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— Comment cela se passe à Vancouver ?

 

Assise sur le canapé, les jambes repliées sous moi, je tiens mon téléphone dans la main droite. Alexander est à l’autre bout du fil. Comme tous les jours depuis son départ, il vient de discuter avec Eleanore. Ils parlent ensemble plusieurs minutes, et puis Eleanore va jouer. Elle est trop petite pour garder son attention plus que quelques minutes.

 

Elle joue à présent avec Tom. Ils sont assis sur le sol du salon. L’acteur est coiffé avec un chapeau de poupée vingt fois trop petit, qui lui donne un air ridicule.

 

— Je suis content de rentrer bientôt, répond Alexander.

 

Il semble las. L’horaire auquel il nous téléphone ne lui permet pas de dormir énormément avant et après le tournage de son nouveau film. Mais bien sûr, comme il est aussi têtu que moi, il refuse de nous téléphoner un jour sur deux.

 

 

 

— Eleanore me semble triste, ajoute-t-il après un moment de silence.

 

Tout cela est aussi nouveau pour lui, que pour nous.

 

— Elle vit difficilement ton absence. Elle ne comprend pas pourquoi tu es parti, réponds-je en observant la petite fille verser du thé imaginaire dans la petite tasse en porcelaine de Tom.

 

— Elle me manque tellement. C’est comme si j’avais laissé un morceau de moi-même avec vous deux.

 

Les joues rouges, je change de position sur le canapé. J’ai toujours besoin de m’occuper quand je suis mal à l’aise. Je ne sais jamais comment réagir lorsqu’il dit ce genre de chose aussi mignonne.

 

— Est-ce-que je te manque un peu ? ajoute-t-il doucement.

 

Me manque-t-il ? D’une certaine façon, oui. D’ailleurs, une partie de mon cœur hurle l’affirmative, et se retient de le supplier de revenir. L’autre, la plus rationnelle, me rappelle à l’ordre. Je dois me méfier de cet homme qui a réussi trop facilement à réveiller des sentiments enfouis. De me méfier de l’homme qui a, en une nuit, changé le reste de ma vie. Bien sûr, impossible de regretter. Eleanore est un vrai cadeau.

 

 

 

— Est-ce-que je dois prendre ton silence pour un oui ? insiste-t-il. Mon cœur risque de ne pas supporter une réponse négative. Il est sacrément fragile.

 

— Hmm...je choisis l’option joker.

 

— Trouillarde !

 

— J’ai si souvent l’impression que tu es terrorisée par moi, alors que tu devrais savoir que jamais je ne te ferai souffrir.

 

Les yeux dans le vide, j’observe Eleanore qui coiffe Tom. Alexander a raison, il me terrorise. J’ai peur de m’attacher à lui, de souffrir quand il décidera que cette comédie a assez duré.

 

— Je sais, Alexander, je sais, je murmure, en fermant les yeux deux secondes.

 

Comme souvent, le silence s’installe entre nous. J’ai l’impression à plusieurs reprises qu’Alexander va parler, mais il ne dit rien. Nous restons chacun de notre côté du monde avec notre téléphone à l’oreille à écouter la respiration de l’autre.

 

La partie de mon cœur qui a de plus en plus de difficulté à refouler les sentiments que je ressens pour lui sait qu’il ne me fera jamais de mal intentionnellement. Elle répète inlassablement son prénom comme une formule magique pour le faire revenir plus vite à nos côtés.

 

— J’ai hâte que tu reviennes, je souffle timidement.

 

Les yeux écarquillés, je me rends compte que j’ai vraiment dit ça. Mon cœur bat la chamade, mon ventre se tord parce que je suis morte de trouille qu’il se moque de moi. Je suis vraiment une trouillarde quand il s’agit de sentiments.

 

— Encore quelques jours.

 

J’entends le sourire dans sa voix.

 

— Et lorsque notre Eleanore sera couché, je compte terminer ce que j’ai commencé à plusieurs reprises. Je meurs d’envie de te serrer dans mes bras et de t’embrasser pendant des heures.

 

Je m’étouffe à moitié avec ma salive. Je serre les cuisses et me mords l’intérieur de la joue pour refouler les images et les souvenirs de ses mains caressant mon corps.

 

— Je n’en ai absolument pas envie, mais je dois te laisser. Demain matin, je tourne une scène où je dois effectuer plusieurs cascades, et j’ai besoin d’être suffisamment en forme pour ne pas mettre en danger les cascadeurs qui travaillent avec moi. À demain, ma tendre Madame Wills.

 

— Est-ce-que je dois m’inquiéter pour toi ?

 

La question est sortie toute seule. Je n’ai jamais pris le temps de regarder les films dans lesquels il a joué, mais je sais qu’il tourne principalement des films d’action.

 

— Je ne prends jamais de risques inutiles, ne t’en fais pas pour moi. Léa ?

 

— Oui, Alexander.

 

— Ta question me touche...je suppose que je compte un peu pour toi .

 

J’ai envie de lui répondre que c’est le cas, mais je ne dis rien de plus sur le sujet.

 

— À demain, Monsieur Wills.

 

Il rit doucement. Je souris.

 

— Léa...attends...je…, commence-t-il, mais il se stoppe en soupirant. Je suis impatient d’être chez nous.

 

— Bonne nuit.

 

— Bonne journée ma douce.

 

J’éloigne le téléphone de mon oreille et mets fin à la conversation.

 

 

 

Après quelques secondes à observer l’objet que je tiens dans mes mains tremblantes, je le lance sur le canapé et m’étire. Lorsque je sens le regard de Tom sur moi, je tourne la tête vers lui en plissant les yeux. Il a un immense sourire sur les lèvres et ses yeux brillent de malice. Bien sur, il a entendu une grande partie de notre conversation. Du moins, mes réponses.

 

— Quoi ?

 

— Rien, répond-il malicieusement. Alors, nous allons faire ces achats de Noël ?

 

— Oui, réponds-je avec enthousiasme en me levant du canapé.

 

J’adore la période des fêtes de fin d’année. L’ambiance de l’Avent. Les chants de Noël dans les boutiques. Les odeurs propres à Noël, et ses préparatifs qui s’échappent d’un peu partout.

 

— Viens Eleanore, c’est l’heure d’aller chez mamie Bridget et papi Richard, j’ajoute en me dirigeant vers la grande table en bois de la salle à manger où nos affaires sont prêtes.

 

J’ai tout préparé avant l’appel d’Alexander.

 

— Ouiiiiiii.

 

Tom et moi rions face à son enthousiasme. Elle court vers moi en sautillant. Lorsqu’elle arrive à ma hauteur, elle tend les bras, je me baisse pour la réceptionner, et la serrer contre moi. Une fois que nous avons déposé Eleanore chez les parents d’Alexander, Tom essaie le plus possible de nous rapprocher de Notting Hill. C’est là-bas que j’espère trouver le cadeau de Noël de l’acteur avec qui je vis. C’est Tom qui m’a parlé d’une boutique où Alexander et lui – en bons accros à la musique –se rendent souvent.

 

 

 

En marchant dans les rues, Tom et moi discutons joyeusement. Il me raconte le pire Noël de sa vie lorsque – pour ne pas le perdre dans le flot de badauds dans les rues – je lui attrape le bras pour m’y accrocher avec force. Ce n’est clairement pas le moment de le perdre de vue avec tous les touristes venus à Londres pour les fêtes de fin d’année.

 

— Cela risque de faire les gros titres de la presse, rigole Tom en nous guidant avec aisance à travers la foule.

 

— Les journalistes sont dingues !

 

— Tu n’imagines même pas ! C’est dur pour Alex de devoir faire avec tout ça. Il est devenu un peu parano depuis quelques années, m’explique-t-il en me m’entraînant vers la devanture d’une boutique que je reconnais à présent.

 

Je n’avais pas fait le lien avant. Je connais cet endroit pour y être venue à de nombreuses reprises avec Angie. C’est un repaire d’amoureux de la musique Rock.

 

 

 

L’intérieur du magasin est étrange et merveilleux à la fois. Il n’a pas changé depuis toutes ces années. Et pourtant, ma réaction est toujours la même en entrant ici : je rentre en transe à chaque fois. La bouche légèrement entrouverte, je regarde autour de moi avec fascination.

 

Derrière une pile de livres retraçant l’épopée du Rock anglais, est caché un homme qui n’a pas pris une ride depuis la dernière fois que je l’ai vu. Il porte une sorte de chasuble beige. Ses longs cheveux bruns tombent ses épaules.

 

Malgré la clochette qui a annoncé notre arrivée, il est concentré sur sa lecture. D’un geste distrait, il attrape sa cigarette sur le bord d’un cendrier et la porte à ses lèvres. Je fronce le nez en sentant cette odeur typique de l’herbe. Ce n’est clairement pas une cigarette qu’il fume.

 

Tom se racle la gorge et l’homme lève la tête vers nous.

 

— Tom, mon ami, dit-il en tirant une nouvelle taffe ce qui provoque un nouveau nuage de fumée autour de lui. Qui est cette merveille qui t’accompagne ?

 

— La femme d’Alex, répondit Tom en me souriant.

 

Lorsque le propriétaire de ce sanctuaire se tourne vers moi, la bouche grande ouverte, je me retiens de rire. Il semble surpris. Soit, je ne suis pas le genre de fille que fréquente habituellement Alexander. Soit, Alexander n’est jamais venu avec une femme ici.

 

— Léa, je te présente le dieu de la musique, Lennon. Lennon, voici Léa.

 

Lennon se dépêche de contourner son comptoir pour me serrer dans ses bras. Je remarque à présent qu’il n’est plus caché qu’il porte des sandales en cuir en plein hiver. Je n’avais pas vu non plus les nombreux colliers de perles de toutes les couleurs qu’il porte autour du cou.

 

— Ton prénom est aussi doux que tes traits, murmure-t-il en me serrant toujours contre lui.

 

— Merci !

 

Je rougis et jette un coup d’œil timide à Tom qui se marre dans son coin. Il doit avoir l’habitude. Moi, plus vraiment.

 

 

 

— Que peut faire Lennon pour vous ? demande-t-il en s’éloignant de moi pour nous montrer d’un signe de la main l’ensemble de sa boutique.

 

J’encourage d’un signe de tête Tom à expliquer la raison de notre visite. Lennon l’écoute attentivement avant de nous conduire dans l’arrière-boutique. C’est là qu’il garde les objets les plus précieux. Ceux qui n’attireront le regard que des vrais passionnés. Sa caverne aux trésors comme il l’appelle.

 

Lorsqu’il entend la clochette résonner, il nous laisse seul et retourne à son poste. Tom et moi n’osons pas bouger. Ces objets sont tellement rares. Nous les regardons avec vénération. Mes yeux brillent. Ma carte de crédit me démange.

 

— Je crois que je suis morte, je souffle en regardant avec envie et recueillement une guitare ayant appartenue à Jimi Hendrix.

 

— Quand je suis ici, j’ai à chaque fois les larmes aux yeux. J’ai l’impression d’être un gamin enfermé dans un magasin de bonbons, chuchote Tom.

 

Je souris parce que je ressens exactement la même chose, et aussi parce qu’on n’arrive pas à parler normalement. On a trop peur de déranger le repos de ces objets.

 

 

 

— Tu as beaucoup de goûts, s’exclame Lennon en encaissant le paiement du cadeau d’Alexander. À bientôt mes amis, que le rock soit toujours avec vous.

 

— À bientôt.

 

— A plus Len !

 

J’attrape à nouveau le bras de Tom en sortant du sanctuaire du Rock. Je n’ai pas envie de le perdre. Je suis vraiment contente d’avoir trouvé un super cadeau pour Alexander. J’espère qu’il l’adorera autant que moi.

 

— Madame Wills !

 

Je tourne la tête et me prends de nombreux flashs dans les yeux alors, pour les protéger, je ferme les yeux. Malgré cela, je perçois les flashs derrière mes paupières closes.

 

— Oh putain ! Ces photos valent de l’or !

 

— Elle se tape le meilleur ami de son mari !

 

— Et pendant qu’il est absent.

 

Dans une veine tentative de faire barrage avec mes mains, j’ai lâché le bras de Tom. Je ne sais plus où il se trouve ! Je fixe le sol en me laissant acculer contre un mur en brique. Je ne peux plus reculer, ni avancer. Je suis coincée. Je me mords très fort l’intérieur de la joue. Le sang se mêle à ma salive. Ma respiration se bloque dans ma gorge. Je sens poindre une crise de panique. J’ai envie de pleurer et de me rouler en boule dans un coin.

 

— Foutez-lui la paix où je vous casse les dents !

 

La voix de Tom me vient de loin. C’est presque un murmure alors que je sais qu’il ne peut pas se trouver si loin que ça.

 

Je sens une main se glisser dans la mienne et me tirer en avant. Je ne résiste pas lorsque je reconnais le parfum de Tom.

 

Il cache mon visage contre son torse, et se sert du reste de son corps pour nous créer un passage. Il se moque de pousser violemment les journalistes présents.

 

— Tu poses ta main sur elle, et je t’envoie à l’hôpital, grogne-t-il à un photographe qui tente de me retenir en attrapant ma main.

 

Lui qui est toujours très calme, transpire la colère. Il me protège comme il peut avec son corps. J’ai l’impression d’être un doudou dans une machine à laver. Je me laisse malmener en m’accrochant de toutes mes forces à ma bouée de sauvetage.

 

— On y est presque, chuchote-t-il à mon oreille en pressant le pas.

 

Ma main est accrochée fermement à sa veste. J’ai trop peur de le lâcher et de ne plus le retrouver. Peur de n’avoir personne pour me sauver de ses monstres.

 

 

 

Une fois à la voiture, Tom me pousse à l’intérieur et se dépêche de faire le tour.

 

— Comment va ? demande-t-il en me jetant un coup d’œil.

 

Il doit juger ma posture inquiétante car il démarre la voiture sans que je sois attachée. Il nous éloigne le plus possible avant de se garer dans une ruelle, suffisamment loin pour ne pas être dérangé. Je suis prostrée dans mon siège. Mes lèvres tremblent. Je sais que je vais pleurer si j’ouvre la bouche. Ou même peut-être vomir.

 

— Ne les laisse pas t’atteindre et éteindre la petite lumière dans tes yeux, me murmure-t-il en m’attirant contre lui.

 

C’est dans ses bras que je finis par craquer. Tom me caresse les cheveux en me murmurant des mots apaisants à l’oreille.

 

 

 

Au bout de je ne sais pas combien de temps, et après avoir inondé son pull de larmes et de morve, je me redresse difficilement. Je me sens aussi faible qu’après une mauvaise grippe.

 

Les yeux rouges. Je m’essuie le nez avec la manche de mon pull. Je me moque bien de paraître minable. Tom est mon ami, je sais qu’il ne me juge pas.

 

— Merci, je murmure timidement en levant les yeux vers lui.

 

Il ne me quitte pas des yeux. Son regard est triste avant de devenir orageux.

 

— J’en veux depuis le début à Alexander de t’avoir embarquée là-dedans, m’avoue-t-il en tournant la tête vers l’extérieur de la voiture.

 

Mon cœur se serre. Je sais que me dire ça ne doit pas être facile pour Tom. Alexander est son meilleur ami. Et pourtant, je suis d’accord avec lui.

 

C’est de la faute d’ Alexander tout ça.

 

— Ma vie d’avant me semble si loin.

 

Je soupire en m’essuyant les yeux pour effacer les dernières traces de ma crise de larmes.

 

— Tu devrais laisser Alexander engager plusieurs gardes du corps pour vous protéger, Eleanore et toi !

 

 

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