Tant d’années s’écoulèrent. Le temps n’a pas de prise sur les Túatha, ils peuvent choisir de rester jeunes éternellement ainsi que le fit Lug avant de mourir, ou de prendre l’apparence de vieillards comme aime à le faire Dagda. Airmid traversa les décennies et demeura la même. Ses longs cheveux roux flamboyaient dans le soleil levant lorsqu’elle partait cueillir des plantes à l’aube, et prenaient les reflets du couchant quand elle retournait à son cairn le soir venu.
De nombreux rois succédèrent à Lug, jusqu’aux trois frères Mac Gréine, Mac Cécht et Mac Cuill qui épousèrent les trois petites-filles de Núada : Ériu, Fódla et Banba. De nombreuses batailles eurent lieu également, et les talents d’Airmid furent démontrés plus d’une fois. De par son statut de déesse, elle avait à présent le pouvoir de ressusciter les morts en les plongeant dans la fontaine et en récitant des incantations magiques.
Airmid n’avait jamais revu son père. Les années passant, elle avait été si absorbée par sa tâche qu’elle n’avait plus pensé à lui. Seul Miach et la confiance qu’il avait placée en elle lui importaient.
Et pourtant, bien qu’Airmid eût passé plus d’un siècle attelée à son travail, une plante refusait encore de lui livrer leurs secrets. Parmi toutes celles que lui avait données Miach, il en demeurait une dont elle ignorait les vertus… ou les propriétés funestes.
— Les guetteurs parlent d’une trentaine de bateaux, au large de la côte, dit Cairdre assis à côté d’elle tandis qu’elle triait ses plantes nouvellement cueillies.
— Ils savent d’où ils viennent ?
— Quand je les ai quittés, ils étaient trop loin pour qu’on puisse le voir. Ils ont dû se rapprocher depuis.
Airmid acquiesça, tâchant de ne pas montrer son trouble. Une trentaine de bateaux, cela faisait un grand nombre de guerriers, à supposer qu’ils viennent en guerre. Elle contempla ses réserves de plantes, songeant que, s’il fallait combattre, elle n’en aurait peut-être pas assez.
— Ça ne me plaît pas, murmura-t-elle.
— Tu as fait face à de nombreuses batailles Airmid, et nous les avons toutes remportées grâce à tes pouvoirs et à ton savoir.
Il déposa un baiser dans ses cheveux et de son pas léger, presque aérien, il s’en retourna vers la côte. Airmid prit entre ses mains une tige de petites fleurs bleues disposées en grappe, semblable à du lupin.
— Quels sont tes secrets ? murmura-t-elle en la faisant tourner entre le pouce et l’index.
Elle détacha soigneusement chaque petite fleur et les disposa sur le sol. Puis elle plaça ses mains au-dessus, ferma les yeux et se concentra. C’était ainsi qu’elle procédait pour connaître les pouvoirs d’une plante. Airmid la posait sur le sol et faisait agir son lien avec la terre pour savoir ce qu’elle cachait. Cela pouvait prendre des mois, même des années. Il lui fallait aussi étudier la confection de remèdes, veiller sur la fontaine de Santé, guérir ceux qui venaient à elle. Lorsqu’elle se consacrait à sa recherche, elle invoquait les énergies qui gravitaient autour d’elle et les plantes finissaient par lui livrer leurs secrets.
Mais cette petite fleur bleue… Elle était si énigmatique qu’Airmid avait l’impression de se confronter à un être doté d’un puissant esprit, impossible à briser.
Elle soupira en se relevant, rassembla ses plantes pour les rapporter dans son cairn mais la voix de Cairdre lui parvint, portée par le vent. Il courait vers elle, ses pieds touchant à peine terre, ses cheveux blonds voletant autour de son visage comme les plumes ébouriffées d’un oiseau affolé.
— Les bateaux sont à moins d’un jour de la côte, dit-il en arrivant à sa hauteur. Les guetteurs ne savent pas à quel peuple ils appartiennent, pour l’instant ils préfèrent ne pas ébruiter la nouvelle, pour ne pas perturber les fêtes de Beltaine.
La grande célébration qui fêtait la fin de l’hiver et le début des beaux jours. Tous les Túatha d’Irlande se rassembleraient à Tara, leur capitale, à l’est de l’île. Les envahisseurs n’auraient qu’à les cueillir… Airmid serra contre elle les plantes qu’elle tenait, le cœur battant la chamade. Cairdre posa une main sur son épaule.
— Il n’y a pas lieu de s’alarmer, dit-il.
— Non, probablement pas, murmura-t-elle.
Mais elle sentit malgré elle se lever le vent du changement, des grands bouleversements. Sans un mot, Airmid tourna le dos à Cairdre afin qu’il ne pût pas lire la peur dans ses yeux, et disparut dans son cairn.
Les arrivants se faisaient appeler les Goidels. Ils venaient d’une terre située au sud, bien loin de l’Irlande. Les fêtes de Beltaine battaient leur plein lorsqu’ils débarquèrent sur la côte est. Ils furent invités à s’avancer vers Tara, à l’intérieur des terres, où étaient rassemblés les Túatha. Là les accueillirent les trois rois et les trois reines des Túatha Dé Danann. Les Goidels s’agenouillèrent devant les souverains, célébrèrent la beauté d’Ériu, Banba et Fódla. Elles resplendissaient sous le soleil, leurs longs cheveux baignés de reflets flamboyants, leurs peaux si blanches qu’on aurait pu les croire faites de lumière.
Le chef des Goidels se nommait Érémon. Airmid ne dit rien, mais un mauvais pressentiment lui vint lorsqu’il traversa les rangs de ses soldats. Il y avait quelque chose en lui qu’elle trouvait menaçant, inquiétant et elle le suivit du regard alors qu’il présentait ses respects aux rois et reines.
Les Goidels furent conviés aux fêtes de Beltaine. Les échanges entre les deux peuples firent bien vite apparaître leurs grandes différences. Les Goidels étaient des mortels, dénués de magie. Ils firent montre d’un vif intérêt pour le peuple Dé Danann, particulièrement pour leurs pouvoirs, leurs liens avec la terre, l’eau, le vent. Pour leurs trésors, leurs armes magiques…
Plus le temps passait, plus Airmid sentait que quelque chose n’allait pas. Ces hommes étaient venus bien trop nombreux pour que leur présence fût dénuée d’intentions belliqueuses. Elle tut cependant ses craintes, ne souhaitant pas être un oiseau de mauvais augure lors de ce jour de fête. Peut-être repartiraient-ils une fois le soir venu, désireux de conquêtes plus au nord, ou loin à l’ouest, là où la mer s’étendait à perte de vue sans qu’Airmid sût où elle finissait.
C’est à la nuit tombée que tout bascula.
Alors que les souverains partageaient nourriture et boissons avec Érémon et ses frères, ceux-ci se levèrent brusquement, à la grande surprise des Túatha près d’eux. La fête leur déplaisait-elle ? N’appréciaient-ils pas les mets, le vin, l’hydromel ? Airmid était aux premières loges, assise près de Cairdre qui chantait de grandes épopées Dé Danann accompagné de sa harpe. Et lorsqu’elle vit ce qui se passait, l’air lui manqua. Elle avait espéré de tout son cœur se tromper…
Érémon souffla dans une corne de brume qui sembla faire trembler la terre et les pierres levées autour d’eux. Puis, lorsqu’il eut l’attention des Túatha qui étaient assez près pour l’entendre, il clama d’une voix forte :
— Mes navires comptent plus de deux mille guerriers. Je suis venu m’emparer de cette île et je ne reculerai pas devant vous, tous dieux, magiciens et druides que vous êtes. Votre magie ne vous sauvera pas. Capitulez et vivez. Combattez et mourez.
Une rumeur monta dans la foule des Túatha, jusqu’à devenir une immense clameur de colère. Mac Gréine se leva, dominant Érémon de sa stature.
— Comment osez-vous nous menacer de la sorte quand nous venons de vous offrir un repas et l’hospitalité ? rugit-il alors que ses deux frères se dressaient à ses côtés.
Sa voix résonna dans la plaine, Airmid sentit le sol trembler sous ses pieds. Mais Érémon ne se départit pas de son calme. Il regarda Mac Gréine dans les yeux avant d’asséner comme un coup d’épée :
— Vous avez jusqu’à l’aurore.
Il souffla à nouveau dans sa corne de brume et les Goidels qui s’étaient mêlés aux Túatha pour les festivités se rallièrent aussitôt à lui. Ils repartirent vers la côte, laissant planer un silence de mort sur l’assemblée. Airmid ferma les yeux, la gorge sèche. Elle songeait à ses plantes, à ses remèdes. Nul besoin d’attendre l’aube pour savoir quel serait le choix des Túatha, elle le connaissait déjà…
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Notes d'auteur :
Comment ça, le dernier chapitre publié date de début août ? :mg:
Vraiment désolée pour cette attente, la publication de cette histoire m'est tout simplement sortie de la tête, et je profite du confinement pour me tenir à jour sur les textes que j'ai écrits et jamais publiés, donc voici le chapitre 3 ! (il en reste 2 ensuite... j'espère qu'ils arriveront avant décembre 2023 --->)
Le titre du chapitre "Imní" signifie "anxiété, inquiétude" en gaélique, et se prononce plus ou moins comme il s'écrit (ça dépend des régions d'Irlande !).
Bonne lecture !
Vraiment désolée pour cette attente, la publication de cette histoire m'est tout simplement sortie de la tête, et je profite du confinement pour me tenir à jour sur les textes que j'ai écrits et jamais publiés, donc voici le chapitre 3 ! (il en reste 2 ensuite... j'espère qu'ils arriveront avant décembre 2023 --->)
Le titre du chapitre "Imní" signifie "anxiété, inquiétude" en gaélique, et se prononce plus ou moins comme il s'écrit (ça dépend des régions d'Irlande !).
Bonne lecture !
Note de fin de chapitre:
J'espère que ce chapitre vous a plu ! J'ai hésité à rajouter des péripéties pour faire durer un peu plus l'histoire, parce que ça va peut-être un peu vite dans ce chapitre, mais d'un autre côté l'histoire se centre autour d'Airmid et de sa quête, et le revirement des Gaëls est essentiel dans cette quête, je ne voyais pas forcément l'utilité d'ajouter plus de matière qui ne ferait aller nulle part :)
Merci d'avoir lu, n'hésitez pas à me laisser un petit mot ! Et encore désolée de l'attente, pour ceux qui ont suivi cette histoire et l'ont commentée ♥♥♥
Merci d'avoir lu, n'hésitez pas à me laisser un petit mot ! Et encore désolée de l'attente, pour ceux qui ont suivi cette histoire et l'ont commentée ♥♥♥
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