisse prouver que Pierre est innocent. Ta mère aurait cru à une chose pareille il y a quelques mois ?
- Non, bien sûr que non.
- Ne cherche pas. Elle est manipulée, probablement dans son sommeil.
- Je croyais que vous aviez des règles ? Que les Varlarc'h étaient des gardiens ?
- Les Varlarc'h, sont formés pour protéger le secret des Guides et là, nous le menaçons. Estime-toi heureuse de n'avoir eu à faire qu'à des apprentis, car sinon, tu ne les aurais pas assommés avec une lampe.
Maïwenn, qui avait toujours eu une vie rangée, se retrouvait sans trop savoir pourquoi au cœur d'une machination. Elle ramassa dans son sac de voyage les vêtements éparpillés au sol puis rampa sous son lit pour décrocher le journal de Françoise qu'elle avait pris soin de scotcher au sommier.
Comme quoi ça a du bon d'être paranoïaque de temps en temps.
Elle se rendit ensuite dans la salle de bains pour compléter son nécessaire de voyage, puis dans la cuisine. Elle ouvrit le seul tiroir non vidé de cette pièce, celui des couverts, en vida son contenu et saisit une liasse de billets que sa grand-mère avait l'habitude de cacher en dessous.
Elle empocha les trois-cents euros et rejoignit Mathias qui commençait à s'impatienter dehors.
- Tu en as mis du temps, allez, on file, j'ai entendu des sirènes. On prend ta voiture.
- Tu rigoles ou quoi ? Je ne te pensais pas aussi amateur. Tu ne regardes jamais de film policier ? S'ils me recherchent, ils vont aussi rechercher ma voiture.
- Alors là, tu m'impressionnes. C'est vrai, je n'y avais pas pensé. Bien vu.
- Contrairement à ce que tu as l'air de penser, il m'arrive d'avoir de bonnes idées.
- Non, je ne pense pas ça... On prend ma moto alors, monte.
- Et où allons-nous ?
- À Quimper, je t'expliquerai.
Son sac sur le dos, Maïwenn prit place derrière Mathias et à peine sortis du quartier, ils croisaient une voiture de police, gyrophare allumé.
Il s'en est fallu de peu. Ça y est, je suis une fugitive. Maintenant, je suis bloquée avec lui. Plus de retour en arrière possible.
Les roues de la moto frémissaient sous les pavés du centre-ville de Quimper et le bruit du moteur était amplifié dans les petites rues étroites. Il stoppa son engin au pied d'un petit immeuble au fond d'une voie sans issue et demanda à Maïwenn de l'attendre là. Elle le vit alors appuyer sur l'interphone de la porte d'entrée puis pénétrer dans le hall.
Le tour à moto l'avait complètement vidée, elle était à bout de nerfs et l'attitude directive de Mathias n'arrangeait rien. Quelques minutes plus tard, ce dernier redescendit en compagnie d'un autre homme. Plus âgé, son visage paraissait avenant sous son épaisse chevelure bouclée. Il se dirigea vers elle avec un grand sourire et lui serra la main d'une poignée franche qui la rassura immédiatement.
- Philippe.
- Maïwenn.
- Oui, je sais qui tu es, Mathias m'a beaucoup parlé de toi.
- Euh, il ne faut pas exagérer. Il est vrai que son cas est intriguant, c’est tout, s'empressa de rectifier ce dernier.
- Alors comme ça, tu es la petite fille de Pierre ?
- À ce qu'il parait.
- J'espère que mon intervention vous aidera à mettre les choses au clair, reprit l’homme tout en lui faisant signe de le suivre.
Son appartement se trouvait au dernier palier et faisait la surface de l'étage. La décoration était moderne et très soignée malgré les jouets de ses deux enfants qui traînaient sur le sol. Divorcé, Philippe avait leur garde une semaine sur deux et n'avait pas eu le temps de nettoyer son intérieur ce qui le mettait très mal à l'aise. Après avoir caché rapidement le désordre, il était plus disposé à écouter Mathias lui résumer la situation et fut lui aussi très surpris des méthodes employées.
- J'ai le droit de savoir ce que nous faisons ici maintenant ? demanda Maïwenn, un peu agacée.
- Mathias ne t'a rien dit ? s’étonna Philippe en se tournant vers lui.
- C'est-à-dire qu'avec la police aux trousses, je n'en ai pas eu le temps, se défendit le jeune homme. Philippe est pharmacien, il a sa propre officine et il a des relations dans les laboratoires qui peuvent nous aider.
- Ce qu'apparemment Mathias a du mal à te dire sans tourner autour du pot, c'est que je vais te faire une prise de sang que je transmettrai à des collègues pour savoir si tu fais bien partie de la famille de Pierre.
- Merci d'abréger le suspens, heureusement que tu es là pour me tenir au courant ! souffla la jeune fille.
- Excusez-moi votre altesse de ne pas avoir pensé vous communiquer tous les détails de mon plan, mais toi non plus tu ne m’avais pas tout dit, notamment sur l’arrestation de ton père, rétorqua Mathias d’un ton méprisant.
À cette réflexion, le sang de Maïwenn ne fit qu'un tour. Elle était stressée et en avait assez de se faire mener par le bout du nez alors qu'il avait besoin d'elle.
- Je n’ai rien demandé. Depuis que je te connais, je n'ai que des problèmes. Ma grand-mère va mal, mon père est en prison, ma mère veut m'enfermer et la police me recherche. Je t'ai défendu ce soir et si c'est pour me faire traiter comme ça maintenant, je ne marche plus ! Pour qui tu te prends à la fin ? Tu veux que je t'aide ? Et bien parle-moi sur un autre ton.
- On se calme, dit Philippe, un brin amusé. Vous avez besoin l'un de l'autre, que vous le vouliez ou non. Je te connais Mathias, je connais ton côté solitaire. Si tu veux résoudre cette enquête, il va falloir effectivement que tu changes d'attitude avec elle, exposa l’homme avant de quitter la pièce.
Un calme olympien régnait alors.
- Je... Je suis désolé... Voilà, tu es contente ? cracha presque Mathias.
- Je ne suis pas contente si tu ne le penses pas. Je viens de tout quitter pour je ne sais combien de temps et bloquée avec quelqu'un comme toi... Cette situation n'est pas évidente pour moi non plus.
- Quelqu'un comme moi, que veux-tu dire ?
- Toutes ces histoires de Guide, de trahison, de règles... Ce n'est pas mon monde.
- Écoute, je n'ai jamais été très doué avec les gens. Le sujet est clos si tu veux bien, repartons sur de bonnes bases.
Maïwenn acquiesça et sortit de sa poche la feuille qu'elle avait prise chez Pierre puis complètement oubliée par la suite.
- Peux-tu me remontrer la chevalière, s'il te plaît, je crois que je tiens quelque chose.
Mathias s'exécuta et lui tendit l'objet. Elle l'ouvrit pour en extraire la clé, la posa sur la feuille et lui fit signe de regarder. Le sigle sur la clé était en tout point identique à l'en-tête de la page. Il s'agissait d'un relevé de compte d'une banque étrangère.
- Alors là Maïwenn, j'applaudis des deux mains, quelle trouvaille, heureusement que je t'ai !
- Oui, enfin, n'en fais pas trop non plus. Tu n’es pas crédible. Cependant, je dois bien avouer que je suis assez fière de moi sur ce coup. Il ne reste plus qu'à trouver où se situe exactement cette banque. D'après l'adresse tout en bas, c'est en Grande Bretagne, à Southampton.
Philippe ne tarda pas à revenir dans la pièce vêtu d'une blouse blanche et tenant une seringue sous film protecteur. Il s'installa en face de Maïwenn et lui fit la prise de sang.
- Juste une question. Ton ami ne va pas trouver louche que tu lui demandes de faire ces tests ?
- Tu sais Maïwenn, nous sommes partout, même dans les labos. En plus, c'est un sympathisant de Pierre, il saura être discret, répondit le pharmacien tout en regardant Mathias.
- Tout s'est enchaîné tellement vite ; je n'ai pas eu le temps de tout lui expliquer en détail, mais ça viendra au fur et à mesure, se justifia le jeune homme.
- On passe à la suite ? demanda Philippe tout en rangeant les échantillons de sang.
- La suite ? s’inquiéta Maïwenn.
- Ah, ça non plus ! s’insurgea le pharmacien.
- Non. Encore une fois, pas le temps ! Maïwenn…
- Mathias…
- Le Visio-nerf nous a montré que tes souvenirs avaient été altérés, déclara le Guide.
- J’étais sûre que tu me cachais quelque chose ! s’emporta-t-elle.
- Calme-toi, lui demanda Mathias d’un air désinvolte.
- Arrête de me prendre de haut. On voit bien que ce n’est pas à toi que tout cela arrive ! rétorqua la jeune femme tout en pressant un coton dans le creux de son bras.
- Elle n’a pas tort, approuva Philippe avant de quitter la pièce une nouvelle fois.
- Il va nous aider, ne t’inquiète pas et laisse-toi faire, tempéra le Guide en pointant dans la direction de leur hôte.
- ça me rassure tiens ! ironisa Maïwenn.
Puis, Philippe réapparut avec un magnétophone qu’il posa sur la table basse près d’elle et pressa la touche d’enregistrement.
- Ok, tu dois te détendre et me laisser entrer dans tes souvenirs, lui annonça-t-il.
- Vous allez m’hypnotiser ? interrogea la jeune femme en s’enfonçant un peu plus dans le canapé du salon.
- C’est un peu ça oui. Je vais t’aider à débloquer tes vrais souvenirs. On peut y aller ? s’assura Philippe en même temps qu’il lui prenait les mains.
Maïwenn acquiesça et poussa un long soupir pour s’apaiser. Elle n’était pas sereine face à l’expérience qui l’attendait, d’autant qu’elle appréhendait ce qui allait refaire surface. Mathias s’assit sur un fauteuil à bonne distance et attendait avec impatience le résultat de cette séance. Il avait besoin de matière pour son enquête.
- Repense à cette nuit-là, à tes ressentis, commença Philippe en fixant Maïwenn d’un regard intense. Que vois-tu ?
La jeune femme eut soudainement la sensation d’être happée, comme si elle ne pouvait plus bouger, plus rien faire, si ce n’est revivre la nuit du meurtre.
- Je suis sur mon parking car j’ai l’impression de ne pas avoir fermé ma voiture à clé. Bien sûr, je l’avais fait.
- Continue. Tu ne te rendras même pas compte que je suis dans ton souvenir, précisa Philippe d’une voix monotone mais douce. Tout va se débloquer, comme un voile qui se lève. N’aie pas peur.
- J’entends un bruit dans la ruelle derrière moi, alors je m’approche, intriguée. Là, je distingue difficilement un homme. Il me dit qu’il a besoin d’aide et je le porte sous un lampadaire qui vacille. Il y a plein de sang, il a été agressé.
- Regarde le lampadaire, que vois-tu ? demanda Philippe.
- Il vacille.
- Regarde mieux, insista son hôte.
- Il vacille toujours.
- Continue. Vacille-t-il encore ? En es-tu sure ?
- Oui. Non. Attends… Il devient flou, je, je ne sais pas ce qui se passe… Il ne vacille plus.
Philippe regarda Mathias d’un air grave puis reprit :
- Très bien. Que vois-tu maintenant ?
- Oh, c’est pas vrai !
- Que vois-tu ? répéta-t-il.
Mathias semblait tout à coup très attentif au comportement de la jeune femme.
- Je… J’en ai plein mes vêtements, c’est affreux. J’ai son sang sur moi. Mes mains et mes habits en sont couverts. Je veux appeler les secours, mais l’homme m’en empêche. Il veut me donner d’abord une chevalière et dit qu’il faut que je la donne à l’enquêteur. Puis, il y a des bruits de pas près de nous. Il me dit que ce sont ses agresseurs et que je dois m’enfuir.
Maïwenn s’agitait de plus en plus sur le canapé, à tel point que Mathias approcha son fauteuil un peu plus, au cas où.
- Crois-tu qu’il faille poursuivre, c’est peut-être trop pour elle, s’inquiéta-t-il.
- Veux-tu poursuivre, demanda Philippe, tu es en sécurité ici, tu le sais.
- Je veux savoir, répondit-elle alors. Je vais partir, mais deux silhouettes arrivent en courant à l’opposé de nous dans la ruelle. Je suis tétanisée. Lorsque j’arrive à bouger mes jambes, il est trop tard. Un des deux hommes cagoulés m’attrape. Il me plaque au sol et me colle une gifle puis met sa main sur ma bouche pour m’empêcher de crier. Je me débats, en vain. Il m’oblige à me relever et me menace d’un couteau. Je supplie l’homme de me laisser partir, mais il ne dit rien.
Maïwenn avait alors du mal à reprendre son souffle :
- L’autre homme s’approche du blessé. Il enlève sa cagoule et je le vois.
Elle s’interrompit.
- Peux-tu le décrire ? interrogea Philippe.
- C’est l’homme qui hante mes rêves, celui qui me dit que je suis folle. Il sort un couteau lui aussi, mais il est différent. J’ai trop peur pour le regarder en détail, mais même dans la pénombre, je peux voir qu’il est brillant, comme argenté. Il lui tranche la gorge. Il vient de tuer l’homme blessé. Je tourne la tête, car c’est insoutenable, j’ai envie de vomir.
Maïwenn fit une pause.
- Que font-ils ensuite, intervint soudainement Mathias, masquant avec peine sa rage.
- Il dit à celui qui me tient de me tuer, mais l’autre fait non de la tête. Il me lâche pour aller lui parler. J’ai tellement peur que je n’arrive pas à m’enfuir ni même à les entendre. Celui qui n’a plus de cagoule s’approche de moi. Je ne hurle même pas. Il pose ses mains sur mes tempes et j’ai mal à la tête, j’ai tellement mal. Puis il y a un bruit. Je crois que ce sont des voisins qui rentrent de soirée. Il dit qu’il n’a pas le temps de tout effacer, mais que cela devrait suffire et ils s’en vont avec le corps. Je rentre chez moi, mets une machine à laver en route et file sous la douche pour enfin m’endormir, finit la jeune femme, bouleversée.
Philippe et Mathias quant à eux demeuraient silencieux, un peu abasourdis par ce qu’elle venait de leur raconter. Après quelques secondes Philippe coupa l’enregistrement et sortit la jeune fille de son état d’hypnose.
- Et bien maintenant je pense que nous savons ce qui est arrivé à Victor, lâcha Mathias.
- Maïwenn, comment te sens-tu ? s’inquiéta Philippe.
La jeune femme ne répondit rien. Elle ne bougea pas non plus.
- Je crois qu’elle est en état de choc. Mathias, va chercher une couverture dans ma chambre.
Le Guide s’exécuta. Philippe s’assit alors au côté de Maïwenn.
- Tu as traversé plus de choses en peu de temps que la plupart des gens en toute une vie et je comprends ton choc. J’en suis désolé. Pourtant, rien n’est fini et tu vas devoir être encore courageuse pour affronter ce qui est à venir.
- J’aimerais tout oublier, vous pouvez faire cela ? balbutia-telle.
- Je le voudrais tellement, mais non. Tu es forte, je le sais. Tu as y arriver. En plus, Mathias serait perdu sans ton aide, finit Philippe, la faisant ainsi sourire.
L’intéressé réapparut dans le salon et couvrit la jeune femme d’une couverture pendant que leur hôte lui préparait un café.
- Ca va aller ? s’inquiéta l’enquêteur.
- Ai-je le choix ? répondit Maïwenn.
- Pas vraiment, concéda le jeune homme en lui frottant le dos.
Ils restèrent encore une heure afin d’être certain que Maïwenn ait retrouvé ses esprits puis, ils prirent congé de Philippe qui leur promit des résultats de test rapides.
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