Dans son cairn, Airmid rangeait la dernière plante dont elle avait percé les mystères. Bien qu’elle fût capable de donner la mort, la déesse ne pouvait s’empêcher d’éprouver à son égard une certaine tendresse. Cette fleur avait sauvé Cairdre, et vaincu un ennemi Goidel. Elle n’était pas mauvaise. Pas complètement… Elle la posa délicatement dans une petite niche creusée dans la pierre.
Mais alors qu’elle s’apprêtait à se rendre auprès des Goidel afin de leur transmettre toutes ses connaissances, pour qu’ils puissent à leur tour les passer à leurs descendants, un vent violent s’engouffra dans son cairn et la projeta contre le sol. Elle se releva aussitôt et se retrouva face à une silhouette qu’elle ne connaissait que trop bien.
— Père… murmura-t-elle.
— Je vois que durant toutes ces années, tu n’as pas démérité ton statut de déesse, constata-t-il en regardant l’infinité de plantes présentes dans le cairn.
— J’ai la connaissance absolue de l’herboristerie, Père. Je peux guérir tous les maux, toutes les maladies. Grâce à Miach… et à toi, par ton enseignement auprès de la fontaine de Santé.
Dian Cécht parut ne pas l’entendre.
— Que comptes-tu faire de ce savoir ?
— Le transmettre. Les Goidels en hériteront, comme ceux qui suivront, et ainsi jamais cette science ne se perdra.
Elle s’attendait à ce que son père l’approuve, mais il tourna vers elle un visage déformé par la fureur.
— Jamais ! hurla-t-il. Jamais, tu m’entends ? Ce sont nos ennemis, nous avons tout perdu et tu voudrais leur léguer ce savoir ?
— Je n’ai pas les mêmes frontières que toi, Père. Le savoir se transmet, et il est juste qu’ils en bénéficient comme les Túatha en ont bénéficié avant eux.
— Tu nous trahis ! rugit Dian Cécht. Jamais tu ne leur transmettras ce savoir, Airmid !
Il cogna sur le sol avec son bâton, et un vent puissant se leva dans le cairn. Airmid mit trop longtemps à comprendre ce qu’il faisait, et lorsqu’elle le réalisa, il était trop tard pour l’arrêter. Toutes les plantes se mêlèrent dans un gigantesque tourbillon et lorsqu’elles retombèrent sur le sol, toute classification avait disparu.
— NON ! hurla Airmid en se jetant à genoux. Non, non, non… Père, non !
— Nous ne pouvons demeurer plus longtemps dans ce monde. Mais j’ai au moins la certitude que tu partiras sans nous avoir trahis, et sans avoir permis à ces envahisseurs de profiter de ton savoir.
Il quitta le cairn et Airmid poussa un hurlement de désespoir. Toutes ces années de recherche, tout ce temps passé, tout ce savoir, perdus à jamais… Elle ne pouvait pas le croire, c’était impossible… Des pas retentirent dans son cairn.
— Airmid, il nous faut partir ! Les portes vers l’autre monde vont se clore, tu ne peux pas rester ici.
— Cairdre… gémit-elle. J’ai tout perdu…
Elle sentit les mains de son ami sur ses épaules. Il la poussa à se relever mais elle resta prostrée au sol.
— Je les connaissais toutes…
— Airmid, viens. Notre temps est fini ici, nous ne pouvons y rester. Je t’en prie.
Mue par le désespoir ou par la voix de Cairdre, elle l’ignorait, Airmid se leva. Elle quitta son cairn, le sol jonché de plantes sans ordre ni classification. Cairdre dut la soutenir jusqu’à la porte, qu’ils franchirent, quittant à jamais ce monde.
Le savoir d’Airmid n’a jamais été retrouvé entièrement. Elle est la seule à connaître tous les secrets de l’herboristerie. La nuit de Samain, lorsque le voile entre le visible est l’invisible est au plus fin, elle revient parfois et souffle à l’oreille des savants et des savantes quelques-unes de ses connaissances, espérant qu’un jour son savoir sera de nouveau complet et pourra être légué aux générations futures, comme l’avait été son souhait.